Ollendorff (p. 97-108).

VIII


Gabriel, en allant attendre dix heures dans les jardins, tomba sur M. de Chandoyseau qui faisait l’éloge de sa femme au révérend Lovely.

Rien ne pouvait être à la fois plus comique et plus pitoyable. Le pauvre clergyman était venu là sans doute dans le but d’éteindre par des cent pas multipliés, les secrètes ardeurs qu’il attribuait au climat et au lieu, et qui lui venaient évidemment des agaceries malignes et savantes dont l’abreuvait la Parisienne. Que de fois l’avait-on vu marcher sur ce gravier craquelant, le chapeau à la main, les tempes humides de sueur, les yeux un peu égarés et comme honteux quand un regard étranger les rencontrait, enfin marmottant du bout des lèvres les arides versets sacrés qui contenaient son remède et son salut ! C’était à croire que le « Malin », selon son expression, était vraiment de la partie, puisque le malheureux, dans la fuite héroïque de la tentation, était rejoint précisément par le seul être au monde qui fût capable d’aviver sa plaie en lui parlant avec complaisance de Mme de Chandoyseau : M. de Chandoyseau.

Cet admirable mari n’y voyait point malice, et il était à cent lieues de penser que chacune de ses paroles tombait en l’esprit de son compagnon de promenade, comme les gouttelettes de la plus inflammable essence sur un brasier ardent. Il ne connaissait au monde que sa femme. Totalement étourdi par l’agitation perpétuelle qu’elle entretenait autour de lui ; l’esprit anéanti par son incessant babillage qu’il n’appréciait et n’entendait même plus ; toute initiative paralysée d’avance par les mille volontés de cette tête de linotte ; il avait l’illusion qu’elle couvrait et éclipsait l’univers. Ayant donc rencontré le révérend Lovely, il lui confiait, avec une grande bonhomie, le seul souci qu’il eût, et qui se trouvait être par un hasard ni plus ni moins extraordinaire que les autres hasards, justement le seul souci du révérend Lovely.

La simplicité naturelle du clergyman le préservant d’imaginer que Dompierre avait pu pénétrer le fond troublé de son âme, la présence du jeune homme ne causa pas d’embarras nouveau dans le colloque, et il fut même le plus gêné des trois, par l’incertitude où il était de devoir renchérir sur l’apologie de Mme de Chandoyseau, ou bien tenter de faire dévier la conversation. Quelle était la détermination la plus généreuse à prendre ? il l’ignorait. Le révérend en était-il actuellement à la période de lutte cuisante où le pécheur se débat contre la tentation ; ou bien touchait-il une de ces phases d’accalmie légère que Dieu accorde par une bienveillance excessive, où l’horrible du péché disparaît et où l’on en savoure, une seconde d’ivresse ou d’hébétude, l’apparence enchanteresse ? Peut-être d’entendre parler de la séduisante Herminie lui était-il doux ? Peut-être puisait-il une sécurité trompeuse à écouter ces éloges prononcés par un organe légitime, ce qui lui semblait une garantie de l’impossibilité d’accomplir le péché ; car évidemment cette femme tant admirée de son mari lui rendait estime et amour, et ne distribuait au dehors, — fût-ce aux plus tendres privilégiés — que le trop plein d’une exubérante bonté.

Le révérend Lovely écoutait attentivement son complaisant interlocuteur. Gabriel prit le parti d’en faire autant. Jamais le soupçon ne vint à l’idée de M. de Chandoyseau que le sujet qu’il traitait pût ne leur offrir qu’un intérêt médiocre. Il ne tarissait pas.

Dompierre, en veine de méchanceté, crut devoir souligner son dire, de-ci de-là, par de légers signes d’acquiescement. Il poussait de temps à autre un petit bougonnement favorable. Il vit que le révérend lui en savait gré. Il insista, il parla même. Ce fut au tour du révérend d’adopter ses signes d’acquiescement et son bougonnement favorable. Le clergyman s’entraînait, s’échauffait, s’enhardissait. Bientôt il n’y tint plus et parla. M. de Chandoyseau, étonné, soudain se tut et se contenta d’écouter.

Ce fut une scène de passion bien touchante. Ce pauvre révérend se lança tout d’abord dans des généralités à perte de vue. Il citait d’innombrables versets, et parlait de la Femme dont il esquissa le rôle sublime et l’importance sociale ; puis la Pécheresse l’absorba et il rappela de célèbres paroles d’indulgence ; enfin il ne se posséda plus, et chaque expression issue de ses lèvres avait trait, à ne pas s’y méprendre, à Mme de Chandoyseau. Il prononça son nom. Il vanta principalement son éloquence qu’il considérait comme un don divin ; en second lieu, son intelligence qui était évidemment supérieure par son agilité et la grande foule d’objets qu’elle embrassait sans aucune difficulté ni lassitude ; enfin sa grâce persuasive et insinuante, comparable à un parfum près duquel on ne peut point passer sans en être pénétré agréablement.

Comme il se sentait emporté sur une pente irrésistible, il crut se modérer en ajoutant qu’il fallait se demander si l’excès dans la perfection ne contenait pas quelque chose de redoutable.

— Je le crois, en effet, dit M. de Chandoyseau, qui eût préféré, quant à lui, que sa femme eût « l’intelligence » moins vive et moins éparse, et lui laissât un peu de repos.

— N’est-ce pas, monsieur ? reprit avec feu le clergyman interprétant la réflexion de M. de Chandoyseau dans son sens à lui, et s’imaginant que le pauvre mari pliait parfois sous le fardeau d’une trop tyrannique passion.

M. de Chandoyseau, qui n’entendait point subtilité, ne contredisait pas, et continuait à son tour, en petits ronronnements inarticulés, le rôle d’approbateur que ses deux partenaires avaient tenu successivement.

Le révérend Lovely s’attendrit ; la compassion afflua à son cœur excellent et troublé. Il prit la main de M. de Chandoyseau et la serra. Dans ce moment-là, il se tut. C’était alors, assurément, que le besoin de confesser sa flamme se faisait sentir le plus impérieusement ; et le pauvre martyr se clouait la bouche pour ne pas avouer au mari d’Herminie qu’une même flèche fatale les avait frappés l’un et l’autre et qu’ils pouvaient marcher la main dans la main, portant aux épaules le poids douloureux et cher d’une précieuse croix. Les larmes lui mouillèrent la voix quand il la recouvra. M. de Chandoyseau ne comprenait pas un traître mot à la scène ; il se pencha du côté de Dompierre :

— Dites donc ! fit-il, mais qu’est-ce qu’il a, notre pasteur ?

— Il est trop bon ; c’est une espèce de saint homme, quoique protestant !…

— Ah ! ça ! reprit-il, en élevant la voix, si nous fumions un cigare ?…

— Volontiers ! lança une voix qui leur fit à tous tourner la tête du côté du lac ; et ils reconnurent tout près d’eux Dante-Léonard-William Lee, qui revenait encore en barque d’une de ses expéditions mystérieuses.

— Ah ! dit M. de Chandoyseau, voilà notre poète !

Il prononçait ce mot « poète » en mêlant, dans l’intonation, tout l’enthousiasme artificiel qu’il empruntait par condescendance au culte de sa femme pour les arts, et la secrète opposition de sa nature d’Angevin positif, contre ce qu’il eût nommé volontiers, s’il eût osé, des balivernes.

Le révérend Lovely jugeait qu’il était superflu d’écrire, attendu que la rédaction des livres saints était arrêtée. Le terme de poète lui rappelait la lyre de David et les images des prophètes, et hors de là ne lui inspirait que de la pitié.

Quant à Dompierre, personne ne croyait à la sincérité de son amitié pour le poète, attendu que sa profession, à lui, consistait dans l’étude de la statistique.

Dante-Léonard-William mit pied à terre, tandis que son batelier muet s’éloignait sur l’eau sombre, à grands coups d’avirons. Il était d’humeur alerte, ce soir ; il prit le cigare que M. de Chandoyseau lui offrait et s’excusa d’interrompre la conversation.

— Mon Dieu ! dit le révérend Lovely, nous parlions de mad…

— La femme, interrompit aussitôt Dante-Léonard-William qui suivait certainement le cours de ses pensées, et ne se donnait pas la peine de le dévier, la femme n’est qu’illusion.

M. de Chandoyseau, accoutumé aux paradoxes, eut un sourire de complaisance.

— Qu’illusion ! interjeta le clergyman ; mais, monsieur, vous oubliez que la femme est mentionnée formellement dans l’Écriture…

— La femme n’est qu’illusion ! poursuivit le poète anglais. J’entends la femme en tant que puissance séductrice. Car elle n’est en réalité ni aimable ni belle ; elle est bornée dans son esprit, et, à plusieurs titres, disgracieuse en sa chair. Je m’abstiens d’insister sur les imperfections de son corps, qui n’ont d’égale que l’outrecuidante présomption de beauté qu’elle en tire. À force de voiler ses prétendus charmes, on lui a persuadé et on nous a persuadé qu’elle en a. Les anciens, plus familiers que nous avec l’aspect du corps féminin, lui donnaient rarement la préférence. Le christianisme, pour éviter de pareilles déviations dans les choix, a fait de la femme un « porte-parure » en la couvrant à outrance de tissus et d’ornements propres jadis à attirer l’attention du menu peuple sur les idoles. Peut-être ne fut-ce pas assez, car c’est de peur qu’on ne se détournât d’elle qu’il incarna en elle le péché. Ruse sublime ! ornement incomparable ! et la plus merveilleuse trouvaille psychologique issue de la cervelle humaine ! Brillante et dangereuse, la femme devenait un excitant des plus nobles facultés de l’homme : la bravoure et le goût du beau. Les verroteries nous fascinent ; le péril nous exalte ; et le culte moderne de la femme est fait de cette double exploitation de notre crédulité.

— Mais, monsieur, s’écria le révérend Lovely en se bouchant les oreilles, vous n’avez donc pas reçu le baptême, ni ouvert l’Écriture ? Il y est dit…

— Je trouve notre poète très amusant, dit M. de Chandoyseau ; je regrette seulement que ma femme ne soit pas là, car elle apprécie beaucoup la philosophie de monsieur.

— Ne le regrettez pas, fit Dompierre, car devant Madame de Chandoyseau, Lee ne saurait nous dire la forte déconvenue qu’il a certainement éprouvée ce soir dans quelque aventure galante ;… et il va nous la dire. Entre nous, voyons ! mon cher Lee…

Le poète ne les écoutait plus, et, jugeant avoir fait assez pour la politesse qu’il devait à M. de Chandoyseau en échange de son cigare, en le gratifiant de ce petit discours, il s’éloignait à longs pas, sans seulement souhaiter le bonsoir.

Son brusque passage au milieu de ces messieurs, et le retentissement de son étrange diatribe contre la femme leur laissait un malaise qui, toutefois, les avait sauvés de celui où les eût plongés l’épanchement du clergyman amoureux.

— C’est un homme bien original, dit M. de Chandoyseau, c’est un blasé !

— Tout au contraire, fit l’ami de l’Anglais, je ne serais pas étonné qu’il fût vierge…

— Est-ce possible ? s’écria le révérend Lovely.

— J’en ai connu bien d’autres ! mais ce qui me porte à supposer que celui-ci l’est, c’est que je connais de lui des poèmes contenant, à l’égard de la femme, une passion si extraordinaire, si farouche, si éperdue, que je ne crois aucun homme ayant touché la femme, capable d’atteindre un tel délire…

— Je ne vous comprends pas bien, fit M. de Chandoyseau.

— C’est, en second lieu, que je ne vis jamais personne ayant en vue une femme déterminée, s’élever contre elle avec une plus criante injustice, un plus amer dégoût. À qui pensait-il il n’y a qu’un instant ? Je n’en sais rien ; mais je puis vous affirmer qu’il avait en vue une ou plusieurs personnes dont il distinguait mentalement, mais très nettement, tel ou tel détail très réel avec lequel, grâce à l’habitude, un amant se familiarise et s’exalte aveuglément, tandis que le vierge répugne à sa seule représentation.

— L’Écriture Sainte, dit le révérend Lovely…

— Il est temps d’aller nous coucher, fit brusquement M. de Chandoyseau, en approchant la lueur de son cigare du cadran de son chronomètre.

— En effet, dix heures vont sonner dans quelques minutes ; bonne nuit, messieurs.

Gabriel remonta doucement du côté des annexes de l’hôtel, où le menu bruit d’un jet d’eau l’attirait presque chaque soir à l’heure de ses rendez-vous avec Mme Belvidera. Le bassin se trouvait garanti par l’ombre épaisse des arbres verts et par le mur nu d’une petite chapelle où se célébraient, les dimanches, les offices du culte anglican. Un banc de bois demi-circulaire était placé au pied des arbres ; aucun regard indiscret ne pouvait plonger en cet endroit ; et la brise de nuit dans le feuillage, unie au murmure de l’eau, suffisait à couvrir leurs voix. Quand tout était assoupi, ils allaient plus loin, vers une tonnelle d’été plus meublée et mieux close ; parfois ils voulaient se figurer que le jardin était à eux et ils passaient une partie de la nuit à en parcourir les allées, à humer les fleurs, les herbes et la terre endormie. Un vieux tronc d’olivier, dans un endroit désert, était assez grotesquement aménagé pour qu’on pût monter jusqu’au cœur de ses branches noueuses, par un escalier tournant ; et l’on trouvait en haut une plate-forme, avec une table et des chaises. De là, la vue s’étendait au loin ; et quand leurs nuits heureuses se prolongeaient jusqu’au petit jour, ils montaient dans le vieil olivier pour voir blanchir le lac au milieu des montagnes.

Il attendit un temps toujours trop long, au pied des arbres verts ; il voulait s’efforcer de la voir arriver de loin au travers du feuillage touffu, et, dans l’ombre, gauchement, il s’appliquait le visage contre les mille épingles noires des basses branches, et exécutait un vif mouvement de retrait, avec une grimace, en riant de sa sottise. Cependant il entendit son pas sur les feuilles que l’automne déjà répandait en abondance, et presque aussitôt elle fut près de lui.

Elle était tout en blanc ; la masse de ses cheveux et ses yeux seuls, se confondaient avec la nuit ; mais sa silhouette pleine et légère, prenait sur le fond d’ombre, la vie et l’intensité particulières que donne le trait, le contours précis. Sa forme enivrante se livrait par l’effet d’un hasard. Il ne put s’empêcher de pousser une espèce de cri animal. Elle le gronda de son incorrigible brutalité du premier moment.

— Ah ! lui dit-il, tu ne comprendras jamais ce que c’est que de te voir, de te voir venir ! Tu ne sais pas comment tu es faite ni ce que contient la sinuosité de ta taille…

— Combien de fois tu t’es piqué ce soir contre les petites pointes ?

— Une fois seulement.

— Ce n’est pas assez, il faut trois fois au moins ; comme ça tu ne me verras plus si bien quand j’arriverai ; tu ne me verras que petit à petit ; ce sera plus doux et meilleur. Je saurai bien me mettre en retard !

— Tu ne sauras pas !

— Ça ne m’est jamais arrivé ?

— Jamais.

— Alors, c’est que je t’aime trop : ça ne peut pas durer.

— Tais-toi, ma chérie, tais-toi !

Sa taille se ployait sur le bras du jeune homme. Cette ampleur, cette souplesse et ce poids adoré l’étonnaient toujours en lui causant un si grand ravissement. Elle lui entoura le cou de ses beaux bras élevés dont les manches lâches retombaient jusqu’à l’épaule, et l’imperceptible et soyeux duvet de sa peau de brune se laissait lustrer par ses lèvres, comme le dos onduleux d’une chatte sous la main. Elle embaumait alors jusqu’à causer une soudaine et complète ivresse. Il la suppliait de ne pas lui donner sa bouche :

— Ce serait trop ! non ! ce serait trop !…

Elle se faisait un jeu de la lui imposer.

Quand il eut la force de relever la tête, il lui parla d’un projet qu’il caressait depuis plusieurs jours, et qu’il voulait mettre à exécution dès le lendemain.

— Ne parlons pas de demain ! dit-elle.

— Pourquoi ? pourquoi ?

— Je ne sais pas. Mais, toi-même, généralement, tu n’aimes pas à parler de l’avenir.

— Mais demain ce n’est pas l’avenir ; demain, c’est là, tout près, nous y touchons ! Voyons, est-ce que nous ne disons pas tous les jours à « demain », est-ce que nous ne combinons pas nos promenades pour le lendemain ? Eh bien ? Qu’est-ce que ça signifie ? Qu’est-ce qui te prend ? Qu’as-tu ?… Tu as reçu… il y a… des nouvelles ?

— …Non, mais non, il n’y a rien ; je t’assure.

— Si ! tu as reçu une lettre ce soir ; j’ai vu le portier te la remettre.

— Oui, c’est vrai, mais je te jure, mon mio, il n’y a rien, non, rien de… menaçant, d’imminent ?… Comment dire ? Non, non, il n’y a rien. Je ne sais en vérité pas pourquoi je t’ai dit de ne pas parler de demain.

Il était tombé sur le banc ; il lui semblait que tout à coup son sang s’écoulât, ou que son cœur se fût arrêté. Il se sentait frappé subitement du plus grand malheur qui le pût atteindre ; il comprenait d’un coup la violence de la passion qu’il éprouvait, la nécessité absolue de cette passion pour lui, le choc épouvantable, irrémédiable, au cas où ce lien si jeune encore, mais si vigoureux, viendrait à être brisé. Et il ne se pardonnait pas de n’avoir pas prévu que ce malheur pouvait arriver d’un moment à l’autre, devait arriver, inévitablement. Non, il était si fou qu’il n’y avait pas pensé.

— Votre mari arrive ? dites, dites-moi que votre mari arrive !

Elle eut un moment d’hésitation à répondre, qu’il attribua à la difficulté qu’elle avait peut-être à mentir, mais qui pouvait provenir chez elle de la légère stupeur provoquée par ces mots : « Votre mari » que son amant n’avait jamais prononcés. Puis elle vint à lui avec toute sa tendresse accoutumée :

— Mais non ! mio, puisque je t’affirme que non ! puisque je t’affirme qu’il n’y a rien de nouveau, rien.

— Tu me le jures ?

— Je te le jure !

— Sur quoi ?

— Bête, va !

— Sur quoi ? sur quoi ?

— Sur ce que tu voudras…

— Sur…

— Sur ?

— Sur la tête de ta fille !

— Sur la tête de ma fille ? dit-elle en élevant la main.

Puis ses larmes jaillirent tout à coup à flots, et elle laissa tomber sa tête sur l’épaule de Gabriel. Il la dévorait de baisers, dans une ardeur affolée, dans une joie de brute d’être délivré de la crainte de la perdre dès demain. Elle lui dit en pleurant qu’il était cruel. Il fallait qu’il fût plus que cruel, mais tout près de toucher à l’ignominie pour oser réclamer de cette malheureuse, à propos de lui, un serment sur la tête de sa fille qu’elle adorait, et qui était entre elle et son amour coupable, comme un perpétuel trouble, peut-être comme un vivant remords.

Il la supplia de lui pardonner ; il lui mordait la chair, les lèvres et les cheveux :

— Je t’aime ! vois-tu ! je t’aime ! comme un animal sauvage !

Elle essuya ses yeux, et se penchant doucement vers lui :

— Et ce projet pour demain ?… dit-elle.