Le Parnasse contemporain/1866/Le Cœur de Hialmar

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]I. 1866 (p. 25-27).


LE CŒUR DE HIALMAR


Une nuit claire, un vent glacé. La neige est rouge.
Mille braves sont là qui dorment sans tombeau,
L’épée au poing, les yeux hagards. Pas un ne bouge.
Au-dessus tourne et crie un vol de noirs corbeaux.


La lune froide verse au loin sa pâle flamme.
Hialmar se soulève entre les morts sanglants,
Appuyé des deux mains au tronçon de sa lame.
La pourpre du combat ruisselle de ses flancs.

— Holà ! Quelqu’un a-t-il encore un peu d’haleine,
Parmi tant de joyeux et robustes garçons
Qui, ce matin, riaient et chantaient à voix pleine
Comme des merles dans l’épaisseur des buissons ?

Tous sont muets. Mon casque est rompu, mon armure
Est trouée, et la hache a fait sauter ses clous.
Mes yeux saignent. J’entends un immense murmure
Pareil aux hurlements de la mer ou des loups.

Viens par ici, corbeau, mon brave mangeur d’hommes ;
Ouvre-moi la poitrine avec ton bec de fer.
Tu nous retrouveras demain tels que nous sommes.
Porte mon cœur tout chaud à la fille d’Ylmer.

Dans Upsal, où les Jarls boivent la bonne bière,
Et chantent, en heurtant les cruches d’or, en chœur,
A tire d’aile vole, ô rôdeur de bruyère !
Cherche ma fiancée et porte-lui mon cœur.

Au sommet de la tour que hantent les corneilles
Tu la verras debout, blanche, aux longs cheveux noirs.
Deux anneaux d’argent fin lui pendent aux oreilles,
Et ses yeux sont plus clairs que l’astre des beaux soirs.

Va, sombre messager, dis-lui bien que je l’aime,
Et que voici mon cœur. Elle reconnaîtra
Qu’il est rouge et solide et non tremblant et blême,
Et la fille d’Ylmer, corbeau, te sourira !


Moi, je meurs. Mon esprit coule par vingt blessures.
J’ai fait mon temps. Buvez, ô loups, mon sang vermeil.
Jeune, brave, riant, libre et sans flétrissures,
Je vais m’asseoir parmi les Dieux, dans le soleil !