Calistée, object de mes vœux,
A qui les hommes et les dieux
Rendent un amoureux hommage,
Te voyant ainsi qu’un Soleil
A nul qu’à toy-mesme pareil,
Tiendrois-je caché mon servage ?


Non, je veux que de mon amour
La posterité parle un jour,
Et qu’elle raconte à sa race
Que ta beauté royne des cœurs,
Fut la cause de mes ardeurs,
Et que l’histoire que je trace,

Je l’offre à tes divins appas,
Encore qu’elle ne soit pas
Digne de toy, belle adversaire ;
Mais, après t’avoir immolé
Mon cœur de ta flame bruslé,
Quelle autre offrande puis-je faire ?

Reçois-la donc, et lis ces vers
Où sont peints les effects divers
D’amour le doux roy de mon âme.
Possible apprendras-tu d’aimer,
Et en me voyant consumer,
Voudras-tu brusler de ma flame ?

Comme un chevreul, après l’hyver,
Voyant le printemps arriver
S’esgaye en son aimé bocage,
Et solitaire loing du bruit,
Où son pied libre le conduit
Erre sans crainte de dommage ;


Quand, lors qu’il pense estre plus seur,
Un traict luy traverse le cœur,
Qui rend sa douce vie esteinte ;
Ainsi Philandre, dans les bois,
Au plaisant avril de ses mois,
Du traict d’amour eut l’âme atteinte.

Un jour qu’il s’alloit reposant
Au bord d’un crystal qui, jazant,
Faisoit rouler son onde claire
Parmy l’esmail des prez fleureux
Où les zéphyres amoureux
Voletoient d’une aisle legère,

Il ouyt la charmeuse voix
De Florize, nymphe des bois,
Dont la douce et mignarde halene
Alloit au ciel les dieux saisir.
Soudain il fut point d’un désir
De voir ceste belle syrène.

Après qu’il eut en mainte part
Porté son curieux regard
Pour voir l’object de son envie,
Amour cet invincible roy,
Désireux d’imprimer sa loy
Sur la liberté de sa vie,


La luy fit voir sous un ormeau
Roüillé du vif surjon de l’eau,
Qui dans les prez s’alloit espandre,
Son visage à demy couvert
S’appuyoit sur un gazon vert,
Et son corps dessus l’herbe tendre.

Son poil nonchalamment espars,
Ses yeux armez de doux regards,
Sa face de beautez vermeilles,
Et sa voix d’accens gracieux
Le changeoient maintenant en yeux,
Tantost le rendoient en oreilles.

Espris de ce soleil nouveau,
S’en allant le long d’un ruisseau
Pour passer à l’autre rivage
Où doucement il reposoit,
Jà, Philandre se disposoit,
A lui descouvrir son servage.

Mais pendant qu’il s’acheminoit
Où amour vainqueur le trainoit,
La nymphe se fut escartée,
Si bien que son espoir deceu
Ne peut voir son désir conceu
A sa naissance souhaittée.

Dès lors, pressé de mille ennuis,
Vagabond les jours et les nuicts,
Il chercha tantost aux valées,
Or, au bord d’un flot ruisselant,
De son soleil estincelant
Les douces beautez recelées.

La fille de l’air maintes-fois
Lors que d’une plaintive voix
Il réclamait son inhumaine,
Les oiseaux et les doux zéphirs
Touchez du vent de ses soupirs,
Plaignirent sa dolente peine.

Ces plaintes pourtant sans secours,
N’empeschèrent pas que tousjours
Il ne fust point de son martyre ;
Son mal n’avoit d’autre confort
Que l’espérance de la mort,
Et un chaud désir de le dire.

Maintes-fois les larmes aux yeux,
Il dit : – hé ! Pitoyables dieux !
Que n’est ma vie terminée
Avec ma tristesse et mon dueil,
Ou l’absence de ce soleil
Qui rend mon àme infortunée,


Plus je desire de le voir,
Alors j’en ay moins de pouvoir,
Et semble qu’avoir ceste envie
Soit un si grand crime commis
Qu’il ne me puisse estre remis
Que par la perte de ma vie.

Hélas ! Si réclamer ses yeux
De mon âme victorieux
Est une offense irrémissible,
Ô dieux ! Pourquoy permettez-vous
Qu’ils luisent si beaux et si doux,
Et que mon cœur soit si sensible ?

Quand premier flamber je les vis,
Mes yeux d’estonnement ravis,
Se pleurent tant à voir leur flame,
Que, sans craindre de se brusler,
Ils firent doucement couler
Mille rayons dedans mon ame.

Encores, pour mieux me dompter,
Amour, hélas ! Fit révolter
Mes oreilles des yeux complices,
Si bien que mes sens mutinez
Semblaient seulement destinez
Pour me traîner à ces supplices.


Supplices sont-ils voirement ;
Mais, las ! Incomparablement
Cuisans en leur rigueur extrême ;
Car quel mal se peut comparer
Au mal qui me fait souspirer
Privé de la beauté que j’ayme ?

Ces rochers que l’age a noircy
Quand je pleure pleurent aussi,
Mesme le printanier zéphire,
Par le branle de ses cerceaux
Faisant mouvoir les arbrisseaux,
Avec moi tristement souspire.

Ces eaux qui bruyent en courant,
Ne vont par les bois murmurant,
Sinon pour plaindre ma souffrance ;
Et toy, Florize, tu ne veux,
Te rendant propice à mes vœux,
Mettre fin à ta longue absence.

Mais, à tort je me plains de toy ;
Car, tu ignores qu’à ta loy
Amour ait mon àme sousmise :
Faictes donc, pitoyables dieux,
Que la veue de ses beaux yeux
Me soit par vous bientost permise !

Ainsi Philandre souspiroit,
Pendant que son mal empiroit
En l’absence de sa déesse,
Sans qu’il peust, après tant de dueil,
Revoir esclairer ce bel œil
Le doux suject de sa tristesse.

Enfin, un jour il l’apperceut
Le long du bord où il receut
Une atteinte d’amour en l’âme.
Une autre nymphe la suyvoit
De qui l’œil embraser pouvoit
Les cœurs d’une amoureuse flame.

Pressé de son amour ardent
Il vint et luy dit l’abordant :
– arreste, belle dédaigneuse,
Ne me cache plus tes beaux yeux,
Dont l’esloignement soucieux
Retient mon âme langoureuse.

Cest abord la nymphe estonna,
Et son visage environna
D’un pourpre pareil à la rose
Esclattante d’un front vermeil,
Quand la courrière du soleil
A la porte du jour esclose.


La nymphe qui l’accompagnoit,
Pareil estonnement peignoit
Dessus sa face rougissante ;
Quand le berger plein de douleur
Tira du profond de son cœur
Cette parole languissante :

- nymphe, ne vous estonnez point,
Si mon cœur, vivement espoint
Du traict de vostre belle veuë,
Publiant sa captivité,
Dit que, loing de vostre beauté,
Une triste langueur le tuë.

Tout ainsi que le jour vermeil
Agréable effect du soleil,
Apparoist, où sa cause esclaire,
Mon amour, effect de vos yeux,
Esclatte et résonne en tous lieux,
Où ils font briller leur lumière.

Pour céler un si doux tourment,
Ains un si doux contentement
Que les dieux quittent l’ambrosie
Pour en savourer la douceur ;
Seroit-ce pas avoir le cœur
Possédé d’une frénaisie ?


Le soleil pompeux de beauté
Au doux resveil de sa clarté
Ne reçoit-il pas les hommages
De mille oyseaux, qui trémoussant
Vont au ciel à l’envi poussant
Les traicts de leurs plaisants ramages ?

Et vous, parfaict soleil d’amour,
Dont l’œil couronné d’un beau jour
Esclaire le ciel et la terre,
Ne recevrez-vous pas les vœux
De mon cœur qui vit langoureux
En vostre prison qui l’enserre ?

Abattrez-vous le sainct autel
Qu’amour, ce grand dieu immortel,
A dressé luy-mesme en mon âme,
Où je fais à vostre œil vainqueur
Le sacrifice de mon cœur,
Consumé d’une chaste flame ?

Las ! Quand il voulut me blesser,
Il ne sceut mon cœur traverser
Que du beau traict de vostre veuë,
Traict qui, m’ostant la liberté,
Me fit cognoistre la beauté
Pour royne des cœurs recogneuë.


La nymphe qui secrettement
En son âme l’alloit aymant
Depuis qu’elle eut la cognoissance
De son mérite nompareil,
Tournant devers luy son bel œil
Qui donnoit à son mal naissance,

Luy dit : − amour ne daigne point
Faire les traicts dont il t’espoint
Des tristes regards de ma veue ;
Car on me peut voir aisément
Sans brusler de l’embrasement
Dont tu dis que l’ardeur te tue.

- ma belle, pourquoy voulez-vous
Estimer que vos regards doux
Ne soient les traicts inévitables,
Dont amour blesse les mortels,
Puisque les grands dieux immortels
Les redoutent (eux redoutables) ?

-pensez, dit-il, qu’amour, ce roy
Qui prescrit aux hommes la loy,
Et tient les dieux sous son empire,
N’arme son arc victorieux
Que des regards de vos beaux yeux,
Dont mon cœur traversé souspire.

Un cœur souspire librement
Quand il souffre peu de tourment :
Mais quand la douleur est extrême,
Et telle que tu me la feints,
Tous les sens de tristesse atteints
N’ont point d’action en eux mesmes ;

Car la langue qui seule peut
Exprimer le mal dont se deult
Une âme de douleur atteinte,
Ne peut rompre l’empeschement
Que luy apporte le tourment,
Ou qui procède de la crainte.

— mais quoy ? C’est humeur des amans
De feindre des embrazemens
Quand ils sont tous remplis de glace !
Ainsi dit la nymphe, faisant
Paroistre un sous-ris séduisant
Parmi les attraits de sa face.

— celui qui peut feindre n’est point
D’autre traict de douleur espoint,
Ou n’a pas encor veu Florize ;
Mais, quiconque vit esclairé
De ton beau regard adoré,
Il ne cognoist point la feintise ;


Car, ayant en toy des beautez
Autant qu’en ont les deïtez,
Tu ne peux estre qu’adorable ;
Si que, de ton amour blessé
Chacun est doucement forcé
De t’advouer l’incomparable.

Les effects de tes yeux sont tels
Qu’ils changent les cœurs en autels,
Pour t’y adorer, belle idole.
Mesme le grand maistre des dieux
Blessé par le traict de tes yeux,
Victime à ta beauté s’immole.

Tout ce que le ciel nous faict voir,
Et tout ce qu’on peut concevoir
De beau, de parfaict et d’aymable
Est en toy avec tant d’appas,
Que te voir et ne t’aymer pas
Est une erreur inexcusable.

De moy, je t’immole mon cœur,
Astre dont le regard vainqueur
Repaist mon âme d’ambrosie.
Et ne m’importe que les dieux,
Quand j’idolatreray tes yeux,
Soient emflammez de jalousie !


Ainsi parloit-il tout ardant,
D’un œil plein d’amour regardant
Les beaux yeux de sa vainqueresse,
Dont le cœur desja se rendoit
Et impatient attendoit
La guérison de sa tristesse.

Mais elle, pour ne faire voir
Qu’amour au joug de son pouvoir
Attachoit son obeyssance,
Ne daigna plus luy repartir,
Desdain qui fit soudain partir
Le berger privé d’espérance.

En s’en allant il souspira,
Et la nymphe se retira
De ce discours au vif touchée ;
Mais plus quand elle ouyt de loing :
— ô ciel ! Sois fidelle tesmoin
Qu’elle a ma jeunesse fauchée !

Je meurs, mais heureux et content,
Puisque mon cœur ferme et constant
Préfère sa flame à sa vie.
J’aime mieux me fondre en langueur
Que de rompre le noeud vainqueur
Qui retient mon ame asservie.


Mais les dieux vangeront un jour
Ceste insensible à mon amour,
Hélas ! Ayez en souvenance,
Ô vous supremes deïtez
Afin que de ses cruautez
Elle face la pénitence.

Ces plaintes qu’amour enfantoit,
Et devers la nymphe portoit,
Eurent tant de pouvoir sur elle,
Qu’en fin son courage endurcy
S’amolissant par la mercy
La fit devenir moins cruelle.

Son cœur alors meu de pitié
Eust de sa nouvelle amitié
Au berger donné cognoissance ;
Mais la crainte l’en empescha,
De manière qu’elle cacha
Dessous un feint ris sa souffrance.

Ce ris tesmoin d’une rigueur,
Moins véritable dans son cœur
Qu’apparente sur son visage
Fit dire à l’autre nymphe : − hélas
Comment sous de si doux appas
Peux-tu cacher si fier courage ?


− quoy ? Tu appelles donc fierté
Une marque d’honnesteté,
Luy dit Florize. Ha ! Cléonice,
(ainsi la nymphe se nommoit)
Estimes-tu que s’il m’aimoit,
Que j’eusse à desdain son service ?

Le feu dont il dit que l’ardeur
Luy brusle nuict et jour le cœur,
Ce n’est qu’un feu imaginaire.
Mais, ne parlons plus de l’amour ;
Ains, taschons d’employer le jour
A ce qui mieux nous puisse plaire.

Quelque jour s’escoula depuis,
Sans se revoir, car ses ennuis
L’esloignèrent dans les bocages,
Où langoureux il se plaignoit
Voire les oiseaux enseignoit
A plaindre avec luy ses outrages.

Elle qu’amour et le regret
Dévoraient d’un souci secret,
Cependant se mouroit d’envie
D’alléger sa triste langueur,
Et luy dire qu’amour vainqueur
L’avoit à son joug asservie.


Elle fut souvent dans le bois
Devers les antres les plus cois,
Croyant d’y rencontrer Philandre,
Toutesfois ne le treuvant pas
Elle arrestoit souvent ses pas,
Chantant afin qu’il peust l’entendre.

Un jour que sous un chesne ombreux
D’un chant et doux et langoureux
Elle animoit sa voix charmante,
Disant : − amour, hélas ! Comment
Peuvent brusler si vivement
Les yeux d’une personne absente ?

Depuis le jour que ce berger
Peut à son amour m’engager,
J’ai mon âme si fort esprise
Du charme vainqueur de ses yeux,
Que je ne voy rien en ces lieux
Que par desdain je ne mesprise.

Tout ce qui jadis me plaisoit
Lors que ce berger ne faisoit
Comme il faict la loy à mon âme,
Ne me peut plaire, seulement
Treuvé-je du contentement
A son souvenir qui m’enflame.


Sa beauté si fort me revient,
Que d’elle seule il me souvient,
Et, de ceste douce pensée,
Naist un ardent desir d’amour,
Qui rend mon ame nuict et jour
D’un traict de langueur traversée ;

Langueur qui me plairoit bien mieux
Si ses beaux et aimables yeux
Cognoissoient le mal que j’endure ;
Mais las ! Mes feintes cruautez
Me les ont si loin escartez
Qu’ils ne peuvent voir quand je pleure.

Amour, hé ! Fais les revenir,
Et m’en donnant le souvenir
Donne m’en aussi la présence.
Par mon œil de larmes baigné,
N’ai-je pas assez tesmoigné
Que je recognois ta puissance ?

Lorsqu’elle souspiroit ainsi,
Le berger, rongé de soucy,
Parut sur le bord d’une prée,
En qui l’aurore par ses pleurs
Avoit renouvellé les fleurs
Dont sa face estait diaprée.


La nymphe, voyant son soleil,
Eut le visage aussi vermeil
Que celuy de la belle Aurore,
Quand, honteuse et pleine d’amour,
Elle voit, sur le point du jour,
Son beau Céphale qu’elle adore.

Le berger aussi la voyant
Alla tout craintif larmoyant,
Mais ses larmes furent seichées,
Comme celles que l’aube espand,
Qui sechent tout soudain estant
Des rayons du soleil touchées.

La honte tous deux les tenoit,
L’un, lors qu’il se ressouvenoit
Du desdain de son adversaire,
L’autre n’osant pas descouvrir
Ce qu’elle ne pouvoit couvrir,
Et qu’elle ne vouloit pas taire.

Mais, Amour, lassé de les voir
Parmy ces craintes recevoir
Une douleur par trop cuisante,
Fit, comme un dieu plein d’équité,
Que l’amant de sa crainte osté
Vint le premier devers l’amante.


Puis (je ne sçay s’il recogneut
Que la nymphe pour luy ne fut
Comme elle estoit si dédaigneuse),
Luy dit : − princesse de mon cœur,
Pardonne à mon extresme ardeur,
Si ma plainte t’est ennuyeuse.

Si le feu qui me va bruslant
N’était en moi si violent,
Je pourrois, pour ne te desplaire,
Sans me plaindre souffrir mon mal :
Mais, rien ne lui estant esgal,
Sans mourir je ne puis me taire.

De toy seule dépend mon sort ;
Je vois et ma vie et ma mort
Peinte en tes yeux roys de mon âme.
Je vis, si chassant tes rigueurs.
Tu veux que je t’ayme ; et je meurs
Si tu tiens à mespris ma flame.

Si tu me dis que pour guérir
De l’amour qui me faict mourir,
Il ne te faut point voir, cruelle,
Fais donc que tes yeux n’ayent pas
Tous ces charmes et ces appas,
Qui te font trop aimable et belle.


La nymphe qu’Amour possédoit,
Quand ces plaintes elle entendoit,
Ne pouvoit, sans aucune feinte,
Cacher son amoureux tourment.
Aussi pourquoy plus longuement
Se fust-elle en cela contrainte ?

Il estoit temps de descouvrir,
Voire ses pensées lui ouvrir
Pour faire voir que son mérite
Avoit au profond de son cœur,
Du traict de son œil, son vainqueur,
La douce loy d’amour escrite.

Aussi luy dit-elle, en riant,
Et avec sa voix mariant
Ses regards, flambeaux de sa vie :
− berger, si je n’ay pas esté
Telle que tu as souhaitté,
Ne me crois pas ton ennemie.

Car, par une feinte rigueur,
Ayant à mespris ta langueur,
J’ay voulu de toy faire espreuve,
Estimant que par fiction
Ton âme eusse l’affection,
Que véritable ores je treuve.


Si tu m’aymes, je t’ayme aussi,
Ayant d’un semblable soucy
L’âme nuict et jour offencée :
Et rien n’allège mon esmoy,
Sinon quand mon cœur vole à toy
Sur les ailes de la pensée.

− ma belle, lui dit le berger,
Puis que tu daignes soulager
Mon triste, mais plaisant martyre,
Je te jure devant les cieux,
Qu’il n’est rien qui face (mon mieux)
Que de ta loy je me retire.

Je ne puis assez estimer
L’honneur que ce m’est de t’aimer
Et d’estre aimé de toy, ma belle :
Mais je puis bien asseurément
Te dire qu’éternellement
Philandre te sera fidelle.

− aussi, dit-elle, je croy bien,
Qu’au monde il ne peut estre rien
Qui de moy te puisse distraire :
Si tu considères tout-jour
Que ce n’est peu d’heur en amour
De prendre la loy et la faire.


Ayme-moy, et crois que toy seul
Es le seul object de mon œil
Et que je te suis plus acquise
Que je ne le suis pas à moy.
− aussi, dit-il, asseure-toy,
Que Philandre est tout à Florize.

Ce discours, suivy d’un baiser,
Qu’elle ne luy sceut refuser
Unit si doucement leur âme,
Que dèslors, ils ne furent qu’un,
Ne respirans qu’un air commun
Et à l’une et à l’autre flame.

Un temps s’écoula si heureux
Parmy leurs plaisirs amoureux,
Qu’à leurs vœux tout estoit propice.
Où que les portast leur désir,
Ils cueilloient les fruicts du plaisir
Que produit la royne d’érice.

Les antres estoient leurs palais
Où les plus mignards oiselets
Desgoisoient leurs plus doux ramages :
Pendant qu’enlassez de leurs bras
Ils mouroient et ne mouroient pas
Parmy les amoureux orages.


Mais le sort jaloux de les voir
Tant de doux plaisirs recevoir,
Aigrit la douceur de leurs flames
Car las ! Il ne peut longuement
Souffrir que le contentement
Face sa demeure en nos àmes.

Une fois qu’au combat d’amour
Ils estoient au mitan du jour,
Lassez d’un si long exercice,
L’un disoit d’une douce voix :
− viens, ô zéphir, bon-heur des bois,
Viens, et dedans mon sein te glice.

− viens tost alentir mes ardeurs,
(disoit l’autre) par tes froideurs.
Va par tout sans aucune crainte :
Tout t’est permis ô dieu mignard,
Tu es si frais et si gaillard,
De toy il me plaist d’estre estrainte.

Ce petit zéphire volant
Alloit dedans leur sein coulant,
Mais plus dans celui de Florize
Y remarquant mille beautez,
Qui pouvoient les divinitez
Rendre l’âme d’amour esprise.


A la fin, entrant et sortant,
Ayant de son œil inconstant
Toutes ces raretez foulées,
Il vit d’un beau jardin caché
Du nectar d’amour espanché
Les mottes doucement moüillées.

Soudain, touché de repentir
D’avoir consenty d’alentir
Les ardeurs de ceste bergère
Qu’il commençoit desja d’aymer,
Se laissa de dueil consumer
S’esloignant d’une aisle légère.

Mais paravant que de mourir,
Il essaya de se guérir
Par le remède de la plainte,
Si qu’il dit : − adieu, prez et bois
Que j’ay tant chéris autrefois,
Ayez l’âme de dueil attainte.

Je vous quitte, mais à regret ;
La rigueur d’un soucy secret
M’oste, et à vous, et à moy-mesme :
Mais cacheray-je en vous laissant
La douleur qui me va blessant ?
Non, je ne puis, elle est extrême.


Sçachez donc, vous bois, et vous prez,
Vous, antres, et ruisseaux, qu’aprez
Que la belle nymphe Florize
Dans les bras de son cher amant
Eust gousté le contentement
Que le plus dans le monde on prise,

Lassée d’avoir combattu,
Et veu son Philandre abattu
Vainqueur et vaincu rendre l’âme,
Elle me pria d’alentir
Le chaud qui lui faisoit sentir
Le soleil et la vive flame.

Je glisse dans son sein, où las !
Tout un moment je ne fus pas
Sans aimer ses rares merveilles ;
Je volette par tout son corps
Y descouvrant les beaux thrésors
De deux colines nompareilles.

Car Amour, de ses propres mains,
Entre deux beaux piliers germains
Les avoit doucement formées :
Là, mille délices voloient
Qui d’un ardent désir brusloient
Les âmes d’amour emflammées.


Une mousse d’or les couvroit,
A l’entre-deux se descouvroit
Le naturel esclat des roses
Et des œillets bien rougissans,
Lors qu’ils vont s’espanoüissans,
Quand l’aube a ses portes escloses.

Au mitan de cette rougeur,
Estoit la porte de l’honneur,
Et des delices de la vie :
Voire d’un jardin où les dieux
N’ayans plus de nectar aux cieux
Eussent trouvé de l’ambrosie.

Voyant toutes ces raretez,
Qui n’eust porté ses volontez
A désirer leur joüissance ?
Il est vray, je la désiray,
Mais soudain je me retiray
M’estant deceu en ma créance.

Car j’estimois ceste beauté
Digne d’une divinité
A moy par amour reservée ;
Mais voyant son esclave cœur
Sous le joug d’un berger vainqueur
Porter en luy sa loy gravée,


D’un cuisant regret affolé
Je suis bien loing d’elle volé,
Pour finir avecques ma vie
La douleur que j’eus quand je vis
Les plaisirs, par autre, ravis,
Pour qui seuls j’avois eu d’envie.

Mais si je meurs, ô prez et bois,
Souvenez-vous que mille fois
Je vous ay rendus agréables,
Et que mes frais soupirs ont faict
Que maint berger bien satisfaict,
Vous a jugez fort délectables.

Je vous ay esmaillés de fleurs
De mille diverses couleurs,
Et porté les bandes légères
Des oyseaux à vous fréquenter,
Et sous vos ombrages chanter,
Avec les nymphes bocagères.

Faites donc, après mon trespas
Que Florize ne sente pas,
La faveur d’un autre zéphire.
Je t’en prie, ô père du jour,
Et toy Vénus, et toy Amour,
Adieu donc, bois, je me retire !


Ainsi mourut ce petit dieu
L’honneur d’un solitaire lieu,
Et les délices d’un bocage ;
Puis, le soleil pour l’obliger,
Mesmes de sa mort se venger,
R’enflama son ardent visage.

Rayonneux de mille clartez,
Aux antres les plus escartez
Où il n’avoit porté sa veuë,
Il esclaira si ardamment
Qu’il rendit en un seul moment
La forest de frais dépourveuë.

Les oiseaux, en perdant leur voix,
Quittèrent le séjour des bois,
Et la nymphe en fut si touchée,
Qu’elle disoit : − zéphire, hélas !
Où es-tu allé ? Mon soulas,
Qui retient ton aisle attachée ?

Que ne viens-tu me secourir ?
Te plais-tu à me voir mourir.
Ha ! Volage, viens à mon aide,
Nul que toy, petit dieu des fleurs,
En ces violentes chaleurs,
Ne peut m’apporter du remède.


En vain elle le réclamoit,
Le soleil si fort l’enflamoit,
Que dès lors une fièvre ardente
La tourmenta si vivement,
Qu’en quatre jours la consumant,
Elle ne fut que my-vivante.

Ses yeux où un millier d’attraits,
De charmes, d’appas, et de traicts,
Et d’amorces inévitables,
Luisoient jadis si doucement,
S’ouvroient à demy seulement
Moüillez de larmes pitoyables.

Elle qui eut le teint vermeil,
Plus que celuy du blond soleil,
Devint si défaicte, et si pasle,
Qu’à la voir on eust estimé
Son corps, encore qu’animé,
Un corps qu’au tombeau on desvalle.

Le berger, voyant que le sort,
Donnant à sa nymphe la mort,
Rendoit toute sa gloire estainte,
Et jugeant en ce triste point
Les pleurs vaines, ne pleura point,
Mais fit à l’amour ceste plainte :


− Amour, recours des amoureux
Traversés du sort rigoureux,
Unique roy de ma pensée :
Ne vois-tu pas que ce soleil
Venant au point de son sommeil,
Ta gloire est partout effacée.

Que tardes-tu à secourir
Celle dont la mort fait mourir
Et mon espoir, et ta puissance ?
Si son œil meurt, qui te craindra
Et qui désormais te rendra
Ny de vœux, ny d’obeyssance ?

Quand tu as triomphé des dieux,
N’a-ce pas esté par ces yeux
Que le mal au trespas va rendre,
Et ces inévitables dards
N’estoient-ce pas les doux regards
De ces yeux qui sçavoient tout prendre ?

Lors, Amour, se resouvenant
Qu’onc ne s’en alla couronnant
D’une glorieuse victoire,
Que par ces yeux remplis d’appas,
En vint esloigner le trespas,
Afin de conserver sa gloire.


Peu à peu le mal s’en alla,
Et son teint se renouvella,
Comme en avril les belles prées
S’esmaillent de diverses fleurs,
Qui peignent de mille couleurs
Les bords des fontaines sacrées.

Son œil armé de maint esclair
Brilla plus luisant et plus clair
Que le soleil après l’orage,
Quand sa reluisante beauté
D’un clair rayon a surmonté
Le noir amas de maint nuage.