Le Pirate (Montémont)/Chapitre XV

Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 16p. 163-171).

CHAPITRE XV.

la danse des épées.


Une torche pour moi… Vous, jeunesse folâtre au cœur léger, foulez d’un pied rapide les prairies inutiles… Moi, suivant l’expression proverbiale de nos prêtres, je tiendrai la chandelle et je regarderai.
Shakspeare. Roméo et Juliette.


Le jeune homme, dit le moraliste Johnson, ne songe plus au cheval de bois de l’enfant, ni l’homme fait à la maîtresse du jeune homme. Aussi le désespoir de Mordaunt Mertoun, quand il se trouva exclu de la danse joyeuse, peut-il sembler ridicule à beaucoup de mes lecteurs qui penseraient néanmoins n’avoir rien de mieux à faire que d’être tristes, s’ils perdaient le rang qu’ils occupent d’ordinaire dans une assemblée d’une espèce différente. Ce n’était point qu’il manquât d’amusements pour ceux qui n’aimaient pas la danse, ou qui n’étaient pas assez heureux pour trouver une danseuse de leur goût. Halcro, qui plongeait alors tout entier dans son élément, avait rassemblé autour de lui un auditoire auquel il déclamait ses poésies avec tout l’enthousiasme du glorieux John lui-même, et recevait en retour les applaudissements qu’il est d’usage d’accorder aux ménestrels qui récitent leurs propres vers… tant du moins que l’auteur reste à portée d’entendre les critiques. À vrai dire, la poésie d’Halcro pouvait intéresser l’antiquaire aussi bien que l’admirateur des muses, car plusieurs de ses pièces étaient traduites ou imitées des chants scaldiques que chantaient encore les pêcheurs de ces îles, même à une époque peu éloignée. Lorsque les poèmes de Gray firent leur première apparition aux Orcades, les vieillards reconnurent tout d’abord dans l’ode des Fatales Sœurs, les vers runiques qui avaient amusé ou effrayé leur enfance sous le titre de Magiciennes, et que les pêcheurs de North-Ronaldshaw, ou d’autres îles éloignées, avaient encore l’habitude de chanter, quand on leur demandait une chanson norse.

Moitié écoutant, moitié perdu dans ses propres réflexions, Mordaunt Mertoun se tenait debout à la porte de l’appartement, et assez rapproché du petit cercle formé autour du vieil Halcro, tandis que le barde chantait sur un air sauvage, lent et monotone, varié seulement par les efforts du chanteur pour donner de l’intérêt et de la vigueur à certains passages, l’imitation suivante d’un chant de guerre norse :


chant de harold harfager.
« L’astre du jour se lève et plus pâle et plus sombre ;
Plus calme et plus terrible a murmuré le vent ;
L’aigle, de son rocher, comme un éclair descend ;
Le loup de ses vallons quitte l’horreur et l’ombre ;
Le corbeau plane au sein des humides vapeurs ;
Dans la broussaille au loin le chien sauvage aboie :
De ces fins animaux que veulent les clameurs ?
Ils disent dans leurs sons que l’écho nous renvoie :
« Nous aurons un festin de morts et de mourants,
« D’Harold aux cheveux blonds les drapeaux sont flottants. »
« Plus d’un cimier dans l’air noblement se balance,
Plus d’un casque éblouit des flammes qu’il nous lance ;
Plus d’un bras a levé la hache des combats
Destinée à couper le bois dur de la lance.
Parmi les rangs tout prêts à donner le trépas,
Le fier coursier hennit, le bouclier résonne ;
Les chefs ont commandé, déjà le clairon sonne,
Le barde essaie un chant ou de gloire ou de mort :
Cavaliers, fantassins, votre valeur bouillonne,
La victoire est à vous : vous êtes Fils du Nord.
« Ni halte, ni sommeil, en plein jour et dans l’ombre ;
Ne comptez point vos coups, ni même votre nombre :
Moissonneurs, en avant, dans la plaine, au vallon
Voyez se déployer l’abondante moisson,
Éparse ou ramassée, et flexible ou puissante,
Toute prête à tomber sous la faucille errante ;
Récoltez la moisson des camps et de la mort :
En avant, cavaliers, fantassins, troupe ardente,
La moisson est à vous : vous êtes Fils du Nord,
« Choisissant les vainqueurs, appelant le carnage,
Sur vous plane d’Odin la fille âpre et sauvage ;
Entendez-vous ce choix proclamé devant tous ?
Le butin, la victoire, est le prix de vos coups,
Ou bien de Yalballa la salle prophétique,
La bière et l’hydromel, circulant au festin,
Et pour l’éternité leur mélange énergique,
Les transports de la joie, et les tournois d’Odin.
Guerriers, que votre élan partout se communique :
Vous volez au bonheur en volant à la mort,
Ou vous vivrez vainqueurs : vous êtes Fils du Nord ! »

« Les pauvres malheureux, les aveugles païens ! » dit Triptolème avec un soupir semblable à un gémissement ; « ils parlent de leur éternelle coupe d’ale, et je doute fort qu’ils sachent accommoder un petit champ de grain ! — Ils n’en sont que plus habiles, voisin Yellowley, répondit le poète, s’ils font de l’ale sans orge. — Sans orge !… bon Dieu ! » s’écria l’agriculteur mieux au courant, « qui a jamais ouï parler d’orge dans ces contrées ! De l’avoine, mon très cher ami, de l’avoine, voilà tout ce qu’ils récoltent et c’est miracle, à mon avis, qu’ils en aient jamais recolté un grain : Vous écorchez la terre avec un morceau de bois que vous appelez charrue… vous feriez aussi bien de lui donner une façon avec les dents d’un râteau. Ah ! il faut voir le soc, le coutre et le train d’une véritable charrue écossaise, avec un luron fort comme Samson entre les deux manches, pesant assez sur la machine pour niveler une montagne ; puis deux robustes bœufs suivis d’autant de chevaux à large poitrine, remuant terreau et fumier, et laissant dans le champ un sillon où l’eau coule comme dans un ruisseau ! Quand on a vu un pareil spectacle, on peut se vanter d’avoir été témoin d’une merveille bien autre que ces malheureuses histoires aussi vieilles que le monde, histoires de meurtres et de guerre, dont le pays fut trop souvent le théâtre pour que vous chantiez et célébriez sans cesse de semblables boucheries, monsieur Claude Halcro. — C’est une hérésie, » s’écria le petit poète furieux, en s’agitant et se démenant, comme si toute la défense de l’archipel des Orcades reposait sur son seul bras ; « c’est une hérésie rien que de nommer le pays natal de quelqu’un, quand il n’est point sur ses gardes et qu’il ne sait par où attaquer son ennemi. Il fut un temps où si nous ne savions pas faire de bonne ale ou de bonne eau-de-vie, nous savions bien comment en trouver qui fût tout apprêtée : mais aujourd’hui les descendants des rois de la mer, des champions et des Berserkars, sont devenus aussi incapables de manier leurs épées que s’ils étaient des femmes. On peut vanter leur adresse à remuer une rame, leur agilité à gravir un rocher ; mais quel autre éloge le glorieux John lui-même pourrait-il faire de vous, bons Hialtlanders ? — C’est parler comme un ange, très noble poète, » dit Cleveland, qui, profitant d’un moment de repos, était venu près du groupe où se tenait cette conversation ; « les vieux champions dont vous nous parliez hier soir étaient des hommes dignes de faire retentir une harpe… de courageux gaillards, amis de la mer et ennemis de tout ce qui s’y promenait. Leurs vaisseaux, je suppose, étaient passablement grossiers ; mais s’il est vrai, comme le dit la tradition, qu’ils soient allés jusqu’au Levant, j’ai peine à croire que jamais meilleurs marins hissèrent une voile de perroquet. — Oui, répliqua Halcro, vous leur rendez justice. À cette époque personne ne pouvait dire que sa vie et son bien lui appartinssent, à moins de demeurer à vingt milles au moins de la mer azurée. Ma foi, on disait des prières publiques dans toutes les églises de l’Europe, pour être préservé de la colère des guerriers du Nord. En France et en Angleterre, en Écosse même, si haut que les Écossais d’aujourd’hui lèvent la tête, il n’y avait pas une baie ni un port dont nos aïeux n’eussent la jouissance plus libre que les pauvres diables d’habitants… Maintenant, pour semer un champ d’orge, nous sommes forcés de recourir aux Écossais… (là il lança un regard de sarcasme sur le facteur). Je voudrais revoir les temps où nous mesurions nos armes avec les leurs. — C’est encore parler comme un héros, dit Cleveland. — Ah ! continua le petit barde, je voudrais qu’il fût possible de voir nos barques, jadis dragons aquatiques du monde, voguer avec l’étendard noir du corbeau attaché au perroquet, et leurs ponts brillants d’armures, au lieu d’être surchargés de filets… ravissant de nos mains intrépides ce que refuse un sol stérile… punissant les anciens mépris et les nouveaux affronts… recueillant où nous n’avions jamais semé, et coupant l’arbre que nous n’avions jamais planté… vivant et riant par le monde, et souriant encore à l’heure de le quitter. »

Ainsi parla Claude Halcro, peu sérieusement peut-être, ou du moins un peu hors de son bon sens ; son cerveau, qui jamais ne fut bien solide, tournait sous l’influence de vingt chansons qui se présentaient à la fois à sa mémoire, de quelques copieuses rasades d’eau-de-vie et d’usquebaugh. Cleveland, d’un ton moitié railleur, moitié sérieux, lui répéta en lui frappant sur l’épaule ; « C’est parler comme un héros. — Comme un fou, je pense, » dit Magnus Troil dont l’attention avait été aussi attirée par la véhémence du petit barde… « Où croiserions-nous, et contre qui ? nous sommes tous sujets d’un seul royaume, j’imagine. N’oubiiez pas, je vous prie, que votre voyage pourrait vous conduire à la place des exécutions… Je n’aime pas les Écossais pardon, monsieur Yellowley… c’est-à-dire, je les aimerais assez s’ils voulaient rester tranquilles dans leur pays, et nous laisser en paix dans le nôtre, sans troubler nos usages et nos habitudes. S’ils voulaient seulement demeurer en Écosse jusqu’à ce que j’allasse les attaquer comme un vieux Berserkar, ils pourraient rester en repos jusqu’au jour du jugement dernier. Avec les biens que la mer nous envoie et que la terre nous prête, comme dit le proverbe, et une compagnie d’honnêtes voisins pour nous aider à les consommer, me protège saint Magnus, si je ne pense que nous sommes encore trop heureux ! — Je connais la guerre, dit un vieillard, et j’aimerais mieux traverser le roost de Sumburgh dans une coquille d’œuf, ou dans quelque barque plus frêle, que de courir encore les hasards des combats. — Et je vous prie, à quelles guerres a brillé votre valeur ? » demanda Halcro qui, ne voulant pas contredire son hôte, par bienséance, n’était pas disposé cependant à abandonner son argument.

« Je fus pressé…, répondit le vieux triton, pour servir sous Montrose quand il aborda ici en 1631, et emmena une bonne cargaison de Shetlandais, bon gré mal gré, pour leur faire couper la gorge dans les déserts de Strathnavern… Je ne l’oublierai jamais… Ce ne fut pas sans peine que nous réussîmes à trouver des vivres… Que n’aurais-je pas donné pour une tranche de bœuf rôtie à Burgh-Westra… pour une poignée de sillocks marines ! Nos montagnards amenèrent un friand troupeau de siloes[1]. Nous ne fîmes pas beaucoup de cérémonie : nous les eûmes bientôt tués, assommés, dépouillés ; puis nous les fîmes rôtir et bouillir, chacun s’arrangeant de son mieux, lorsque, au moment même où nous commencions à nous graisser la moustache, nous entendîmes… Dieu nous protège !… un galop de cheval, puis deux ou trois coups de fusil, puis une décharge complète… et puis, tandis que les officiers nous criaient de rester fermes, mais que la plupart d’entre nous regardaient par où il était possible de fuir, cavaliers et fantassins tombèrent sur nous avec le vieux John Urry ou Hurry, n’importe le nom qu’ils lui donnent… Ah ! c’est qu’il nous poussa cette fois-là, et qu’il nous mit en morceaux par dessus le marché !… et nous commençâmes à tomber aussi dru que les bestiaux que nous abattions cinq minutes auparavant. — Et Montrose ? dit la douce voix de la gracieuse Minna ; que devint Montrose, et quelle mine faisait-il ? — Celle d’un lion qui voit venir les chasseurs. Mais je ne regardai pas deux fois sa route, car la mienne était droit vers la montagne. — Et vous l’abandonnâtes ! » dit Minna avec le ton du plus profond mépris.

« Ce n’était pas ma faute, mistress Minna, répondit le vieillard un peu déconcerté ; mais je n’étais point là de mon choix ; et d’ailleurs quel bien pouvais-je lui faire ?… tous les autres se sauvaient comme des moutons ; pourquoi serais-je resté ? — Vous seriez mort avec lui ! dit Minna. — Et vous auriez vécu avec lui de toute éternité, dans des vers immortels ! ajouta Claude Halcro. — Grand merci, mistress Minna, répondit le naïf Shetlandais ; et vous aussi, mon vieil ami Claude, grand merci… mais j’aime mieux boire à vos deux santés ce bon broc d’ale, comme un homme vivant que je suis, que de vous avoir donné la belle tâche de faire des chansons en mon honneur, si j’étais mort il y a quarante ou cinquante ans. D’ailleurs qu’importait !… Fuir ou combattre c’était un… ils prirent Montrose, le pauvre diable, à cause de ses fameux exploits, et ils me prirent aussi, moi qui n’avais pas fait de ma vie un seul exploit ; ils le pendirent lui, le pauvre homme, et moi… — J’ai assez confiance au ciel pour croire que vous fûtes piqué et fouetté, » dit Cleveland qui perdait patience au récit ingénu de la poltronnerie du Shetlandais incapable du moindre sentiment de honte.

« On fouette les chevaux et l’on pique les bœufs, reprit Magnus. Vous n’avez pas sans doute la vanité de croire qu’avec tous vos airs de tillac vous ferez rougir mon vieux voisin Haagen de n’avoir pas été tué il y a quelque vingtaine d’années ? Vous avez regardé la mort en face, mon jeune et tendre ami, mais c’était avec les yeux d’un jeune homme qui désirait se rendre fameux ; nous autres, nous sommes pacifiques… j’entends pacifiques autant qu’on sera pacifique avec nous, c’est-à-dire tant que personne n’aura l’impudence de nous nuire, à nous, ni à nos voisins ; car alors peut-être ne trouverait-on pas le sang norse qui coule dans nos veines beaucoup plus froid que n’était celui des vieux Scandinaves qui nous ont donné nos noms et notre lignage. — Allons, allons la danse des épées ; que les étrangers qui sont présents puissent voir que nos mains savent encore quelque peu manier des armes. »

Une douzaine de sabres, qu’on tira d’une vieille caisse à armures, et dont la lame rouillée montrait combien ils quittaient rarement le fourreau, armèrent une douzaine de jeunes Shetlandais auxquels se joignirent six jeunes filles conduites par Minna Troil. Les musiciens exécutèrent aussitôt l’air approprié à la danse guerrière des Norwégiens, dont les évolutions sont peut-être exécutées encore dans ces îles éloignées.

Le premier mouvement était plein de grâce et de majesté ; les jeunes gens tenaient leurs épées droites, et sans faire beaucoup de gestes ; mais l’air et les pas des danseurs devinrent graduellement de plus en plus rapides… ils frappaient leurs lames en cadence, avec une vitesse qui donnait à cet exercice une apparence de danger pour l’œil du spectateur, quoique la fermeté, la justesse et le soin que les danseurs mettaient à battre leurs armes en mesure, indiquassent qu’il n’y avait aucun péril. La plus singulière partie de cette danse était l’instant où les danseuses, douées d’un rare sang-froid, tantôt étaient entourées par les guerriers, et ressemblaient aux Sabines entre les bras des Romains, et tantôt passant sous l’arche d’acier que formaient les jeunes gens en croisant leurs épées au dessus de la tête de leurs jolies partenaires, ressemblaient à la bande des Amazones, lorsque, dans la danse pyrrhique, elles se réunissaient à la suite de Thésée. Mais la physionomie la plus frappante et la mieux placée dans cet exercice était celle de Minna Troil qu’Halcro avait depuis long-temps surnommée la Reine des épées. Elle se remuait au milieu des guerriers comme si l’aspect des lames nues la plaçait dans son élément et lui inspirait un vif plaisir. Lorsque les figures de la danse devinrent plus compliquées, on voyait quelquefois tressaillir une des jeunes filles ; mais les yeux, les lèvres, le teint de Minna semblaient indiquer que plus elle était serrée de près par les armes, plus elle voyait jaillir d’éclairs des épées, plus aussi son calme était grand, plus sa satisfaction était parfaite. Après que la musique eut cessé, elle resta un moment seule et immobile pour terminer la danse : alors les guerriers et les jeunes filles semblaient être les gardes et la suite d’une princesse qui, congédiés par un signe, l’abandonnaient un moment dans la solitude. Son regard et son attitude, livrée comme elle l’était probablement à quelque rêve d’imagination, répondaient à merveille à la dignité idéale que les spectateurs lui attribuaient ; mais revenant soudain à elle-même, elle rougit en s’apercevant qu’elle avait été, pour un moment, l’objet de l’attention générale, et donna gracieusement la main à Cleveland qui, sans avoir participé à la danse guerrière, prétendit à l’honneur de la reconduire à sa place.

Tandis qu’ils s’y rendaient, Mordaunt Mertoun put observer que Cleveland parlait bas à l’oreille de Minna, et que la réponse de la jeune fille fut accompagnée d’un embarras plus grand encore que celui qu’elle avait manifesté lorsque tous les regards de l’assemblée étaient fixés sur elle. Les soupçons de Mordaunt Mertoun furent vivement éveillés par cette remarque, car il connaissait bien le caractère de Minna ; il savait avec quelle froideur et quelle insouciance elle avait coutume de recevoir les compliments et les galanteries ordinaires avec lesquels sa beauté et sa position la rendaient suffisamment familière.

« Est-il possible qu’elle aime réellement cet étranger ? » fut l’idée peu agréable qui s’empara aussitôt de l’esprit de Mordaunt… « et si elle l’aime, en quoi dois-je m’en inquiéter ? » fut sa seconde pensée. Il se dit ensuite, « que, sans avoir jamais prétendu qu’au titre d’ami, sans prétendre porter maintenant ce titre, il avait encore droit, en considération de leur intimité première, de gémir et de s’indigner en la voyant donner son affection à un homme indigne d’elle. » Dans cette suite de raisonnements il est probable qu’une vanité blessée, ou quelque ombre imperceptible d’un regret égoïste, pouvait prendre le déguisement d’une générosité désintéressée ; mais il se trouve tant de mauvais alliage, même dans nos meilleures pensées, que ce serait une tâche pénible que de critiquer trop minutieusement le motif de nos bonnes actions. Au moins nous devons recommander à chacun de ne pas trop sonder celles de son voisin, quelque sévérité qu’il mette à examiner la pureté des siennes.

La danse des épées fut suivie par divers autres exercices du même genre, et par des chants dans lesquels les chanteurs mirent toute leur âme, tandis que l’auditoire ne manquait pas, dès que l’occasion s’en présentait, de répéter en chœur un refrain favori ; c’est alors que la musique, quoique d’un caractère simple et même rude, reprend son empire naturel sur tous les esprits, et produit ce vif enthousiasme que ne peuvent atteindre les plus savantes compositions des premiers maîtres. Une musique savante ennuie une oreille ordinaire, quoiqu’elle puisse causer un plaisir délicieux à ceux qui ont été mis en état, par leur éducation et leur capacité naturelle, de comprendre les combinaisons d’une harmonie compliquée.

Il était environ minuit lorsqu’un coup frappé à la porte de la maison, et le son du guî et du langspiel, annoncèrent l’arrivée de nouveaux hôtes ; aussitôt, suivant, la coutume hospitalière de la contrée, les appartements leur furent ouverts.



  1. Petits bœufs des montagnes d’Écosse. a. m.