Le Pirate (Montémont)/Avertissement

Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 16p. 10-12).

AVERTISSEMENT.




Le but de l’histoire suivante est de rendre un compte exact de certains événements remarquables qui eurent lieu dans les îles Orcades, événements sur lesquels les traditions imparfaites et les relations tronquées qui circulent dans le pays n’ont conservé que les détails erronés qu’on va lire :

Au mois de janvier 1724 — 5, un vaisseau appelé la Vengeance, portant vingt gros canons et six plus petits, commandé par John Gow, ou Goff, ou Smith, vint aux îles Orcades : les actes de pillage et de violence commis par l’équipage le firent bientôt reconnaître pour un pirate. On supporta ces maux quelque temps, car les habitants de ces îles éloignées ne possédaient ni armes ni moyens de résistance ; et le capitaine de ces bandits eut l’audace de venir à terre et de donner des bals dans le village de Strommess : bien plus, il se concilia les affections d’une jeune dame qui possédait quelque fortune, et obtint la promesse de sa main, avant que sa véritable profession fût découverte. Un citoyen courageux, James Fea, jeune homme de Clestron, forma le dessein de saisir le boucanier, et l’exécuta avec autant de courage que d’adresse. Une circonstance vint l’aider : le vaisseau de Gow échoua sur la côte, vers le havre de Calfsound dans l’île d’Eda, havre peu éloigné d’une maison qu’habitait alors M. Fea. À l’aide de différents stratagèmes, et au grand péril de ses jours, celui-ci réussit à faire prisonniers tous les pirates, hommes résolus et bien armés. Il fut puissamment secondé par M. James Laing, grand-père du dernier Malcolm Laing, écuyer, spirituel et ingénieux auteur de l’Histoire de l’Écosse pendant le dix-septième siècle.

Gow et le reste de son équipage subirent, d’après sentence de la haute cour de l’amirauté, la punition que leurs crimes avaient depuis long-temps méritée. Le forban se conduisit avec une rare audace en présence de la cour ; et si l’on en croit le récit d’un témoin oculaire, il paraît qu’on le soumit à une espèce de torture pour le forcer à faire des aveux. Voici les propres termes de ce récit : « John Gow, ne voulant pas répondre, fut amené à la barre du tribunal ; et le juge ordonna que deux hommes lui serrassent les pouces avec une corde à fouet, jusqu’à ce qu’elle cassât ; puis qu’elle fut doublée jusqu’à ce qu’elle cassât encore ; puis enfin triplée, et que les exécuteurs la tirassent de toute leur force : laquelle sentence Gow endura avec la plus rare intrépidité. » Le matin suivant (c’était le 27 mai 1725), lorsqu’il vit les préparatifs qui avaient été faits pour sa mort, le courage lui manqua, et il dit au maréchal de la cour qu’il n’aurait pas donné tant de peine au bourreau, s’il avait su qu’on ne le pendrait pas enchaîné. Il fut condamné et exécuté avec tous les hommes de son équipage.

On dit que la dame dont Gow s’était attiré l’affection vint à Londres pour le voir avant sa mort, et qu’arrivant trop tard, elle eut le courage de demander à voir du moins le cadavre, puis saisissant la main du corps inanimé, elle reprit formellement la promesse qu’elle lui avait donnée : sans accomplir cette cérémonie, elle n’aurait pu, suivant la superstition du pays, éviter une visite de l’ombre de son défunt amant, aussitôt qu’elle accorderait à un vivant la foi qu’elle avait jurée au mort. Cette partie de la légende peut servir de curieux commentaire au joli conte de la charmante ballade écossaise qui commence par ces mots :


À la porte de Marguerite
Un revenant vint une nuit.


La tradition vulgaire porte encore que M. Fea, brave insulaire qui, par ses efforts, mit fin à la carrière d’iniquité de Gow, non seulement ne reçut aucune récompense du gouvernement, mais ne put même obtenir la protection dont il avait besoin pour repousser une foule de honteux procès à lui intentés par les procureurs de Newgate, qui agirent au nom de Gow et des autres pirates de l’équipage. Les dépenses diverses, les persécutions vexatoires et les autres suites ordinaires de la procédure dans laquelle son dévouement l’avait entraîné, dissipèrent entièrement sa fortune et ruinèrent sa famille : exemple mémorable pour tous ceux qui seraient tentés par la suite d’arrêter des pirates de leur propre autorité.

On doit supposer, pour l’honneur du gouvernement de Georges Ier, que la dernière circonstance, aussi bien que les dates et autres particularités communément admises, n’ont pas la moindre exactitude. En effet, on verra qu’elles sont tout-à-fait inconciliables avec la narration véridique, rédigée sur des matériaux qui n’ont pu être consultés que par

l’auteur de WAVERLEY.


1er novembre 1821