Le Mouvement libertaire sous la IIIe République/XV

Les œuvres représentatives (p. 191-209).

XV

LES MOUCHARDS


Parlant des individualistes, cela m’amène à parler des mouchards, des cambrioleurs aussi. À qui donner la priorité ? Je suis bien embarrassé, car les trois catégories sont étroitement entremêlées.

Que tout mouvement révolutionnaire — voire même de simple opposition — soit contaminé par cette vermine, c’est inévitable. Plus les gouvernements sont combattus, plus ils ont recours aux moyens louches pour se maintenir. Savoir ce qui se passe chez leurs adversaires et tenter des diversions parmi eux, c’est tout indiqué. Qui dit mouchard dit agent provocateur. Cela encore découle de soi.

Si ces messieurs se bornaient à ne relever dans leurs rapports que ce qu’ils ont vu et entendu, ces rapports seraient fort ternes ; leurs employeurs ne tarderaient pas à s’apercevoir qu’ils n’en ont pas pour leur argent. Aussi, pour démontrer leur utilité et se faire valoir, messieurs les roussins ont-ils recours à un peu… d’imagination pour corser lesdits rapports.

L’imagination des mouchards, ordinairement, est fort restreinte. Tout de suite, ils sont orientés vers quelque complot, essayant de le mettre eux-mêmes sur pied, afin de donner quelque fondement à leurs rapports sensationnels. Il est toujours facile de trouver un exalté ou un détraqué qui se laissera entraîner à quelque imprudence qu’ils auront su lui suggérer, et dont la « découverte » pourra les faire bien noter et leur valoir de l’avancement.

Quelles que soient les dénégations des fripouilles qui les emploient, il n’est rien moins que sûr qu’elles-mêmes ne les encouragent pas à faire de la provocation.

Autrefois, dans les « Temps Nouveaux », j’ai relevé le cas d’un nommé Jacob, chargé de surveiller les milieux fréquentés par la bande Bonnot. Poursuivi pour avoir fabriqué de la fausse monnaie, le bonhomme invoqua comme défense qu’il avait dû avoir recours à ce stratagème pour échapper aux suspicions des membres du groupe dont il faisait partie.

Ses chefs, qu’il avait fait venir pour sa défense, s’empressèrent de nier qu’ils eussent connaissance de ses agissements concernant la fausse monnaie. Ils voulaient bien reconnaître que ledit Jacob était un agent excellent. Mais la fabrication de fausse monnaie, ils juraient que, jamais, ils n’en avaient eu connaissance.

N’empêche que, de leurs témoignages, il découle l’impression qu’ils savaient pertinemment à quoi s’en tenir sur les agissements de leur subordonné. Mais l’homme ayant été assez bête pour se faire prendre la main dans le sac, on verrait comment le tirer de là plus tard. Payer des individus pour faire de la provocation, ça se fait, mais ne s’avoue pas.

Tous les mouchards qui, dans le mouvement anarchiste furent « brûlés », faisaient tous de la provocation, en prêchant la violence, en poussant aux attentats, comme cela fut prouvé pour certains événements qui se passèrent dans la région de Montceau. Dans le cas de Grün dont j’ai parlé, c’était indéniable.

Tous ceux qui pouvaient écrire ou parler à la tribune firent de la provocation. Elle débordait dans les journaux que leurs patrons les mirent à même de faire paraître.

Il est vrai que ce ne fut pas leur principale besogne. Leur œuvre la plus considérable fut la démoralisation et la déviation du mouvement par la prédication d’un individualisme outrancier, la glorification du vol, de « l’estampage » et autres moyens aussi peu recommandables.

Le premier en date de ces oiseaux fut un nommé Spilleux. Nous n’étions alors que le « demi-quarteron ». M. Andrieux, ex-républicain farouche, étant à la tête de la Préfecture de Police, se présenta dans nos groupes ledit Spilleux qui se faisait appeler Serraux.

Je ne me rappelle plus dans quelles circonstances il fit son apparition, ni quelles histoires de brigand il nous raconta. Toujours est-il qu’il nous proposa de fonder un journal. Il connaissait une vieille dame anglaise disposant de quelques ressources, et ne demandant pas mieux que de nous aider dans cette œuvre.

C’était au groupe des Ve et XIIIe que la proposition nous fut faite, Malatesta, Jeallot, moi et quelques autres camarades étant présents.

Dès l’abord, le bonhomme ne nous avait pas été sympathique. Dans l’ensemble de sa personne, dans son attitude, il y avait quelque chose qui clochait. Quoi ? nous n’aurions su le dire. Mais, en fin de compte, il nous était suspect.

Nous nous consultâmes et décidâmes de voir venir le type. Malatesta écrivit à Londres à un de ses amis. Plus tard, Brocher me rappela que c’était lui qui avait été chargé d’aller aux renseignements. La dame — l’imbécile avait eu la naïveté de nous donner l’adresse — existait bien, mais son genre de vie indiquait plus la misère que l’opulence. Certainement elle était hors d’état de fournir les fonds promis.

C’était coûteux à cette époque de publier un journal s’occupant de questions politiques. Il fallait fournir un cautionnement assez élevé pour Paris. On avait, il est vrai, un moyen de payer moins, c’était de mettre l’adresse du journal dans une localité d’un des départements de la banlieue, mais, encore, cela se montait au moins à 3 000 fr. et plus.

Nous avions décidé d’amener Spilleux à déposer le cautionnement à mon nom — je devais être le gérant — de lui faire payer les frais d’installation et de mise en marche, puis de l’envoyer promener, convaincus que nous étions d’avoir affaire à un policier.

Mais l’homme n’était pas si bête que nous avions pensé. Il avait ouvert les mêmes pourparlers avec E. Gautier qui, lui aussi, lui avait promis de lui fournir gérant et rédacteurs. Aussi lorsque je lui posai nos conditions, soupçonnant, je suppose, notre intention, ayant flairé nos suspicions, il se rabattit sur Gautier. Ils firent paraître la Révolution Sociale où collaboraient Gautier, Louise Michel, Jacqueline et divers autres camarades. C’étaient nous qui étions joués !

Pour mettre les camarades en garde contre le nouveau journal, nous chargeâmes un de nous, le nommé Maria, de rédiger une note par laquelle nous nous désolidarisions de lui.

Ne pouvant avec fruit émettre nos suspicions, n’ayant aucune preuve positive, cela devait être rédigé avec tact. Comment s’y prit Maria ? je ne sais plus… Mais lorsque parut la note, c’était le journal qui se désolidarisait d’avec nous. Notre tentative de diplomatie n’était pas un succès. L’homme était plus fort que nous.

À ceux que nous connaissions, nous donnâmes nos raisons. Mais c’est toujours la même chose : « Êtes-vous bien sûrs que c’est un mouchard ? Si c’en était un, les camarades ne collaboreraient pas avec lui », etc., etc.

Du reste, quoi qu’en dise Andrieux, son journal ne lui servit pas à grand’chose. Si nous rencontrions des incrédules, d’autres se mettaient en garde. Ce fut de son officine que sortit la boîte à sardines que deux ou trois méridionaux, fraîchement venus de Marseille, et dont le révolutionnarisme… verbal les disposait à couper dans n’importe quel godan, allèrent déposer contre la statue de Thiers, à Saint-Germain. Mais elle n’occasionna qu’un éclat… de rire.

Plus tard, dans ses « Mémoires », Andrieux se vanta d’avoir dupé les anarchistes, en leur fournissant un jouet. Il se vantait car il n’en eut pas pour son argent. La preuve c’est que, moins d’un an après, il coupa la subvention brusquement, personne ne prenant plus son journal au sérieux. La Révolution Sociale disparut et Spilleux avec.

Du reste, les mouchards ne furent pas, parmi nous, aussi nombreux que l’on pourrait le supposer. Sans doute y en eut-il qui surent faire leur besogne sans se faire connaître. Je n’ai pas la prétention de les avoir devinés tous, mais ils durent être peu nombreux.

Le second qui vint à ma connaissance — Blanchon compte pour si peu — fut un nommé Carratoni, un Italien dont j’avais fait la connaissance par Bouriand, avant de me rendre à Genève. Expulsé de France, il se rendit à Genève et se présenta au Révolté, se recommandant de moi.

Je ne l’avais vu que deux ou trois fois avant son expulsion et n’avais pu lui donner une recommandation bien chaude. Il avait dû prendre la recommandation sous son bonnet. Du reste, Herzig flaira le mouchard et le tint à l’écart.

Dès son arrivée à Genève, il avait fondé un journal qu’il intitula L’Explosion. L’en-tête représentait un vague Palais Bourbon devant lequel explosait une bombe. Comme épigraphe, il y avait en latin : « À coups de pieds, à coups de poings ».

L’Explosion n’eut qu’un numéro et creva piteusement. Il fut presque aussitôt avéré que Carratoni était à la solde du commissaire de police qui avait été chargé à Genève de surveiller les réfugiés italiens, et que c’était lui qui avait fourni les fonds pour la publication de cette feuille ultra-révolutionnaire dont le texte répondait au titre. Carratoni, brûlé presque aussi vite qu’apparu, disparut sans tambour ni trompettes.

Dès mon retour à Paris, je commençai à me rendre compte qu’il n’était que temps de se mettre en travers de cette propagande à rebours qui, sous l’influence du mouchard Martinet, dont j’ai parlé, était tout simplement en train de mener notre mouvement au ruisseau.

Dévoiler les mouchards, ce serait facile si tous les camarades voulaient raisonner à l’aide du simple bon sens. Mais, à beaucoup le simple bon sens ne suffit plus lorsqu’il s’agit des choses de la propagande. Ils font intervenir un tas de considérations qui n’ont rien à voir avec la question, ne font que la compliquer et l’embrouiller.

En premier lieu vous avez, cela va sans dire, contre vous ceux qui se sont déjà laissé engluer par les théories — toujours extrêmes, — de ces « apôtres ». Si vous attaquez leur « homme », c’est par jalousie ou parce qu’il ne pense pas comme vous. Il faut les entendre pousser les cris de l’oie sauvant le Capitole.

Ensuite, ce sont les anarchistes à âme de chrétien qui n’admettent pas que l’on puisse penser mal des autres. Ils ne commettraient pas eux-mêmes la moindre canaillerie, mais ont toutes sortes d’excuses pour ceux qui en commettent. Sous prétexte de tolérance, ils ne permettent pas que l’on juge personne. Il ne faut pas disent-ils, s’en rapporter aux apparences. Dans la société actuelle, chacun vit comme il peut. Personne n’est responsable !

C’est agir en ennemi de votre propre idéal que de tolérer, par votre silence, qu’une tourbe d’individus suspects viennent mascarader les idées pour lesquelles d’aucuns sacrifient leur vie ou leur liberté, de les laisser déformer par ceux, qui, payés ou non, n’ont qu’un but, les faire repousser par ceux que vous voulez convaincre. C’est une tolérance mal comprise que d’accepter parmi soi des gens dont, intérieurement, on réprouve les agissements, mais que l’on tolère parce qu’ils prétendent faire dériver des vôtres les idées qu’ils prêchent. Je suis de l’avis de celui qui disait : « Tout ce que je demande à Dieu, c’est de me protéger de mes amis. Quant à mes ennemis, je m’en charge ».

Il n’est que trop vrai que des amis, braves gens, mais mal inspirés, peuvent faire autant de tort que des ennemis déclarés.

Eh ! oui, cette accusation de mouchard a été parfois trop facilement lancée dans les partis politiques, sans preuves, sans raison. Tout simplement parce que l’individu ne pensait pas comme ceux qui l’accusaient. Mais de ce que l’accusation a été lancée trop facilement, s’ensuit-il qu’il faille fermer les yeux à l’évidence ? Faut-il se laisser envahir par les policiers et par ceux qui, dans nos idées, n’ont vu qu’un prétexte à justifier leurs propres appétits ?

C’est pour s’être montré trop tolérant à cette clique d’individualistes mêlés de policiers que le mouvement anarchiste a été inondé de ces anarchistes à âme de bourgeois — dans la pire acception du mot — et que tant de pauvres diables ont été victimes de leurs sophismes, que le mouvement a été amputé d’une foule de bonnes volontés qui furent dévoyées.

Si aujourd’hui, cette tourbe a pris le dessus, continuant son œuvre de déviation, si le mouvement est tombé au-dessous de tout, les anarchistes à âme de chrétien peuvent en faire leur mea-culpa. S’ils ne sont pas les seuls auteurs du mal, leur tolérance aveugle y entre pour une bonne part.

Ah ! oui, j’en ai connu de ces jeunes, venus au mouvement pleins de bonne volonté, pleins de désintéressement, mais qui, s’étant laissés prendre aux raisonnements spécieux des prôneurs de l’illégalisme, se pourrirent dans le milieu où ils s’étaient laissés entraîner, allant échouer au bagne ou en prison.

Pratiquer le vol, c’est se diminuer. Il faut mentir, tromper. Cela n’élève pas les caractères, bien au contraire. Beaucoup de ceux qui commencèrent à pratiquer le vol avec l’idée de servir la propagande, finirent par le pratiquer pour vivre, et jouir crapuleusement, lorsqu’ils avaient réussi « un bon coup ». C’était forcé. L’argent corrompt, surtout lorsque pour l’avoir on a risqué sa liberté, en usant de moyens équivoques.

Si l’on en juge par ce qui fut dit au procès, il y avait, mêlés à la bande Bonnot, des individus louches. Il y avait également des individus ayant plus d’appétits que d’idées, et aussi des vaniteux. Mais il devait y avoir également des individus qui avaient commencé par être sincères. Garnier semble avoir été l’un de ceux-là, si j’en crois l’impression que m’a laissée ce qui a été dit de lui.

Bonnot, lui-même, qui semble avoir été le type féroce du « struggle-for-lifer », avait peut-être commencé avec des rêves de fraternité et d’émancipation.

Oui, mais !… ils tombèrent dans un milieu où on se moquait de « ces sentimentalités ». « Vivre sa vie », voilà le but de l’homme intelligent. Et, lorsque la société lui en refuse les moyens, les lui reprendre de force, voilà qui était vraiment anarchiste, vraiment révolutionnaire !

Et pour appuyer sur cela, il y avait les policiers qui avaient fait leurs ces théories afin d’accomplir plus sûrement leur œuvre de désagrégation, qui venaient à la rescousse, démontrant que l’homme qui « a quelque chose dans le ventre » ne va pas prostituer ses bras à un patron, user ses forces et son intelligence à un labeur ingrat, mal payé, qui l’empêche à peine de mourir de faim ».

Oui, la police, par ses agents, la police chargée de traquer les voleurs et les assassins, ne trouvait rien de mieux que d’en fabriquer pour combattre un courant de revendications sociales qui devenait menaçant pour les privilégiés de la société.

Après tout, les voleurs et les assassins ne sont pas un danger pour l’ensemble de la société. Ils en sont le produit et la justification de son Code, de sa police et de sa magistrature. Aussi, les gouvernants n’éprouvent-ils aucun scrupule à favoriser cette tentative et tourner à l’égout un mouvement d’émancipation qui se développait trop rapidement à leur gré. Et ce, par des moyens anti-sociaux.

Dès l’abord, je compris que cela ne servirait qu’à conduire à des controverses sans fin de dévoiler publiquement ceux que je pouvais soupçonner d’être des mouchards.

Il n’y a qu’un moyen d’établir incontestablement l’accusation que l’on porte, c’est d’en donner les preuves. Ces preuves, à moins de cas exceptionnels, manquent toujours. La Préfecture de Police, ni le Ministère de l’Intérieur, ne laissent traîner leurs dossiers à votre portée.

Quant aux présomptions, aux preuves morales, elles ne sont des preuves que pour ceux qui, déjà, ont tiré leurs propres conclusions. Ces preuves n’atteignent pas les « âmes de chrétien ». Aussi, au lieu de perdre mon temps à publier des noms de suspects, je me contentais, lorsque l’occasion s’en présentait, d’avertir ceux avec qui j’étais en relations.

Comme les types étaient ordinairement orateurs de groupes ou de réunions, je mettais au panier les convocations où leur nom était cité. Cela ne ratait pas. À la deuxième ou troisième récidive, ceux qui m’avaient envoyé la communication me demandaient pourquoi je n’avais pas inséré ? Je leur en donnais la raison. Cela souvent me valait des engueulades. Mais ils étaient avertis. C’était à eux de juger. Tant pis pour ceux qui ne voulaient pas voir clair.

La plupart du temps, du reste, les individus en question finissaient par se « brûler ». Il n’y en eut guère que deux ou trois qui, quoique « brûlés » à moitié, réussirent à se maintenir dans le mouvement, grâce au milieu individualiste.

Un jour parut dans le mouvement un nommé Armand qui, tolstoïen, venait de passer à l’anarchie… en emportant la caisse de son groupe, apprîmes-nous plus tard.

C’était un bonhomme aux manières insinuantes, dont la main gluante fondait dans la vôtre, lorsqu’il vous la donnait à serrer.

Comme de juste, il ne tarda pas à prêcher l’individualisme, le cambriolage : la reprise individuelle, comme ils appelaient ça. Il fut un des rédacteurs les plus assidus du journal de Libertad, L’Anarchie. Il y développa ces théories en y ajoutant que, « si c’est de votre intérêt d’être policier, vous avez parfaitement le droit d’être mouchard », — vous êtes orfèvre, M. Josse ! — et cela sans émouvoir en rien les lecteurs de L’Anarchie qui, du reste, en avalaient bien d’autres.

Plus tard, Libertad étant mort, Armand dirigea le journal. Là, des cambrioleurs, des faux monnayeurs préparaient leurs « petites combines », se partageaient le produit de leurs opérations. Cela au vu et au su de la police : car, souvent, on lisait dans les quotidiens : « Hier, on a arrêté une bande de cambrioleurs dont les membres étaient des habitués du journal L’Anarchie ». Ou bien, pour varier : « La police vient de mettre la main sur une bande de faux monnayeurs qui avaient pour habitude de se rencontrer dans les locaux du journal L’Anarchie ». Et ainsi de suite, Armand — pas plus du reste que ceux qui le précédèrent ou lui succédèrent à ce journal — ne fut jamais très inquiété.

Un jour, un des rédacteurs habituels de L’Anarchie m’envoya un article où il relevait les palinodies qu’Armand avait écrites dans ce journal. L’auteur avait eu soin de changer sa signature habituelle, mais je n’eus aucune difficulté à deviner d’où ça venait. C’était de N’importequi.

Je trouvai amusant de mettre mes deux escogriffes aux prises. Nimportequi ne faisant qu’avancer ce que je pensais moi-même, j’insérai l’article. Qui vis-je arriver la semaine suivante, rue Broca ? Mon Armand, accompagné d’une quinzaine de types de son espèce, parmi lesquels Kibaltchiche et la fameuse Rirette, qui fut mêlée à la bande Bonnot.

Ce fut Armand qui prit la parole :

— Vous avez dit que j’étais un mouchard. Vous allez m’en donner la preuve.

— Pour cela, il faudrait que je sois plus mouchard que vous.

— Ah ! Ah ! entonna le chœur, c’est bien cela. Toujours des accusations sans preuves !

Inutile de dire que Kibaltchiche était un de ceux qui gueulaient le plus fort.

— Alors, reprit Armand, vous allez me donner le vrai nom de celui qui a écrit l’article que vous avez inséré.

— Pour ceci encore, il faudrait que je sois plus mouchard que vous. Si j’ai inséré l’article c’est que j’en prends la responsabilité.

Protestations du chœur. Armand les calma du geste.

— Si je n’ai pas les preuves que vous êtes un mouchard, continuai-je, ma conviction est que vous en êtes un. Toute votre conduite dans le mouvement l’indique.

Re-menaces et re-protestations du chœur.

— Vous allez cesser ces attaques, fit Armand, ou nous reviendrons et cela ne se passera pas comme cela.

Assentiment et menaces du chœur.

— Je ne cesserai rien, et vous pourrez revenir si cela vous dit. Je serai en mesure de vous recevoir.

Ils partirent à la queue-leu-leu, continuant leurs menaces.

J’insérai la suite de l’article, mais ne revis personne. Du reste, j’avais, dès le lendemain, pris la précaution de glisser dans le tiroir de ma table un revolver dont je ne me serais fait aucun scrupule de me servir si je m’étais vu menacé de violences.

Armand continue à opérer parmi les anarchistes. On discute ses publications dans les journaux anarchistes, on y accepte sa collaboration. Même ceux qui ont des suspicions acceptent d’annoncer ses publications. C’est que, voilà, il ne faut mécontenter personne.

De la même trempe, fut le nommé L… Celui-ci, mis en appétit par le succès des tournées de Faure, voulut, lui aussi, organiser des tournées de conférences dont il empocherait les bénéfices.

Ici, j’ouvre une parenthèse : Dans les commencements du mouvement, lorsque des camarades de province voulaient organiser une conférence dans leur localité, s’ils n’avaient pas d’orateur parmi eux et étaient forcés de faire appel à un Parisien, par exemple, ils payaient ses frais de déplacement, mais les bénéfices de la conférence — s’il y en avait — leur restaient. Ils les employaient soit à leur propre propagande, soit à soutenir telle œuvre de propagande qui leur plaisait. Le plus souvent ils faisaient imprimer des placards ou brochures. Cela entretenait leur activité, donnait quelque vitalité à leur groupe.

Survint Faure qui leur faisait organiser ses conférences, mais empochait la recette. Cela lui servait à mener sa propre propagande, c’est possible, mais cette façon de procéder diminua énormément l’activité des groupes de province, en leur enlevant un moyen de l’alimenter.

Cela occasionna un plus grand mal encore. Ce fut d’inspirer à un tas de jeunes profiteurs qui pouvaient, plus ou moins, dégoiser quelques phrases en public, l’idée d’organiser, eux aussi, « leurs tournées ».

Sans doute, tous ne vivaient pas royalement des produits de leurs tournées, mais ils vivotaient, faute de mieux. Cela leur suffisait, étant partisans du « moindre effort ».

Mais quelle propagande faisaient-ils ? Bien heureux quand, de leur conduite, l’idée ne sortait pas amoindrie. Plusieurs finirent même par escroquer les camarades qui les avaient aidés à organiser leurs conférences, croyant aider à la propagande.

J’en reviens à L….

Arrêté dans le Nord pour quelque délit de parole, il avait, pour son procès, fait demander de Marmande comme témoin de moralité.

Au procès, ce dernier tenta d’atténuer le rôle de L…, s’efforçant de le présenter comme un garçon inoffensif, vivant misérablement des quelques sous que lui rapportaient ses conférences…

— Pardon ! interrompit le Président, savez-vous, Monsieur de Marmande, que votre client a été arrêté avec 1 400 francs dans sa poche.

— J’eus le bec cloué, fit Marmande, qui me racontait l’histoire.

1 400 francs, évidemment, ce n’est pas une fortune. Tout de même, on ne peut se prétendre malheureux avec cette somme dans sa poche. Surtout avant la guerre. Mais ce n’était pas le plus beau de l’histoire. « Figure-toi, ajouta Marmande, que L… avait écrit à divers camarades d’ouvrir une souscription pour venir en aide à sa compagne qui, prétendait-il, était dans le plus complet dénûment, sa tournée ne lui ayant laissé aucun argent ».

Il y eut encore mieux ! Marmande avait eu l’occasion de rencontrer un autre anarchiste qui avait partagé la cellule de L…. L’individu en question, n’avait pas le sou et était forcé de se contenter de la pitance de l’administration. L… faisait venir des vivres du dehors et se les empiffrait, ne laissant à l’autre que la ressource de le contempler.

Pris à écouler des faux timbres, il s’en tira avec six mois de prison, alors que c’était ce que payait un camarade pris dans une simple bagarre.

Ayant, lui aussi, dirigé le journal L’Anarchie pendant une période de l’affaire Bonnot, il ne fut jamais inquiété. Ayant quitté L’Anarchie pour faire un journal à lui, il fut prouvé au procès de ceux qui avaient attaqué le bureau des Postes de Bezons, où fut tué le mari de la receveuse, que c’était dans les bureaux du journal de L… que le coup avait été préparé. Le quidam, pour l’instruction, avait bien été amené les menottes aux poignets chez le juge, mais il en était ressorti libre.

Plus tard, pendant la guerre, Prouvost, de Saint-Raphaël, fut poursuivi pour avoir aidé à des désertions. L… habitait chez lui. Il fut plus ou moins mêlé à l’affaire au début de l’instruction, mais ça n’avait pas été plus loin.

Au procès, l’avocat de Prouvost, au cours de sa plaidoirie s’écria : « Mais enfin ! qu’est-ce que ce L… que l’on trouve mêlé à toutes sortes d’affaires, mais qui ne va jamais plus loin que le cabinet du juge d’instruction ? »

Le président eut un demi-aveu.

J’avais souvent cherché à mettre Prouvost en garde contre L…, mais Prouvost était un drôle de corps. Rien ne pouvait ébranler sa confiance en lui.

Quand je lus le compte-rendu de son procès, je crus qu’il avait, enfin, vu clair et, à sa sortie de prison je lui écrivis pour lui demander quel avait été le rôle de L… dans son affaire, m’appuyant sur la phrase de son avocat. Prouvost avait, plus que jamais, confiance en lui. Pourquoi, alors, n’avait-il pas protesté contre l’insinuation de son avocat ? Il ne s’expliquait pas là-dessus, du reste.

L… a disparu du mouvement anarchiste. Il aurait déclaré que les anarchistes le dégoûtaient. Il travaille dans l’anticléricalisme.

Dans les commencements que le journal était à Paris, Méreaux m’avait souvent parlé d’un nommé Roussel qui prenait la parole dans les réunions et y était d’une violence extrême. Ce fut lui qui inaugura l’habitude d’« engueuler » l’auditoire. Or, on ne connaissait au monsieur aucun moyen d’existence. Il ne travaillait jamais, était toujours bien mis. Assez d’indications pour le rendre louche.

Quand vous voyez dans le mouvement un individu qui ne travaille jamais, n’a aucun moyen avouable d’existence, il faut bien, tout de même, qu’il les tire de quelque part. Mais, si en plus, il fait de la violence à froid, il est facile de deviner d’où il tire sa paie.

Puis, Roussel avait disparu quelque temps du mouvement, lorsque, beaucoup plus tard, il reparut, fondant un journal Le Réveil de l’Esclave, où naturellement, on prêchait de tout mettre à feu et à sang, sans oublier la « reprise individuelle », et le reste.

Puis, vinrent les affaires de Draveil. Des terrassiers furent condamnés pour détention de dynamite. C’était le nommé Roussel qui la leur avait fournie. Il ne fut pas inquiété.

J’avais oublié le personnage lorsque, un jour, celui qui me rapportait les invendus des Temps Nouveaux de chez Hachette, tira de sa poche en causant, un numéro du Réveil de l’Esclave, me disant : « Connaissez-vous ce journal ? »

— Oui, il est fait par un mouchard nommé Roussel.

— Roussel, c’est moi !

— C’est vous Roussel ? — Je ne l’avais jamais vu — Eh ! bien, vous avez mon opinion sur vous.

Delesalle était présent, écoutant, et n’en pensant pas moins, je suppose.

— Et sur quoi vous appuyez-vous pour dire que je suis un mouchard ?

— On vous a connu, dans les réunions, où vous étiez d’une violence exagérée. À cette époque vous ne foutiez rien, toujours correctement mis. D’où tiriez-vous vos moyens d’existence ?

— Oh !… Oui, je sais… À cette époque, j’avais une maîtresse qui me fournissait de l’argent. Je n’étais pas forcé d’aller le dire à tout le monde.

— Votre explication me suffit. Je suis fixé.

Le bonhomme s’en alla. Quelque temps après, délégué à Brest par la C. G. T., il raconta aux camarades de là-bas que, traité de mouchard par moi, il m’avait « foutu sur la gueule ».

Il mourut à quelque temps de là, mais je n’en avais pas fini avec lui.

Lors de l’affaire Rousset, un nommé Beylie déversa, dans je ne sais plus quel journal, un tombereau d’injures contre moi. Or, ce Beylie, j’avais de fortes raisons de croire qu’il mangeait au même râtelier que Roussel.

Ce n’était pas mon habitude de répondre aux injures de ces gens-là, mais Beylie faisant partie du Comité de Défense sociale, je crus devoir relever ses attaques, en exprimant mes suspicions à son égard.

Je reçus du Secrétaire du Comité une lettre me sommant d’avoir à apporter les preuves de ce que j’avançais. Je fus d’autant plus furieux de la lettre, que le secrétaire était le fils de mon vieil ami Ardouin, et devait assez me connaître pour savoir que je ne parlais pas sans de fortes raisons.

Par la voix du journal, je répondis que je n’acceptais pas le rôle d’accusé quand c’était moi l’accusateur. Que, pour ce qui était de Beylie, sa collaboration au Réveil de l’Esclave du mouchard Roussel où il avait commencé sa campagne d’insultes, suffisait à entretenir mes suspicions.

Le matin du dimanche suivant, en me rendant rue Broca, je trouvai à la porte du bureau, m’attendant, une dizaine d’individus. Leur ayant demandé ce qu’ils voulaient, ils me présentèrent le numéro des Temps Nouveaux contenant ma réponse au Comité de Défense, me demandant en même temps sur quoi je m’appuyais pour avancer que Roussel était un mouchard ? Ils disaient que Roussel était mort, — chose que j’ignorais alors — mais qu’eux, ses amis et sa veuve présente, sauraient prendre sa défense.

La discussion s’envenima et l’un d’eux m’allongea un coup de poing en plein visage. J’attrapai mon bonhomme par le cou et l’acculai contre le mur, levant le poing pour lui rendre la monnaie de sa pièce. Mais arriva le garçon du lavoir qui était dans la cour, disant qu’il allait chercher les agents.

Voir arriver les agents pour mettre la paix parmi nous, ça ne pouvait pas se faire. Je lâchai mon type pour arrêter le garçon de lavoir et le prier de se tenir tranquille.

Après un échange de répliques, la bande se retira, menaçant — cela allait de soi — de revenir.

Après celui-là, le nommé Mauricius. Tout jeune, avait-il 16 ans ? il m’écrivit — ou me dit de vive voix — qu’il était mal avec sa famille parce qu’il voulait se consacrer à la propagande, mais que ça ne l’arrêterait pas dans sa détermination. Je fus des années sans plus rien entendre de lui.

Ce nom de Mauricius ne me disait rien lorsqu’il parut dans les groupes. Ce ne fut que lorsque j’appris son véritable nom que je me rappelai mon jeune correspondant. Mauricius était la latinisation de son prénom.

Lui aussi, se lança dans le sillage de Libertad. Comme lui, il était individualiste, prêchait le vol, niait la morale et tout le reste. Il avait diablement marché depuis que j’avais correspondu avec lui.

Au début, rien à dire. Sa propagande pouvait déplaire, ce n’était pas une raison pour qu’il fût mouchard. Mais, par la suite, il perdit la mesure, on ne pouvait s’empêcher de le trouver suspect. Et lorsque, à son tour, il dirigea L’Anarchie où on accueillait cambrioleurs et faux monnayeurs sans qu’il fût molesté le moins du monde, il n’y avait plus à douter.

Au congrès anarchiste de Paris, en 1913, j’avais voulu faire expulser Mauricius comme mouchard, mais les camarades de province, qui ne connaissait pas le type, furent de son côté. — Faure, alors proposa que si Mauricius n’était pas expulsé, c’est nous qui nous retirerions, tenant le congrès ailleurs. Ce qui fut fait. Sur le moment, je ne compris pas que, en fait, c’était nous qui étions expulsés.

Au cours de la guerre, Faure repêcha mieux encore Mauricius, en le prenant comme secrétaire de son journal Ce qu’il faut dire.

Lui aussi, était-ce par manque de réflexion qu’il avait agi ainsi au congrès ? Son dernier geste envers Mauricius ne semble pas l’indiquer.

En parlant d’Armand, j’ai nommé un certain Kibaltchiche. Cet individu avait habité la Belgique, et m’avait envoyé quelques correspondances sous la signature de Le Rétif. Mais, par la suite, ces correspondances me devenaient suspectes par leur teneur, je les jetai au panier.

À quelques temps de là, les journaux nous apprirent que des anarchistes s’étaient présentés, armés de bombes, chez un riche commerçant, menaçant de le faire sauter, s’il ne leur délivrait pas la forte somme. J’ai oublié le montant de la somme. Il semble me rappeler qu’au cours de l’affaire une bonne fut blessée.

Pour faire voir que c’était bien un acte de propagande, les agresseurs se fendirent de quelque argent en faveur de certains des journaux existants. Une quarantaine de francs fut offerte au Bureau de Correspondance International qui publiait un « Bulletin » à Londres, et que celui-ci refusa ne voulant pas s’associer avec des malfaiteurs. Aux Temps Nouveaux, ils adressèrent par la poste une vingtaine de francs que je ne pus refuser n’ayant pas l’adresse des envoyeurs. J’offris de les rendre à la victime qui me dit de les garder.

La victime de l’attentat, — je l’appris plus tard — sans être anarchiste, était un sympathisant aux idées, il avait même plus d’une fois aidé des œuvres de propagande.

Détail à noter, le mandat qui m’avait été envoyé portait le cachet du bureau de poste du Bd. du Palais, tout proche de la Préfecture de Police.

L’organisateur de l’agression était Kibaltchiche !

Venu à Paris par la suite, il fila droit à L’Anarchie et en fut un des hôtes les plus assidus. Compromis dans l’affaire Bonnot, il écopa de cinq ans de prison, il serait curieux de savoir dans quelles conditions il fit ces cinq ans ?

Réfugié en Russie, les bolcheviks le chargèrent de vérifier les passeports de ceux qui se rendaient au pays des Soviets ! Il fit refuser l’entrée à Mauricius comme mouchard ! Le mouchard est sans pitié pour le mouchard !

Plus tard le camarade Gille me raconta que, avant de tenter l’expédition ci-dessus, Kibaltchiche avait essayé de faire chanter le Dr. H…, un autre de nos très bons camarades, puis, ayant échoué, avait essayé sur lui-même sans plus de succès. C’est alors que la bande s’était rabattue sur leur dernière victime.

Quelque temps après l’exécution de Ferrer, je reçus la visite de Soledad. Elle était accompagnée d’un nommé Moreno qui, disait-il, avait été professeur à l’École Moderne de Ferrer. Il ne me revenait qu’à moitié. Mais sous le patronage de la compagne de Ferrer, cela fit taire mes suspicions.

Il prétendait travailler à l’organisation d’un mouvement révolutionnaire en Espagne. Et nous donna à entendre que Ferrer serait bientôt vengé.

Il m’entortilla si bien que, sur 1 500 fr. que les camarades de Montevideo m’avaient envoyés pour être employés à une œuvre révolutionnaire en Espagne, je lui remis 1 000 fr. Je ne sais quel instinct me retint de tout lui remettre.

Plus tard, les 500 autres furent remis à Charles Albert pour le comité « Pro-Ferrer ».

Mis en appétit, le Moreno m’envoya un de ses acolytes me taper à nouveau, mais des doutes m’étaient venus. Il revenait à ma femme encore moins qu’à moi. Je ne marchai plus.

Je suis encore hanté du remords d’avoir si mal employé l’argent de camarades qui avaient eu confiance en moi. Mais venant sous le patronage de Soledad, mes méfiances s’étaient endormies.

Peu après, par je ne sais plus quelle voie, j’appris que Moreno n’avait jamais été professeur à l’école de Ferrer ; que c’était un personnage louche.

Puis ce fut la visite de parents éplorés, dont Moreno, partant pour l’Argentine, avait enlevé la fille, une enfant de 15 ou 16 ans, qu’ensuite il avait abandonnée en route, je ne sais plus où, et dont ils n’avaient plus de nouvelles.

Marié en Espagne, il y avait également abandonné sa femme.

J’écrivis immédiatement en Amérique du Sud pour que les camarades fassent à ce sale monsieur partout où il se présenterait, la réception qui lui convenait. De là-bas il m’écrivit une lettre furibarde, me prévenant qu’il me ferait « mon affaire » à son retour.

Déçu dans ses espérances de pouvoir exploiter à son gré les camarades, il publia dans un journal local ses « confessions » où il avouait ses relations avec la police, et où les anarchistes, principalement ceux qui avaient eu affaire à lui, étaient « arrangés » d’importance.

Les gens de la Guerre Sociale découvrirent, je ne sais comment, que le nommé Métivier, un militant de la C. G. T. était un mouchard. Prévenir les camarades de ce qu’était ce personnage c’était bien trop simple pour eux. En gens qui connaissent la valeur de la réclame, ils firent venir sous un prétexte quelconque Métivier à leur journal, et là, ils le gardèrent toute une nuit revolver au poing.

Le lendemain fut érigé un tribunal où figuraient en bonne place, Merle et Almeyreda. Métivier y fut amené par ses gardes toujours armés. Et là, on obtint de lui tous les aveux que l’on voulut.

Jusque-là, sauf le ridicule de cette mise en scène, tout était bien. Mais le déplorable de cette affaire, c’est que mes types, gonflés de leur importance, se crurent en droit et capacité dorénavant de décréter qui était mouchard, qui ne l’était pas.

Or depuis peu, était arrivé à Paris, y fréquentant les groupes, un Roumain que les camarades de Roumanie me signalèrent comme étant envoyé par la police.

Ne m’étant jamais rencontré avec l’individu, ni avec les gens qu’il fréquentait, je n’avais, jusque-là, pas eu l’occasion de me servir des renseignements reçus. Mais, soit que les camarades roumains eussent écrit à d’autres, soit que l’attitude du quidam eût paru louche, des suspicions s’élevèrent contre lui. L’accusation fut même lancée, car je reçus un long mémoire dont on me demandait l’insertion et où l’on prenait sa défense.

Le personnage en question, cela va de soi, protestait comme un beau diable. Tant et si bien qu’il finit par intéresser à son cas les gens de la Guerre Sociale qui constituèrent un tribunal — cela devenait une maladie — qui décréta que les accusations portées contre leur client étaient mal fondées.

Je ne pus m’empêcher de leur écrire pour les « féliciter » de leur clairvoyance, de la sûreté de leur jugement, saluant en eux le premier Préfet de Police et le premier Procureur Impérial de la Révolution à venir !

Leur décision n’empêcha pas que par la suite, l’accusation fut reconnue fondée et que C… — c’est tout ce que j’ai retenu de son nom — dût disparaître du mouvement.