Le Parnasse contemporain/1869/Le Volubilis

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]II. 1869-1871 (p. 102-103).


LE VOLUBILIS


Toi qui m’entends parler sans frayeur de la mort,
Parce que ton amour te promet qu’elle endort,
Et que le court sommeil commencé dans son ombre
S’achève au clair pays des étoiles sans nombre,
Reçois mon dernier vœu pour le jour où j’irai
Tenter seul, avant toi, si ton amour dit vrai.

Ne cultive au-dessus de mes paupières closes
Ni de grands dahlias, ni d’orgueilleuses roses,
Ni de rigides lys : ces fleurs montent trop haut ;
Ce ne sont pas des fleurs si fières qu’il me faut,
Car je ne sentirais de ces roides voisines
Que le tâtonnement funèbre des racines.

Au lieu des dahlias, des roses & des lys,
Transplante près de moi le gai volubilis
Qui, familier, grimpant le long du vert treillage

Pour denteler l’azur où ton âme voyage,
Forme de ta beauté le cadre habituel,
Et fait de ta fenêtre un jardin dans le ciel.

Voilà le compagnon que je veux à ma cendre :
Flexible, il saura bien jusque vers moi descendre.
Quand tu l’auras baisé, chérie, en me nommant,
Par quelque étroite fente il viendra doucement,
Messager de ton cœur, dans ma suprême couche,
Fleurir de ton espoir le néant de ma bouche.