Le Monument de Marceline Desbordes-Valmore/18

Collectif
Le Monument de Marceline Desbordes-ValmoreImprimerie L. & G. Crépin (p. 55-58).



Poésie de M. Henri Potez



J’irai, j’irai porter ma couronne effeuillée
Au jardin de mon Père où revit toute fleur.

(Desbordes-Valmore.)


I


Poète au front pensif qui les as tant aimées,
À toi ces fleurs, – ces fleurs fraîches et parfumées,
Ces roses du pays natal,
Dont le souffle est si doux, quand des clartés mourantes,
Avant les clairs de lune et les nuits transparentes,
Baignent le ciel occidental.

Tu ressemblais aux fleurs ! — Les nocturnes haleines,
Les voix vagues des bois et le vol des phalènes
Flottaient sur ton léger sommeil.
Tu goûtais longuement, après les lourds orages,
Les soirs d’été, leurs chants d’eaux vives, leurs mirages,
Et leur rayonnement vermeil.

Tu ressemblais aux fleurs. — Tu consolais la vie.
Loin des sentiers foulés par la haine et l’envie,
Tu marchais, des fleurs dans les mains.
Pareille aux roses, dont la corolle est de flamme,
Tu disais, prodiguant les trésors de ton âme :
Prenez, ô mes frères humains.

Cette pourpre vivante et ces lueurs d’aurore,
Que le sol généreux de Flandre a fait éclore,
Cet arôme épars dans le vent,
Évoqueront pour toi la mémoire chérie
Des vergers disparus de la vieille patrie
Où ton enfance allait rêvant,


Lorsque les ruisseaux clairs promenaient par la ville
Leurs flûtes de cristal et leur reflet mobile
Près des pelouses de velours,
Quand au bord des jardins touffus, pleins de murmures,
La Mère des Douleurs montrait ses sept blessures
Aux chapelles des carrefours,

Quand le beffroi lointain, tour d’un château magique,
Endormait lentement de son chant léthargique
Les herbages silencieux,
Quand le vert océan des profondes prairies
Venait battre nos murs de ses vagues fleuries
Et de ses bruits harmonieux.


II


Notre-Dame, auprès de la porte aux tours grises,
Semait en priant ses cloches par les brises,

Lorsque l’enfant blonde ouvrit ses yeux au jour,
L’enfant qui naissait pour les sanglots d’amour.

Ses sœurs — on eût dit un essaim de colombes
S’égrenaient souvent parmi les fleurs des tombes ;

Elle regardait le ciel de vieil argent,
Et dans l’herbe haute elle errait en songeant.

Ses tresses d’or pâle avaient été coiffées
De roses des bois par un présent des fées,

De roses des bois prises aux églantiers
Qui semaient leurs fleurs parmi nos vieux sentiers.

Des ronces montaient aux ogives mystiques ;
L’enfant grandissait au souffle des cantiques.

C’était le bonheur, le bonheur calme et pur,
Comme un beau lac bleu sous un beau ciel d’azur.

Bientôt le malheur et le vent des tempêtes
Dispersaient au loin toutes ces frêles têtes.

Ravie à la paix de ses ombrages verts,
L’enfant s’égarait en ce vaste univers.

Comme un sphinx de nuit, sa pauvre âme éblouie
Vola vers l’amour, son amour fut trahie.

(Constant Desbordes)
Musée de Douai.


PORTRAIT DE MARCELINE


Et du soir à l’aube et de l’aurore au soir
On la vit traîner son ardent désespoir.

On la vit longtemps, pleurante et délaissée,
Charmer de ses vers sa tendresse blessée.

Ses plaintes d’oiseau, ses chants brûlants et doux
À travers les temps sont venus jusqu’à nous.

Elle visita, d’épreuves en épreuves,
Les bords inconnus des mers et des grands fleuves.

Mais elle gardait en son âme, toujours,
Son premier pays, ses premières amours.

Elle avait au front sa couronne effeuillée,
De rosée amère et d’orage mouillée.

Sur ses faibles fleurs la Misère et la Mort
Soufflèrent ainsi que la bise du Nord.

Mais elle planait au-dessus de nos fanges,
Et versait des pleurs que recueillaient les Anges.

Mais sa pauvreté sur d’autres se penchait ;
Sur toutes ses sœurs sa pitié s’épanchait.

Mais elle entendait, à l’heure où le soir tombe,
Des mots qui venaient des cieux ou d’outre-tombe.

Mais elle écoutait les sons évanouis
Des clochers flamands depuis longtemps ouïs.

Et, quand se leva son dernier crépuscule,
Un cri s’échappa de sa lèvre qui brûle :

 « Me voici, mon Père, avec mes tristes fleurs,
 « Mortes sous la bise et le sel de mes pleurs. »

Les esprits de Dieu, vifs comme des abeilles,
Prirent les rameaux en leurs saintes corbeilles.

Et, ressuscitée au jardin immortel,
La couronne orna de ses roses le ciel ;

Et, lorsque la nuit étend ses sombres voiles,
On les voit s’ouvrir au verger des étoiles.


III


Ô vous tous qu’elle aimait, ô vous tous qui souffrez,
Venez ! – Tristes amants aux cris désespérés,
Amantes aux nuits désolées ;
Ô mères en grand deuil, qui rappelez en vain
Au foyer déserté pour l’horizon divin
Vos hirondelles envolées ;

Ô rêveurs qui passez, enchantés par la voix
Des cloches, des oiseaux, des sources et des bois,
Perdus en cette vie amère,
Orphelins étonnés de respirer le ciel,
Les souffles du matin chargés d’ambre et de miel,
Et de ne plus avoir de mère ;

Ô vieilles aux cheveux blanchis, qui consumez
Vos derniers jours au fond des logis enfumés,
Sur votre tâche monotone,
Et qui pleurez encor de vos yeux presque éteints
Les morts anciens, les morts perdus, les morts lointains,
Quand viennent les fêtes d’automne ;

Mendiants qu’ont usés les chemins incléments,
Dont la pluie et la boue ont fait les vêtements
Couleur de brouillard et de cendre,
Foules en qui persiste une obscure douceur,
Venez tous, — car elle est votre sublime sœur,
Venez vers votre sœur de Flandre.

D’un geste qui console et d’un front souriant,
Elle vous montrera le rayon d’Orient
Qui filtre dans votre chaumière ;
Elle est prête à guider, pauvres frères tremblants,
Vos esprits incertains et vos pas chancelants,
Sur la grand’route de lumière.


Henri Potez.
Douai, juin 1896.