Texte établi par Pierre DuviquetHaut Cœur et Gayet jeune (3p. 400-419).
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ACTE III modifier

Scène première modifier

HORTENSE seule.


La Princesse m’envoie chercher : que je crains la conversation que nous aurons ensemble ! Que me veut-elle ? aurait-elle encore découvert quelque chose ? Il a fallu me servir d’Arlequin, qui m’a paru fidèle. On n’a permis qu’à lui de voir Lélio. M’aurait-il trahi ? l’aurait-on surpris ? Voici quelqu’un, retirons-nous, c’est peut-être la Princesse, et je ne veux pas qu’elle me voie dans ce moment-ci.


Scène II modifier

ARLEQUIN, LISETTE


LISETTE

Il semble que vous vous défiez de moi, Arlequin ; vous ne m’apprenez rien de ce qui vous regarde. La Princesse vous a tantôt envoyé chercher ; est-elle encore fâchée contre nous ? Qu’a-t-elle dit ?

ARLEQUIN

D’abord, elle ne m’a rien dit, elle m’a regardé d’un air suffisant ; moi, la peur m’a pris ; je me tenais comme cela tout dans un tas ; ensuite elle m’a dit : approche. J’ai donc avancé un pied, et puis un autre pied, et puis un troisième pied, et de pied en pied je me suis trouvé vers elle, mon chapeau sur mes deux mains.

LISETTE

Après ?…

ARLEQUIN

Après, nous sommes entrés en conversation ; elle m’a dit : veux-tu que je te pardonne ce que tu as fait ? Tout comme il vous plaira, ai-je dit, je n’ai rien à vous commander, ma bonne dame. Elle a répondu : va-t’en dire à Hortense que ton maître, à qui on t’a permis de parler, t’a donné en secret ce billet pour elle. Tu me rapporteras sa réponse. Madame, dormez en repos, et tenez-vous gaillarde ; vous voyez le premier homme du monde pour donner une bourde, vous ne la donneriez pas mieux que moi ; car je mens à faire plaisir, foi de garçon d’honneur.

LISETTE

Vous avez pris le billet ?

ARLEQUIN

Oui, bien proprement.

LISETTE

Et vous l’avez porté à Hortense ?

ARLEQUIN

Oui, mais la prudence m’a pris, et j’ai fait une réflexion ; j’ai dit : par la mardi, c’est que cette Princesse avec Hortense veut éprouver si je serai encore un coquin.

LISETTE

Hé bien, à quoi vous a conduit cette réflexion-là ? Avez-vous dit à Hortense que ce billet venait de la Princesse, et non pas de Monsieur Lélio ?

ARLEQUIN

Vous l’avez deviné, ma mie.

LISETTE

Et vous croyez qu’Hortense est de concert avec la Princesse, et qu’elle lui rendra compte de votre sincérité ?

ARLEQUIN

Eh quoi donc ? elle ne l’a pas dit ; mais plus fin que moi n’est pas bête.

LISETTE

Qu’a-t-elle répondu à votre message ?

ARLEQUIN

Oh, elle a voulu m’enjôler, en me disant que j’étais un honnête garçon ; ensuite elle a fait semblant de griffonner un papier pour Monsieur Lélio.

LISETTE

Qu’elle vous a recommandé de lui rendre ?

ARLEQUIN

Oui ; mais il n’aura pas besoin de lunettes pour le lire ; c’est encore une attrape qu’on me fait.

LISETTE

Et qu’en ferez-vous donc ?

ARLEQUIN

Je n’en sais rien ; mon honneur est dans l’embarras là-dessus.

LISETTE

Il faut absolument le remettre à la Princesse, Arlequin, n’y manquez pas ; son intention n’était pas que vous avouassiez que ce billet venait d’elle ; par bonheur que votre aveu n’a servi qu’à persuader à Hortense qu’elle pouvait se fier à vous ; peut-être même ne vous aurait-elle pas donné un billet pour Lélio sans cela ; votre imprudence a réussi ; mais encore une fois, remettez la réponse à la Princesse, elle ne vous pardonnera qu’à ce prix.

ARLEQUIN

Votre foi ?

LISETTE

J’entends du bruit, c’est peut-être elle qui vient pour vous le demander. Adieu ; vous me direz ce qui en sera arrivé.


Scène III modifier

ARLEQUIN, LA PRINCESSE


ARLEQUIN
, seul un moment.

Tantôt on voulait m’emprisonner pour une fourberie ; et à cette heure, pour une fourberie, on me pardonne. Quel galimatias que l’honneur de ce pays-ci !

LA PRINCESSE

As-tu vu Hortense ?

ARLEQUIN

Oui, Madame, je lui ai menti, suivant votre ordonnance.

LA PRINCESSE

A-t-elle fait réponse ?

ARLEQUIN

Notre tromperie va à merveille ; j’ai un billet doux pour Monsieur Lélio.

LA PRINCESSE

Juste ciel ! donne vite et retire-toi.

ARLEQUIN
, après avoir fouillé dans toutes ses poches, les vide, et en tire toutes sortes de brimborions.

Ah ! le maudit tailleur, qui m’a fait des poches percées ! Vous verrez que la lettre aura passé par ce trou-là. Attendez, attendez, j’oubliais une poche ; la voilà. Non ; peut-être que je l’aurai oubliée à l’office, où j’ai été pour me rafraîchir.

LA PRINCESSE

Va la chercher, et me l’apporte sur-le-champ…

Arlequin s’en va… Elle continue.


Scène IV modifier

LA PRINCESSE


Indigne amie, tu lui fais réponse, et me voici convaincue de ta trahison, tu ne l’aurais jamais avoué sans ce malheureux stratagème, qui ne m’instruit que trop ; allons, poursuivons mon projet, privons l’ingrat de ses honneurs, qu’il ait la douleur de voir son ennemi en sa place, promettons ma main au roi de Castille, et punissons après les deux perfides de la honte dont ils me couvrent. La voici ; contraignons-nous, en attendant le billet qui doit la convaincre.


Scène V modifier

LA PRINCESSE, HORTENSE


HORTENSE

Je me rends à vos ordres, Madame, on m’a dit que vous vouliez me parler.

LA PRINCESSE

Vous jugez bien que, dans l’état où je suis, j’ai besoin de consolation, Hortense ; et ce n’est qu’à vous seule à qui je puis ouvrir mon cœur.

HORTENSE

Hélas ! Madame, j’ose vous assurer que vos chagrins sont les miens.

LA PRINCESSE
, à part.

Je le sais bien, perfide… Je vous ai confié mon secret comme à la seule amie que j’aie au monde ; Lélio ne m’aime point, vous le savez.

HORTENSE

On aurait de la peine à se l’imaginer ; et à votre place, je voudrais encore m’éclaircir. Il entre peut-être dans son cœur plus de timidité que d’indifférence.

LA PRINCESSE

De la timidité, Madame ! Votre amitié pour moi vous fournit des motifs de consolation bien faibles, ou vous êtes bien distraite !

HORTENSE

On ne peut être plus attentive que je le suis, Madame.

LA PRINCESSE

Vous oubliez pourtant les obligations que je vous ai ; lui, n’oser me dire qu’il m’aime ! eh ! ne l’avez-vous pas informé de ma part des sentiments que j’avais pour lui ?

HORTENSE

J’y pensais tout à l’heure, Madame ; mais je crains de l’en avoir mal informé. Je parlais pour une princesse ; la matière était délicate, je vous aurai peut-être un peu trop ménagée, je me serai expliquée d’une manière obscure, Lélio ne m’aura pas entendue et ce sera ma faute.

LA PRINCESSE

Je crains, à mon tour, que votre ménagement pour moi n’ait été plus loin que vous ne dites ; peut-être ne l’avez-vous pas entretenu de mes sentiments ; peut-être l’avez-vous trouvé prévenu pour une autre ; et vous, qui prenez à mon cœur un intérêt si tendre, si généreux, vous m’avez fait un mystère de tout ce qui s’est passé ; c’est une discrétion prudente, dont je vous crois très capable.

HORTENSE

Je lui ai dit que vous l’aimiez, Madame, soyez-en persuadée.

LA PRINCESSE

Vous lui avez dit que je l’aimais, et il ne vous a pas entendue, dites-vous ? Ce n’est pourtant pas s’expliquer d’une manière énigmatique ; je suis outrée, je suis trahie, méprisée, et par qui, Hortense ?

HORTENSE

Madame, je puis vous être importune en ce moment-ci ; je me retirerai, si vous voulez.

LA PRINCESSE

C’est moi qui vous suis à charge ; notre conversation vous fatigue, je le sens bien ; mais cependant restez, vous me devez un peu de complaisance.

HORTENSE

Hélas ! Madame, si vous lisiez dans mon cœur, vous verriez combien vous m’inquiétez.

LA PRINCESSE
, à part.

Ah ! je n’en doute pas… Arlequin ne vient point… Calmez cependant vos inquiétudes sur mon compte ; ma situation est triste, à la vérité ; j’ai été le jouet de l’ingratitude et de la perfidie ; mais j’ai pris mon parti. Il ne me reste plus qu’à découvrir ma rivale, et cela va être fait ; vous auriez pu me la faire connaître, sans doute ; mais vous la trouvez trop coupable, et vous avez raison.

HORTENSE

Votre rivale ! mais en avez-vous une, ma chère Princesse ? Ne serait-ce pas moi que vous soupçonneriez encore ? parlez-moi franchement, c’est moi, vos soupçons continuent. Lélio, disiez-vous tantôt, m’a regardée pendant la fête, Arlequin en dit autant, vous me condamnez là-dessus, vous n’envisagez que moi : voilà comment l’amour juge. Mais mettez-vous l’esprit en repos ; souffrez que je me retire, comme je le voulais. Je suis prête à partir tout à l’heure, indiquez-moi l’endroit où vous voulez que j’aille, ôtez-moi la liberté, s’il est nécessaire, rendez-la ensuite à Lélio, faites-lui un accueil obligeant, rejetez sa détention sur quelques faux avis ; montrez-lui dès aujourd’hui plus d’estime, plus d’amitié que jamais, et de cette amitié qui le frappe, qui l’avertisse de vous étudier ; et dans trois jours, dans vingt-quatre heures, peut-être saurez-vous à quoi vous en tenir avec lui. Vous voyez comment je m’y prends avec vous ; voilà, de mon côté, tout ce que je puis faire. Je vous offre tout ce qui dépend de moi pour vous calmer, bien mortifiée de n’en pouvoir faire davantage.

LA PRINCESSE

Non, Madame, la vérité même ne peut s’expliquer d’une manière plus naïve. Et que serait-ce donc que votre cœur, si vous étiez coupable après cela ? Calmez-vous, j’attends des preuves incontestables de votre innocence. À l’égard de Lélio, je donne la place à Frédéric, qui n’a péché, j’en suis sûre, que par excès de zèle. Je l’ai envoyé chercher, et je veux le charger du soin de mettre Lélio en lieu où il ne pourra me nuire ; il m’échapperait s’il était libre, et me rendrait la fable de toute la terre.

HORTENSE

Ah ! voilà d’étranges résolutions, Madame.

LA PRINCESSE

Elles sont judicieuses.


Scène VI modifier

LA PRINCESSE, HORTENSE, ARLEQUIN


ARLEQUIN

Madame, c’est là le billet que Madame Hortense m’a donné… la voilà pour le dire elle-même.

HORTENSE

Oh ciel !

LA PRINCESSE

Va-t’en.

Il s’en va.

HORTENSE

Souvenez-vous que vous êtes généreuse.

LA PRINCESSE
lit.

Arlequin est le seul par qui je puisse vous avertir de ce que j’ai à vous dire, tout dangereux qu’il est peut-être de s’y fier ; il vient de me donner une preuve de fidélité, sur laquelle je crois pouvoir hasarder ce billet pour vous, dans le péril où vous êtes. Demandez à parler à la Princesse, plaignez-vous avec douleur de votre situation, calmez son cœur, et n’oubliez rien de ce qui pourra lui faire espérer qu’elle touchera le vôtre… Devenez libre, si vous voulez que je vive ; fuyez après, et laissez à mon amour le soin d’assurer mon bonheur et le vôtre.

LA PRINCESSE

Je ne sais où j’en suis.

HORTENSE

C’est lui qui m’a sauvé la vie.

LA PRINCESSE

Et c’est vous qui m’arrachez la mienne. Adieu ; je vais me résoudre à ce que je dois faire.

HORTENSE

Arrêtez un moment, Madame, je suis moins coupable que vous ne pensez… Elle fuit… elle ne m’écoute point ; cher Prince, qu’allez-vous devenir… je me meurs, c’est moi, c’est mon amour qui vous perd ! Mon amour ! ah ! juste ciel ! mon sort sera-t-il de vous faire périr ? Cherchons-lui partout du secours. Voici Frédéric ; essayons de le gagner lui-même.


Scène VII modifier

FRÉDÉRIC, HORTENSE


HORTENSE

Seigneur, je vous demande un moment d’entretien.

FRÉDÉRIC

J’ai ordre d’aller trouver la Princesse, Madame.

HORTENSE

Je le sais, et je n’ai qu’un mot à vous dire. Je vous apprends que vous allez remplir la place de Lélio.

FRÉDÉRIC

Je l’ignorais ; mais si la Princesse le veut, il faudra bien obéir.

HORTENSE

Vous haïssez Lélio, il ne mérite plus votre haine, il est à plaindre aujourd’hui.

FRÉDÉRIC

J’en suis fâché, mais son malheur ne me surprend point ; il devait même lui arriver plus tôt : sa conduite était si hardie…

HORTENSE

Moins que vous ne croyez, Seigneur ; c’est un homme estimable, plein d’honneur.

FRÉDÉRIC

À l’égard de l’honneur, je n’y touche pas ; j’attends toujours à la dernière extrémité pour décider contre les gens là-dessus.

HORTENSE

Vous ne le connaissez pas, soyez persuadé qu’il n’avait nulle intention de vous nuire.

FRÉDÉRIC

J’aurais besoin pour cet article-là d’un peu plus de crédulité que je n’en ai, Madame.

HORTENSE

Laissons donc cela, Seigneur ; mais me croyez-vous sincère ?

FRÉDÉRIC

Oui, Madame, très sincère, c’est un titre que je ne pourrais vous disputer sans injustice ; tantôt, quand je vous ai demandé votre protection, vous m’avez donné des preuves de franchise qui ne souffrent pas un mot de réplique.

HORTENSE

Je vous regardais alors comme l’auteur d’une intrigue qui m’était fâcheuse ; mais achevons. La Princesse a des desseins contre Lélio, dont elle doit vous charger ; détournez-la de ces desseins ; obtenez d’elle que Lélio sorte dès à présent de ses États ; vous n’obligerez point un ingrat. Ce service que vous lui rendrez, que vous me rendrez à moi-même, le fruit n’en sera pas borné pour vous au seul plaisir d’avoir fait une bonne action, je vous en garantis des récompenses au-dessus de ce que vous pourriez vous imaginer, et telles enfin que je n’ose vous le dire.

FRÉDÉRIC

Des récompenses, Madame ! Quand j’aurais l’âme intéressée, que pourrais-je attendre de Lélio ? Mais, grâces au ciel, je n’envie ni ses biens ni ses emplois ; ses emplois, j’en accepterai l’embarras, s’il le faut, par dévouement aux intérêts de la Princesse. À l’égard de ses biens, l’acquisition en a été trop rapide et trop aisée à faire ; je n’en voudrais pas, quand il ne tiendrait qu’à moi de m’en saisir ; je rougirais de les mêler avec les miens ; c’est à l’État à qui ils appartiennent, et c’est à l’État à les reprendre.

HORTENSE

Ha Seigneur ! Que l’État s’en saisisse, de ces biens dont vous parlez, si on les lui trouve.

FRÉDÉRIC

Si on les lui trouve ? C’est fort bien dit, Madame ; car les aventuriers prennent leurs mesures ; il est vrai que, lorsqu’on les tient, on peut les engager à révéler leur secret.

HORTENSE

Si vous saviez de qui vous parlez, vous changeriez bien de langage ; je n’ose en dire plus, je jetterais peut-être Lélio dans un nouveau péril. Quoi qu’il en soit, les avantages que vous trouveriez à le servir n’ont point de rapport à sa fortune présente ; ceux dont je vous entretiens sont d’une autre sorte, et bien supérieurs. Je vous le répète : vous ne ferez jamais rien qui puisse vous en apporter de si grands, je vous en donne ma parole ; croyez-moi, vous m’en remercierez.

FRÉDÉRIC

Madame, modérez l’intérêt que vous prenez à lui ; supprimez des promesses dont vous ne remarquez pas l’excès, et qui se décréditent d’elles-mêmes. La Princesse a fait arrêter Lélio, et elle ne pouvait se déterminer à rien de plus sage. Si, avant que d’en venir là, elle m’avait demandé mon avis, ce qu’elle a fait, j’aurais cru, je vous jure, être obligé en conscience de lui conseiller de le faire ; cela posé, vous voyez quel est mon devoir dans cette occasion-ci, Madame, la conséquence est aisée à tirer.

HORTENSE

Très aisée, seigneur Frédéric ; vous avez raison ; dès que vous me renvoyez à votre conscience, tout est dit ; je sais quelle espèce de devoirs sa délicatesse peut vous dicter.

FRÉDÉRIC

Sur ce pied-là, Madame, loin de conseiller à la Princesse de laisser échapper un homme aussi dangereux que Lélio, et qui pourrait le devenir encore, vous approuverez que je lui montre la nécessité qu’il y a de m’en laisser disposer d’une manière qui sera douce pour Lélio, et qui pourtant remédiera à tout.

HORTENSE

Qui remédiera à tout !… (À part.) Le scélérat ! Je serais curieuse, seigneur Frédéric, de savoir par quelles voies vous rendriez Lélio suspect ; voyons, de grâce, jusqu’où l’industrie de votre iniquité pourrait tromper la Princesse sur un homme aussi ennemi du mal que vous l’êtes du bien ; car voilà son portrait et le vôtre.

FRÉDÉRIC

Vous vous emportez sans sujet, Madame ; encore une fois, cachez vos chagrins sur le sort de cet inconnu ; ils vous feraient tort, et je ne voudrais pas que la Princesse en fût informée. Vous êtes du sang de nos souverains ; Lélio travaillait à se rendre maître de l’État ; son malheur vous consterne : tout cela amènerait des réflexions qui pourraient vous embarrasser.

HORTENSE

Allez, Frédéric, je ne vous demande plus rien ; vous êtes trop méchant pour être à craindre ; votre méchanceté vous met hors d’état de nuire à d’autres qu’à vous-même ; à l’égard de Lélio, sa destinée, non plus que la mienne, ne relèvera jamais de la lâcheté de vos pareils.

FRÉDÉRIC

Madame, je crois que vous voudrez bien me dispenser d’en écouter davantage ; je puis me passer de vous entendre achever mon éloge. Voici Monsieur l’Ambassadeur, et vous me permettrez de le joindre.


Scène VIII modifier

L’AMBASSADEUR, HORTENSE, FRÉDÉRIC


HORTENSE

Il me fera raison de vos refus. Seigneur, daignez m’accorder une grâce ; je vous la demande avec la confiance que l’Ambassadeur d’un roi si vanté me paraît mériter. La Princesse est irritée contre Lélio ; elle a dessein de le mettre entre les mains du plus grand ennemi qu’il ait ici, c’est Frédéric. Je réponds cependant de son innocence. Vous en dirai-je encore plus, Seigneur ? Lélio m’est cher, c’est aveu que je donne au péril où il est ; le temps vous prouvera que j’ai pu le faire. Sauvez Lélio, Seigneur, engagez la Princesse à vous le confier ; vous serez charmé de l’avoir servi, quand vous le connaîtrez, et le roi de Castille même vous saura gré du service que vous lui rendrez.

FRÉDÉRIC

Dès que Lélio est désagréable à la Princesse, et qu’elle l’a jugé coupable, Monsieur l’Ambassadeur n’ira point lui faire une prière qui lui déplairait.

L’AMBASSADEUR

J’ai meilleure opinion de la Princesse ; elle ne désapprouvera pas une action qui d’elle-même est louable. Oui, Madame, la confiance que vous avez en moi me fait honneur, je ferai tous mes efforts pour la rendre heureuse.

HORTENSE

Je vois la Princesse qui arrive, et je me retire, sûre de vos bontés.


Scène IX modifier

LA PRINCESSE, FRÉDÉRIC, L’AMBASSADEUR


LA PRINCESSE

Qu’on dise à Hortense de venir, et qu’on amène Lélio.

L’AMBASSADEUR

Madame, puis-je espérer que vous voudrez bien obliger le roi de Castille ? Ce prince, en me chargeant des intérêts de son cœur auprès de vous, m’a recommandé encore d’être secourable à tout le monde ; c’est donc en son nom que je vous prie de pardonner à Lélio les sujets de colère que vous pouvez avoir contre lui. Quoiqu’il ait mis quelque obstacle aux désirs de mon maître, il faut que je lui rende justice ; il m’a paru très estimable, et je saisis avec plaisir l’occasion qui s’offre de lui être utile.

FRÉDÉRIC

Rien de plus beau que ce que fait Monsieur l’Ambassadeur pour Lélio, Madame ; mais je m’expose encore à vous dire qu’il y a du risque à le rendre libre.

L’AMBASSADEUR

Je le crois incapable de rien de criminel.

LA PRINCESSE

Laissez-nous, Frédéric.

FRÉDÉRIC

Souhaitez-vous que je revienne, Madame ?

LA PRINCESSE

Il n’est pas nécessaire.


Scène X modifier

L’AMBASSADEUR, LA PRINCESSE


LA PRINCESSE

La prière que vous me faites aurait suffi, Monsieur, pour m’engager à rendre la liberté à Lélio, quand même je n’y aurais pas été déterminée ; mais votre recommandation doit hâter mes résolutions, et je ne l’envoie chercher que pour vous satisfaire.


Scène XI modifier

LÉLIO, HORTENSE entrent.


LA PRINCESSE

Lélio, je croyais avoir à me plaindre de vous ; mais je suis détrompée. Pour vous faire oublier le chagrin que je vous ai donné, vous aimez Hortense, elle vous aime, et je vous unis ensemble. Pour vous, Monsieur, qui m’avez prié si généreusement de pardonner à Lélio, vous pouvez informer le Roi votre maître que je suis prête à recevoir sa main et à lui donner la mienne. J’ai grande idée d’un prince qui sait se choisir des ministres aussi estimables que vous l’êtes, et son cœur…

L’AMBASSADEUR

Madame, il ne me siérait pas d’en entendre davantage ; c’est le roi de Castille lui-même qui reçoit le bonheur dont vous le comblez.

LA PRINCESSE

Vous, Seigneur ! Ma main est bien due à un prince qui la demande d’une manière si galante et si peu attendue.

LÉLIO

Pour moi, Madame, il ne me reste plus qu’à vous jurer une reconnaissance éternelle. Vous trouverez dans le prince de Léon tout le zèle qu’il eut pour vous en qualité de ministre ; je me flatte qu’à son tour le roi de Castille voudra bien accepter mes remerciements.

LE ROI DE CASTILLE

Prince, votre rang ne me surprend point : il répond aux sentiments que vous m’avez montrés.

LA PRINCESSE
, à Hortense

Allons, Madame, de si grands événements méritent bien qu’on se hâte de les terminer.

ARLEQUIN

Pourtant, sans moi, il y aurait eu encore du tapage.

LÉLIO

Suis-moi, j’aurai soin de toi.