Le Mineur de Wielicszka (recueil)/Le Lièvre et le Lapin

Mégard et Cie (p. 92-95).

LE LIÈVRE ET LE LAPIN.





Un lièvre, le véritable Thersite de sa timide espèce, avait cependant ses bouffées d’orgueil, et ne rêvait rien moins que l’immortalité. Un jour, après s’être introduit dans un petit jardin et en avoir ravagé les plus beaux choux et les plus belles carottes, il osa, prompt comme l’éclair, passer, les oreilles droites, à vingt pas de Médor, vieux chien aveugle et sourd qui dormait paisiblement sous le feuillage d’un chêne antique ; toutefois, notre héros ne put se défendre d’un indicible mouvement de terreur ; une ombre, il est vrai, une ombre bizarre et scintillante se projeta tout à coup ; c’était la silhouette du nez de la vieille Catherine, qu’on appelait par dérision la mère Sans-Nez ou Cent-Nez. Nous ne savons réellement à quel calembourg donner la préférence ; ils sont aussi spirituels l’un que l’autre.

Pour en finir, le lièvre, présomptueux, un peu rassuré, quoique hors d’haleine, se dirigea du côté de son gite, et ne manqua pas de raconter longuement à tous les voisins les périls nombreux qu’il avait courus, les pièges qu’il avait su éviter, les prouesses qu’il avait faites. Sa voix, naturellement fluette, s’était animée et aurait pu rappeler les phrases pompeuses de certains généraux plus célèbres par leurs défaites que par leurs victoires.

Ennuyé des déclamations continuelles de notre guerrier aux pieds rapides, aux oreilles longues et mobiles, Jean Lapin, un jour, lui proposa de se mesurer avec une meute dont les aboiements étaient encore éloignés. Le sauteur accepta fièrement le défi ; mais au même instant, un roquet, qui courait après un papillon aux ailes diaprées, se mit à japper ; le faux brave, frappé d’épouvante, perdit la tramontane, et s’élança de tout son élan au travers d’un taillis, jusqu’à ce qu’il roula dans un fossé fangeux et profond.

Une heure après, Jean Lapin, l’ayant rencontré en ce piteux état, s’écria d’un ton railleur :

— Voilà donc ce nouvel Hercule qui d’un pôle à l’autre devait porter la gloire de son nom ! La voix simple d’un roquet l’a glacé d’effroi. Oh ! que le proverbe est plein de justesse :


Les bavards et les fanfarons
Ne sont jamais que des poltrons !



FIN.