Traduction par Eudoxie Dupuis.
Ch. Delagrave (p. 43-46).


V


Le lendemain de ce jour, M. Havisam put reconnaître que, quoique Cédric prêtât à certains sujets plus d’attention sérieuse que n’en donnent habituellement les enfants, il ne cédait pas sa part aux autres quand il était question de jeu.

Comme son coupé tournait le coin de la rue, il aperçut un groupe de petits garçons fort excités. Deux d’entre eux s’étaient défiés à la course, et l’un des compétiteurs était précisément Sa Seigneurie, le petit lord Fautleroy. Cédric faisait à lui tout seul, par ses clameurs, plus de bruit que tous ses compagnons. Son camarade et lui, rangés sur la même ligne ; une jambe en avant, attendaient le signal du départ.

« Un ! glapit celui qui devait le donner ; deux ! trois ! En avant ! »

M. Havisam fit arrêter sa voiture et se pencha à la portière avec un singulier sentiment d’intérêt et de curiosité. Il ne se rappela pas avoir jamais vu de petites jambes chaussées de bas rouges s’agiter avec autant de vélocité que les petites jambes de Sa Seigneurie, pendant que, les poings fermés et les cheveux au vent, elles couraient sur la piste.

« Hourra ! hourra ! Errol ! criaient les autres garçons en dansant et en poussant des acclamations ; hourra ! Billy ! » car Billy, celui dont Cédric avait parlé à M. Havisam, au sujet de la marchande de pommes, était son rival dans cette occasion.

« Je crois vraiment qu’il va gagner la course, se dit l’homme de loi. » La manière dont les jambes rouges battaient le pavé, les cris des enfants, les efforts de Billy, dont les jambes brunes n’étaient pourtant pas à mépriser, avaient produit en lui un certain excitement.

« Je ne peux pas m’empêcher d’espérer qu’il va gagner, » ajouta-t-il.

À ce moment, les cris et les clameurs redoublèrent, ainsi que les danses et les sauts. D’un dernier élan, le futur comte de Dorincourt venait d’atteindre le candélabre de becs de gaz qui servait de but, juste deux secondes avant que Billy lui-même le touchât.

« Trois hourras pour Cédric ! s’écria la troupe bruyante ; trois hourras pour Cédric Errol ! »

M. Havisam sortit sa tête entièrement de la fenêtre du coupé, et avec un de ces sourires secs avec lesquels il tâchait d’éclaircir sa physionomie :

« Bravo ! lord Fautleroy ! » s’écria-t-il.

Et M. Havisam donna l’ordre au cocher de repartir.

Comme la voiture s’arrêtait devant la maison de Mme Errol, l’homme de loi vit venir, bras dessus, bras dessous, le vainqueur et le vaincu, suivis par la bande bruyante. Le teint de Cédric était très animé ; ses yeux brillaient encore plus que de coutume, et les boucles de ses cheveux se collaient sur son front humide.

« Je suis sûr que j’ai gagné parce que mes jambes sont un peu plus longues que les tiennes, disait-il à Billy, afin de lui rendre sa défaite moins amère ; oui, ce doit être à cause de cela, car tu cours aussi bien que moi. Je suis plus vieux que toi d’abord : j’ai trois jours de plus ; cela me donne un avantage. C’est quelque chose, trois jours ! »

« Hourra ! Errol ! »
« Hourra ! Errol ! »

Cédric avait une manière à lui, et qui lui était inspirée par son cœur, de mettre les gens à leur aise. Même dans la première joie du triomphe, il se disait que le battu pouvait n’être pas aussi satisfait que lui et aimerait à penser qu’il pourrait être gagnant à son tour. Il réussit si bien à consoler Billy de sa défaite, qu’un sourire se montra bientôt sur la figure de celui-ci, qui d’abord avait paru très vexé d’avoir été vaincu, et qu’il ne tarda pas à recommencer ses fanfaronnades, comme c’était assez son habitude, et comme si c’était lui qui venait de remporter la victoire.