Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 3p. 3-4).


PRÉFACE.




Les privilèges de l’historien et ceux du romancier sont bien différents, et l’un et l’autre doivent également respecter leurs droits réciproques. Il est permis à celui-ci de créer une histoire vraisemblable, tandis qu’il lui est sévèrement défendu d’appuyer sur des vérités auxquelles manquerait une couleur de probabilité ; mais le devoir du premier est de rapporter les faits tels qu’ils se sont passés sans se mettre en peine des conséquences ; sa réputation ne sera fondée que sur le vrai ; il ne sera pas cru sur paroles. C’est au lecteur à décider jusqu’à quel point l’auteur de l’ouvrage du Pilote s’est conformé à cette règle, et s’il a bien observé cette distinction ; mais il ne peut s’empêcher d’inviter ceux qui s’occupent de recherches curieuses sur les annales des États-Unis, à y persister jusqu’à ce qu’ils aient trouvé d’excellentes autorités poétiques pour tous les principaux incidents de cette légende véritable.

Quant aux critiques, l’auteur a l’avantage de les comprendre tous dans cette classe nombreuse connue par la dénomination générale de marins d’eau douce[1] ; et s’ils ont tant soit peu de discrétion, ils prendront garde d’afficher leur ignorance.

Si pourtant quelque vieux marin venait à découvrir dans cet ouvrage quelque léger anachronisme, soit dans les usages de la marine, soit dans les améliorations qu’elle a reçues, l’auteur demande à lui faire observer avec toute la déférence qu’il doit à son expérience, que son dessein est, non pas tant de peindre les costumes d’un temps particulier, que de décrire les scènes appartenant à l’océan d’une manière exclusive, et de tracer imparfaitement sans doute quelques traits caractéristiques d’une classe qui, d’après la nature des choses, ne peut jamais être très-connue.

On lui dira sans doute que Smollett a fait tout cela avant lui et beaucoup mieux. On verra pourtant que l’auteur du Pilote, quoiqu’il ait navigué dans les mêmes mers que Smollett, a suivi une direction différente, ou en d’autres termes, qu’il a pensé que Smollett avait peint un tableau trop fini pour qu’il soit permis à tout barbouilleur qui voudrait peindre des marines de le charger de nouvelles couleurs.

L’auteur désire exprimer ici ses regrets qu’on ait souffert que les services utiles qu’a rendus l’esprit entreprenant de notre marine pendant l’ancienne guerre, soient restés dans l’obscurité sous laquelle ils sont maintenant ensevelis. Chacun a entendu parler du bonhomme Richard et de la victoire qu’il a remportée ; mais on ne connaît guère le reste de la vie de cet homme remarquable qui commandait dans ce mémorable combat, ni les services qu’il y rendit. Que sait-on de ses engagements avec le Milford et le Solebay, de ses prises du Drake et du Triomphe ? que sait-on des projets opiniâtres qu’il forma pour porter la guerre dans le sein de cette île superbe et puissante, ennemie des États-Unis ? Un grand nombre des officiers qui servirent dans cette guerre se trouvèrent ensuite dans la marine de la confédération, et il est assez juste de croire qu’elle doit en grande partie sa réputation actuelle à l’esprit qui animait les héros de la révolution.

Un des derniers officiers élevés à cette école est mort naguère dans les premiers grades. Aujourd’hui qu’il ne reste que le souvenir de leurs hauts faits, nous n’en devons être que plus soigneux de leur gloire.

Si cet ouvrage réussit à attirer l’attention sur cette portion intéressante de notre histoire, le principal but de l’auteur sera atteint.


  1. Lubbers : c’est plutôt notre mot de pékins en langue militaire : lubber signifie un manant, un lourdaud, un paysan.