Le Piccinino/Chapitre 11

Le Piccinino
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XI.

LA GROTTE DE LA NAÏADE.

La princesse Agathe était assise sur un divan de velours sombre, où sa forme élégante et noble se dessinait pâle comme une ombre au clair de la lune. Michel la voyait de profil, dans la demi-teinte, et un reflet de la lumière voilée, placée derrière elle, dessinait avec une admirable pureté cette silhouette fine et suave comme celle d’une jeune vierge. Sa longue et ample robe blanche prenait, sous cette molle clarté, toutes les nuances de l’opale, et les diamants de sa couronne lançaient des feux changeants tantôt comme le saphir, tantôt comme l’émeraude. Cette fois, Michel perdit tout à fait la notion qu’il avait pu prendre de son âge à la première vue. Il lui sembla que c’était une enfant, et, quand il se souvint qu’il lui avait attribué une trentaine d’années, il se demanda si c’était un rayon céleste qui la transfigurait désormais, ou une lueur infernale dont, comme une magicienne, elle savait s’envelopper pour tromper les sens.

Elle paraissait fatiguée et accablée. Pourtant son attitude était chaste et sa figure sereine. Elle respirait son bouquet de cyclamen et jouait languissamment avec son éventail. Michel la regarda longtemps avant d’entendre, ou, du moins, d’attacher un sens aux paroles qu’elle disait. Il la trouvait plus belle qu’aucune des beautés qu’il venait d’examiner avec tant d’attention, et il ne pouvait se rendre compte de l’admiration sans mélange et sans bornes qu’elle lui inspirait. Il s’efforçait en vain de se faire à lui-même le détail de ses traits et l’analyse de ses charmes ; il n’en venait point à bout. Il semblait qu’elle nageât dans un fluide magique qui la préservait d’être étudiée comme une autre femme. De temps en temps, croyant l’avoir comprise, il fermait les yeux et tâchait de faire son portrait dans sa mémoire, de la dessiner en imagination, avec des traits de feu, sur ce voile noir qu’il tendait lui-même devant lui en abaissant ses paupières. Mais, alors, il ne voyait plus que des lignes confuses et ne se représentait aucune figure distincte. Il était forcé de rouvrir les yeux à la hâte et de la contempler avec anxiété, avec délices, avec surprise surtout.

Car il y avait en elle quelque chose d’inouï. Elle était naturelle ; seule de toutes les femmes que Michel venait de voir, elle ne paraissait pas songer à elle-même ; elle ne s’était composé aucun air, aucun maintien ; elle ne savait pas ou ne voulait pas savoir ce qu’on penserait d’elle, ce qu’on sentirait pour elle en la regardant : elle avait la tranquillité d’un esprit détaché de toutes les choses humaines, et l’abandon qu’elle aurait eu dans une solitude complète.

Et pourtant elle était parée comme une vraie princesse ; elle donnait un bal, elle étalait son luxe, elle jouait son rôle de grande dame et de femme du monde, tout comme une autre, apparemment. Pourquoi donc cet air de madone, cette méditation intérieure, ou ce ravissement de l’âme au-dessus des vanités terrestres ?

Elle était une énigme vivante pour l’imagination inquiète du jeune artiste. Quelque chose de plus étrange encore le bouleversait, c’est qu’il lui semblait ne pas l’avoir vue ce jour-là pour la première fois.

Où pouvait-il l’avoir déjà rencontrée ? Il rassemblait en vain tous ses souvenirs. Lorsqu’il était arrivé à Catane, son nom même avait été nouveau pour lui. Une personne d’aussi grande maison et si remarquable par sa richesse, sa beauté et sa réputation de vertu, n’avait pu venir à Rome incognito. Michel se creusait l’esprit. Il ne se rappelait aucune circonstance où il eût pu la voir ; d’autant plus qu’en la regardant, il ne se figurait pas la connaître un peu, mais la connaître intimement depuis longtemps, depuis qu’il était au monde.

Quand il eut bien cherché, il se dit qu’il y avait à cela une raison abstraite. C’est qu’elle était le vrai type de beauté qu’il avait toujours rêvé sans pouvoir le saisir et le produire. C’était un lieu commun poétique. Il lui fallait bien s’en contenter, faute de mieux.

Mais la princesse n’était pas seule, car elle parlait, et Michel s’aperçut bientôt qu’elle était là, tête à tête avec un homme. C’était certainement une raison pour l’engager à se retirer, mais la retraite était difficile. Pour conserver à la grotte son obscurité mystérieuse et empêcher l’éclat des lumières de la salle de bal d’y pénétrer, on avait masqué l’entrée par un grand rideau de velours bleu, que notre curieux venait, par le plus grand hasard du monde, d’écarter un peu pour passer, sans que les deux personnes occupées à causer y fissent attention. L’entrée de cette grotte, étant de moitié moins grande que l’intérieur, formait un cadre, non de rochers factices, comme cela pourrait être arrangé chez nous, dans nos imitations de rococo, mais de véritables blocs de lave vitrifiés ou nuancés de diverses couleurs, échantillons étranges et précieux qu’on avait recueillis jadis dans le cratère même du volcan, pour les enchâsser comme des joyaux dans la maçonnerie. Cette corniche brillante formait donc une saillie assez considérable pour cacher Michel, qui pouvait regarder à travers ses anfractuosités. Mais, pour sortir tout à fait, il fallait encore toucher au rideau, et, cette fois, il était difficile d’espérer que la princesse ou son interlocuteur fussent assez distraits pour ne pas s’en apercevoir.

Michel s’avisa de tout cela trop tard pour réparer son imprudence. Il n’était plus temps de sortir naturellement, comme il était entré. Et puis, il était cloué à sa place par une inquiétude et une curiosité ardentes. Cet homme, qui était là, c’était sans doute l’amant de la princesse.

C’était un homme de trente-cinq ans environ, d’une haute stature et d’une figure grave et douce, admirablement belle et régulière. Dans sa manière d’être assis en face d’Agathe, à une distance qui tenait le milieu entre le respect et l’intimité, il n’y avait pourtant rien à reprendre ; mais quand Michel eut recouvré assez de sang-froid pour entendre les paroles qui frappaient ses oreilles, il crut voir un indice certain d’affection partagée dans cette phrase que prononça la princesse :

― Dieu merci, personne ne s’est encore avisé de lever ce rideau et de découvrir cette retraite charmante : malgré l’espèce de coquetterie que je pourrais mettre à y conduire mes hôtes (car elle est décorée à ravir, ce soir), je voudrais pouvoir y passer cette nuit toute seule, ou avec vous, marquis, pendant que le bal, le bruit et la danse iraient leur train derrière le rideau.

Le marquis répondit, d’un ton qui n’indiquait pas un homme avantageux :

― Vous auriez dû faire fermer tout à fait la grotte, par une porte dont vous auriez eu la clé, et vous en faire un salon réservé, où vous seriez venue de temps en temps vous reposer de la chaleur, de la lumière et des compliments. Vous n’êtes plus habituée au monde, et vous avez trop compté sur vos forces. Vous serez horriblement fatiguée demain matin.

― Je le suis déjà ; mais ce n’est pas le monde et le bruit qui m’ont brisée ainsi en un instant.

― Cela, je le conçois, chère amie, dit le marquis en pressant fraternellement la main d’Agathe dans les siennes. Tâchez de vous en distraire, du moins pour quelques heures, afin qu’il n’y paraisse point ; car vous ne pouvez échapper aux regards, et, hormis cette grotte, vous ne vous êtes pas laissé, dans tout votre palais, un coin où vous puissiez vous réfugier, sans traverser une foule de salutations obséquieuses, de regards curieux…

― Et de phrases banales dont je me sens déjà le cœur affadi, répondit la princesse en s’efforçant de sourire. Comment peut-on aimer le monde, marquis ! concevez-vous cela ?

― Je le conçois pour les gens satisfaits d’eux-mêmes, qui croient toujours avoir du profit à se montrer.

― Tenez, le bal est charmant ainsi, à distance, quand on ne le voit pas, et qu’on n’y est pas vu. Ce bourdonnement, cette musique qui nous arrivent, et l’idée qu’on s’amuse ou qu’on s’ennuie là-bas, sans que nous soyons forcés de nous en mêler, ont du piquant et presque de la poésie.

― On dit pourtant aujourd’hui que vous allez vous réconcilier avec le monde, et que cette fête splendide à laquelle vous a décidé l’amour des bonnes œuvres, va vous donner le goût d’en donner ou d’en voir d’autres. Enfin, c’est un bruit que vous allez changer toutes vos habitudes, et reparaître comme un astre trop longtemps éclipsé.

― Et pourquoi dit-on une si étrange chose ?

― Ah ! pour vous répondre, il faudrait que je me fisse l’écho de tous les éloges que vous n’avez pas voulu recueillir, et je n’ai pas l’habitude de vous dire même des vérités, quand cela pourrait ressembler à des fadeurs.

― Je vous rends cette justice, et je vous autorise, ce soir, à me redire tout ce que vous avez entendu.

― Eh bien ! l’on dit que vous êtes encore plus belle que toutes celles qui se donnent de la peine pour le paraître ; que vous effacez les femmes les plus brillantes et les plus admirées, par une certaine grâce qui n’appartient qu’à vous, et par un air de simplicité noble qui vous gagne tous les cœurs. On recommence à s’étonner que vous viviez dans la solitude, et… faut-il tout dire ?

― Oui, tout absolument.

― On dit (je l’ai entendu de mes oreilles, en coudoyant des gens qui ne me croyaient pas si près) : « Quelle fantaisie singulière a-t-elle donc de ne pas épouser le marquis de la Serra ? »

― Allez, allez, marquis, dites encore, ne craignez rien ; on dit sans doute que j’ai d’autant plus de tort que vous êtes mon amant ?

― Non, Madame, on ne dit point cela, répondit le marquis d’un ton chevaleresque, et on ne le dira point tant qu’il me restera une langue pour le nier et un bras pour venger votre honneur.

― Excellent et admirable ami ! dit la princesse en lui tendant la main ; tu prends cela trop au sérieux. Je parie bien que tout le monde dit et pense que nous nous aimons.

― On peut dire et penser que je vous aime, puisque c’est la vérité, et, qu’à la longue, la vérité perce toujours. C’est pour cela qu’on sait aussi que vous ne m’aimez point.

― Noble cœur ! Mais, à présent moins que jamais… Demain je te parlerai de cela plus que je ne l’ai fait encore. Il le faut. Je te dirai tout. Ce n’est pas ici le lieu et le moment. Il faut que je reparaisse dans ce bal où l’on s’étonne peut-être de ne me point voir.

― Êtes-vous assez reposée, assez calme ?

― Oui ; maintenant je puis reprendre mon masque d’impassibilité.

― Ah ! il t’en coûte peu de le prendre, femme terrible ! s’écria le marquis en se levant et en pressant convulsivement contre sa poitrine le bras qu’elle venait d’appuyer sur le sien. Au fond de l’âme, tu es aussi invulnérable qu’à la surface.

― Ne dites pas cela, marquis, dit la princesse en l’arrêtant et en le regardant avec des yeux clairs qui firent tressaillir Michel. Dans ce moment solennel de ma vie, c’est une cruauté dont vous ne sentez pas la portée. Demain, pour la première fois, depuis douze ans que nous nous parlons sans nous comprendre, vous me comprendrez parfaitement ! Allons ! ajouta-t-elle en secouant sa tête charmante, comme pour en chasser les pensées sérieuses, allons danser ! Mais, auparavant, disons adieu à cette naïade si bien éclairée, et à cette grotte charmante, qui sera bientôt profanée par la foule des indifférents.

― Est-ce le vieux Pier-Angelo qui l’a si bien ornée ? demanda le marquis, en se tournant vers la naïade.

Non, répondit la princesse, c’est lui !

Et, s’élançant dans le bal, comme par l’effet d’une résolution courageuse, elle tira brusquement le rideau et le rejeta sur Michel, qui, par un hasard inespéré, se trouva ainsi doublement caché au moment où elle passait près de lui.

Le trouble que sa situation personnelle lui causait fut à peine dissipé, qu’il entra dans la grotte, et, s’y voyant seul, il se laissa tomber sur le divan, à côté de la place que venait d’y occuper la princesse. Tout ce qu’il avait entendu l’avait agité singulièrement ; mais toutes les réflexions qu’il eût pu faire étaient dominées maintenant par le dernier mot que cette femme étrange venait de prononcer.

Ce mot eût pu être une énigme pour un jeune homme tout à fait humble et candide : Non, ce n’est pas Pier-Angelo, c’est lui ! Quelle mystérieuse réponse, ou quelle distraction singulière ! Mais, pour Michel, ce n’était pas une distraction : ce lui ne se rapportait pas à Pier-Angelo, mais à lui-même. Pour la princesse, il était donc celui qu’on n’a pas besoin de nommer, et c’est avec cette concision énergique qu’elle le désignait à un homme épris d’elle.

Cette inexplicable parole, et les réticences qui l’avaient précédée, le refus qu’elle avait fait d’aimer le marquis, ce moment solennel de sa vie dont elle avait parlé, cette émotion terrible qu’elle disait avoir éprouvée dans la soirée, cette confidence importante qu’elle devait faire le lendemain, tout cela se rapportait-il donc à Michel ?

Quand il se rappelait l’incroyable regard qu’elle avait jeté sur lui en le voyant pour la première fois avant l’ouverture du bal, il était tenté de se livrer aux plus folles présomptions. Il est vrai qu’en parlant au marquis, il y avait eu un instant où ses yeux rêveurs avaient brillé aussi d’un éclat extraordinaire ; mais il ne semblait pas à Michel qu’ils eussent alors la même expression que lorsqu’ils avaient plongé dans les siens. Regard pour regard il aimait encore mieux celui qu’il avait obtenu.

Qui pourrait raconter les étranges et magnifiques romans que, pendant un quart d’heure, forgea la cervelle de ce téméraire enfant ? Ils étaient tous bâtis sur la même donnée, sur le génie extraordinaire d’un jeune artiste qui s’ignorait lui-même, et qui venait de se révéler subitement dans une grande et vive peinture de décor. La belle princesse qui avait fait exécuter cet essai, était venue souvent, à la dérobée, pendant huit jours, examiner les progrès de l’œuvre magistrale ; et, pendant huit jours que l’artiste avait fait la sieste et mangé à de certains moments, dans de certaines salles mystérieuses du palais enchanté, cette fée invisible était venue le contempler, tantôt de derrière un rideau, tantôt d’une rosace du plafond. Elle s’était prise d’amour pour sa personne, ou d’admiration pour son talent, enfin, d’un engouement quelconque pour lui ; et ce sentiment était trop vif pour qu’elle eût trouvé le sang-froid de le lui manifester par des paroles. Son regard lui avait tout révélé malgré elle ; et lui, tremblant et bouleversé, comment s’y prendrait-il pour lui dire qu’il avait bien compris ?

Il en était là, lorsque le marquis de la Serra, l’adorateur de la princesse, reparut tout à coup devant lui et le surprit, tenant dans ses mains, et contemplant sans le voir, l’éventail qu’elle avait oublié sur le divan.

― Pardon, mon cher enfant, lui dit le marquis en le saluant avec une courtoisie charmante, je suis forcé de vous reprendre cet objet qu’une dame redemande. Mais si les peintures chinoises de cet éventail vous intéressent, je pourrai mettre à votre disposition une collection de vases et d’images curieuses, où vous serez libre de choisir.

― Vous êtes beaucoup trop bon, monsieur le marquis, répondit Michel, blessé d’un ton de bienveillance où il crut voir une impertinente protection ; cet éventail ne m’intéresse point, et la peinture chinoise n’est pas de mon goût.

Le marquis s’aperçut fort bien du dépit de Michel, il reprit en souriant :

― C’est apparemment que vous n’avez vu que des échantillons grossiers de l’art de ce peuple ; mais il existe des dessins coloriés, qui, malgré la simplicité élémentaire du procédé, sont dignes, pour la pureté des lignes et la naïveté charmante des mouvements, d’être comparés aux étrusques. Je serais heureux de vous montrer ceux que je possède. C’est un petit plaisir que je voudrais vous procurer et qui ne m’acquitterait pas encore envers vous, car j’en ai eu un bien grand à voir vos peintures.

Le marquis parlait d’un air si sincère, et il y avait sur sa noble figure une bienveillance si marquée, que Michel, attaqué par son côté sensible, ne put s’empêcher de lui avouer naïvement ce qu’il éprouvait.

― Je crains, dit-il, que Votre Seigneurie ne veuille m’encourager par plus d’indulgence que je n’en mérite ; car je ne suppose pas qu’elle s’abaisse à railler un jeune artiste, au début délicat de sa carrière.

― Dieu m’en préserve, mon jeune maître ! répondit M. de la Serra, en lui tendant la main d’un air de franchise irrésistible. Je connais et j’estime trop votre père pour n’être pas bien disposé d’avance en votre faveur ; cela, je dois l’avouer ; mais, sincèrement, je puis vous affirmer que vos peintures révèlent du génie et promettent du talent. Voyez, je ne vous flatte pas ; il y a encore de grandes fautes d’inexpérience, ou peut-être d’emportement d’imagination, dans votre œuvre ; mais il y a un cachet de grandeur et une originalité de conception qui ne s’acquièrent ni ne se perdent. Travaillez, travaillez, mon jeune Michel-Ange, et vous justifierez le beau nom que vous portez.

― Votre avis est-il partagé, monsieur le marquis, demanda Michel, violemment tenté d’amener le nom de la princesse dans cette conversation.

― Mon avis est, je crois, celui de tout le monde. On critique vos défauts avec indulgence, on loue de grand cœur vos qualités ; on ne s’étonne pas de vos dispositions brillantes quand on apprend que vous êtes de Catane, et fils de Pier-Angelo Lavoratori, excellent artisan, plein de cœur et de feu. On est bon compatriote ici, Michel-Ange ! On se réjouit du succès qu’obtient un enfant du pays, et chacun en prend généreusement sa part. On estime tant ceux qui sont nés sur le sol bien-aimé, qu’on oublie toutes les distinctions de caste, et que, nobles ou paysans, ouvriers ou artistes, se pardonnent les antiques préjugés respectifs pour confondre leurs vœux dans le sentiment de l’unité de race.

― Oh ! pensa Michel, le marquis me parle politique ! Je ne connais point ses opinions. Peut-être, s’il a deviné les sentiments de la princesse, va-t-il travailler à me perdre ! Je ne me fierai point à lui. ― Puis-je savoir de Votre Seigneurie, dit-il, si la princesse de Palmarosa a daigné lever les yeux sur mes peintures, et si elle n’est pas trop mécontente de mes décors ?

― La princesse est enchantée, n’en doutez pas, mon cher maître, répondit le marquis avec une merveilleuse cordialité ; et, si elle vous savait ici, elle y viendrait pour vous le dire elle-même. Mais elle est trop occupée en ce moment pour que vous puissiez l’approcher. Demain, sans doute, elle vous donnera les éloges que vous méritez, et vous ne perdrez rien pour attendre… À propos, dit le marquis en se retournant, au moment de quitter Michel, voulez vous venir voir mes peintures chinoises et d’autres peintures qui ne sont pas sans mérite ? Je serai charmé de vous recevoir souvent. Ma maison de campagne est à deux pas d’ici.

Michel s’inclina comme pour remercier et accepter ; mais, quoiqu’il eût dû être flatté de la grâce du marquis à son égard, il demeura triste et comme accablé. Évidemment le marquis n’était pas jaloux de lui. Il n’était pas même inquiet.