Le Parnasse contemporain/1876/La Révolte
La campagne était fraîche et tout ensoleillée ;
Le souffle du matin passait les blés verts,
Et je marchais dans l’herbe odorante et mouillée
En récitant des vers.
J’étais gai, bien portant, et libre au fond de l’âme ;
J’avais enfin dompté mon douloureux amour,
Et nul amer regret, nul souvenir de femme
Ne troublait ce beau jour.
J’ouvrais à pleins poumons ma poitrine profonde
Aux vents qui se roulaient sur les arbres en fleur,
Et je sentais aussi la jeunesse du monde
Refleurir dans mon cœur.
O toi qui veux, touchant à la terre qui crée,
Reprendre un peu de force avant les durs combats
Et boire un coup de vin à la coupe sacrée,
N’aime pas ! — N’aime pas !
Brise ta chaîne, esclave, et, seul, avec courage,
Sans attendrissements, sans remords et sans fiel,
Viens courir dans les prés comme un cheval sauvage
Sous la beauté du ciel.