Œuvres poétiques François de MaynardAlphonse Lemerre, éditeur (p. 83-112).


Cependant Philandre esploré,
D’un éternel soin devoré,
S’estant esloigné du bocage
Où il fit bris de son bonheur,
N’attendoit remply de langueur
Si non de voir l’ombreux rivage.


Diane, au visage argenté,
Jà, d’une nouvelle clarté
Remplissoit sa face luysante
Depuis le jour que ce berger
Trainoit en un bois estranger
Sa vie triste et languissante.

Mais si son œil noyé de pleurs
Si son esprit plain de langueurs
Ne vivoit que pour sa Florize ;
Ces larmes, et ce triste deuil,
N’empeschèrent pas que son œil
Ne triomphast d’une franchise.

Car un jour que l’ardant soleil
Inclinant devers le sommeil
Annonçoit sa retraite au monde,
Callyrée avec son espoux
Vint s’asseoir au rivage doux
D’une fontaine vagabonde.

L’ombrage des verds arbrisseaux
Et les gazoüillis des oyseaux
La rendoient si fresche et si belle
Que les bergères d’alentour
Ne sçavoient en autre séjour
Se garantir du chaud qu’en elle.

Au fonds d’un beau val s’assembloit
Sa claire eau qui rien ne troubloit,
Où les bergères sur la terre
Dans ses cristalines froideurs
Alloient alléger les ardeurs
Qu’allumoit la torche ethérée.

Là, Philandre, accablé de dueil,
Moüillé des larmes de son œil,
Et ennuyé de tant se plaindre,
Sans treuver de l’allégement
Au feu qui l’alloit consumant,
Vint pour l’alentir ou l’esteindre.

Ce lieu paré d’arbres divers
D’ormes, planes, et saules verds
Et tapissé de verde mousse,
Luy sembla celuy où un jour
Florize le blessa d’amour
Par le charme de sa voix douce.

Ce souvenir le fit pleurer,
Et puis tristement souspirer,
Meslant ses soupirs et ses plaintes
Aux pleurs que versoit l’amitié,
Pleurs qui donnèrent par pitié
Aux rochers mesmes des atteintes.

Callyrée, qui carressoit
Son sot jaloux, et le forçoit
Par mille blandices à rire,
Oyant ces plaintes, le quitta,
Et curieuse se porta
Ou il souspiroit son martyre.

A le voir elle prit plaisir,
Et dès lors conçeut un désir
De le faire roy de son ame,
A sa seule veuë estimant
Qu’il sauroit bien discrétement
Cacher une amoureuse flamme.

Sans être veuë, elle voyoit
Son cher vainqueur qui larmoyoit
Si que trois fois elle eut envie
De luy aller sécher ses pleurs,
Et avoir part à ces douleurs
Qui lui faisoient hayr la vie.

Mais Iphis (ainsi s’appeloit
Le berger qu’avec elle avoit
Lié des chaines d’Hymenée)
Luy cria que le clair soleil
Cachant son visage vermeil
Finissoit desjà la journée ;


Qu’il estoit temps de s’en aller.
Lors elle pour dissimuler
L’amour dont elle estoit attainte,
Promptement s’en alla vers luy,
Qui jaloux s’enquit de celuy
Qui faisoit ceste triste plainte.

Elle respondit froidemant
Que c’estoit quelque pauvre amant
A qui l’amour faisoit outrage ;
A elle incogneu toutesfois.
Ainsi d’une trompeuse voix
Elle luy cacha son servage.

Depuis, cest amoureux désir
La sceut si ardamment saisir
Qu’elle devint impatiente.
Iphis ne fut plus caressé,
Dont en l’ame estant offensé
Sa crainte devint plus ardente.

Croyant qu’elle eust ailleurs d’amours
Il estoit aux aguets tousjours,
Et ainsi qu’une sentinelle
Espioit qui la regardoit,
En quel lieu son désir tendoit
Et avec qui se plaisoit-elle.


Mais, plaine de discrétion,
Et d’esprit et d’invention,
Dessous une gaie apparence
Elle cacha dedans son cœur
L’ennuy et la triste douleur
Que luy donnoit sa méfiance.

Enfin, Amour, lassé de voir
Exercer un tyran pouvoir
Dessus ceste àme douloureuse,
Dedans le séjour bocager
Luy fit voir un jour le berger
Qui la rendoit si langoureuse.

Ardante, elle y alla soudain.
Mais las ! La crainte d’un desdain
Luy osta le cœur de luy dire
Que ses yeux lui donnoient d’amour,
Si qu’elle n’osa de ce jour
Luy faire entendre son martyre.

Toutesfois, elle s’entretint
Avecque lui, et le retint
Durant le jour sous un ombrage,
Où elle apprit comme les dieux
Luy avoient ravy dans les cieux
Ce qui luy plaisoit davantage,


Que depuis ce ravissement
Il n’avoit de contentement
Sinon à pleurer son absence :
Ce que toute estonnée oyant,
Pour un refus l’alla croyant
S’elle luy disoit sa souffrance.

Le soir venu, plaine d’ennuy,
Elle se séparant de luy
Essaya d’esteindre sa flame :
Appréhendant que ce berger
Ne voulust pour elle changer
Le désir qu’il avoit en l’ame.

Mais son feu qui se renforçoit
Si violamment la pressoit
Qu’à la fin elle fut contrainte,
Le treuvant seul dedans un bois,
Avec une craintive voix
De luy faire un jour ceste plainte :

– berger, pourquoy me jugez-vous
Que vos yeux si beaux et si doux
M’ont du feu d’amour embrazée ?
Que je meurs, n’osant vous prier
De vouloir pour moy oublier
Celle qui me rend mesprisée.


Vous cognoissez bien que vos yeux
Sont de mon cœur victorieux :
Mais le souvenir de Florize
Vous possédant entièrement
Fait las ! Que trop injustement
Vostre cruauté me mesprise.

Aymer sans espoir de plaisir
C’est nourrir un ingrat désir
Qui ne produit rien que martyre.
Cesse donc de te consumer,
Mon âme, et commence d’aymer
Celle qui pour toy seul respire.

Mieux vaudroit estre sans amour
Que de souspirer nuict et jour
Pressé d’une ingrate souffrance.
Fol celuy qui va chérissant
La douleur qui le va poussant
Au tombeau sans point d’allégeance.

Voy donc, ma vie, si mon cœur
Qui, d’une amoureuse langueur
A souffert la douce pointure,
Peut par amour porter le tien
A s’attacher de son lien
Attaint d’une mesme blessure.


Philandre, doucement surpris,
Luy respondit : – belle Cypris,
Si mon ame n’estoit atteinte
Du traict divin d’une beauté,
Je ferois que ma liberté
Seroit de vos beaux yeux estreinte.

Mais, Amour ne me permet pas
D’idolatrer d’autres appas
Que ceux du soleil de mon ame ;
Et, bien que le ciel envieux
M’ait privé du jour de ses yeux,
Rien pourtant que luy ne m’enflame.

Je ne puis lier ma raison
Des chaisnes d’une autre prison ;
Car les premiers noeuds de ma vie
Estoient si beaux et si parfaicts
Qu’encore qu’ils soient my-défaicts
Si la tiennent-ils asservie.

Mais las ! à quoy tous ces discours,
Puis qu’ils sont pour moy sans secours ?
Adieu ! – ha ! Berger, luy dit-elle,
Ne t’esloigne pas de mes yeux,
Ce discours t’est-il ennuyeux,
Ou suis-je pour toy trop peu belle ?

– ton discours me seroit plaisant,
Dit-il, s’il n’alloit r’atisant
Le souvenir de ma princesse :
Et ta beauté pourroit aussi
M’arrester plus long-temps icy
Si, las ! J’avois moins de tristesse.

– hé qui t’empesche de banir,
Luy dit-elle, ce souvenir
Qui ne t’apporte que martyre ?
– ma constance et les loix d’amour
Veulent, dit-il, que nuict et jour
Mon cœur pour ma belle souspire.

– mais, hélas ! Tes souspirs sont vains,
Respondit-elle, et tous tes plains
Ne peuvent point aller à elle.
– n’importe, dit-il, pour le moins
Tous les dieux me seront tesmoins
Que je vis et je meurs fidèle.

– doncques, ta première amitié,
Rend ton cœur pour moy sans pitié
Luy dit-elle, ha ! Cruel Philandre !
– comment veux-tu ; dit-il, hélas !
Que je donne à ton mal soulas,
Si pour moy je ne sçay le prendre.


Souffre doncques, sans me blasmer,
Que je te laisse, car aymer
Autre que ma belle Florize
La constance me le défend,
Et son doux souvenir qui rend
Mon ame d’elle encore esprise.

Alors le berger s’en alla,
Et un torrent de pleurs coula
Des tristes yeux de la bergère
A qui l’amour fit ressentir
Ce qu’on sent quand on voit partir
La personne qui nous est chère.

Dedans les bois plus escartez
Qui ne sont d’aucun fréquentez
Il erra dès lors solitaire,
Désirant d’y treuver la mort,
Pour revoir l’astre de son sort
Dont il estoit le tributaire.

Cependant l’amoureuse ardeur
Qui consumoit le triste cœur
De la chétive Callyrée
Avec tant d’aigreur s’empiroit
Que son àme désespéroit
De sa guérison désirée.


Quand, dans les bois vagabondant,
Un jour qu’en larmes se fondant
Elle appeloit l’ingrat Philandre,
Et d’un pleureux accent disoit :
– ton bel œil donc ne m’attisoit,
Sinon pour me réduire en cendre ?

Cruel, qui te pais de mes maux,
Le ciel touché de mes travaux
Assemble ses larmes aux miennes
Souspire et se plaint avec moy ;
Et toy de qui j’ay pris la loy
Tu ne m’en donnes point des tiennes.

Souffrir qu’un ingrat souvenir
Te puisse encor retenir
Aux loix de ta première flame,
N’est-ce pas faute de raison ?
Philandre, sors de ta prison
Et viens libre prendre mon ame.

Non, non, je ne demande point
Que ton cœur pour moy soit espoint
Du traict d’amour, roy de ma vie :
Mais que tu souffres seulement
Que je cherche d’allégement
En rendant ta beauté servie.


Je sçay que ma condition
Rend honteuse ma passion ;
Mais la cause en est si parfaicte,
Et l’honneur si doux et si cher,
Que je ne sçaurois point cacher
Mon feu sous la cendre secrette.

Si fait ! Je puis dissimuler
Et mesme nier de brusler
Du feu de ton œil qui m’enflame,
Pour empescher que mon jaloux,
M’enviant un plaisir si doux,
Ne tasche d’estaindre ma flame.

J’iray, peignant dedans mes yeux
Un mespris du vainqueur des dieux
Par le pinceau de la feintise,
Insensible à toute amitié,
Fors à celle de ma moitié
Pour qui un feu haineux m’attise.

Ainsi je l’iray decevant.
Mais las ! Je parle avec le vent ;
Vaine doncques est l’allégeance,
Que je vay souhaittant de toy,
Philandre, mon âme, mon roy,
Hé ! Prends pitié de ma souffrance.


Ne permets pas que ton mespris
Foule à ses pieds mon cœur espris.
Lors, dis-je, que ceste bergère
Esvantoit ainsi son ardeur,
Philandre espoint de sa langueur
Survint pensif et solitaire.

En bas ses moites yeux baissez,
Ses bras tristement enlassez
Et sa teste à costé penchée
Ressembloit le chef languissant
D’une rose se ternissant
Lors que l’orage l’a touchée.

Lors elle s’avança vers luy
Et dit : – suject de mon ennuy,
Philandre, idole de mon ame,
Est-il possible que ton cœur
Aye pour moy plus de froideur
Lors que pour toy j’ay plus de flame ?

Depuis le jour que tes beaux yeux
Se rendirent victorieux
De ma vie à tes loix soubmise,
Las ! Quelle heure, ainçois quel moment
M’a peu voir sans le doux tourment
Dont je suis en cendres jà mise.


Et tu es tousjours un rocher
D’où mon dueil ne peut approcher,
Insensible aux douces atteintes
Dont amour m’a blessé le cœur,
Et semble, hélas ! Que ta rigueur
Se paisse du son de mes plaintes.

Ay-je trop peu de fermeté ?
Ma face est-elle de beauté
Et d’attraicts si fort despourveuë,
Qu’elle ne puisse t’embraser
Du feu dont tu sçais m’attiser
Par le doux rayon de ta veuë ?

Mille soubs le joug de ma loy
Se sont venus plaindre de moy
Qui desdaignois leur sacrifice ;
Mais leur importune amitié
N’a peu me touchant de pitié
Me rendre à leur désir propice.

Mesme celuy à qui le sort
M’assemble d’un contraire effort
Ne me fut jamais agréable :
Toy seul as paru à mes yeux
Ainsi qu’un soleil gracieux
Seul entre les mortels aimable.


Mon amour toutesfois est vain,
Et je ne reçois qu’un desdain
Pour loyer de mon vœu fidelle !
Philandre, accablé de langueurs,
Sceut lors que peuvent sur les cœurs
Les douces plaintes d’une belle.

Il en fut vivement touché ;
Mais son ressentiment caché
N’empescha pas que sa parole
Ne tesmoignast que la beauté
Que les dieux lui avoient osté
Estoit sa seule et chère idole.

Car il dit après maint souspir :
– quand les dieux bruslans du désir
D’emporter dans le ciel ma belle
M’en eurent, hélas ! Escarté,
Je fis vœu de n’estre arresté
Au joug d’autre beauté que d’elle.

Je ne regarde point les cieux.
Sinon par ce que ses doux yeux
Y luisent brillans de lumière ;
Car s’ils estoient dans le tombeau
Je ne verrois plus le flambeau
Qui faict maintenant sa carrière.


Mais j’espère qu’un jour les dieux
Lassez de me voir soucieux
Me redonneront sa présence,
Faisans qu’elle vienne icy bas,
Ou qu’allant revoir ses appas
Je mette fin à ma souffrance.

Pourtant, nymphe, n’estime point
Que si tes yeux ne m’ont espoint,
Mon ame te soit ennemie,
Car je regrette ton ennuy.
Alors un berger près de luy
Fit résonner sa chalemie.

C’estoit Iphis, en qui l’amour
N’avoit jamais faict de sejour ;
Ains, une jalousie ardante,
Qui nuict et jour le consumant,
Faisoit que sans contentement
Son ame vivoit languissante.

Quand la nymphe le recogneut,
Voulant respondre elle se teut
La peur luy ostant la parole ;
Mais Amour qui fut plus puissant
Avant partir l’alla forçant
De luy dire : – adieu, chère idole,


Soleil dont le jour m’est si doux,
Encore que mon fier jaloux
M’oste le bien de ta présence,
Si est-ce que de ton bel œil,
Bien qu’il soit cause de mon dueil,
Je chériray la souvenance.

Après ces mots, elle partit,
Et son ame se despartit
De sa demeure coustumière,
Pour vivre dedans les beaux yeux
De ce berger victorieux,
Suject de sa flame première.

Philandre, à l’escart retiré,
Ayant son esprit martyré
De la fatale souvenance
De Florize, astre de son cœur,
Et pensant au pouvoir vainqueur
D’amour, cause de sa souffrance,

Disoit : – hélas ! Sous quelle loy
Et sous quel tyrannique roy
Nos ames sont assujetties !
Celuy qui plus ayme est haï,
Et le plus fidelle trahy
N’a pour des fruicts que des orties.


Quand un cœur pense s’esjouyr,
Et se voir d’aise espanouir
Comme les fleurs la matinée,
Qu’il semble que pour luy les dieux
Facent luire le jour aux cieux,
Il voit changer sa destinée.

Son bonheur tristement fauché
Ressemble à un œillet touché
De la rigueur d’un prompt orage.
Il baisse son chef languissant ;
Et qui l’avoit veu rougissant
Ne peut que plaindre son dommage.

Pourquoy d’inégales ardeurs
Amour, embrases-tu nos cœurs ?
Que te sert de nous ouyr plaindre,
Or’d’un excès de cruauté,
Ores de la légèreté
Du sort qu’on ne peut assez craindre.

Tu vas marchant dessus mon cœur
D’un pied superbement vainqueur,
Me rendant si remply de flame
Que mes souspirs ne sont que feu,
Et si je ne puis tant soit peu
Trouver d’ardeur dedans mon ame

Quand Callyrée sous ma loy
Esvante son ingratte esmoy,
Je me sens plus dur qu’une roche,
Plus froid que l’ondeux élément,
Et moins touché de son tourment
Quand plus de moy sa plainte approche.

Amour, hé ! Change nostre sort !
A moy piteux donne la mort,
A Callyrée une autre envie.
Ainsi dit l’esploré berger,
Sans qu’il peust pourtant alléger
La douleur qui rongeoit sa vie.

Un jour qu’il s’estoit arresté
Sur le bord d’un flot argenté,
Où les plus gentilles bergères
Mirent la grace de leur front
Quand le jour s’enfuit d’un pied prompt
Poursuivy des heures légères,

Callyrée, sous un ormeau
Ombrageant ce plaisant ruisseau,
A une vieille enchanteresse
Descouvroit son amour ardent
De sa faveur seule attendant
La fin de sa noire tristesse.


Ceste mégère dont les yeux
Haves, bicles et chassieux
Faisoient horreur à la lumière,
Luy dit d’une baveuse voix :
– demain, ce ruisseau et ces bois
Ne te verront plus prisonnière.

– non, non, je ne désire point
De rompre le traict qui m’espoint ;
Ains, que le suject de ma peine,
Bruslant d’un feu pareil au mien,
S’enlasse d’un mesme lien
Au joug d’une semblable chaisne,

(dit Callyrée, et puis se teut).
Lors la vieille se ramenteut
De ses inventions magiques,
Et des charmes dont le pouvoir
Peut faire de l’ombreux manoir
Sortir des esprits erebiques,

Et dit que, paravant trois jours,
Philandre prompt à son secours
Finiroit la triste souffrance
De ses yeux ardemment espris,
Si pour n’estre en ses chaisnes pris,
Il ne couroit devers l’absence.

Ainsi, cest avorton d’enfer

Promit alors de triompher
De l’ennemy de Callyrée,
Et faire en sa fidelle ardeur
Fondre la mortelle rigueur
Dont son âme estoit martyrée.

Mais, Philandre qui l’escoutoit,
Et impatiemment portoit
Ces projects haineux de sa vie,
Desseigna de revoir les lieux
Où de son astre gracieux
La lumière luy fut ravie.

Quand de ce crystal argenté
Callyrée eut bien loin porté,
Et son pied et sa triste veuë,
Philandre dit en se levant :
– donc tu moissonneras du vent,
Bergère d’esprit despourveuë.

Hélas ! Tu conçois des désirs,
Pour te repaistre de plaisirs
Dont la naissance ne peut estre ;
Car dépendent-ils pas de moy,
Et je m’escarte loin de toy
Afin de les garder de naistre.

Hélas ! Estimes-tu qu’Amour
Qui fait dans le cœur son séjour
Y puisse loger par contrainte ?
Amour gist en la volonté,
Que non pas la fatalité
Ne peut rendre de noeuds estreinte.

N’espères donc ta guérison,
Croyant de voir en ta prison
Par amour mon âme arrestée ;
Car mon cœur séparé de toy,
Est plus esloigné de ta loy
Que d’amour la haine escartée.

Adieu donc Callyrée, et vous
Forests, ruisseaux et prez si doux
En l’esloignement de ma belle
Je prends congé de vous, hélas !
De qui j’ay reçeu de soulas
Plus que de la trouppe immortelle.

Lors tristement il s’en alla,
Et marchant trois fois chancela
Baignant de larmes son visage,
Ce qui le fit parler ainsi :
– ô sort à me nuire endurcy
Quand appaiseras-tu ta rage ?


Est-il encor aucun mal-heur
Qui ne m’ait déchiré le cœur
Au joug de ta prison cruelle,
Amour imployable à mes cris ?
Mais c’est sur l’onde que j’escris
Quand à mon secours je t’appelle.

Alors Philandre ainsi parla,
Puis mille souspirs exhala
Ayant d’espoir l’âme déserte :
Mais las ! Ils furent redoublez
Quand ses yeux de larmes troublez
Revirent le lieu de sa perte.

Car passant dans le pré fleureux
Où de son soleil amoureux
Il cueilloit les douces carresses,
Ou sur un rivage moussu
Où de fleurs il fit un tissu
Pour coronner ses blondes tresses,

Il s’escria : – ô temps doré,
Auquel mon bel astre adoré
Me paissoit de mille délices,
Toutes ces mielleuses faveurs,
Ces mignardises, ces douceurs,
Ne sont maintenant que supplices.


Icy voulant prendre un baiser
Las ! Elle me sceut refuser
Avec tant d’amour et de grace,
Qu’au lieu d’en perdre tout espoir,
Un nouveau desir de l’avoir
R’alluma soudain mon audace.

Je le luy ravis doucement.
Icy finit l’aigre tourment
Qui tenoit en langueur mon âme,
Icy un jour elle chanta,
Icy son bel œil m’enchanta,
Icy mon cœur vint tout de flame.

Bref, ce bel astre gracieux,
Icy d’un miel délicieux
Repeut mon âme bien-heureuse ;
Mais depuis que le ciel jaloux
M’a privé d’un plaisir si doux
Ma vie est triste et langoureuse.

Le souvenir d’avoir esté
En un poinct de félicité
Si haut et si remply de gloire
M’accable de tant de langueur
Que, pour adoucir sa rigueur,
Il faudroit estre sans mémoire.

Toutesfois, parmy ce tourment
Je trouve un doux contentement
Malgré la dure destinée.
Ce dit, il vit dessus un mont
Maintes bergères d’un pied prompt
Courir au temple d’Hyménée.

Ce temple estoit dedans le bois
Où il possédoit autresfois
Le cœur de Florize la belle,
Qui las ! Ayant peu l’oublier
Alloit pour Lyridan lier
Son cœur d’une chaisne éternelle.

Ces bergères en s’approchant
Allérent son âme touchant
Du souvenir de sa déesse
Si qu’il dit : – las ? Si ces beaux yeux
N’estoient retenus dans les cieux
Ils luyroient parmi ceste presse.

Alors il vit, comme un croissant
Parmy les autres paroissant,
Florize qu’il croyoit ravie.
Soudain saisi d’estonnement
Il cheut privé de mouvement
Plus remply d’amour que de vie


Quand elles furent sur le bord
Appercevans ce berger mort
(car il l’estoit en apparence)
Elles ressentirent au cœur
Une pitoyable douleur
Enaigrir leur resjoüissance.

Mais quand Florize l’apperceut
Soudain en l’àme elle receut
Une si poignante blesseure,
Qu’ayant son esprit abattu
Elle dit, – eh, quoy ! Tardes-tu
D’aller dessus la tombe obscure ?

Chétive donc encor tu vis,
Et volage tu t’asservis
Aux loix d’une prison nouvelle.
Philandre, hélas ! Pardonne-moy
Je me remets dessous ta loy,
Et ne veux plus estre infidelle.

A ces mots, elle l’embrassa
Et cent fois ses lèvres pressa
De sa bouche de pleurs moüillée,
Disant : – hé ! Reviens mon vainqueur,
Non la pureté de mon cœur
N’est point encore du tout soüillée.


Pendant que je t’ay creu esteint,
Mon cœur d’autres noeuds s’est estreint,
Mais ores que de ta lumière
Mes yeux peuvent estre esclairez,
Mes desirs de toy separez
Reprennent leur route première.

Mais, possible tu ne vis point.
Car ne serois-tu pas espoint
Du traict de ma plainte amoureuse
Si tu vivois ainsi que moy ?
Philandre, ouvre tes yeux, et voy
Florize à tes pieds langoureuse.

Au nom de Florize soudain
Son cœur sautela dans le sein,
Dessillant sa triste paupière
Qui tout soudain se rabaissa ;
Car l’excez de clairté blessa
Sa veuë aux ombres coustumières.

Lors, d’un œil d’aise estincelant,
La nymphe dit le r’appellant :
– las ! Si tu ne m’as point déceuë
Disant que ton contentement
Estoit à me voir seulement,
Pourquoy destournes-tu ta veuë ?


Ouvre donc tes beaux yeux, mon cœur,
Ou bien je te croiray trompeur.
Te suis-je pas ore aussi chère
Qu’autrefois quand remply d’amour
Tu m’allois jurant que le jour
Te plaisoit moins que ta bergère ?

– Philandre alors r’ouvrant ses yeux
Avec un regard gracieux
Poussa ceste douce parole,
Florize, mon âme, mon cœur,
Que je baise ton œil vainqueur,
Que je t’embrasse mon idole.

– Lyridan en ce point venu
Que Philandre ayant recogneu
De son cœur la douce demeure,
Enlassoit son col de ses bras
S’escria hautement : – hélas !
A quoy tient-il que je ne meure ?

Un chacun, en cet accident,
Estonné s’alloit regardant,
L’un, esjouy de voir Philandre
D’un plus joyeux son œil baignoit :
L’autre qui Lyridan plaignoit
A luy par pitié s’alloit rendre.


Or, avec ces gémissemens,
Ces pleurs et ces embrassemens,
La feste estant interrompuë,
Chacun chez soy se retira,
Fors Lyridan qui souspira
La foy de la nymphe rompuë.

Car pendant le cours de la nuict,
Voyant qu’il estoit esconduit
D’avoir jamais la jouissance
De ce qu’il alloit chérissant,
Dans les bois courut maudissant
Ceste amoureuse cognoissance.

Cependant, Philandre content
De voir qu’Amour, en un instant,
L’eslevoit au doux apogée
De l’heur qu’il eut peu espérer,
Desapprenant de souspirer,
Cessa d’avoir l’àme affligée.