Le Mirage perpétuel/LES PAYSAGES/Cordoue

Librairie Paul Ollendorff (p. 19-21).


CORDOUE



Ils avaient dit : « La Mecque est ville d’autrefois,
Bâtissons la casbah de la vallée heureuse,
Nous ferons oublier Bagdad la Merveilleuse
Et l’Islam Rayonnant supplantera la Croix.

Puisque c’est notre Dieu qui dans les Cathédrales
À l’Espagne vaincue a imposé son joug,
Il en faut témoignage et que sur leurs genoux
Les Chrétiens prisonniers viennent polir les dalles. »


Pour que tout l’Occident en parût mieux dompté
Le Calife ordonna l’universel pillage,
On fit venir des colonnades de Carthage
Et de Grèce les fûts du temple d’Astarté.

Les palais anciens, les cloîtres, les chapelles,
Rien ne fut épargné pour l’honneur du Coran,
Le jaspe, le porphyre et tout l’art musulman
Firent de la Mosquée une Cité nouvelle.

Échiquier précieux qui jusqu’à l’infini
Déroule par milliers ses courtes paraboles,
Arcades, chapiteaux, volutes et consoles,
Vaste forêt de colonnettes en granit,

Telle subsiste encor la divine Mosquée,
D’un art solide et fin vestige colossal,
Caprice fastueux d’un rêve oriental,
Symbole de conquête et preuve d’épopée.


Ô Ville de Lucain et de Sénèque enfant,
Quels drames ont marqué ton histoire tragique,
Ville latine, musulmane et catholique,
Bague brillante dans une mare de sang !

Bien que les orangers et les tendres platanes
Te soient encore une atmosphère de parfums,
Où donc est ta puissance et ton orgueil défunts
Ô Cité que le Monde appelait Capitane !

La brise désormais passe comme un soupir
Sur tes rives encor par le temps embellies,
Et sur les flots déserts du Guadalquivir,
Tout le ciel se reflète avec mélancolie.