Le Parnasse contemporain/1866/Prière védique pour les morts

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]I. 1866 (p. 29-31).

PRIÈRE VÉDIQUE POUR LES MORTS

Berger du monde, clos les paupières funèbres
Des deux chiens d’Yama qui hantent les ténèbres.

Va, pars ! Suis le chemin antique des aïeux.
Ouvre sa tombe heureuse et qu’il s’endorme en elle,
Ô terre du repos, douce aux hommes pieux !
Revêts-le de silence, ô terre maternelle,
Et mets le long baiser de l’ombre sur ses yeux.

Que le Berger divin chasse les chiens robustes
Qui rôdent en hurlant sur la piste des justes.


Ne brûle point celui qui vécut sans remords.
Comme font l’oiseau noir, la fourmi, le reptile,
Ne le déchire point, ô Roi, ni ne le mords !
Mais plutôt, de ta gloire éclatante et subtile
Pénètre-le, Dieu clair ! libérateur des morts !

Berger du monde, apaise autour de lui les râles
Que poussent les gardiens du seuil, les deux chiens pâles.

Voici l’heure. Ton souffle au vent, ton œil au feu !
O Libation sainte, arrose sa poussière :
Qu’elle s’unisse à tout dans le temps et le lieu.
Toi, Portion vivante, en un corps de lumière,
Remonte et prends la forme immortelle d’un Dieu !

Que le Berger divin comprime les mâchoires
Et détourne le flair des chiens expiatoires.

Le beurre frais, le pur Çôma, l’excellent miel,
Coulent pour les héros, les poëtes, les sages.
Ils sont assis, parfaits, en un rêve éternel.
Va, pars ! Allume enfin ta face à leurs visages,
Et siége comme eux tous dans la splendeur du ciel !

Berger du monde, aveugle avec tes mains brûlantes
Des deux chiens d’Yama les prunelles sanglantes.

Tes deux chiens qui jamais n’ont connu le sommeil,
Dont les larges naseaux suivent le pied des races,
Puissent-ils, Yama ! jusqu’au dernier réveil,
Dans la vallée et sur les monts perdant nos traces,
Nous laisser voir longtemps la beauté du soleil !

Que le Berger divin écarte de leurs proies
Les chiens blêmes errant à l’angle des deux voies.


À toi qui des hauteurs roules dans les vallons,
Qui fécondes la mer dorée où tu pénètres,
Qui sais les deux chemins mystérieux et longs,
Salut, Puçhan, Agni, Çavitri ! Roi des êtres !
Cavalier flamboyant sur les sept étalons !

Berger du monde, accours ! Éblouis de tes flammes
Les deux chiens d’Yama, dévorateurs des âmes.