Le Poète polonais Jules Slowacki/Préface

I.  ►


PRÉFACE


Destinée primitivement à un public restreint, spécial et sympathique, cette étude pourra-t-elle intéresser le grand public à qui nous l’offrons aujourd’hui ? Nous le souhaitons plus que nous ne l’espérons.

Slowacki est un poète romantique et un poète polonais. Or, le romantisme d’une part, d’autre part la Pologne sont un peu passés de mode aujourd’hui.

N’importe. Nous avons le devoir d’appeler l’attention sur les chefs-d’œuvre d’une littérature inconnue ou méconnue jusqu’à ce jour ; et ce devoir nous le remplirions même si nous étions absolument certain de crier longtemps encore dans le désert.

La mode passe, la vérité et la justice demeurent.

V. G.




LE POÈTE POLONAIS JULES SLOWACKI 1809-1849


Il y a aujourd’hui trente ans, le 3 avril 1849, à peu près à l’heure où nous sommes, mourait à Paris un homme jeune encore, presque un jeune homme, car il n’avait pas atteint sa quarantième année. Son nom était peu connu en Pologne, mais il devait bientôt y être égalé aux plus grands poètes, et avec raison, car il n’avait cessé pendant sa courte existence de chanter la Patrie, ses souffrances, ses souvenirs, ses espérances, son idéal ; car il avait donné à la langue polonaise une souplesse, une pureté, une harmonie aérienne inconnue jusqu’à lui ; car il avait ajouté aux nombreux chefs-d’œuvre de notre poésie du xixe siècle quelques-uns de ses plus purs, de ses plus beaux joyaux, et contribué par la création d’œuvres impérissables à fonder, pour sa part, l’immortalité de notre nation sur l’immortalité de notre langue et de notre littérature.

Ce jeune homme, ce poète qui s’en allait ainsi avant l’âge, c’était Jules Slowacki.

Vous retracer ici en quelques heures la vie de Jules Slowacki, serait une tâche impossible. Ce n’est pas que cette vie, d’ailleurs si courte, ait été remplie d’incidents bien nombreux, d’aventures bien romanesques ; ce n’est pas qu’il ait pris une grande part aux événements historiques de notre époque tourmentée. Mais c’est que la vie d’un poète, et surtout d’un poète comme lui, est tout entière dans ses aspirations, dans ses rêves, plus tard dans ses regrets, dans ses mille sentiments d’amour et d’indignation, d’enthousiasme et de désespoir, dans ses illusions et dans ses déceptions ; c’est que l’histoire de Jules Slowacki, c’est l’histoire du cœur et de l’imagination les plus passionnés, les plus exaltés, les plus mobiles et les plus féconds peut-être qu’ait produits notre siècle, si riche pourtant en organisations poétiques analogues à la sienne.

Vous exposer cette vie, ce serait faire moins de la biographie que de la psychologie, ce serait moins raconter des faits qu’analyser des sentiments ; et si cette étude, intéressante à coup sûr et bien faite pour tenter un critique philosophe, peut être l’objet d’un long ouvrage, rempli de détails et de citations, elle ne saurait être entreprise dans une causerie comme celle-ci, qui a pour unique but d’honorer sa mémoire en montrant l’importance littéraire et nationale de son œuvre. Cette étude d’ailleurs existe déjà. Les deux volumes de M. Malecki, sous ce titre : Juliusz Slowacki, jego zycie, dziela wstosunku do spolczesnej epoki (Lemberg 1866-67) sont un véritable chef-d’œuvre que nul ne peut être tenté de refaire, et dont la lecture, complétée par celle des lettres du poète à sa mère, publiées à Lemberg il y a quatre ans (Gubrynowicz, Schmidt, 1875), est un devoir pour quiconque veut connaître notre littérature du xixe, c’est-à-dire pour tout Polonais.

Aussi, tout en esquissant une étude rapide ou plutôt une appréciation générale de l’œuvre de notre poète, ce qui est, je le répète, le seul but que je me propose, je me bornerai, en regrettant de ne pouvoir plus, à noter simplement les principales dates de sa vie.