Le Mouvement libertaire sous la IIIe République/XXIV

Les œuvres représentatives (p. 290-299).

XXIV

LA VIE FINANCIÈRE
D’UN JOURNAL RÉVOLUTIONNAIRE


« Le Révolté » ! « Les Temps Nouveaux » ! « Peuh ! Ils étaient en mendicité perpétuelle » ! Telle est l’appréciation courante dont quelques « bons amis » ont tenté, plus tard, de me faire un grief. Critique que, pendant longtemps, j’ai cru presque vraie, ne me rappelant que les crises traversées, les appels de fonds, les exposés de la situation insérés.

Mais, en relisant la collection du journal, j’ai pu constater que si les difficultés pécuniaires furent constantes et si, au gré des lecteurs, je les en entretenais trop, ces appels de fonds s’adressaient, surtout, aux dépositaires qui se faisaient par trop tirer l’oreille.

Si c’est faire de la mendicité que de dire aux dépositaires, aux abonnés en retard que leur négligence était cause de l’irrégularité de la publication, soit. Je ne chicanerai pas sur le mot : le journal a vécu de mendicité.

Mais ce fut une maladie commune aux journaux de propagande révolutionnaire, car en lisant d’autres feuilles de propagande — même les peuples étrangers — à part quelques exceptions, j’ai pu constater que nous n’étions pas les seuls à avoir multiplié les appels de fonds.

Si, de temps à autres, je glissais un mot à l’adresse de ceux qui nous affirmaient approuver la ligne de conduite du journal, partager nos façons de voir, et leur demandais de nous prouver leur sympathie autrement que par des mots, je suis tellement obtus que, même encore, je crois cette mendicité justifiée.

Si notre journal, sous divers noms, ne fut contrôlé que par un très petit nombre, le but de ce petit groupe fut de faire œuvre collective de propagande aussi large que possible, acceptant toutes les bonnes volontés qui venaient franchement, excluant toute idée de chapelle ou de coterie.

Y avons-nous réussi ? À ceux qui suivirent notre propagande, à ceux qui se donneront la peine de relire les 33 années qui, sous trois titres différents, représentent le même journal, je laisse le soin de répondre.

Que ces exposés aient manqué de « décorum », c’est possible. Mais, faisant œuvre de propagande, j’ai toujours considéré que ceux qui approuvaient cette propagande, qui la trouvaient bonne, devaient la soutenir. Ce qui manque de décorum, ce n’est pas de faire appel à ces concours, mais d’être forcé de rappeler à ceux qui se réclament de certaines idées, que toute foi qui n’agit pas ne vaut pas grand chose.

En tous cas, ces appels furent toujours impersonnels. Adressés seulement à ceux qui approuvaient notre ligne de conduite, je n’ai jamais importuné personne, sauf ceux qui m’y avaient autorisé, soit en promettant une souscription définie, soit en me permettant d’aller les trouver en cas de besoin extrême. Et je n’ai jamais usé de la permission que lorsque je me voyais acculé à la suppression d’un numéro, ou si je ne trouvais pas la somme nécessaire pour payer une vieille dette.

Si ces appels furent nombreux, c’est, surtout parce que les camarades qui recevaient le journal pour le vendre ne se pressaient pas de régler. Parmi les abonnés aussi, il y en avait trop qui oubliaient de renouveler. Et, parmi ceux qui nous approuvaient chaudement, il s’en trouvait trop qui étaient plus généreux en louanges qu’en monnaie, ou en toute autre aide effective.

Cela me rappelle un journaliste se disant avec nous, gagnant largement sa vie et auquel j’avais fait cadeau d’une des rares collections de « La Révolte » qui me restaient, qui vint un jour me trouver au journal et me dit :

— Connaissez-vous les Russes qui sont venus me trouver pour me demander de souscrire à un journal, en leur langue, qu’ils veulent publier ? Nous avons assez à soutenir les nôtres, sans être « tapés » pour d’autres qui nous touchent de moins près.

Estomaqué, je le regardai sans trouver quoi lui répondre !

Il m’avait toujours dit que le seul journal révolutionnaire qui l’intéressait, c’était « Les Temps Nouveaux ». Or, il n’avait jamais donné un sou, ni même payé l’abonnement de l’exemplaire dont je lui faisais le service. J’aurais pu lui demander quels étaient les journaux qu’il soutenait ?

Je me vengeai en faisant prendre le remboursement, par la poste, de l’abonnement, qu’il paya quelque temps du reste.

« Il n’y avait qu’à supprimer l’envoi à ceux qui ne payaient pas », me dira t-on, et c’est ce qui me fut conseillé plus d’une fois.

Si j’avais mené une affaire commerciale, c’est ce que j’aurais fait. Mais c’était un journal de propagande que je dirigeais. C’est tout différent. En ce qui concernait les vendeurs surtout.

Si ce vendeur plaçait cinq, dix, vingt exemplaires, parfois plus, en lui supprimant l’envoi, c’était autant de lecteurs que nous perdions. Autant de perdu pour la propagande, car nous ne trouvions pas toujours à remplacer le vendeur.

Quelques-uns nous coûtaient, en frais de lettre, autant, si non plus, que ne nous rapportait leur vente. Mais nous avions des lecteurs.

Il y avait aussi le bouillonnage. Que de fois les gens « pratiques » me disaient de limiter le tirage au chiffre de la vente. Seulement, j’avais remarqué une chose : Lorsque je réduisais le chiffre d’exemplaires à mettre en dépôt chez Hachette, aussitôt correspondait une baisse dans la vente. L’idéal aurait été d’être assez riche pour doubler les dépôts afin d’augmenter notre circulation. C’est pourquoi, bien que le bouillonnage de nos journaux fût un des grands griefs de ceux qui « savaient mieux », j’ai préféré mener une vie de mendiant, tant que je pus éviter de diminuer notre propagande.

C’était aux souscriptions à aider à couvrir le déficit.

Nous étions quelques-uns qui y consacrions nos forces, notre temps, notre intelligence, notre volonté, les autres pouvaient bien aider de leur poche.

Et cependant, pour mettre le journal à flot, il n’aurait pas fallu tant d’efforts ni tant d’argent.

Sur les 5 000 acheteurs au numéro ou abonnés, s’il y en avait eu seulement la moitié qui s’y fussent sérieusement intéressés — c’est faire large part aux curieux et aux indifférents — et eussent consenti à prendre deux numéros par semaine pour les distribuer autour d’eux — 0, 20 centimes par semaine, ce n’est pas un grand effort — ces 2 ou 3 000 exemplaires eussent suffi à améliorer grandement la situation. Sans compter la propagande faite.

C’est un des mille « petits moyens » d’aider à la propagande, mais négligés par les anarchistes, parce que petit moyen. Les anarchistes ont toujours vu « grand », voulant fonder des quotidiens, alors qu’ils n’étaient pas capables de faire vivre les hebdomadaires qui existaient !

J’eus l’idée de fonder un groupe de souscripteurs bénévoles qui voudraient bien s’engager à un versement mensuel sur lequel nous pourrions compter.

En juillet 1904, nous avions des promesses pour 344 fr. de versement mensuels et récolté 1 188 fr. une fois versés. Mais un an après, les versements mensuels étaient tombés à 200 fr., environ. Deux ans après, ils étaient de moins de 100 fr. Les anarchistes n’ont jamais eu d’esprit de suite.

Ce fut pour sortir de la gêne que je pensai à faire paraître « Le Révolté » tous les 8 jours au lieu de tous les 15.

Si la vente n’augmentait pas c’était doubler un déficit, mais il fallait sortir de la situation où nous végétions. Je ne voyais pas d’autre issue.

Consultés, Reclus et Kropotkine me répondirent : « que, tenant la queue de la poêle, j’étais mieux à même qu’eux de savoir ce qu’il était possible de faire ». Je tentai l’aventure.

Je lançai donc un appel pour annoncer notre intention, demandant aux lecteurs de nous aider de leur obole pour couvrir les premiers déficits.

Il m’arriva de nombreuses et « très » chaleureuses lettres d’encouragement. Et, en 10 mois de temps, je reçus 357 fr. 60 de souscriptions ! Là-dessus, il y avait 300 fr. qui nous étaient venus d’un bloc, sous la dénomination : « divers anonymes ».

Je dois ajouter que ce n’étaient pas les souscriptions, pour une cause ou pour une autre, qui manquaient.

Nous avons été soutenus. Cela est indéniable. Pourtant, quel minime effort il aurait fallu — et qui ne fut pas fait — pour parer à notre déficit.

Dans le n° 39, du 30 juin 1888, je trouve un exposé de la situation financière, démontrant que, souscriptions comprises, le déficit n’était que de 37 fr. par numéro.

Pendant les périodes de persécution, les difficultés financières furent moindres car les camarades sortaient alors de leur apathie.

Il faut ajouter qu’il y avait cette légende que Reclus était là pour venir en aide au journal. En effet, Reclus nous venait en aide et nous faisait une subvention de 100 fr. par mois lorsque le journal vint à Paris.

Mais les ressources de Reclus n’étaient pas inépuisables. Sa Géographie terminée, Reclus dut nous supprimer sa souscription mensuelle lorsque parurent les « Temps Nouveaux ».

Pendant longtemps ce fut le camarade Ardouin qui nous sauva en versant une souscription mensuelle de 80 fr.

Je l’avais connu au « Groupe d’Aide aux Amnistiés ». Le groupe s’étant dispersé, je l’avais perdu de vue.

Quelque temps après, j’avais bien lu dans les journaux qu’un nommé Ardouin, fabricant de couleurs pour fleuristes, avaient été appelé à siéger comme juré aux Assises de la Seine, mais s’était récusé en disant : « Que la société ne faisant rien pour prévenir le crime, il ne lui reconnaissait pas le droit de le punir ».

— Tiens ! pensais-je, ça doit être mon Ardouin. Puis je n’y pensai plus. Un an plus tard, étant au journal, méditant sur les moyens d’arriver à faire paraître le numéro de la semaine, — celui de la semaine précédente n’étant paru qu’après un appel désespéré, et une augmentation de dette chez l’imprimeur, je vis tout à coup entrer quelqu’un qu’il me semblait connaître, sans pouvoir, sur le moment, mettre un nom sur sa figure.

— Vous ne me reconnaissez pas ? fit-il.

— Vous êtes Ardouin.

Le nom m’était revenu.

Nous refîmes connaissance. Je lui parlai de l’incident de la Cour d’Assises dont il me raconta les détails.

— Voilà ce qui m’amène, reprit-il. Voulant m’affranchir du patronat, — il était ouvrier fleuriste — j’ai monté un atelier de couleurs pour fleuristes. Mais l’affaire ayant prospéré au-delà de ce que j’avais prévu, j’ai été amené à prendre des ouvriers. Ne voulant pas les exploiter, je leur paie une bonne journée et à l’inventaire, à chaque fin d’année, nous partageons les bénéfices. Mais quelques-uns d’entre eux ont des femme qui occupent des ouvrières qu’elles paient très mal, et il n’est nullement question de partage de bénéfices, D’autre part, j’ai remarqué que, lorsqu’on leur présente une liste de souscription, soit pour quelque œuvre de solidarité, soit pour quelque œuvre de propagande, plusieurs d’entre eux se défilent la plupart du temps. Je ne trouve pas cela juste. J’ai décidé que, dorénavant, une partie seulement des bénéfices serait leur, l’autre irait à des œuvres de propagande ou de solidarité. J’ai lu votre appel, et je vous apporte une partie de la somme prélevée sur les bénéfices de l’année.

Ce disant, il me tendit un billet de cinq cents francs !

Cinq cents francs ! C’était une aubaine qui ne se produisait pas souvent.

Pendant longtemps, Ardouin nous continua un versement mensuel de 80 fr. environ.

Ce fut Pissarro qui, deux fois, paya nos dettes chez l’imprimeur, dépassant mille francs à chaque fois.

Une autre fois, ce fut une camarade polonaise qui m’apporta deux mille et quelques cents francs provenant d’un héritage qui lui était échu et que, adversaire de l’héritage, elle considérait ne pas devoir garder.

Enfin, un de nos abonnés à la « Révolte », le camarade Lucien Massé de Ars-en-Ré, nous laissa, par testament, une somme de douze cents francs avec laquelle nous fîmes imprimer diverses brochures.

Parmi les bons amis du journal, je ne dois pas oublier Frédéric Stackelberg qui, outre sa collaboration, fut, avec Signac et Hérold, un de nos plus fidèles souscripteurs mensuels, depuis « La Révolte » jusqu’à la fin des « Temps Nouveaux ».

Stackelberg, lui aussi, venait de la noblesse russe. Son père était un riche propriétaire. Il possédait l’île de Warms : 100 kilomètres carrés et 200 habitants qui lui appartenaient également.

Mais, tout jeune, Stackelberg avait des idées libérales. Il ne s’entendait pas avec son père. Ayant vu fouetter des paysans, il ne put le supporter. Il quitta sa famille et la Russie. Il avait seize ou dix-sept ans alors. Mais sa mère lui fut fidèle jusqu’à sa mort. Devenue veuve, elle vint habiter avec son fils à Nice.

Il se mêla au mouvement révolutionnaire de bonne heure. Du temps de la Fédération Jurassienne, dont il faisait partie, il publia une brochure : La Femme et la Révolution. Plus tard, L’inévitable Révolution, dans la Bibliothèque Sociologique, chez Stock, et enfin, L’A. B. C. de l’astronomie paru en Variétés dans Les Temps Nouveaux.

Par ce rapide aperçu, on peut voir que l’aide n’a pas manqué au journal, ni l’encouragement. Malheureusement, cette aide s’est répartie sur une période de plus de trente années, avec des lacunes que ne comblaient pas les petites souscriptions ordinaires qui pouvaient se monter à un millier de francs chaque année, souscriptions nombreuses mais modiques, variant de 0,10 à 0,50. Un franc parfois, 5 francs, c’était rare, 10 fr. encore plus.

Et cependant que n’aurait-on pas pu faire avec de l’esprit de suite ? J’ai souvent cité l’exemple du « Touring Club » qui, avec une cotisation modique de 5 fr., versée par chaque adhérent, entretient des routes, en construit au besoin, et, en beaucoup de cas, se substitue à l’État pour faire ce dont ce dernier n’est pas capable.

Il est impossible de dire à quel chiffre se montait le total de ceux qui se disaient anarchistes. Mettons 20 000 et nous serons bien au-dessous. Si chacun d’eux avait voulu — et qu’il y eût eu une organisation pour centraliser les souscriptions — verser seulement 0, 50 par mois — je parle en monnaie d’avant-guerre — cela aurait fait 120 000 fr. par an. Cette somme centralisée pendant 10 ou 20 ans, on aurait eu de quoi faire le quotidien après lequel les anarchistes ont soupiré si longtemps, ou subventionner des propagandes que nous ne fûmes jamais capables même d’envisager, faute de fonds.

Et, je le répète, 20 000 anarchistes est un minimum. Pourtant notre personnel de propagande ne s’accroissait que très lentement ; les nouveaux venus ne faisant que remplacer ceux qui disparaissaient, et nous laissant toujours patauger dans les mêmes difficultés.

Je suppose que les individus n’ont qu’une certaine énergie à dépenser pour la diffusion d’idées d’ordre général. Cette énergie dépensée, ils retombent dans la masse qui regarde faire, se désintéressant des idées d’émancipation. Cette « masse veule », pour laquelle d’aucuns n’avaient pas assez de mépris.

Quoique retirés de la lutte, quelques-uns, cependant, conservaient leur façon de penser. On les voyait reparaître aux périodes d’agitation. Mais, phénomène curieux, quoique ayant connu les difficultés de la propagande, on ne voyait jamais figurer leur nom aux souscriptions.

On se demandera comment, en définitive, j’arrivai à combler le déficit de quelques milliers de francs qui clôturait l’exercice de chaque année ?

Comme je l’ai dit, par deux fois, Pissarro paya nos dettes. Comme droits d’auteur, je touchai, pour mes livres chez Stock, une dizaine de mille francs qui s’engouffrèrent dans notre budget si instable.

Tout gosse, j’avais commencé une collection de timbres-poste, que nos relations mondiales me permirent d’augmenter. Un jour de dèche noire, je me décidai à la vendre. Elle me fut payée 800 fr, Aujourd’hui, elle en vaudrait 30 ou 40 000.

Une autre fois, Stock étant embarrassé pour payer ses droits d’auteur à Kropotkine, il fut convenu que je prendrais des volumes et que je solderais Kropotkine, Je crois bien qu’il lui est redu, de ce fait, deux cents francs qui furent digérés par le journal.

Il y a, enfin, les tombolas. Elle rapportaient, en moyenne, deux ou trois mille francs. Je ne me rappelle pas au juste. Sauf pour la dernière dont j’avais gardé les comptes (qui fut la plus productive de l’année, 8 à 9 000 fr. environ).

Pour vingt sous on pouvait gagner des tableaux de Angrand, Agar, Bonnard, des médaillons de Charpentier, des peintures de Cross, Mme  Cousturier, Van Dongen, Delannoy, d’Espagnat, Grandjouan, Hermann-Paul, F. Jourdain, Lebasque, Lefèvre, Manzana, Paviot, Pissarro père, L. Pissaro, Luce, Petitjean, Roubille, Van Rysselberg, Raieter, Steinlen, Valloton et Willette. Et je ne cite que les plus connus.

Au début, je m’étais inscrit pour un salaire de 150 fr. par mois puisque tout mon temps était pris par le journal. Je l’avais porté à 200 dans les dernières années. Mais c’était pour fixer un chiffre car je ne tirais pas cela du journal.

Les camarades qui m’aidèrent furent payés 40 fr. par semaine. Ce ne fut que dans les derniers temps que Girard fut élevé au haut chiffre de 60 fr. par semaine.

Voilà, résumé, le travail de 35 années de travail — en prenant notre point de départ de l’apparition du premier numéro du Révolté. 35 années de propagande, 35 années de lutte acharnée.

Et, aujourd’hui, que reste-t-il de tout cela ? Qu’est devenu le mouvement ?

Pour ainsi dire rien, ou presque rien. Nos idées, qui se répandaient dans tous les milieux, qui s’imposaient à tous ceux qui étaient capables de réfléchir, ont été brusquement arrêtées dans leur essor par le cataclysme de 1914.

Mais la boucherie de cinq ans de massacres, la fameuse « Déclaration » des seize, ne furent qu’une occasion, qu’un prétexte pour cette reculade. Sans doute, le sectarisme des uns, la vanité d’aucuns, et la basse rancune des éléments désorganisateurs envoyés parmi nous y contribuèrent pour une bonne part. Mais l’œuvre de désorganisation menée systématiquement et habilement par la police, avait, bien avant la guerre, — nous l’avons vu dans ces pages — commencé son œuvre néfaste,

Tout y a contribué. Il est fatal qu’à une période d’effervescence où les individus se sont dépensés en espoirs, en luttes, en sacrifices succède une période d’enlisement. La période révolutionnaire de 1789 à 1795 fut suivie de celle du Directoire, où la majeure partie des gens ne pensaient qu’à jouir crapuleusement. Les 5 ans de guerre de 1914 ont été suivis d’une période d’apathie qui dure encore, et finira on ne sait quand.

Mais, quel que soit le dégoût que nous inspire la démoralisation de l’heure présente, malgré le bas niveau où est tombé notre mouvement par l’action voulue des uns, l’inconscience des autres, je persiste à croire qu’il ne faut pas désespérer. Nos idées ont trouvé trop de répercussion dans les milieux où on se piquait de réfléchir pour croire qu’elles peuvent disparaître, sans laisser de trace. Elles peuvent sommeiller dans les cerveaux, mourir, non.

Il reviendra un moment où les esprits se reprendront. Le simple bon sens et la saine raison ne peuvent mourir. Reviendra le moment où elles se réveilleront, où les individus se ressaisiront, et comprendront que lutter pour jouir n’est pas une solution, ni un but.

Aux anciens éléments de propagande disparus, se substitueront de jeunes générations qui reprendront la lutte où nous l’aurons laissée. La lutte pour plus de bien-être pour tous, pour la libération des cerveaux et des individus, reprendra la première place dans les préoccupations humaines, les individus ayant compris, à nouveau, que la satisfaction de bas appétits ne peut contenter que des brutes. Boire et manger, sans doute, sont des besoins primordiaux qu’il faut satisfaire, mais pour avoir la force de travailler au développement intégral de notre être : moral, intellectuel aussi bien que physique.

Oui, nos idées portent en elles-mêmes leur force de vie et d’expansion. Tôt ou tard, elles reprendront leur place dans les préoccupations humaines.