Le Procès des Thugs (Pont-Jest)/II/12

Lecomte (p. 316-324).


XII

AU PIED DU GIBET.



Après avoir quitté Nadir, miss Ada et Roumee regagnèrent la case de Sania sans échanger une parole.

Là, ils retrouvèrent leurs chevaux et sautèrent en selle pour reprendre le chemin d’Hyderabad.

— Sur ta vie, pas un mot ! s’était contentée de dire la jeune fille au cipaye en se séparant de lui à la porte du jardin ; et elle avait regagné à la hâte son appartement, où Sabee l’attendait mortellement inquiète.

La jeune servante ne s’étais pas couchée.

Miss Ada fit signe à Sabee d’ouvrir sa fenêtre et vint s’accouder à son balcon, le menton dans la paume de la main droite, les yeux levés vers le ciel.

Le jour commençait à paraître, l’orage s’était éloigné ; dans les massifs du jardin les oiseaux s’essayaient à leurs plus doux chants.

Elle resta ainsi rêveuse et pensive une partie de la matinée, et seulement vers le milieu de la journée, elle se décida, sur les prières de Sabee, à prendre quelques instants de repos.

Elle venait à peine de s’endormir lorsque sa femme de chambre l’éveilla.

Sir Arthur Maury désirait voir sa fille, et malgré tout ce que Sabee lui avait dit de son état de souffrance, il avait tellement insisté qu’elle n’avait pas osé lui refuser l’entrée de l’appartement.

Le gentilhomme la suivait.

Sautant en bas du lit sur lequel elle s’était étendue, miss Ada s’avança au-devant de son père.

— Je regrette, Ada, dit celui-ci, de violer la consigne que vous avez donnée à Sabee, mais il est nécessaire que je m’entretienne avec vous.

— J’ai fait ce matin une longue promenade à cheval qui m’a fatiguée un peu, répondit-elle, mais je n’en suis pas moins tout à vos ordres. Qu’y a-t-il de nouveau ? Je vous écoute.

C’était la première fois, depuis plusieurs jours, que le père et la fille se trouvaient en présence et seuls, car la scène violente que nous avons racontée les avaient éloignés l’un de l’autre plus que jamais.

— Il y a, dit le colonel après s’être recueilli un instant, que vous ne pouvez continuer à vivre dans cette retraite que vous affectez de rechercher, et qu’il est temps, pour faire cesser des bruits fâcheux et ridicules, que vous repreniez vos habitudes d’autrefois. Vos amis s’inquiètent à raison, et le soin de votre réputation exige que vous ouvriez de nouveau votre porte à ceux qu’il vous convient de recevoir. Je regrette les paroles dures qui m’ont échappé l’autre soir dans la colère, et je viens vous donner une preuve de mon désir de vous voir tout oublier. J’ai reçu à votre sujet une demande qui m’honore et ne peut que vous flatter.

— Laquelle, mon père ? fit miss Ada, sans se douter de ce dont il allait être question.

— Le capitaine George Wesley, que j’aime et que j’estime, et à qui vous avez toujours semblé témoigner quelque sympathie, m’a prié de lui accorder votre main.

— Me marier ! ne put s’empêcher de s’écrier la jeune fille avec effroi.

— Mais, qu’y a-t-il là de surprenant ? Vous avez dix-huit ans, vous êtes belle. J’étais au contraire surpris que pareille démarche n’eût pas été faite depuis longtemps déjà par un de vos nombreux admirateurs.

— C’est le capitaine George qui, de son propre mouvement, sans que vous soyez allé au-devant de lui, vous a fait cette demande ?

— Certainement, répondit sir Arthur embarrassé.

— Cela m’étonne, reprit Ada ; j’ai pour George une amitié réelle ; il eût donc mieux fait de s’adresser d’abord à moi pour savoir si j’étais disposée à approuver sa demande. C’est, je le sais, un noble et vaillant gentilhomme ; mais il n’est pas riche, que je sache, et j’ignore quelle dot vous voulez me donner.

Elle avait prononcé ces mots en scandant pour ainsi dire chacune de ses syllabes.

Sir Arthur fit un mouvement et jeta sur sa fille un de ces mauvais regards qu’il n’était pas toujours maître à réprimer.

Il se hâta cependant de répondre d’un ton qu’il s’efforçait de rendre naturel :

— Non, George n’est pas riche, mais j’ai l’intention de lui compter, en vous mariant, dix mille livres sterling.

— Dix mille livres, sir Arthur ! Ma mère, qui n’était qu’une fille du peuple, vous en a apporté plus de cent cinquante mille.

Le colonel se leva brusquement, le rouge au front.

— C’est vrai, répondit-il, après un instant de silence, pendant lequel il avait paru faire provision de calme ; c’est vrai, votre mère avait une fortune considérable ; mais si des désastres, que vous ne comprendriez pas en ont englouti une partie, il m’est pénible qu’ils me soient reprochés par mon enfant.

Il était évident que la jeune fille venait d’atteindre le but qu’elle s’était proposé, car un soupir de satisfaction s’échappa de ses lèvres.

— Je ne songe pas, sir Arthur, reprit-elle, à vous blâmer, et mon intention n’est pas de vous demander compte de cette fortune.

— Comment ! compte ? dit avec étonnement le colonel.

— Mais, certainement, compte. Croyez-vous donc que je sois, à ce point, ignorante de nos lois, que je ne sache pas que vous n’étiez que le dépositaire, l’usufruitier de cet argent ? Cependant, vous demander ce qu’il est devenu est loin de ma pensée. Seulement, comme la fille de sir Arthur Maury ne peut apporter en dot à son époux une somme qui ne suffirait même pas à l’entretien de sa garde-robe et de son écurie, je vous prie, en échange de mon silence et de l’abandon complet que je vous fais de mes droits, de m’accorder la liberté de vivre à ma guise et de répondre moi-même au capitaine George.

Sir Arthur ne s’attendait pas à voir son entretien avec sa fille prendre cette tournure, et la situation nouvelle qui lui était faite froissait tous ses sentiments orgueilleux.

— C’est bien, miss Ada, c’est bien, termina-t-il alors d’un air ironique et glacial ; j’attendrai votre bon vouloir, puisque je suis à votre merci. J’espère que le bon sens aura sur votre esprit plus d’empire que moi-même.

Et saluant cérémonieusement sa fille, il se retira profondément blessé.

Miss Ada s’enferma chez elle plus calme qu’elle ne s’était sentie depuis longtemps et tout entière au souvenir de celui dont l’image était toujours devant ses yeux.

Cependant, malgré la promesse que Nadir lui avait faite, plusieurs jours s’étaient écoulés sans qu’elle eût entendu parler de lui.

Roumee s’était vainement rendu à Velpoor.

Non-seulement il avait trouvé vide la maison mortuaire, mais encore le brahmine Nanda avait été impénétrable.

« Les secrets du Maître ne sont qu’à lui, » s’était contenté de répondre le prêtre à toutes les questions du cipaye.

Le fidèle serviteur n’avait pu rien apprendre à la jeune fille de ce qu’elle désirait savoir ; aussi restait-elle des journées entières dans une tristesse et un accablement dont nulle distraction ne pouvait la tirer.

Cela dura près d’un mois, pendant lequel sa santé donna à ceux qui l’aimaient les plus sérieuses inquiétudes.

C’est avec peine que Sabee la décidait de temps à autre à sortir un peu vers la fin du jour.

Un soir, qu’elle rentrait de l’une de ces tristes promenades et que, la tête baissée, appuyée sur l’épaule de la jolie Mahratte, elle allait franchir la grille de son hôtel, elle sentit qu’on la tirait doucement par le bas de sa robe.

C’était un mendiant qui, accroupi sur le seuil de la porte, lui demandait l’aumône.

Au moment où elle laissait tomber une pièce de monnaie dans la main que le paria tendait vers elle, elle tressaillit.

Cet homme venait de prononcer en hindoustani une phrase dont elle n’avait pas perdu une syllabe, malgré sa préoccupation et son trouble :

Beebee, Sahib toom ruhega ke pas hewar ka dopuhur rat, avait-il dit rapidement et à voix basse. Ce qui voulait dire :

— Miss, le Maître t’attendra ce soir, à minuit, à la porte de Golconde.

Elle eût voulu lui demander quelques explications ; mais obéissant sans doute aux ordres qui lui avaient été donnés, le mendiant avait aussitôt disparu.

Miss Ada rentra dans son appartement toute transformée.

Nadir ne l’avait donc pas oubliée, puisqu’il l’appelait à lui. Elle allait enfin le revoir.

Dans sa joie, elle embrassait Sabee et la serrait dans ses bras.

Dès qu’elle fut prête, car elle n’avait pas voulu attendre un instant pour s’habiller, les heures lui semblèrent des siècles.

Elle avait d’abord eu l’intention d’aller seule à ce rendez-vous ; mais elle finit par se rendre aux observations de sa suivante, qui lui avait fait comprendre qu’à pareille heure elle ne pouvait songer à traverser la ville noire sans être accompagnée.

Elle fit alors venir Roumee, et, bien avant que le moment fût venu, elle l’entraînait hors de l’hôtel et parcourait avec lui cette longue artère tortueuse et bordée de cases qui traverse tout le quartier indigène.

La nuit était obscure, les rues complètement désertes.

Sauf les chiens errants qui aboyaient sur leur passage, rien, dans la triste et misérable ville noire, ne donnait signe d’existence.

Ils atteignirent rapidement la porte de Golconde, et ils s’en étaient déjà éloignés de plusieurs centaines de pas, dans la large avenue plantée d’arbres qui y faisait face, lorsque miss Ada s’arrêta brusquement et, toute tremblante, saisit Roumee par le bras en étendant la main devant elle.

À quelques pas plus loin, sur la droite du chemin, la lune, qui venait de se lever, lui montrait, encore suspendus aux gibets, les squelettes des derniers condamnés.

Elle entendait les cris rauques des chacals qui, grattant impatiemment le sol de leurs griffes, guettaient au pied des potences les lambeaux de chairs que les vautours laissaient tomber par moments en se disputant leur sinistre butin dans l’air, et les clameurs glapissantes des aigles qui décrivaient des cercles concentriques de leur vol au-dessus des arbres dont les branches, agitées par le vent, fouettaient les pendus au visage.

Puis elle aperçut au milieu du chemin, tête nue, les regards fixés sur les suppliciés, un homme qui semblait les compter, et la main levée vers eux, leur faire un serment.

Se sentant défaillir, elle jeta un cri d’horreur.

Cet homme était Nadir.

En reconnaissant la voix de la jeune fille, l’Hindou se retourna et s’élança vers elle pour la recevoir dans ses bras.

— Pourquoi m’avez-vous fait venir ici ? lui dit-elle ; ne pouviez-vous choisir un lieu moins terrible pour nous retrouver ?

— Pardon, miss, mais je n’avais à moi qu’un instant pour revoir ces hommes une dernière fois et tenir la promesse que je vous ai faite. Ah ! cela vous semble horrible que je vienne contempler ces corps déchirés, privés de sépulture et livrés aux oiseaux de proie et aux fauves. Oui, cela est affreux, mais ce sont ces morts qui arment mon bras ; c’est le vent qui siffle entre leurs ossements qui crie vengeance. C’est dans le dernier adieu que je leur adresse, dans le serment suprême que je leur fais, que je devais puiser la force et l’énergie de punir.

— Nadir, je vous en prie ! dit la jeune fille effrayée de l’exaltation de l’Hindou.

— Oui, vous avez raison, venez ! Ma colère ne rendra pas la vie aux morts et ma haine appartient tout entière aux vivants !

Il avait passé son bras autour de la taille de miss Maury et l’entraînait doucement vers le bord de la route.

Ada se laissait conduire, heureuse de cette étreinte et oubliant déjà l’affreux tableau qu’elle avait sous les yeux.

— Écoutez-moi, miss, lui dit-il, dès qu’ils eurent perdu de vue le sinistre gibet, je vais m’éloigner pour longtemps, pour toujours peut-être.

— Me quitter ! vous éloigner ! pourquoi ? demanda-t-elle précipitamment.

— Parce qu’il le faut, que ma voie est tracée et que je dois la suivre.

— Où allez-vous ?

Toutes les sectes, toutes les castes de l’Inde étaient représentées là.

— Bien loin, au-delà des mers, dans votre pays.

— En Angleterre ?

— Oui, en Angleterre d’abord… Mais qu’avez-vous ?

La jeune fille avait baissé la tête et restait pensive. Une idée toute nouvelle venait de germer subitement dans son esprit.

Après un instant de silence, elle releva les yeux ; son parti était pris.

— Eh bien ! ami, si vous allez en Europe, je vous suivrai, dit-elle simplement.

— Y pensez-vous ? s’écria l’Hindou étonné.

— Il y a longtemps que je rêvais de retourner là-bas, dans ce Londres où j’ai vécu enfant et où souffre peut-être encore ma mère. L’occasion s’offre à moi, je la saisis. Je partirai.

— Mais, votre père ?

— Oh ! sir Arthur Maury ne s’opposera pas à mon départ, je vous l’assure, et s’y opposât-il, je saurais bien lui échapper.

Nadir réfléchissait à son tour.

Il se demandait si ce n’était pas le ciel qui lui envoyait cette femme aimante et dévouée, pour être un de ses instruments les plus utiles dans ce pays dont il ignorait les mœurs et les usages.

De plus, il était fier de cet amour qu’il avait inspiré à une fille des oppresseurs de sa race. Il lui semblait que c’était là une première victoire qu’il remportait sur ses ennemis.

— Eh bien ! soit, miss, lui dit-il en serrant ses mains dans les siennes, préparez votre départ. Je ne puis faire le chemin avec vous ; mais si vous le voulez, nous nous retrouverons à Bombay dans les premiers jours d’avril. Vous avez un mois pour vous y rendre.

— Oh ! j’y serai, répondit fermement et en souriant la jeune fille.

— Alors, miss Ada, ce n’est plus adieu, mais au revoir. À Bombay, dans un mois !

Et, après l’avoir serrée un instant dans ses bras, il s’éloigna rapidement pour cacher l’émotion involontaire qui s’était emparée de lui.

— À Bombay, dans un mois ! avait-elle répété en suivant avec amour dans le silence de la nuit le bruit des pas de Nadir. Elle comprenait qu’elle venait de s’enchaîner à lui pour jamais.

Peu d’instants après, la fille de sir Arthur rentra chez elle, et pour la première fois, depuis bien des nuits, s’endormit d’un sommeil calme et réparateur.

Dès le lendemain, elle fit part à son père de son projet de retourner en Angleterre.

Ainsi qu’elle s’y attendait, il ne le combattit que pour la forme.

Après ce qui s’était passé et le refus de la jeune fille de se marier, il aimait autant qu’elle s’éloignât.

Elle lui proposa généreusement de lui abandonner tous ses droits sur la succession de sa mère en échange des 10,000 livres qu’il lui avait offertes en dot, et ils décidèrent qu’elle se rendrait dans le Devonshire, chez la vieille tante qui l’avait élevée après la mort de lady Maury.

Tout cela bien convenu, miss Ada pressa ses préparatifs de départ.

Elle devait profiter du service régulier qui, toutes les semaines, allait d’Hyderabad à Bider.

Dans cette ville, à l’aide des amis auxquels elle serait recommandée, elle se procurerait facilement les moyens de gagner Bombay.

Avant de partir, voulant fixer le sort de Sabee, qui se désespérait de quitter sa maîtresse, elle avait fait libérer Roumee, à la condition qu’il épouserait la jeune Mahratte ; condition que le brave cipaye avait acceptée avec joie et reconnaissance.

Puis elle avait enrichi le nouveau ménage d’un seul coup, de façon à ce qu’il fût pour toujours à l’abri du besoin et qu’à l’occasion, elle sût où retrouver les deux fidèles serviteurs.

Cependant, au milieu de tout le bonheur qu’elle éprouvait, elle avait un remords : c’était à l’égard du capitaine George, ce brave et galant gentilhomme dont elle avait si durement brisé le cœur et détruit les espérances.

Depuis le jour où elle lui avait refusé sa main, il n’avait pas reparu à l’hôtel.

Ne voulant pas cependant quitter Hyderabad sans s’être franchement excusée, miss Ada le fit prier de venir la voir.

Elle apprit qu’il était absent de chez lui depuis près d’une semaine, et que, sur sa demande, le gouverneur lui avait accordé un congé d’un mois.

Elle dut alors se contenter de lui écrire quelques lignes pour lui exprimer son amitié sincère et ses regrets, et, lorsque le moment fut venu, elle partit sans l’avoir vu.

Sabee n’avait voulu quitter sa maîtresse qu’au dernier moment ; il avait fallu l’arracher de ses bras.

Quant à sir Arthur, il avait mis sur le front de sa fille un baiser glacial en lui faisant quelques recommandations banales, et, des lèvres plutôt que du cœur, il lui avait souhaité bonne route.

Le lendemain, il n’y avait rien de changé dans l’hôtel du colonel ; il reprenait son train de vie accoutumé, partageant son temps, ainsi qu’il le faisait depuis de nombreuses années, entre son service et le jeu, et ne songeant plus ni à sa fille ni au désespoir du capitaine Wesley.

Aussi fut-il surpris un matin, quinze jours à peu près après le départ de miss Ada, de voir entrer chez lui l’officier, botté, éperonné, couvert de poussière, le visage bouleversé et semblant brisé de fatigue.

— Qu’y a-t-il donc, George ? lui dit-il amicalement et en allant au-devant de lui. Qu’avez-vous ? d’où venez-vous ?

— D’où je viens, sir Arthur ? de faire près de deux cents lieues à cheval en quinze jours, de battre toutes les bourgades depuis Hyderabad jusqu’à Tritchinapaly.

— Pourquoi donc ?

— On m’avait dit qu’on avait rencontré dans cette dernière ville un homme, un misérable que j’avais intérêt à voir de mes yeux, face à face. Ce qu’il y a ? c’est que je n’ai pu joindre cet homme, et que, lorsque hier seulement, voulant avoir raison de mes soupçons et de mes pressentiments, j’ai fait creuser dans le cimetière hindou de Velpoor la fosse où mes soldats l’ont descendu mort et scellé dans son cercueil, je n’ai plus trouvé son cadavre.

— Par exemple ! Je ne vous comprends pas. De qui voulez-vous parler ?

— De qui ? De Nadir, sir Arthur, dont le génie infernal a été plus puissant que la mort même ! Miss Ada savait tout, je le jurerais !

— Oh ! je m’explique alors son départ, s’écria le gentilhomme dans un blasphème. Impossible de la rejoindre, il est trop tard !

Sir Arthur entendait comme un glas funèbre qui, menaçant, tintait à son oreille et disait : Vengeance !

Pour la première fois de sa vie, il avait peur. En se rappelant le passé, il n’osait interroger l’avenir.

— Non, colonel, reprit le capitaine George, il n’est pas trop tard, pour retrouver du moins le misérable, et je vous engage ma parole que dussé-je le suivre jusqu’aux enfers, d’où il est sorti, je saurai bien le rejoindre.

Prenant alors congé de son supérieur, dont il ne s’expliquait pas l’accablement, le jeune officier se rendit à la hâte chez sir William Dudley pour lui demander un congé de plusieurs mois.

Il prétexta que les affaires les plus importantes l’appelaient à Bombay, qu’il serait peut-être obligé même d’aller en Europe, et il obtint du gouvernement cette liberté qu’il désirait.

Cela fait, il sauta à cheval et courut ventre à terre à Golconde, où il voulait avoir avec le guichetier en chef de la prison, master Stilson, une explication qui lui semblait indispensable.