Le Moine et le Philosophe/Tome 4/II/XXVII



CHAPITRE XXVII.

Le Chevalier des Mœurs, et sa suite près de Lansac.


Cependant le chevalier des Mœurs, les cinquante chevaliers vaincus, leurs écuyers donnant du cor, ont dépassé le Rhône et la plaine fertile des rivages de la Méditerranée. Ils sont tout près du château du baron, et avec eux, les chevaliers errans, les dames des chevaliers, les gentilles pucelles en quête de protecteurs, les cent infidèles, fidèles inscrites sur le livre de voyage du chevalier des Mœurs, et leurs nobles champions armés pour soutenir ou venger leur honneur et leur gloire. Chacun ayant arrangé son voyage de manière à n’arriver que le jour du tournoi, personne ne voulant attendre dans un bourg inconnu, dénué de ressources ; ils se sont tous rencontrés dans la ville voisine ; les chevaliers font nétoyer leurs armes, les dames préparent leur parure, les écuyers s’exercent sur le cor. Le jour du tournoi, et c’est le lendemain de l’arrivée de Florestan au tombeau de Gabrielle, toute cette troupe leste et guerrière, où se trouvent réunis tout ce que la France, la Provence, l’Occitanie et les champs de Vienne et de Grenoble ont de plus belles dames et de plus braves chevaliers, s’avancera couverte d’armes brillantes ou de riches parures sur les terres du baron. En arrivant dans sa capitale les écuyers sonneront du cor, et quand les chevaliers seront sur la place où la lice est préparée, avant même que les dames soient descendues de leurs blancs palefrois, le chevalier des Mœurs proclamera Gabrielle la plus belle et la plus fidèle ; à ces mots une dame s’adressant aux juges du camp, se plaindra de la félonie du chevalier des Mœurs, et demandera le combat pour son chevalier. Ce chevalier agitera sa lance en s’écriant : Gabrielle est fidèle comme toutes les dames, je l’avoue, mais la mienne est la plus belle ; tous les chevaliers répéteront ce nouveau cri, et le tournoi commencera de suite en l’honneur de la beauté et de la fidélité des dames : ainsi l’ont décidé les belles réunies en cour d’amour.

À côté de la lice s’élève un énorme bûcher, surmonté d’une croix. Trois sorcières, parmi lesquelles se trouve la vieille qui conduisit Gabrielle au sabbat, ont été condamnées au feu. Le jour du tournoi, elles seront amenées au bûcher par le clergé et ses familiers, bannières déployées : tous les dévots se préparent pour assister à cette sainte expédition.

Le baron, avec ses écuyers et les envoyés qui lui ont annoncé la mort de sa fille, est arrivé dans l’ermitage. L’enfant du Carmel, voulant se débarrasser de ce rude croyant, lui a dit : « Allez, retournez sur vos terres, le miracle est accompli, votre fille a été ressuscitée par Élie, touché de votre foi et de mes prières. » Le baron a fait mettre le saint homme à cheval ; et comme il a dit se tenir mal en selle, on lui a lié les jambes sous le ventre du coursier ; les écuyers sont chargés de fouetter sans cesse sa monture impétueuse, et toujours trop lente, et l’on part ventre à terre, malgré ses prières et ses cris, afin d’arriver avant l’expiration des quarante-huit heures. L’ermite a beau crier que le miracle est fait, ou qu’il ne peut faire de miracles, le baron n’écoute rien, et lui jure, en galopant, que, s’il ne ressuscite sa fille, il le fera mettre à mort.

Ils arriveront également le jour du tournoi ; et ce jour, je le répète, sera le lendemain du retour de Florestan, c’est-à-dire demain, puisque Florestan vient d’arriver ce soir.