Le Mineur de Wielicszka (recueil)/François et Gustave

Mégard et Cie (p. 85-91).

FRANÇOIS ET GUSTAVE.





François et Gastave étaient deux bons amis. Un jour qu’ils se promenaient dans la campagne, ils aperçurent un grand jardin rempli de fruits, qui certainement devaient être délicieux, à en juger par leurs éclatantes couleurs.

— Entrons dans ce jardin, dit Gustave, et cueillons quelques poires et quelques pommes. Ce petit larcin, ignoré de tout le monde, ne pourra ruiner le propriétaire, qui est très-riche ; d’ailleurs, nous mourons de soif : la nécessité est notre excuse.

— Aucune raison ne peut nous autoriser à commettre un vol quelconque, répondit François. Nous avons soif, allons nous désaltérer à ce ruisseau limpide qui coule à quelques pas d’ici ; mais respectons, aujourd’hui comme toujours, la propriété d’autrui. Si tous les enfants voulaient suivre tes maximes, en moins d’une semaine les arbres de ce jardin seraient dépouillés de leurs fruits attrayants et vermeils.

— Vraiment tu es trop scrupuleux. À quoi bon tant de phrases, qu’on croirait tirées d’un sermon ? De quoi s’agit-il enfin ? D’une grosse somme d’argent ?… Du tout ; il est question d’une pomme. Peut-on se faire un cas de conscience de cueillir une pommé d’api ou de calville ? Un peu plus, un tour d’écolier serait transformé en un acte de brigandage. Oh ! je ne suis pas si chatouilleux sur le point d’honneur. Au surplus nous ferons ce qu’ont fait nos ancêtres pendant leur jeunesse, et ce que feront nos descendants, quand ils auront atteint notre âge. La nécessité ne connaît pas de loi.

— Mauvaise application, monsieur l’érudit, répliqua François. J’ai lu quelque part :


Conserve donc ton âme pure,
Même dans la nécessité.


Saint Augustin, dans un âge avancé, ne s’est-il pas accusé d’avoir volé une mauvaise pomme ? Ce souvenir ne pesait-il pas sur sa conscience ? La plupart des grands voleurs ont débuté sur un petit théâtre ; et le criminel exécuté avant-hier sur la place de Chartres n’avait-il pas, pour son coup d’essai, dérobé quelques grappes de raisin ? C’est dans la jeunesse surtout qu’il faut se tenir sur ses gardes ; si nous naissons avec de mauvais penchants, prions Dieu de nous donner la force de les combattre, et souffrons plutôt la faim, le froid, que de nous rendre coupables d’une action punie par les lois divines et humaines.

— Tu as raison, François, et je te remercie de ton bon conseil. Pardonne-moi un moment d’oubli ; éloignons-nous d’ici, et allons vite nous rafraîchir au ruisseau, dont l’onde pure me flattera mille fois plus qu’un fruit volé.

Les deux amis se retiraient gaîment, lorsque le propriétaire du jardin leur dit : — Venez, mes petits amis ; car vous méritez chacun une récompense : l’un pour les sages conseils qu’il a donnés, l’autre pour avoir écouté la voix de la raison. Soyez sans inquiétude ; derrière ce bouquet de noisetiers, où je m’étais assis depuis quelques instants, j’ai entendu votre conversation. Que Gustave n’oublie jamais les pieuses et sages paroles de François ; que le vice ne souille jamais votre âme immortelle, et vous obtiendrez, avec l’estime de vos semblables, la couronne glorieuse que le Seigneur destine à ses élus. Pour preuve de ma satisfaction, entrez dans mon jardin et régalez-vous des plus beaux fruits.

François et Gustave remercièrent beaucoup l’honnête propriétaire du jardin, et cueillirent chacun une poire et une pomme dont le goût était délicieux.

— Cela ne suffit pas, leur dit en riant le propriétaire. Prenez encore six pommes et six poires. Demain ces fruits excellents vous rappelleront la scène d’aujourd’hui. Désormais vous pouvez venir me voir, la porte de mon jardin vous sera toujours ouverte.

François et Gustave, après avoir remercié le maître du jardin, le saluèrent honnêtement. De retour chez eux, ils racontèrent cette aventure à leurs parents, qui les engagèrent à ne jamais mettre en oubli cette leçon salutaire.

— Si vous aviez pris des fruits sans permission, ajoutèrent-ils, vous auriez été sévèrement punis par le maître du jardin. En agissant selon le septième commandement de Dieu :


Le bien d’autrui tu ne prendras.


vous avez été récompensés au delà de vos désirs, quoique vous n’ayez fait que votre devoir de chrétien. Retenez cette sentence, ô mes enfants :

Le vol ne profite jamais
Et n’est suivi que de regrets.