Le Mirage perpétuel/L’AMOUR/D’après Goya

Librairie Paul Ollendorff (p. 115-118).


D’APRÈS GOYA



            Petite brune au corps nerveux,
            Jarrets tendus, reins vigoureux,

            Cuisses dures, hanches étroites,
            Jambes fines, longues et droites,

            Seins redressants, cheveux frisés,
            Ventre poli par les baisers,


            Tête fine, prunelles claires,
            Lèvres minces et volontaires,

            Qui donc pourrait te résister,
            Madone de Perversité !

Les Hommes ! tu sais trop le pouvoir qui les trouble,
Rien qu’à voir apparaître un instant hors des draps
La courbe de ton dos, le pli chaud de tes bras,
Ou de tes seins aigus et bruns la pointe double ;

Leurs vaines volontés, ton parfum les dissout,
Tu glisses dans leur chair le goût de la luxure,
Et si quelqu’un se croit d’une vertu plus sûre
D’un seul baiser tu sais l’abattre à tes genoux.

Souple et svelte, quand tu t’allonges sur ta couche,
Avec des mouvements onduleux et félins,
Tu fais saillir ta croupe et tu creuses tes reins,
Ta langue est comme un dard qui jaillit de ta bouche.


Tu redresses parfois ta maigre nudité
Comme un symbole obscur dominateur du monde,
Tes yeux, tes grands yeux verts sont une mer profonde
Où chavirent tous nos désirs de chasteté.

Sur ton lit dévasté, mobile et provocante,
Que de fois des amants après tes jeux lascifs,
Pâles et secoués de spasmes convulsifs,
S’éloignèrent, baignés d’une sueur ardente !

Tu les railles. Tu sais des rites qui rendront
Aux muscles épuisés des souplesses nouvelles,
Et toi, recommençant tes caresses cruelles,
Du signe de la mort tu marqueras leur front ;

Comme d’une Circé ta puissance est magique !
Sur ton corps frémissant nul n’a jamais connu
Le dégoût passager d’un plaisir trop aigu,
Ton esprit est fertile en jeux diaboliques ;


Hélas ! par quel attrait te plaisent les amants
Dont le mauvais destin te livre la faiblesse ?
Que leur échine, comme un arc, sous tes caresses,
Se courbe et se replie avec des tremblements,

Que leurs nerfs soient pareils à des cordes tendues,
Que leurs traits amaigris et leurs cheveux épars,
Que leur teint diaphane et que leurs yeux hagards
Disent votre pouvoir, voluptés inconnues !

Mais puisses-tu toi même en quelque soir d’oubli
Rencontrer un amant enfin qui te domine,
Et qui, de ses bras nus te broyant la poitrine,
Te laisse agonisante au travers de ton lit !