Le Pèlerinage du chrétien à la cité céleste/4


CHAPITRE IV.


Chrétien arrive à la porte étroite, invoquant en sa faveur les promesses de l’Évangile ; il frappe et est reçu avec bienveillance.

Au bout de quelque temps, Chrétien arriva à la porte, sur laquelle on lisait cette inscription : « Heurtez et on vous ouvrira »[1]. Il heurta donc à plusieurs reprises, se disant à lui-même : Ah ! si celui qui peut ouvrir cette porte veut m’admettre en ces lieux malgré mes fautes et mes égarements, je ne cesserai jamais de glorifier son nom et de chanter ses louanges.

À la fin, un homme vénérable, nommé Bienveillant, vint à la porte et dit : Qui est là ? D’où venez-vous ? et que voulez-vous ?

Chrétien. Je suis un pauvre pécheur travaillé et chargé, qui viens de la ville de Perdition et qui vais à la montagne de Sion, pour me mettre à l’abri de la colère à venir. Je vous conjure donc de vouloir bien m’ouvrir cette porte, car on m’a assuré que c’est ici le seul chemin qui puisse conduire au lieu de ma destination.

De tout mon cœur, répondit Bienveillant, en ouvrant la porte. — Mais au moment où Chrétien se disposait à entrer, Bienveillant le tira par le bras avec force. — Chrétien lui demanda ce que cela signifiait.

Bienveillant. A une petite distance de cette porte est un château-fort, dont Belzébut est le maître ; et du haut duquel ses satellites et lui-même décochent des traits enflammés contre ceux qui passent par ici, dans l’espoir de les tuer avant qu’ils aient atteint la porte.

Je frémis à l’idée de ce danger, dit Chrétien, tout en me réjouissant d’y avoir échappé.

Après qu’il fut, entré, le portier lui demanda qui lui avait indiqué le chemin.

Chrétien. C’est Évangéliste qui m’a dit de venir ici et de frapper à cette porte. Il a ajouté que vous me diriez ce que j’aurais à faire ensuite.

Bienveillant. Nul ne peut fermer la porte que vous voyez ouverte. devant vous[2].

Chrétien. C’est donc maintenant que je vais commencer à recueillir le fruit de mes peines.

Bienveillant. Mais comment se fait-il que vous arriviez tout seul ?

Chrétien. C’est qu’aucun de mes voisins n’a cru comme moi au danger qui nous menaçait.

Bienveillant. En est-il parmi eux qui aient su que vous veniez ici ?

Chrétien. Oui, ma femme et mes enfants m’ont vu partir et m’ont crié de revenir sur mes pas. Et, là-dessus, Chrétien raconta à Bienveillant tout ce qui lui était arrivé ; comment ses voisins l’avaient poursuivi ; la rencontre qu’il avait faite de Sage-Mondain, la frayeur qu’il avait eue au mont Sinaï, et la manière dont Évangéliste était venu à son aide. Maintenant, ajouta-t-il, me voici arrivé > par la bonté de Dieu. Mais, hélas ! j’aurais bien plutôt mérité d’être écrasé sous cette montagne, que d’avoir le bonheur de m’entretenir avec vous. Quelle insigne faveur pour moi, d’avoir été admis ici !

Bienveillant. Nous ne mettons aucune différence entre les hommes ; quelque méchants qu’ils aient été, quelques crimes qu’ils aient commis, ils ne sont jamais rejetés quand ils se présentent ici[3] ; venez donc avec moi, mon cher Chrétien, et je vous montrerai le chemin que vous devez suivre. Vous voyez devant vous cet étroit sentier ; il a été frayé par les patriarches, par les prophètes, par Jésus-Christ et par ses apôtres ; et il est aussi droit que s’il eût été tiré au cordeau : voilà votre route.

Chrétien. Mais n’y a-t-il pas des chemins de traverse dans lesquels il est possible de s’égarer ?

Bienveillant. Oui vraiment, il y en a un grand nombre, mais ils sont larges et tortus ; c’est à cela même que vous pouvez distinguer le bon chemin des mauvais ; car le premier seul est étroit et en ligne directe. — Chrétien demanda ensuite au portier s’il ne pouvait pas le délivrer du fardeau dont tous ses efforts n’avaient encore pu le débarrasser.

Quant à votre fardeau, répondit Bienveillant, portez-le avec courage, jusqu’à ce que vous soyez arrivé au lieu de la délivrance ; car alors il tombera de lui-même.

Chrétien se ceignit les reins et se disposa à continuer son voyage. Il prit congé de Bienveillant qui l’avertit qu’après avoir marché quelque temps, il arriverait à la maison d’un nommé l’Interprète, qui lui ferait voir des choses merveilleuses. Là-dessus, il lui souhaita un bon voyage, et ils se séparèrent.

  1. Mat. VII, 7, 8.
  2. Apoc. III, 7.
  3. Jean VI, 37.