Le Parnasse contemporain/1869/Les Transtévérines

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]II. 1869-1871 (p. 103-104).


LES TRANSTÉVÉRINES


Le dimanche, au Borgo, les femmes & les filles,
Lasses d’avoir, six jours, traîné sous des guenilles,
Étalent bravement un linge radieux ;
Ce n’est plus le costume éclatant des aïeux :
Quand le peuple vieillit, l’habit se décolore.
Pourtant le rouge vif les réjouit encore :
Elles font resplendir sur le brun de leur peau
Des fichus qu’on dirait taillés dans un drapeau.
Les bras ronds & charnus sortent des grosses manches ;
Le jupon suit tout droit la carrure des hanches ;
Le contour d’un sein riche & un dos bien arqué
S’accuse avec ampleur, par de beaux plis marqué ;

D’un corset rude, ouvert d’une large échancrure,
Le cou ferme se dresse, & pour fière parure
Une flèche d’argent traverse les cheveux
Lourds & lisses, d’un noir intense aux reflets bleus.
Un long clinquant de cuivre étincelle à l’oreille,
Et la voûte de l’œil, pleine d’ombre, est pareille
À ces vallons brumeux où miroite un lac noir.
Et ces fortes beautés sont splendides à voir
Quand toutes, au soleil, le long des grandes pentes,
Par groupes se croisant, vont superbes & lentes.

Rome, décembre 1866.