Le Procès de Jeanne d’Arc/Deuxième partie

Gallimard (p. 69-104).


DEUXIÈME PARTIE
LES INTERROGATOIRES SECRETS

I


Après avoir extrait des interrogatoires précédents les points sur lesquels Jeanne n’avait pas répondu suffisamment, l’évêque de Beauvais délégua maître Jean de La Fontaine, licencié en droit canon, pour l’interroger, et fixa comme date le samedi 10 mars. Ce jour-là, il se rendit dans la prison de Jeanne.

L’Évêque. — Nous requérons Jeanne de faire et prêter le serment de dire vérité sur ce qui lui sera demandé.

Jeanne. — Je vous promets que je dirai vérité de ce qui touchera votre procès ; et plus vous me contraindrez à jurer, et plus tard je vous la dirai.

Jean de La Fontaine. — Par le serment que vous avez fait, quand vous vintes dernièrement à Compiègne, de quel lieu étiez-vous partie ?

Jeanne. — De Crépy-en-Valois.

La Fontaine. — Quand vous fûtes venue à Compiègne, fûtes-vous plusieurs journées avant de faire aucune sortie.

Jeanne. — Je vins à heure secrète du matin, et entrai dans la ville sans que mes ennemis le sussent guère, comme je pense ; et ce même jour, sur le soir, je fis la sortie où je fus prise.

La Fontaine. — À la sortie sonna-t-on les cloches ?

Jeanne. — Si on les sonna, ce ne fut point à mon commandement ou à mon su. Je n’y pensais point. Et il ne me souvient pas si j’avais dit qu’on les sonnât.

La Fontaine. — Fîtes-vous cette sortie du commandement de votre voix ?

Jeanne. — En la semaine de Pâques dernièrement passée, étant sur les fossés de Melun, il me fut dit par mes voix, c’est à savoir sainte Catherine et sainte Marguerite, que je serais prise avant qu’il fût la Saint-Jean, et qu’ainsi fallait que fût fait ; et que je ne m’ébahisse pas, et prisse tout en gré, et que Dieu m’aiderait.

La Fontaine. — Depuis ce lieu de Melun, ne vous fut-il point dit par vos dites voix que vous seriez prise.

Jeanne. — Oui, par plusieurs fois, et comme tous les jours. Et à mes voix je requérais, quand je serais prise, d’être bientôt morte, sans long travail de prison. Et elles me dirent de prendre tout en gré, et qu’ainsi il fallait faire. Mais ne me dirent point l’heure, et si je l’eusse sue, je n’y fusse pas allée. J’avais plusieurs fois demandé à savoir l’heure, mais elles ne me la dirent point.

La Fontaine. — Si vos voix vous eussent commandé de faire la sortie et signifié que vous seriez prise, y fussiez-vous allée ?

Jeanne. — Si j’eusse su l’heure, et que je dusse être prise, je n’y fusse point allée volontiers ; toutefois j’eusse fait leur commandement à la fin, quelque chose qui me dût être venue.

La Fontaine. — Quand vous fîtes cette sortie de Compiègne, avez-vous eu voix de partir et de faire cette sortie ?

Jeanne. — Ce jour, je ne sus point ma prise et je n’eus d’autre commandement de sortir. Mais toujours il m’avait été dit qu’il fallait que je fusse prisonnière.

La Fontaine. — À faire cette sortie, avez-vous passé par le pont ?

Jeanne. — Je passai par le pont et par le boulevard, et allai avec la compagnie des gens de mon parti sur les gens de monseigneur de Luxembourg, et les reboutai par deux fois jusques au logis des Bourguignons, et à la tierce fois jusques à mi-chemin. Et alors les Anglais, qui là étaient, coupèrent les chemins à moi et à mes gens, entre moi et le boulevard. Et pour cela, mes gens se retirèrent. Et moi, en me retirant dans les champs de côté, vers la Picardie, près du boulevard, je fus prise. Et était la rivière entre Compiègne et le lieu où je fus prise, et n’y avait seulement, entre le lieu où je fus prise et Compiègne, que la rivière, le boulevard et le fossé dudit boulevard.

La Fontaine. — En l’étendard que vous portiez, est-ce que le monde est peint, et deux anges, et cætera ?

Jeanne. — Oui. Oncques n’en eus qu’un.

La Fontaine. — Quelle signifiance était-ce de peindre Dieu tenant le monde, et deux anges ?

Jeanne. — Sainte Catherine et sainte Marguerite me dirent de prendre hardiment cet étendard, et de le porter hardiment, et de faire mettre en peinture là le Roi du ciel. Je dis cela à mon Roi, mais bien contre mon gré. Et de la signifiance je ne sais rien autre.

La Fontaine. — Aviez-vous point écu et armes ?

Jeanne. — Je n’en eus oncques point. Mais mon Roi donna à mes frères des armes, c’est à savoir un écu d’azur, deux fleurs de lis d’or et une épée au milieu. En cette ville, j’ai décrit ces armes à un peintre, parce qu’il m’avait demandé quelles armes j’avais. Elles furent données par mon Roi à mes frères, à la plaisance d’eux, sans requête de moi, et sans révélation.

La Fontaine. — Aviez-vous un cheval, quand vous fûtes prise, coursier ou haquenée ?

Jeanne. — J’étais à cheval, et c’était un demi-coursier, celui sur qui j’étais quand je fus prise.

La Fontaine. — Qui vous avait donné ce cheval ?

Jeanne. — Mon Roi ou mes gens me le donnèrent sur l’argent du Roi ; et j’avais cinq coursiers sur l’argent du Roi, sans les trottiers qui étaient plus de sept.

La Fontaine. — Oncques avez-vous eu autres richesses de votre Roi que ces chevaux ?

Jeanne. — Je ne demandais rien à mon Roi, fors bonnes armes, bons chevaux, et de l’argent à payer mes gens de mon hôtel.

La Fontaine. — Aviez-vous point de trésor ?

Jeanne. — Les dix ou douze mille que j’ai vaillants ne sont pas grand trésor à mener la guerre, et c’est peu de chose. Lesquelles choses ont mes frères, comme je pense. Ce que j’ai, c’est de l’argent propre à mon Roi.

La Fontaine. — Quel est le signe que vous avez donné à votre Roi en venant vers lui.

Jeanne. — Il est beau, et honoré, et bien croyable, et il est bon, et le plus riche qu’il soit.

La Fontaine. — Pourquoi ne le voulez-vous aussi bien dire et montrer comme vous avez voulu avoir le signe de Catherine de la Rochelle ?

Jeanne. — Si le signe de Catherine eût été aussi bien montré comme a été le mien devant notables gens d’église et autres, archevêques et évêques, c’est à savoir devant l’archevêque de Reims et autres évêques dont je ne sais le nom (et même y était Charles de Bourbon, le sire de la Tremoïlle, le duc d’Alençon et plusieurs autres chevaliers qui le virent et ouïrent comme je vois ceux qui me parlent aujourd’hui), je n’eusse point demandé à savoir le signe de Catherine. Et toutefois je savais d’avance par sainte Catherine et sainte Marguerite que, du fait de ladite Catherine de la Rochelle, c’était tout néant.

La Fontaine. — Est-ce que ce signe dure encore ?

Jeanne. — Il est bon savoir, et qu’il durera jusques à mille ans, et outre. Ledit signe est en trésor du Roi.

La Fontaine. — Est-ce or, argent, ou pierre précieuse, ou couronne ?

Jeanne. — Je ne vous en dirai autre chose, et ne saurait homme décrire aussi riche chose comme est le signe. Et toutefois le signe qu’il vous faut, c’est que Dieu me délivre de vos mains, et c’est le plus certain qu’il vous sache envoyer ! Quand je dus partir pour aller à mon Roi, il me fut dit par une voix : « Va hardiment, quand tu seras devers le Roi, il aura bon signe de te recevoir et de te croire. »

La Fontaine. — Quand le signe vint à votre Roi, quelle révérence lui fîtes-vous ? et vint-il de par Dieu ?

Jeanne. — Je remerciai Notre-Seigneur de ce qu’il me délivrait de la peine qui me venait des clercs de mon parti qui arguaient contre moi, et je m’agenouillai plusieurs fois. Un ange, de par Dieu et non de par autre, bailla le signe à mon Roi, et j’en remerciai moult de fois Notre-Seigneur. Les clercs de mon parti cessèrent de m’arguer quand ils eurent su ledit signe.

La Fontaine. — Est-ce que les gens d’église de ce parti virent le signe dessus dit ?

Jeanne. — Quand mon Roi et ceux qui étaient avec lui eurent vu ledit signe, et même l’ange qui le bailla, je demandai à mon Roi s’il était content : et il répondit que oui. Alors je partis et je m’en allai en une petite chapelle assez près, et j’ouïs lors dire qu’après mon départ, plus de trois cents personnes virent ledit signe. Par l’amour de moi, et pour qu’ils cessassent de m’interroger, Dieu voulut permettre que ceux de mon parti qui virent ledit signe le vissent.

La Fontaine. — Votre Roi et vous ne fîtes-vous point de révérence à l’ange, quand il apporta le signe ?

Jeanne. — Pour moi, oui. Je m’agenouillai et ôtai mon chapeau.


II


Le lundi 12 mars, dans la prison de Jeanne.

L’Évêque. — Nous requérons Jeanne de dire vérité sur ce qu’on lui demandera.

Jeanne. — De ce qui touchera votre procès, comme autrefois vous ai dit, je dirai volontiers vérité. Je le jure. Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/88 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/89 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/90 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/91 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/92 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/93 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/94 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/95 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/96 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/97 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/98 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/99 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/100 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/101 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/102 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/103 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/104 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/105 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/106 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/107 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/108 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/109 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/110 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/111 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/112 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/113 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/114 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/115 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/116 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/117 Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/118