Le Pirate (Montémont)/Chapitre XXXVI

Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 16p. 381-396).

CHAPITRE XXXVI.

la prise.


Carguez toutes les voiles, marchons au combat, faites feu… Ce navire est à moi, ou l’Océan l’engloutira.
Shakspeare.


Un fort joli brick qui, entre autres bâtimens, appartenait à Magnus Troil, le grand udaller des îles Shetland, avait reçu à bord ce magnat lui-même, ses deux charmantes filles et le facétieux Claude Halcro qui, un peu par amitié, un peu à cause de son amour poétique pour la beauté, les accompagnait dans leur voyage des îles Shetland à la capitale des îles Orcades. Norna les envoyait là comme au lieu où ses oracles mystérieux devaient enfin recevoir une explication satisfaisante. Ils passèrent à distance des affreux rochers du solitaire endroit appelé Belle-Île ; ces rochers, également éloignés des deux archipels, sont situés dans la mer qui sépare les Orcades des îles Shetland. Enfin, après quelques bouffées de vent contraire, ils reconnurent le Start de Sanda. À la hauteur de ce promontoire ils se trouvèrent entravés par un courant bien connu des marins qui fréquentent ces îles, sous le nom de Roost du Star ; le Roost les éloigna considérablement de leur route, et, joint à un vent défavorable, il les força de prendre à l’est de l’île de Stronsa, et finalement à s’arrêter pour la nuit dans le détroit de Papa, attendu que la navigation dans les ténèbres par un mauvais temps, au milieu de tant d’îles si basses, n’était ni agréable ni sûre.

Le matin suivant ils se remirent en marche sous de meilleurs auspices, et côtoyant les îles de Stronsa, dont les rivages unis, verdoyants et comparativement fertiles, formaient un contraste frappant avec les montagnes nues et les sombres rochers de leurs propres îles, ils doublèrent le cap Lambhead et se trouvèrent sur la droite ligne de Kirkwall.

Ils étaient à peine entrés dans la jolie baie qui sépare Pomona de Spanisha, et les deux sœurs admiraient l’église massive de Saint-Magnus, car c’était de là seulement qu’on commençait à l’apercevoir au dessus des bâtimens moins élevés de la ville, quand les yeux de Magnus et ceux de Claude Halcro furent attirés par un objet qui leur sembla plus intéressant. C’était un sloop armé, avec toutes ses voiles au vent, qui venait de lever l’ancre dans la baie, et courait sous le vent contre lequel luttait le brick de l’udaller.

« Par les os de mes ancêtres, le beau navire ! s’écria l’udaller ; mais je ne puis dire de quel pays, car il n’arbore aucune couleur. Construction espagnole à ce qu’il me semble. — Oui, oui, répondit Claude Halcro, il en a tout l’air. Il court sous le vent contre lequel il nous faut lutter, c’est toujours ainsi dans le monde. Comme dit le glorieux John,

Avec un vaste pont et des canons terribles
Dont la bouche aplanit chaque vague en élan,
C’est dans son cours hardi sur les gouffres horribles,
Une guêpe de mer volant sur l’Océan. »

Brenda ne put s’empêcher de dire au poète, lorsqu’il eut récité la stance avec beaucoup d’enthousiasme, « que quoique la description convînt mieux à un vaisseau de premier rang qu’à un sloop, pourtant la comparaison avec une guêpe de mer n’était guère applicable à l’un ni à l’autre. — Une guêpe de mer ! » reprit Magnus en apercevant avec quelque surprise que le sloop changeant de direction venait subitement sur eux. « Corbleu ! je souhaite qu’elle ne nous montre pas dans un instant qu’elle a un aiguillon. »

Ce que l’udaller avait dit en plaisantant devint bientôt une chose sérieuse ; car, sans arborer de pavillon, sans héler le brick, le sloop tira deux coups de canon à boulets, dont l’un passa en bondissant sur l’eau précisément le long de l’avant des Shetlandais, tandis que l’autre traversa la grande voile. Magnus saisit un porte-voix et demanda au sloop qui il était et ce que signifiait cette agression qu’il n’avait pas provoquée. On lui répondit seulement par cet ordre sévère : « Baissez la voile du perroquet sur-le-champ, et carguez la voile de votre grand mât… vous verrez tout à l’heure qui nous sommes. »

Il n’y avait aucun moyen possible de résister : une bordée pouvait à l’instant même les forcer à obéir ; et au milieu des frayeurs des deux sœurs et de Claude Halcro, de la colère et de l’étonnement de l’udaller, le brick s’arrêta pour attendre les ordres de l’ennemi. Le sloop mit aussitôt sa chaloupe en mer avec six hommes armés, commandés par Jack Bunce, qui ramèrent droit vers leur prise. Pendant qu’ils approchaient, Claude Halcro dit bas à l’udaller : « Si ce que nous entendons dire des flibustiers est vrai, ces hommes avec leurs écharpes et leurs vestes de soie en ont toute la tournure. — Mes filles ! mes filles ! » murmura Magnus avec une angoisse qu’un père seul peut sentir ; « descendez sous le pont et cachez-vous, mes enfants, tandis que moi… »

Il jeta au loin le porte-voix et saisit une barre de fer, tandis que ses filles, plus effrayées des conséquences qu’aurait pour lui son naturel irritable que de toute autre chose, lui sautèrent au cou et le supplièrent de ne faire aucune résistance ; Claude Halcro unit ses instances aux leurs : « Il vaudrait mieux, dit-il, apaiser les coquins avec de belles paroles… C’est peut-être un vaisseau de Dunkerque, peut-être l’insolent équipage d’un navire de guerre en gaîté. — Non, non, répliqua Magnus, c’est le sloop dont nous a parlé le colporteur. Mais je suivrai le conseil… je patienterai par amour de ces chers enfants ; néanmoins… »

Il n’eut pas le temps d’achever la phrase, car Bunce, s’élançant à bord avec sa troupe et tirant son sabre, en frappa le pont, et déclara que le bâtiment lui appartenait.

« De quelle autorité et par quel ordre nous arrêtez-vous en pleine mer ? demanda Magnus. — Voilà une demi-douzaine d’ordres, » répondit Bunce en lui montrant les pistolets dont il était armé ; « choisissez celui qu’il vous plaira, mon bonhomme, et je vais vous en donner lecture à l’instant. — C’est-à-dire que vous avez l’intention de nous voler ? répliqua Magnus… Soit… nous ne pouvons l’empêcher… Soyez seulement civils à l’égard des femmes, et prenez ce qui vous convient dans mon vaisseau. Il n’y a pas grand’chose, mais je veux et je peux augmenter votre prise, si vous nous traitez bien.

« Civils à l’égard des femmes ! » répéta Fletcher, qui était de la petite troupe. « Quand fûmes-nous autrement que civils à leur égard ! oui, et aimables par dessus le marché !… Regardez par ici, Jack Bunce !… Quel charmant petit brin de fille !… Pardieu !… elle fera une croisière avec nous ; peu importe ce que deviendra le bonhomme ! »

Il saisit d’une main Brenda, presque morte de frayeur, et releva insolemment de l’autre le capuchon qui lui cachait la figure.

« Au secours, mon père !… au secours, Minna ! » s’écria la pauvre jeune fille, sans songer qu’il leur était impossible de la défendre.

Magnus saisit de nouveau sa barre de fer, mais Bunce lui arrêta la main. « Paix là ! bon père, dit-il, ou vous allez vous embarquer dans un mauvais chemin… et vous, Fletcher, lâchez mademoiselle. — Que le diable m’enlève ! pourquoi la lâcherais-je ? demanda Fletcher. — Parce que je vous l’ordonne, Dick, répondit l’autre, et que sinon je vous ferai une querelle… Ah ! maintenant, mes beautés, une de vous deux porte-t-elle ce singulier nom païen de Minna, pour lequel j’ai une espèce de respect ? — Le galant homme ! dit Halcro… c’est incontestablement parce que vous avez de la poésie dans le cœur. — J’en ai eu assez dans la bouche de mon temps, répliqua Bunce ; mais ce temps est passé, vieux gentleman… cependant je saurai bientôt laquelle de ces deux demoiselles se nomme Minna. Écartez-moi ces mantes de vos figures, et n’ayez nulle peur, mes brillantes Lindamires, personne n’approchera de vous pour vous faire le moindre mal… Sur mon âme, voilà deux jolies fillettes !… Puissé-je me trouver en mer sur une coquille d’œuf avec un roc en droite ligne de mon avant, s’il est vrai que j’ai jamais souhaité mieux que la moins gentille… Écoutez, mes bonnes amies, laquelle de vous aimerait à se bercer dans le hamac d’un pirate ?… vous auriez de l’or à moissonner ! «

Les deux sœurs épouvantées se serrèrent l’une contre l’autre, et pâlirent en entendant les discours hardis et familiers de l’intrépide libertin.

« Voyons, ne craignez rien, continua-t-il, personne ne sert sous le noble Altamont que volontairement. Les gentilshommes de fortune ne connaissent pas la presse. Allons, n’ayez pas l’air si sombre en regardant comme si je parlais d’une chose à laquelle vous n’ayez jamais pensé. Une de vous, au moins, connaît le capitaine Cleveland, le pirate. »

Brenda devint encore plus pâle ; mais le sang monta soudain aux joues de Minna lorsqu’elle entendit nommer son amant d’une manière si inattendue ; car telle était la confusion de cette scène, qu’à l’udaller seul était venue l’idée que le sloop pouvait être le navire matelot dont Cleveland avait parlé à Burgh-Westra.

" Je vois ce que c’est, » reprit Bunce d’un ton familier, « et je me conduirai en conséquence. Vous n’avez besoin de craindre aucune insulte, bonhomme, » ajouta-t-il en s’adressant sans gêne à Magnus lui-même ; et quoique dans mon temps j’aie fait payer tribut à plus d’une jolie fille, cependant les vôtres retourneront à terre sans aucun dommage et sans payer de rançon. — Si vous m’en assurez, s’écria Magnus, vous êtes aussi bienvenu à prendre mon brick et ma cargaison que jamais homme le fut chez moi à boire un verre de punch. — Ce ne serait pas une mauvaise chose qu’un verre de punch, reprit Bunce, si nous avions ici un homme capable de le préparer comme il faut. — Je le préparerai, dit Claude Halcro, aussi bien que tout homme qui coupa jamais un citron… excepté toutefois Éric Scambester, le faiseur de punch de Burgh-Westra. — Et vous n’êtes éloigné de lui que de la longueur d’un grappin, dit l’udaller. Descendez sous le pont, mes filles, et envoyez-nous le précieux sommelier avec le bol à punch. — Le bol à punch, répéta Fletcher ; on dit le baquet… Parlez de bol dans la cabine d’un méchant navire marchand, mais non à la face de gentilshommes ambulants… de corsaires, voulais-je dire, » reprit-il lorsqu’il vit que Bunce n’approuvait pas le quiproquo.

« Et je veux que ces deux jolies filles remontent sur le tillac pour remplir mon verre, dit Bunce ; je mérite quelques attentions du moins pour toute ma générosité. — Et elles rempliront le mien aussi, répliqua Fletcher… elles le rempliront jusqu’au bord, et je prendrai un baiser par chaque goutte qu’elles renverseront… que je sois grillé si j’y manque ! — Eh bien, je vous réponds que vous y manquerez, repartit Bunce ; je veux être damné si personne embrasse Minna, à l’exception d’un seul homme, et cet homme ne sera ni vous ni moi ; et sa compagne, ce joli petit brin de sœur, échappera de compagnie… il y a bien assez de fillettes dans les Orcades qui nous tendent les bras… Et maintenant que j’y songe, les jeunes filles vont descendre et s’enfermer dans la cabine, et nous prendrons le punch ici sur le tillac, al fresco, comme le propose le bonhomme. — En vérité, Jack, je désire que vous connaissiez votre propre pensée, répliqua Fletcher : j’ai été votre camarade pendant deux ans, et je vous aime ; pourtant, écorchez-moi comme un taureau sauvage, si vous n’êtes pas aussi capricieux qu’un singe… Comment pourrons-nous rire et plaisanter si vous envoyez ces jolies filles sous le pont ? — Nous aurons monsieur le faiseur de punch que voilà, répondit Bunce, pour porter des toasts et nous chanter des chansons… Et pendant ce temps-là, vous autres, vite à la manœuvre et faites avancer le bâtiment… Vous, pilote, s’il vous plaît de conserver votre cervelle dans votre crâne, tenez bien le brick sous la poupe de notre sloop… si vous essayez de nous jouer le moindre tour, je vous brise la caboche, comme une vieille calebasse. »

Le vaisseau se mit donc en marche et suivit lentement le sillage du sloop qui voguait, non pour rentrer dans la baie de Kirkwall, mais pour aller se mettre en rade dans l’excellent havre d’Inganess. Cette baie est formée par un promontoire qui s’étend à deux ou trois milles vers l’est de la métropole des Orcades, et là les vaisseaux pouvaient jeter l’ancre, tant que les pirates continueraient avec les magistrats les relations que le nouvel état de choses semblait exiger.

Cependant Claude Halcro avait mis en œuvre tout son talent pour préparer un baquet de punch, que les pirates burent dans d’énormes verres ; les simples matelots, aussi bien que Bunce et Fletcher, venaient puiser sans cérémonie dans le baquet, tout en surveillant et aidant la manœuvre. Magnus, qui craignait particulièrement que la liqueur n’éveillât les brutales passions de ces brigands, fut si frappé de la quantité considérable qu’ils pouvaient boire, sans que leur raison parût s’en ressentir le moins du monde, qu’il ne pût s’empêcher d’en témoigner sa surprise à Bunce.

L’udaller avait reconnu que, malgré ses manières cavalières, le noble Altamont était beaucoup plus civil que les autres, et peut-être essaya-t-il de se le concilier tout-à-fait par un compliment toujours agréable à des buveurs.

« Par les os de saint Magnus ! dit l’udaller, j’étais assez simple pour croire que je vidais mon verre en vrai gentilhomme ; mais à voir vos gens, capitaine, avaler un pareil baquet, on s’imaginerait que leur estomac est sans fond, comme le trou de Laifell près Foula, que j’ai tenté de sonder moi-même avec une corde de cent brasses. Par mon âme, le bicker de Saint-Magnus serait un petit verre pour eux ! — Dans notre genre de vie, monsieur, répliqua Bunce, on ne s’arrête que quand le devoir rappelle ou quand les flacons sont vides. — Sur ma parole, dit Claude Halcro, je crois qu’il n’y a pas un de vos gens qui ne fût capable de boire toute l’énorme cruche de Scapa, qu’on présentait toujours à l’évêque des Orcades remplie jusqu’au goulot de la meilleure bière qu’on pouvait brasser. — S’il suffisait de boire pour être évêque, repartit Bunce, j’aurais là un révérend équipage ; mais comme c’est là leur seule qualité cléricale, je n’ai pas envie qu’ils s’enivrent aujourd’hui : nous terminerons donc notre buvette par une chanson. — Je la chanterai, de par — — ! » dit ou jura Fletcher, et aussitôt il entonna la vieille chanson…

Je montais sur un frais navire
Du chantier à peine sorti ;
Cent matelots pour le conduire ;
Avec eux moi j’étais parti.

« J’aimerais mieux être jeté à fond de cale que d’entendre encore une fois cette chanson, s’écria Bunce ; le diable confonde vos énormes mâchoires ! vous ne pouvez en faire sortir rien autre chose. De par — — ! répliqua Fletcher, je chanterai ma chanson, qu’elle vous plaise ou vous déplaise ; » et il reprit d’une voix lugubre, aussi harmonieuse que le sifflement du vent de nord-est qui mugit entre les cordages et les voiles :

Glen était notre capitaine,
Jeune homme rempli de valeur,
Allant sur la rive africaine
Essayer notre vive ardeur.

« Je vous répète, dit Bunce, que nous ne voulons pas ici de votre musique de hibou, et je veux être damné si vous continuez votre infernal tapage en restant assis près de nous ! — Eh bien, comme il vous plaira, » dit Fletcher en se levant : « je vais chanter en me promenant ; il n’y a pas de mal à cela, j’espère, Jack Bunce. « Et en effet, il commença une promenade sur le pont en beuglant sa longue et désastreuse ballade.

« Vous voyez comme je les mène, » dit Bunce avec un sourire de satisfaction. « Laissez ce drôle faire deux cabrioles à sa guise, et le voilà mutin pour toute la vie ; mais je lui tiens la bride serrée, et il me suit pourtant avec autant de plaisir que l’épagneul suit le chasseur après avoir été bien battu… Et maintenant votre toast et votre chanson, monsieur, » ajouta-t-il en s’adressant à Halcro, « ou plutôt votre chanson sans toast : je me réserve le toast ; le voici : « Succès à l’épée du corsaire, et confusion aux honnêtes gens ! — Je serais fâché de boire à ce toast, si je pouvais faire autrement, dit Magnus Troil. — Parce que vous vous mettez au nombre des honnêtes gens, répliqua Bunce. Dites-moi quel est votre métier, et je vous dirai ce que j’en pense. Quant à ce faiseur de punch que voilà, je l’ai reconnu au premier coup d’œil pour être un tailleur, qui autrefois n’avait pas plus de prétentions à être honnête homme que galeux. Et vous, vous êtes quelque riche armateur hollandais, je parie, qui foule aux pieds la croix quand il est au Japon, et renie sa religion pour le gain d’une journée. — Non, répondit l’udaller, je suis propriétaire dans les îles Shetland. — Oh ! bah, repartit le satirique Bunce, vous venez de cet heureux climat où le genièvre coûte un groat la bouteille, et où il fait jour toute l’année ? — À votre service, capitaine, » répliqua l’udaller, réprimant, non sans peine, le ressentiment que faisaient naître en lui ces plaisanteries sur son pays.

« À mon service ! répéta Bunce… Oui, s’il y avait un câble de tendu depuis mon bâtiment naufragé jusqu’au rivage, vous seriez à mon service pour couper le grelin, pour faire épaves et écumes de mon vaisseau et de ma cargaison. Bienheureux encore si vous ne m’appliquiez pas un coup sur la tête avec le dos de la hache… et vous réclamez le titre d’honnête homme ? mais ne faites pas attention… au susdit toast… Et vous, chantez-moi une chanson, monsieur le tailleur, et tâchez qu’elle soit aussi bonne que votre punch. »

Halcro, demandant intérieurement au ciel de lui accorder la puissance d’un nouveau Timothée pour animer sa verve et rabaisser la fatuité de son auditeur, comme avait su faire le glorieux John[1], il entonna une chanson propre à attendrir le cœur, qui commençait par les vers suivants :

Jeunes filles dont la fraîcheur
Égale celle de la rose,
Écoutez mes chants…

« Je ne veux entendre parler ni de jeunes filles ni de roses, interrompit Bunce ; cela me rappelle quelle espèce de cargaison nous

avons à bord ; et par — — ! je veux être fidèle à mon capitaine aussi long-temps que possible… Et je ne boirai pas davantage de punch… Ce dernier verre a fait en moi une révolution, je ne veux pas faire le Cassio cette nuit… et si je cesse de boire, personne ne boira. »

En parlant ainsi, il donna un vigoureux coup de pied dans le baquet qui, malgré tant de visites répétées, était encore à moitié plein. Ensuite il se leva, se secoua un peu pour se mettre d’aplomb, retroussa son chapeau, et, se promenant sur le tillac avec un air de dignité, il donna, de la voix et du geste, l’ordre de mettre les deux vaisseaux à l’ancre. Les deux équipages obéirent aussitôt, Goffe se trouvant alors, selon toute probabilité, incapable de commander la manœuvre.

Cependant l’udaller faisait avec Halcro des doléances sur leur situation. « Elle est assez mauvaise, disait le vieux Norse, car tous ces hommes-là sont de vrais coquins… et pourtant, n’étaient mes filles, je ne les craindrais pas. Ce jeune homme qui fait tant de mines, et qui semble les commander, n’est pas encore un diable aussi terrible qu’il pourrait l’être. — Il a de singuliers caprices, ma foi ! répondit Halcro ; et plût au ciel que nous en fussions débarrassés ! Renverser un baquet à demi plein du meilleur punch qui fût jamais préparé, et m’arrêter court au commencement de la plus jolie chanson qui soit sortie de ma plume !… Je ne sais pas ce dont il est capable, car il approche bien de la folie. »

Cependant les ancres des deux vaisseaux étaient jetées : le vaillant lieutenant Bunce appela Fletcher, et revenant s’asseoir auprès de ses passagers inquiets, il leur dit qu’il allait envoyer un billet aux badauds de Kirkwall, et qu’il le montrerait à Magnus, parce que le message aurait quelque rapport avec le brick. « Je le ferai au nom de Dick, ajouta-t-il, aussi bien qu’au mien. J’aime à donner un peu d’importance à ce pauvre garçon de temps à autre… N’est-ce pas, Dick, maudit âne ? — Oui, certainement, Jack Bunce, répliqua Dick ; je ne puis dire autrement que vous. Seulement, vous bourrez toujours les gens d’une façon ou d’une autre… Mais néanmoins, voyez-vous… — Assez : ferme tes mâchoires, Dick, » interrompit Bunce ; et il se mit à écrire une lettre, qu’il lut ensuite à haute voix ; elle était conçue dans les termes suivants :

Aux prévôt et aldermen de Kirkwall.
« Messieurs,

« Comme sans égard à la parole que vous en aviez donnée, vous ne nous avez pas envoyé à bord un otage pour la sûreté de notre capitaine resté à terre sur votre demande, la présente vous apprendra qu’il ne fait pas bon se jouer de nous. Nous sommes en possession d’un brick, et d’une famille de distinction, propriétaire du bâtiment, et que nous gardons à bord. Nous réglerons sur votre conduite à l’égard de notre capitaine celle que nous tiendrons à l’égard de nos prisonniers. C’est le premier dommage ; mais soyez persuadés que ce ne sera pas le dernier dont auront à souffrir votre ville et votre commerce, si vous ne nous rendez pas notre capitaine, et ne nous envoyez pas les provisions convenues aux termes du traité.

« Fait à bord du brick le Mergoose de Burgh-Westra, à l’ancre dans la baie d’Inganess. En foi de quoi nous avons signé, nous commandants de la Favorite de la Fortune et gentilshommes aventuriers. »

Il signa alors lui-même Frédéric Altamont, et passa la lettre à Fletcher, qui lut cette signature avec beaucoup de peine, et trouvant que ces noms sonnaient à merveille, il jura qu’il prendrait aussi un nouveau nom, d’autant mieux que Fletcher était le mot, suivant lui, le plus difficile à orthographier et à écrire de tout le dictionnaire ; il signa donc, Timothée Tugmuton.

« N’ajouterez-vous pas quelques lignes pour ces imbéciles ? demanda Bunce à Magnus. — Non, » répondit l’udaller, obstiné dans ses idées du bien et du mal, même dans une circonstance si critique. « Les magistrats de Kirkwall connaissent leur devoir, et si j’étais à leur place… » Mais là le souvenir que ses filles étaient à la merci des pirates fit pâlir l’intrépide visage de Magnus Troil, et retint le défi qui était déjà sur ses lèvres.

« Diable m’enlève ! » s’écria Bunce, qui conjectura aisément ce qui se passait dans l’esprit de son captif, « cette réticence aurait réussi sur la scène…. elle aurait terrassé parterre, loges et galeries, ma foi ! comme dit Bayes[2]. — Que je n’entende pas parier de Bayes, » reprit Claude Halcro, qui avait la tête un peu montée ; c’est une impudente satire contre le glorieux John ; mais le glorieux John a fouetté Buckingham de main de maître, aussi…

Il entre au premier rang, et remarque Zimri,
Cet homme insinuant[3] . . . . . . . .

— Taisez-vous, « dit Bunce, étouffant la voix de Claude par une protestation d’un ton plus haut et puis véhément. « La Répétition est la meilleure farce qui fut jamais composée… et je ferai embrasser la fille du canonnier à quiconque le niera. Par Dieu ! j’étais le meilleur prince Prettyman qui monta jamais sur les planches…


Tantôt prince, et tantôt fils d’un simple pêcheur.


Mais revenons à nos affaires… Écoutez-moi, bonhomme, » dit-il en s’adressant à Magnus, « vous montrez contre moi une mauvaise humeur pour laquelle bien de mes confrères vous couperaient les oreilles et les feraient griller pour votre dîner avec du poivre rouge. J’ai vu Goffe en faire tout autant à un pauvre diable qui avait l’air fâché et menaçant parce qu’il voyait son sloop aller rendre visite à Davy Jones avec son fils unique à bord. Mais je suis d’une autre trempe, moi ; et si nous vous traitons mal, vous et vos filles, ce sera la faute des habitants de Kirkwall, non la mienne, et ce sera de toute justice. Mieux vaut donc que vous les informiez de la situation et des circonstances où vous êtes réduits… c’est aussi fort juste. »

Magnus, se rendant à ce conseil, prit la plume et tâcha d’écrire ; mais sa force d’âme luttait si mal contre son inquiétude paternelle, que sa main refusa de faire son devoir. « Je ne puis rien écrire, » dit-il après avoir tracé une ou deux lignes illisibles ; « je ne puis former une lettre quand toutes nos vies en dépendraient. »

Et il ne put réussir, malgré tous ses efforts, à maîtriser l’émotion convulsive qu’il éprouvait et qui agitait son corps. Le saule qui plie échappe mieux à la tempête que le chêne qui résiste ; c’est ainsi que, dans les grandes calamités, il arrive quelquefois que des esprits légers et frivoles reprennent leur élasticité et leur vigueur beaucoup plus vite que des caractères plus élevés. En cette occasion, Claude Halcro fut heureusement capable d’accomplir la tâche dont son ami et patron ne pouvait s’acquitter. Il prit la plume, et en aussi peu de mots que possible il exposa la situation où ils se trouvaient, et les affreux périls auxquels ils étaient exposés, donnant à entendre en même temps aux magistrats du pays, aussi délicatement qu’il put l’exprimer, que la vie et l’honneur de leurs concitoyens devaient être pour eux un objet beaucoup plus important que l’arrestation même ou le châtiment des coupables ; il eut cependant soin d’adoucir autant que possible cette dernière expression, dans la crainte de donner de l’ombrage aux pirates.

Bunce lut la lettre, qui obtint heureusement son approbation ; et, en voyant le nom de Claude au bas, il s’écria avec la plus grande surprise, et en employant des expressions beaucoup plus énergiques que celles dont nous allons nous servir : « De par Dieu ! vous êtes le petit bonhomme qui jouait du violon dans la troupe du vieux directeur Gadabout, à Hogs-Norton, la première fois que je montai sur les planches ; il me semblait bien vous reconnaître à vos pompeux éloges du glorieux John ! »

En d’autres temps, cette reconnaissance aurait fort blessé l’orgueil poétique d’Halcro ; mais, dans la position où il se trouvait alors, la découverte d’une mine d’or ne l’eût pas rendu plus heureux. Il se rappela aussitôt le jeune acteur qui avait donné tant d’espérances lorsqu’il débuta dans don Sébastien[4], et ajouta judicieusement que la muse du glorieux John n’avait jamais rencontré de plus digne interprète, du temps que lui, Claude Halcro, avait été premier, il aurait pu ajouter, et unique violon, dans la troupe de M. Gadabout.

« Ma foi ! répliqua Bunce, je crois que vous avez raison… Il me semble que j’aurais réussi sur la scène aussi bien que Booth et Betterton[5]. Mais j’étais destiné à figurer sur d’autres planches, » ajouta-t-il en frappant du pied sur le tillac, « et je pense que je dois y rester jusqu’à ce qu’il ne se trouve plus aucune planche sous mes pieds pour les soutenir[6] Mais à présent, ma vieille connaissance, je ferai quelque chose pour vous… Venez un peu à l’écart… J’ai à vous entretenir en particulier. » Ils s’appuyèrent sur le couronnement de poupe, et Bunce lui dit à voix basse, et d’un ton plus sérieux que d’habitude : « J’en suis fâché pour cet honnête et vieux cœur de pin de Norwége… si je mens !… et pour ses filles aussi… D’ailleurs j’ai mes raisons particulières pour en protéger une des deux. Je puis faire le diable avec une facile beauté du domaine public ; mais avec des créatures si modestes si et innocentes… ! je suis Scipion à Numance et Alexandre dans la tente de Darius. Vous rappelez-vous comme je jouais dans Alexandre[7]. ? » Il se mit à déclamer des vers tragiques :

Échappé du tombeau, je viens sauver ma belle,
Vite que dans vos mains votre épée étincelle :
À mon fougueux élan qui donc s’opposera
Quand la beauté m’appelle et que la gloire est là ?

Claude Halcro ne manqua point de donner les éloges d’usage à la déclamation, déclarant que, foi d’honnête homme, il avait toujours pensé que M. Altamont mettait à réciter cette tirade beaucoup plus d’âme et d’énergie que Betterton.

Bunce ou Altamont lui présenta cordialement la main. « Ah ! vous me flattez, mon cher ami, dit-il ; pourquoi le public n’a-t-il pas eu votre jugement ?… je ne serais pas dans la passe où vous me retrouvez. Le ciel sait, mon cher Halcro… le ciel sait avec quel plaisir je vous aurais emmené à bord avec moi, rien que pour avoir un ami qui aime autant que moi à entendre réciter les pièces les mieux choisies de nos meilleurs auteurs dramatiques. La plupart de mes camarades sont des brutes… et, quant au capitaine que nous avons laissé en otage à Kirkwall, il me traite !… comme je traite Fletcher ; plus je lui rends de services, plus il me rudoie. Mais comme il serait délicieux pour moi, pendant une nuit sous les tropiques, tandis que le vaisseau voguerait sous les vents avec une voile large et bien gonflée, de déclamer l’Alexandre devant vous ; vous seriez pour moi le parterre, les loges et les galeries ! Même, car vous êtes un disciple des Muses, je m’en souviens, qui sait si vous et moi nous ne parviendrions pas, comme Orphée et Eurydice, à inspirer un goût pur à mes compagnons, et à policer leurs manières, tout en rendant meilleurs leurs sentiments ? »

Cette tirade fut débitée avec tant d’action que Claude Halcro commença à penser qu’il avait fait son punch trop spiritueux, et mêlé des ingrédients trop enivrants dans le verre de flatterie qu’il venait de verser ; il craignit que, dominé par l’influence de ces deux potions, le sentimental pirate ne voulût le retenir de force, simplement pour réaliser les scènes que lui présentait son imagination. La conjoncture était cependant trop délicate pour permettre à Halcro de faire la moindre tentative afin de réparer sa bévue ; c’est pourquoi il se contenta de serrer affectueusement la main de son ami, et de prononcer l’interjection hélas ! le plus pathétiquement possible.

Bunce, reprit aussitôt : « Vous avez raison, mon ami ; ce ne sont que de vains projets de bonheur, et il ne reste au malheureux Altamont qu’à rendre service à l’ami auquel il va falloir dire adieu. J’ai résolu de vous envoyer à terre, vous et les deux jeunes filles, avec Fletcher pour vous protéger ; appelez donc les deux jolies sœurs, et qu’elles décampent d’ici avant que le diable jette son grappin sur moi ou sur tout autre. Vous porterez ma lettre aux magistrats, et l’appuierez de votre éloquence… Vous les assurerez que s’ils touchent seulement à un cheveu de la tête de Cleveland, le diable le leur fera payer, et en bonne monnaie. »

Délivré d’une terrible frayeur par la conclusion imprévue de la harangue de Bunce, Halcro descendit l’échelle de l’écoutille par deux échelons à la fois ; et, frappant à la porte de la cabine, il put à peine tourner une phrase intelligible pour s’acquitter de son message, tant le contentement le suffoquait. Les sœurs, en apprenant avec une joie inattendue qu’on allait les débarquer sur le rivage, s’enveloppèrent de leurs mantes, et, quand on les eut averties que la chaloupe les attendait, elles coururent vers le tillac, où elles apprirent seulement, à leur grande horreur, que leur père allait rester à bord du pirate.

« Nous resterons avec lui à tous risques, dit Minna ; nous pouvons lui être de quelque secours, ne fût-ce que pour un instant… Nous voulons vivre et mourir avec lui. — Nous le secourrons plus utilement, dit Brenda, qui comprenait la nature de leur situation mieux que Minna, en intéressant les magistrats de Kirkwall à se rendre aux demandes de ces messieurs. — C’est parler comme un ange de beauté et de raison ! s’écria Bunce ; maintenant hâtez-vous de partir, car je veux être damné si on ne court pas à les regarder autant de péril qu’à descendre avec une mèche allumée dans la chambre à poudre… Si vous ajoutez une seule parole, le diable m’enterre si je saurai comment m’y prendre pour me séparer de vous ! — Partez, au nom du ciel, mes filles, reprit Magnus, Je suis entre les mains de Dieu ; et quand vous serez parties, je ne songerai plus guère à moi… mais je penserai et je dirai, tant que j’aurai vie, que ce brave monsieur mérite un plus honnête métier. Partez… partez… partez vite. » Car elles hésitaient encore, ne pouvant se résoudre à l’abandonner.

« Oh ! n’allez pas les embrasser ! s’écria Bunce, car j’ai peur d’être tenté d’en demander ma part. Vite, à la chaloupe… Mais arrêtez un instant. » Il emmena les trois captifs à l’écart. « Fletcher, dit-il, répondra de tous ses camarades, et veillera à votre sûreté quand vous serez à terre. Mais qui répondrait pour Fletcher, je n’en sais rien, si je ne remettais pas à M. Halcro cette petite garantie. »

Il offrit au poète un petit pistolet à deux coups qui, dit-il, était chargé d’une couple de balles. Minna vit la main d’Halcro trembler, tandis qu’il l’avançait pour recevoir l’arme qui lui était présentée. « Donnez-moi ce pistolet, monsieur, » dit-elle au corsaire en saisissant l’arme ; « et remettez-vous-en à moi du soin de ma défendre et de défendre ma sœur. — Bravo, bravo ! s’écria Bunce ; je reconnais là une femme digne de Cleveland, le roi des pirates. — Cleveland ! répéta Minna. Connaissez-vous donc ce Cleveland que vous avez déjà nommé deux fois ? — Si je le connais ! est-il homme au monde, répondit Bunce, qui connaisse mieux que moi le meilleur et le plus brave marin qui marcha jamais entre une poupe et une proue ? Quand il ne sera plus aux fers, et plaise au ciel que ce soit bientôt ! je compte vous voir revenir à bord avec lui, et régner en reine sur toutes les mers que nous traverserons… Vous tenez votre petit gardien, je suppose que vous savez vous en servir. Si Fletcher vous manque, vous n’avez qu’à tirer ce morceau de fer avec le pouce, comme cela, voyez-vous… et s’il continue, il suffira de ramener ainsi vers vous votre petit index, et je perdrai le plus dévoué camarade qu’homme eut jamais… Et pourtant, le coquin ! il aura bien mérité sa mort s’il désobéit à mes ordres. Et maintenant passez dans la chaloupe… Mais arrêtez, un baiser pour l’amour de Cleveland. »

Brenda, presque morte de frayeur, endura cette galanterie ; mais Minna présenta sa main. Bunce sourit ; néanmoins il baisa d’un air théâtral la jolie main qu’elle lui tendait en rançon de sa joue, et enfin les deux sœurs avec Halcro descendirent dans LA barque, qui s’éloigna au signal de Fletcher.

Bunce resta sur le tillac à monologuer d’après la manière de son ancienne profession. « Si on contait aujourd’hui un pareil trait à Port-Royal, dans l’île de la Providence ou au Petit-Goave, je ne sais ce qu’on dirait de moi… Que je suis bien bon enfant… bien simple… bien âne… en ! bien, soit. J’ai fait assez de mal ; et il est temps de faire au moins une bonne action, ne fût-ce que pour la rareté de la chose et pour me mettre en bonne humeur avec moi-même. » Alors se tournant vers Magnus, il continua… « Par — — ! ce sont de vraies déesses que vos filles. L’aînée ferait sa fortune sur les planches de Londres. Quelle attitude séduisante elle avait — —  en saisissant mon pistolet… Diable m’enlève ! son geste aurait fait crouler la salle d’un tonnerre d’applaudissements. Quelle Roxelane la drôlesse aurait faite ! (car dans ses harangues, Bunce, comme le compère de Sancho, Thomas Cécial, était sujet à employer les expressions les plus énergiques sans examiner scrupuleusement leur véritable valeur.) Je donnerais ma part de notre première prise pour l’entendre déclamer :

Va-t’en, pars, comme un tourbillon,

Ou je te réduis en poussière.
Que ce soit folie eu raison,
Mon cœur se livre à la colère.


Et puis encore, l’autre petite, si douce, si modeste, si tremblante, quel plaisir de l’entendre réciter :

Il dit de si doux mots, prend un air si flatteur,
Son vœu paraît tellement efficace,
Et son serment est si rempli de grâce,
Qu’être par lui trompé c’est encore un bonheur.

Quelle représentation nous aurions pu donner !… J’ai été une bête de n’y pas songer avant de les laisser partir… Moi, Alexandre… Claude Halcro, Lysimaque… ce brave vieillard eût fait Clytus au besoin. J’ai été un idiot de n’y pas songer ! »

Il y avait dans cette effusion de cœur bien des choses qui auraient déplu à l’udaller ; mais, à dire vrai, il n’y faisait pas la moindre attention. Il était trop occupé à suivre d’abord des yeux, ensuite à l’aide de sa lorgnette, la barque qui conduisait ses enfants à terre. Il les vit débarquer, puis, accompagnées d’Halcro et d’un autre homme, sans doute Fletcher, gravir la côte et prendre le chemin de Kirkwall ; il put même distinguer que Minna, comme si elle se croyait chargée de protéger le reste de la troupe, marchait un peu devant les autres, paraissant se tenir en garde contre toute surprise et prête à agir dès que l’occasion le demanderait. Enfin, au moment même où l’udaller allait les perdre de vue, il eut la vive satisfaction de voir la petite troupe s’arrêter, et le pirate prendre congé de ses filles après avoir pris le temps de leur faire un civil adieu, puis revenir lentement vers le rivage. Bénissant le Très-Haut qui l’avait ainsi délivré des plus cruelles angoisses qu’un père pût souffrir, le digne udaller. dès cet instant, se résigna à son sort, quel qu’il pût être.



  1. Allusion à la fameuse ode de Dryden, ayant pour titre la Fête d’Alexandre.
  2. Auteur dramatique.
  3. Satire d’Absalon et Achitophel
  4. Tragédie de Dryden. a. m.
  5. Acteurs d’alors. a. m.
  6. Allusion à la manière de pendre en Angleterre. a. m.
  7. Tragédie de Dryden. a. m.