Le Moine et le Philosophe/Tome 4/II/XXVI



CHAPITRE XXVI.

Le Croisé suivit le chien fidèle. — Florestan au tombeau de Gabrielle.


Dans un étonnement difficile à décrire, il jugea Gabrielle absente de son château ; mais pourquoi, quels malheurs auraient fondu sur elle ; dans quels lieux a-t-elle fixé son séjour ? Déjà les habitans avaient fermé leurs portes, il ne pouvait les questionner, il ne l’aurait pas osé, peut-être ; car à la direction de son chien, il commençait à s’effrayer ; le chien le conduisit sur la place du village où la lice du tournoi, les siéges élégans et le bûcher attendaient les chevaliers, les dames et les sorcières. Sur cette place l’église s’élevait, la porte en était ouverte, des lampes brillaient dans l’intérieur, elle était entourée de voiles noirs, le chien arrêté sur la porte, aboie et l’appelle ; Florestan se précipite vers lui, il entre dans l’église et revoit le chien sur les tombeaux, il le voit grattant la pierre sépulcrale avec rage, il l’entend hurler et gémir.

La foudre, se brisant à ses côtés, l’eût moins épouvanté ; d’une voix déchirante il s’écrie : Gabrielle n’est plus !

Le corps de Gabrielle reposait depuis le soir d’auparavant auprès de ses aïeux ; on l’avait déposée dans les caveaux de l’église, parée de ses plus beaux habits, la couronne de fleurs blanches sur le front, symbole de l’innocence, arrivée jusqu’au mariage ou à la mort ; Gabrielle ne voulait point que ces fleurs virginales annonçassent son trépas, elle avait dit pendant qu’on en ceignait sa tête appesantie : Florestan n’est plus sur la terre, et je vais à lui ; la mort de nos corps est l’hymen de nos âmes. Dans les caveaux une lampe était allumée et brûlait près du corps de cette merveille d’amour et de fidélité.

Florestan soulève la pierre des tombes, il descend à la lueur de la lampe funéraire ; il voit Gabrielle expirée, belle encore comme au jour du bonheur ; il se précipite sur elle, l’entoure de ses bras, pose sa tête à côté de la sienne, et sans pouvoir dire une parole, ferme les yeux et perd le sentiment.

Ainsi la tombe sert de couche à ces deux amans, et la mort est le prêtre de l’hyménée.