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§ I.

L’EXPÉRIENCE



I


Alors, nous allons prendre les choses en logiciens, par le commencement. Stuart Mill a écrit une logique. Qu’est-ce que la logique ? C’est une science. Quel est son objet ? Ce sont les sciences : car supposez que vous ayez parcouru l’univers et que vous le connaissiez tout entier, astres, terre, soleil, chaleur, pesanteur, affinités, espèces minérales, révolutions géologiques, plantes, animaux, événements humains, et tout ce qu’expliquent ou embrassent les classifications et les théories ; il vous restera encore à connaître ces classifications et ces théories. Non-seulement il y a l’ordre des êtres, mais il y a encore l’ordre des pensées qui les représentent ; non-seulement il y a des plantes et des animaux, mais encore il y a une botanique et une zoologie ; non-seulement il y a des lignes, des surfaces, des volumes et des nombres, mais encore il y a une géométrie et une arithmétique. Les sciences sont donc des choses réelles comme les faits eux-mêmes : elles peuvent donc être, comme les faits, un sujet d’étude. On peut les analyser comme on analyse les faits, rechercher leurs éléments, leur composition, leur ordre, leurs rapports et leur fin. Il y a donc une science des sciences : c’est cette science qu’on appelle logique, et qui est l’objet du livre de Stuart Mill. Ou n’y décompose point les opérations de l’esprit en elles-mêmes, la mémoire, l’association des idées, la perception extérieure : ceci est une affaire de psychologie. On n’y discute pas la valeur de ces opérations, la véracité de notre intelligence, la certitude absolue de nos connaissances élémentaires ; ceci est une affaire de métaphysique. On y suppose nos facultés en exercice, et l’on y admet leurs découvertes originelles. On prend l’instrument tel que la nature nous le fournit, et l’on se fie à son exactitude. On laisse à d’autres le soin de démonter son mécanisme et la curiosité de contrôler ses résultats. On part de ses opérations primitives ; on recherche comment elles s’ajoutent les unes aux autres, comment elles se combinent les unes avec les autres, comment elles se transforment les unes les autres ; comment, à force d’additions, de combinaisons et de transformations, elles finissent par composer un système de vérités liées et croissantes. On fait la théorie de la science comme d’autres font la théorie de la végétation, de l’esprit, des nombres. Voilà l’idée de la logique, et il est clair qu’elle a, au même titre que les autres sciences, sa matière réelle, son domaine distinct, son importance visible, sa méthode propre et son avenir certain.