Le Messianisme chez les Juifs/Troisième partie/Chapitre 4

CHAPITRE IV

LA RÉSURRECTION DES MORTS.


Lorsqu’on identifie les temps messianiques et la vie éternelle, on est très logique en plaçant la résurrection des morts à l’arrivée du Messie. C’est aussi ce que fait très expressément M. Schürer : « Les justes ressusciteront pour la vie éternelle dans la splendeur du royaume messianique ». Et encore : Les Sadducéens, en niant la résurrection, « rejetaient l’ensemble de l’espérance messianique, du moins sous la forme que le judaïsme récent lui a donnée[1] ».

Même si l’on distingue la vie éternelle et les temps messianiques, on pourrait supposer que les justes, morts avant le Messie, ressusciteront pour prendre part aux joies de son règne avant l’inauguration de la vie éternelle. Cependant, si la résurrection était placée après ce règne, la distinction des deux époques n’en serait que mieux marquée. Il y a donc place, sur ce point, à des positions différentes, même pour ceux qui distingueraient l’ordre de la délivrance d’Israël de l’ordre de la rétribution. Et c’est bien ce que nous aurons à constater. L’opinion de M. Schürer et des critiques très nombreux qui partagent son avis est donc à tout le moins trop absolue. Il y a plus, et nous croyons que, dans les temps les plus anciens du rabbinisme, la résurrection des morts inaugurait la période finale ou plutôt éternelle, et suivait la période messianique. Cette opinion a d’ailleurs prévalu dans le judaïsme : on peut la nommer à la fois primitive et traditionnelle.

L’examen des psaumes de Salomon ne serait qu’une redite. A propos du monde à venir nous avons clairement constaté que s’ils affirment à la fois la résurrection des justes et le règne du Messie, ils ne supposent pas un instant que ces justes, morts et ressuscités, participeront à ce règne ; au contraire ils disent expressément qu’il est réservé à ceux qui vivront alors, à la génération de ce temps, donc en suivant l’ordre naturel des choses.

Ce qui a été dit du sort des âmes à propos des apocalypses nous permet de classer la doctrine que Josèphe attribue aux Pharisiens : c’est en partie celle de la première section du livre d’Hénoch[2] : « Ils pensent que les âmes ont une énergie immortelle ; selon qu’on a pratiqué le bien ou le mal pendant la vie on reçoit sous la terre des châtiments ou des récompenses ; les unes demeurent éternellement enfermées, les autres ont la faculté de vivre de nouveau[3] ». Cela dans les Antiquités. Dans la Guerre juive, Josèphe a donné à sa pensée un tour plus indécis, qu’on eût pu interpréter dans le sens de la métempsycose, à ignorer les opinions pharisiennes : « toute âme est immortelle, celle des bons seule passe dans un autre corps, celles des méchants subissent un châtiment éternel[4] ».

Peut-être Josèphe préféra-t-il, en exposant les opinions des Pharisiens et des Sadducéens comme s’il s’agissait de sectes philosophiques, laisser leur pensée dans un certain vague auquel les étrangers donneraient plus facilement un sens qui leur parût acceptable. Quoi qu’il en soit, la résurrection des bons est uniquement dans l’ordre de la rétribution, dans un ordre presque abstrait, sans aucune nuance de messianisme. Quant aux méchants, Josèphe paraît les exclure complètement de la résurrection. En quoi il a généralisé à l’excès, ne voulant point exposer à la discussion des Gentils des points trop particuliers. Il est certain qu’il ne pouvait nommer la résurrection des pécheurs une nouvelle vie ; c’eût été contraire à l’opinion générale, telle que nous la connaissons par tous les autres textes. Mais, d’autre part, le passage même du livre d’Hénoch qui n’admet pas la résurrection de tous les pécheurs[5] l’accepte cependant pour une catégorie d’entre eux, peut-être la plus nombreuse dans sa pensée.

Personne dans Israël ne pouvait la nier absolument, à moins de rejeter l’autorité de Daniel[6].

C’est son texte que prenait pour point de départ la discussion entre Hillel et Chammaï sur le sort de ceux qui n’étaient ni bons ni mauvais[7].

L’école de Chammaï dit : Il y a trois classes ; l’une pour la vie éternelle, l’autre pour les opprobres pour une durée éternelle (Dan. xii, 2) : ce sont les méchants qui sont entièrement tels ; ceux d’entre eux où la balance est égale descendent dans la géhenne et se maintiennent au-dessus, et en remontent et sont guéris, comme il est dit : je ferai passer la troisième partie dans le feu et je les purifierai comme on purifie l’argent, et je les éprouverai comme on éprouve l’or : celui-là invoquera mon nom et je serai son Dieu (Zach. xiii, 9) ; c’est aussi d’eux qu’Anne a dit : Iahvé donnant la mort et rendant la vie, faisant descendre au Chéol et il en fait monter (I Sam. ii, 6). Et l’école de Hillel dit : Il est riche en miséricorde (Ex. xxxiv, 6), il décide selon sa miséricorde ; et c’est d’eux que David a dit : j’aime, car Iahvé a entendu (Ps. cxvi), et c’est d’eux qu’a été dite toute cette section.

L’allusion à Daniel ne laisse aucun doute sur le sens de cette scène. Il s’agit du jugement suprême et de la distinction des méchants et des bons. Le théâtre est supra-terrestre, avec des âmes suspendues entre le monde d’en haut et la géhenne. Il n’y a là aucune place pour un messianisme temporel. Nous sommes peu surpris que Hillel à ce moment n’ait plus voulu entendre parler d’un purgatoire. Si les mérites égalent les démérites, Dieu tranche dans le sens de la miséricorde.

D’après ce que nous avons constaté pour la vie future, nous nous croyons autorisé à prendre dans le même sens de l’eschatologie définitive les sentences où les maîtres parlent de la résurrection en traitant de la rétribution individuelle particulière. La résurrection était intimement liée avec le jugement général. Dans la série des controverses entre Éliézer ben Hyrkanos et Josué ben Khanania, quand la Michna dit : « ils n’auront pas de part au monde à venir et ne se lèveront pas pour le jugement »[8], c’est la résurrection qui est désignée, et la Tosefta l’indique plus clairement : « ils n’auront pas de part au monde à venir, et ils ne vivront pas pour le monde à venir »[9].

Le dogme de la résurrection était celui qui choquait le plus les Gentils. Chacun le sait par l’épisode de saint Paul à Athènes[10]. Les rabbins rencontraient les mêmes répugnances, et les textes mentionnent plus d’une discussion entre eux et des incrédules. Ces incrédules étaient quelquefois des Juifs, car ces Juifs d’Alexandrie qui demandaient à Josué ben Khanania si les ressuscités devaient être aspergés d’eau, paraissent assez sceptiques en matière de résurrection[11]. Mais le plus souvent ce sont des philosophes, ou même des empereurs. Or cette discussion n’aurait guère de sens si on n’avait eu en vue que la résurrection des justes israélites pour jouir des biens messianiques.

C’est ainsi que R. Gamaliel II, probablement dans son célèbre voyage à Rome en 95, essaya de prouver la résurrection par divers textes qui ne firent aucune impression sur ses interlocuteurs[12]. Il les convainquit enfin en citant : « Et vous qui adhérez à Iahvé, votre Dieu, vous êtes tous vivants aujourd’hui »[13]. Argument sans appui sur le sens littéral historique, mais admirable par l’assurance sous-entendue que ceux qui vivent en Dieu doivent vivre à jamais en Lui dans l’intégrité de leur nature[14]. La fille du patriarche s’exercait aussi dans le même genre de controverses[15].

Josué ben Khanania expliquait à Hadrien que pour la résurrection Dieu se servirait d’un os de la colonne vertébrale en forme d’amande, qui ne se corrompt ni dans le feu, ni dans l’eau, et qu’on ne peut piler[16].

Dans l’école d’Ismaël, on faisait de la résurrection la contre-partie de la création. Si le vase de verre brisé, vase produit par le souffle de l’homme, peut être raccommodé quand il est brisé, combien plus l’homme, créé par le souffle de Dieu[17] ?

Le lien étroit entre l’idée de rétribution et la résurrection a été exprimé par R. Jacob sous une forme obscure et un peu paradoxale. « Toutes les fois qu’un commandement de la Thora mentionne une récompense, il fait allusion à la résurrection des morts »[18]. Rien de plus contraire en apparence au sens littéral, par exemple si celui-ci promet une longue vie sur la terre. Mais c’est précisément sur quoi s’appuie R. Jacob. Le Deutéronome prescrit, quand on déniche des oiseaux, de laisser aller la mère : « afin que tu sois heureux et que tu prolonges tes jours »[19]. Or il peut arriver que celui qui a accompli le précepte tombe d’une branche et se rompe le cou. Que devient sa récompense ? Il ne peut être heureux que dans la résurrection des morts et le monde à venir. Elle était donc exigée par la justice de Dieu, suppléant aux imperfections de la justice en ce monde.

Naturellement on faisait un raisonnement inverse au sujet des pécheurs. Simon ben Éléazar prouvait aux Samaritains la résurrection par un texte des Nombres[20] où il est dit d’une personne menacée d’extermination pour un crime : « que ses péchés soient sur elle » ; ce qui ne peut s’entendre que si elle rend compte au jour du jugement.

Cette manière d’envisager la résurrection comme un événement cosmique, qui embrasse tous les particuliers, se rattachant au souverain pouvoir de Dieu sur le monde et non à sa Providence spéciale sur Israël, est le grand courant de la tradition hébraïque, représenté par la prière Chemoné-esrê qui a ensuite contribué à le maintenir. Le pouvoir de Dieu sur les morts pour les rendre à la vie figure dès le second article, comme un attribut divin, tandis que le messianisme davidique ne paraît qu’au quatorzième[21].

Il est certain cependant que, à partir d’une certaine époque, quelques rabbins ont exprimé l’espérance de ressusciter au moment de l’avènement du Messie. Je n’en vois pas de trace avant R. Méïr, disciple de Rabbi Aqiba.

Une tradition de basse époque raconte un entretien qu’il aurait eu avec un chef romain. L’hégémôn comparait Israël à un esclave chassé par son maître. R. Méïr répliquait que c’était un fils, châtié par son père ; aussi Dieu est-il tout disposé à pardonner aux Israélites repentants et à les ramener à Sion. La dernière instance de l’hégémôn, c’est que Dieu rappellera bien les vivants, mais non les morts. A quoi R. Méïr réplique par le texte d’Isaïe sur la résurrection des cadavres[22]. Mais l’ouvrage où cette tradition est rapportée est de très basse époque, et Bâcher n’ose affirmer l’authenticité de la petite histoire[23].

Les autres maximes de R.Méïr sur la résurrection s’entendraient mieux du jugement général. Il disait que ni Absalom, ni aucun des rois d’Israël ne ressusciterait au jour du jugement[24].

Il avait d’ailleurs toute une théorie sur les sept cieux[25]. Dans le plus élevé, qu’il nommait ‘Arabôth, il plaçait « la justice et le droit, et la bienfaisance, les trésors de la vie et de la paix et les trésors de la bénédiction et les âmes des justes et les esprits et les âmes qui devaient être créés, et la rosée dont Dieu devait se servir pour ressusciter les morts »[26]. Chaque point est prouvé par un texte de l’Écriture. Si les âmes des justes sont là, c’est parce qu’il a été dit à David : « L’âme de mon seigneur sera liée dans le faisceau des vivants auprès de Iahvé, ton Dieu »[27]. Leur présence, si près de la divinité, ressemble à la situation des justes dans l’apocalypse d’Esdras, au septième degré qui précède la résurrection. Toute la situation a un aspect cosmologique, sans allusion au temps du Messie. R. Méïr, lorsqu’il parle de ce temps, — et avec quel luxe d’imagination ! — n’y fait aucune place à la résurrection[28].

Vers la fin du iie siècle, quelques-uns ont dit clairement que les morts devaient ressusciter pour le temps du Messie. C’est du moins ce que l’amora Simon ben Lakich attribuait à Bar Kappara et à Simi ou Simaï, tannaïte d’époque inconnue, mais qui ne peut être très ancien, et qui est même regardé par quelques-uns comme amora. Voici le texte du Talmud de Jérusalem[29] :

Je marcherai devant Dieu dans les pays de la vie (Ps. cxvi, 9)… Non, dit R. Simon ben Lakisch, au nom de Bar Kappara : on entend par là un pays dont les morts ressusciteront les premiers à l’arrivée du Messie ; et, ce qui le prouve, c’est qu’il est dit (Isaïe, xlii, 5) : Il donne l’âme au peuple à cause d’elle (de cette terre).

Est-ce à dire que nos rabbins enterrés hors de la Palestine ne jouiront pas du bénéfice de la résurrection ? L’Éternel, dit R. Simi, creusera la terre sous leur corps, de façon qu’ils viennent rouler comme des outres jusqu’en Terre sainte ; et parvenus là, leur âme retournera dans leur corps et les vivifiera.

Un autre contemporain de Rabbi, Pinkhas ben Iaïr, exprimait par une gradation ascendante comment, de vertu en vertu, on arrivait à la résurrection des morts. Dans la Michna, ce texte se termine par l’affirmation que « la résurrection des morts se produit par l’entremise du prophète Élie, [qu’il soit] mentionne en bonne part »[30]. Cette intervention d’Élie est caractéristique pour l’époque messianique.

Et il en est de même de l’importance qu’on attachait à être enseveli en Terre sainte. Rabbi Méïr qui mourut près d’Antioche demanda que du moins on l’enterrât sur le bord de la mer, ce qui était comme un contact avec la Palestine. Il voulut qu’on lui mît une corde aux pieds, afin d’y être tiré plus facilement au jour de la résurrection[31]. On trouva ce mode de locomotion ingénieux, et il devînt d’un usage général parmi les personnes pieuses.

Ce qui prouve d’ailleurs dans quel sens réaliste était entendue cette résurrection, ce sont les discussions sur l’état des ressuscités. On se demandait si les morts ressusciteraient tout habillés. Depuis l’installation des gymnases à Jérusalem, les Juifs avaient horreur du nu ; outre ce qu’il peut avoir de choquant pour la décence, il était toujours lié dans leur pensée aux cultes polythéistes[32].

La reine Cléopâtre[33] demandait à Rabbi Méïr : Nous savons que les morts vivront, car il est écrit : et ils germeront de la ville comme l’herbe des champs (Ps. lxxii, 16) ; mais quand ils ressusciteront, ressusciteront-ils nus ou dans leurs vêtements ? Il lui dit : A plus forte raison que le grain d’orge ; et si le grain d’orge qui est enseveli nu sort si bien habillé, combien plus les justes qui ont été ensevelis dans leurs habits !

La réponse était en quelque sorte suggérée par la demande ; on ne saurait avoir plus d’à propos, et la comparaison du grain de blé pourrait s’entendre dans le sens d’une transformation, même spirituelle, comme dans saint Paul[34]. Ici encore R. Méïr semble occuper une position intermédiaire. Plus tard on ne recula pas devant un réalisme plus grossier.

On a enseigné[35] au nom de R. Nathan : Le vêtement que l’homme emporte dans la tombe le couvrira au moment de la résurrection ; et ce qui le prouve, c’est qu’il est écrit (Job, xxxviii, 14) : la terre change comme l’argile peut changer d’empreinte, et ils se présentent comme un vêtement (c’est-à-dire vêtus, selon le sens adopté ici). Antonin demanda à Rabbi : Que signifie ce verset ? Cela veut dire, répondit Rabbi : celui qui change la face des choses et ressuscite les morts reconstitue aussi leurs vêtements[36]. R. Juda recommanda de le couvrir après sa mort par une étoffe verte, qui ne soit ni blanche ni noire ; car, dit-il, si je me trouve placé parmi les justes, je ne rougirai pas, n’ayant pas d’étoffe noire ; et si je me trouve parmi les impies, je ne serai pas non plus remarqué, n’étant pas couvert de blanc. R. Yoschia prescrivit qu’on le revêtît de blanc éclatant. Quoi ! lui dit-on, te crois-tu au-dessus de Rabbi ? Non, répondit-il ; mais je n’ai pas à rougir de mes actions (sans me régler d’après ce qu’il fait). De même R. Jérémie recommanda de le vêtir d’étoffes éclatantes de blanc, de ses habits les plus riches, de mettre des sandales à ses pieds, son bâton à la main, de le coucher de côté, non sur le dos, afin qu’au jour de l’arrivée du Messie il soit tout prêt à le suivre.

R. Jérémie, qui vivait au ive siècle, est donc bien postérieur au temps des tannaïtes. C’eût été dommage cependant d’arrêter la citation avant de l’avoir entendu. Il est logique. Si l’on doit revenir pour assister au temps du Messie, il est indiqué de mettre ses plus beaux habits et de ne pas oublier sa canne, ni même son chapeau.

Il y a quelque chose de touchant dans cette foi inébranlable, mais combien cette façon d’entendre la résurrection diffère de celle de saint Paul ! On ne comprend pas qu’un homme comme R. Iehouda le Saint soit tombé dans cette niaiserie de se faire habiller de vert dans son tombeau, lui qui enseignait que les ressuscités seraient semblables aux étoiles.

Peut-être le seul moyen d’éviter une contradiction flagrante est-il de lui attribuer l’opinion de l’apocalypse de Baruch. Les morts devaient tous ressusciter tels qu’ils étaient, afin de se reconnaître les uns les autres. C’est seulement après, que les bons étaient transformés dans la lumière. De sorte que ceux qui attendaient une résurrection si matérielle ne la plaçaient pas pour cela nécessairement avant le temps du Messie.

Peut-être était-ce en vue de cette confrontation des bons et des méchants que R. Méïr tenait à ce que la résurrection fût publique. Il le prouvait à un Samaritain par la comparaison de l’enfant, conçu dans le secret, et produit publiquement à la lumière ; combien plus Dieu rendra-t-il au grand jour ceux qu’on a ainsi confiés à la terre[37] !

Il est probable que chacun ressuscitait à l’âge qu’il avait. On peut du moins le déduire d’une discussion entre R. Khyia et R. Simon ben Rabbi sur l’âge auquel les enfants étaient susceptibles de la vie éternelle[38]. Le premier disait : aussitôt que l’enfant est né[39] ; le second : aussitôt qu’il peut parler[40]. On est très surpris qu’il ne soit pas ici question de la circoncision.

Nous avons donc constaté de graves divergences relativement au temps de la résurrection et quant à sa relation avec l’époque messianique. M. Klausner la regarde comme tellement liée au monde de l’au-delà qu’il ne veut même pas en traiter dans son étude sur le messianisme au temps des tannaïtes[41]. Au contraire, M. Rabinsohn n’a pas craint d’écrire : « Mais il ne s’agit pas, comme dans le Mazdéisme, les apocalypses et le Nouveau Testament, d’une résurrection comportant la naissance d’une humanité nouvelle, tout à fait différente et perfectionnée, exempte de besoins et de défaillance. Il est seulement question d’une réparation pure et simple de l’œuvre de la mort, afin de pouvoir permettre aux générations défuntes de jouir elles aussi de l’heureux avenir d’Israël »[42].

Ces deux opinions sont trop absolues en sens contraire. Il est vraisemblable qu’à la fin du premier siècle et au début du second il n’y avait aucune divergence doctrinale grave entre les auteurs des apocalypses d’Esdras ou de Baruch, si pénétrés des idées du judaïsme pharisien, et les autres maîtres en Israël. On suivait la ligne des psaumes de Salomon. Le changement se fit plus tard. Les Pharisiens se mêlèrent peu à la révolte de l’an 70, et le gros du parti fut mécontent de l’attitude des chefs de l’insurrection. Sous Hadrien, plusieurs rabbins, R. Aqiba en tête, se soulevèrent avec Bar-Kokébas ; parmi ceux mêmes qui demeurèrent paisibles, plusieurs furent martyrs de leur attachement à la Loi et aux Écritures.

Peut-être est-ce à partir de ce moment qu’il parut plus conforme à la justice de Dieu de ressusciter ces martyrs et les autres justes avant les temps messianiques. Quelques-uns prirent ce parti, et cela devint une doctrine assez assurée du judaïsme.

Toutefois ce n’était pas une raison pour confondre les temps messianiques et la vie éternelle, — les deux concepts étaient désormais trop distincts, — ni même pour abandonner le lien entre la résurrection et le monde de l’au-delà, qui exigeait pour la résurrection un certain degré spirituel. On en vint donc à distinguer, dans cette école, la condition des ressuscités sous le Messie et dans la vie future. Dans le premier cas, ils mangeaient, buvaient, et usaient du mariage, comme les morts ressuscités par Élie ou Élisée ; dans le second cas, la présence de Dieu leur tenait lieu de nourriture et du reste[43].

Mais d’autres docteurs, et c’était peut-être le grand courant orthodoxe, continuaient de placer la résurrection des morts après les temps messianiques.

D’après les textes examinés, ce devait être l’opinion dominante, et peut-être la seule, au temps de Jésus.

La résurrection, comme le monde à venir, était dominée par la grande idée du jugement et du compte à rendre.

Un tannaïte de la fin du second siècle, Éléazar ben Haqappar, a bien résumé une longue série de spéculations sur ce thème quand il a dit :

Ceux qui naissent vont à la mort, ceux qui meurent vont à la vie et reviennent à la vie pour être jugés ; pour savoir et faire savoir et être connus. Car c’est lui qui nous a moulés, lui le Créateur, l’Omniscient, juge, témoin et plaignant, qui doit juger. Dans son jugement il n’y a ni erreur, ni oubli, ni acception de personne, et il ne reçoit pas de présents, car tout est à lui. Et sache que tout conduit à rendre compte. Et que ton penchant ne te fasse pas accroire qu’il y a au Chéol un lieu de refuge, car tu as été formé malgré toi, tu es né malgré toi, tu as vécu malgré toi, tu mourras malgré toi, et c’est malgré toi que tu rendras un compte en justice devant le roi des rois des rois, le saint béni[44].

  1. Schürer, Geschichte…, II3, p. 391 s.
  2. Voir plus haut, p. 165.
  3. Ant. XVIII, i, 3 : ἀθάνατόν τε ἰσχὺν ταῖς ψυχαῖς πίστις αὐτοῖς εἶναι καὶ ὑπὸ χθόνον δικαιώσεις τε καὶ τιμὰς οἷς ἀρετῆς ἢ κακίας ἐπιτήδευσις ἐν τῷ βίῳ γέγονεν, καὶ ταῖς μὲν εἰργμὸν ἀΐδιον προτίθεσθαι, ταῖς δὲ ῥαστώνην τοῦ ἀναϐιοῦν.
  4. Bell. II, viii, 14 : ψυχήν τε πᾶσαν μὲν ἄφθαρτον, μεταϐαίνειν δὲ εἰς ἕτερον σῶμα τὴν τῶν ἀγαθῶν μόνην, τὰς δὲ τῶν φαύλων ἀϊδίῳ τιμωρίᾳ κολάζεσθαι.
  5. Hén. éth. xxii.
  6. Dan. xii, 2.
  7. Tosefta Sanh. xiii, 3 : בית שמאי אומ׳ שלש כותות הן אחת לחיי עולם ואחת לחרפות לדוראון עולם אלו רשעים גמורים שקולין שבהן יורדין לגיהנם ומצמפצפין ועולין הימנה ומתרפאין שנ׳ והבאתי את השלישית באש וצרפתים כצרף את הכסף ובהנתים כבחון את הזהב הוא יקרא משמי ואני אחיה לו לאל ועליהן אמרה חנה י״י ממית ומחיה מוריד שאול ויעל ובית הולל אומ׳ רב חסד מטה כלפי חסד ועליהן אמ׳ דוד אהבתי כי ישמע ועליהם נאמר כל הפרשה

    L’expression מצמפצף ou מצפצף est bien ramenée par Bacher, Tann. I2, p. 16, n. 3, à la racine עיף, « nager ». La même doctrine b. Roch ha-chana, 16b.

  8. x
  9. x
  10. Act. xvii, 32.
  11. BACUCR, ’fan >I. I-, p. iso.
  12. 7)1. XXXI, 16 ; fs. XXVI, 19 ; Cant. VU, 10.
  13. »/. IV, 4.
  14. Cf. Marc, xit, 27.
  15. b. Sanh. 9011.
  16. BÂCHER, Tann. I2, p. 166.
  17. BACHER, Tann. Il, p. 343 s. La même comparaison est attribuée à Josué b. Khalaphta pour consoler un père, en lui promettant qu’il reverrait son lils dans le inonde à venir (BACHER, Tann. il, p. 189).
  18. Tosefla Khoullin, éd. Zuckerm., p. 512 : “"iinu ”1l’0 “7 pXTZIX Zpyi ’1 “□.’sns DTcn rv’nrn mxz 7ÏT2
  19. Dt. XXII, 7.
  20. Ætewsv, 31 ; cL BAGFIBR, Tann* IJ, p. 423+
  21. Voir aux appendices, texte IV.
  22. JELUKEK, îiet ha-Midrasch, I, p. 22 : Sÿl “IT1H NTJ C^FI S" X2C p’ZJH 15X pOTTFI (/-s. XIVi, 19) pc’lpl’ ’ !nl7l’12 13D TTO ’1 ï*> THn IJl’X .nhïzzb
  23. Tann, H, p. 35 : VÈclleïcht gelit auf echte Tradition das in eînem jüngeren Midraschvterke erhaltene Gesprüch*..
  24. Sanh. 103b ■ xSl fOn xS
  25. Dans b. Khagîfpt, que nous allons citer, la théorie est attribuée à 5’1, ce que Bâcher estime une erreur pour R. Méïr est l’auteur d’après di Ji, Natkan, c. 37 (55h) ; cf. BACOEK, Tann. H, p. s. et noies.
  26. b. Khagùjâ, 12b ; “p~ÏT p“k’ ’I2U ? rVlZlJ n’ipn iipy-à- rnye nm D^pt-s bü •jriac"* rr :’.n iz nni nn 5
  27. I Sam. XXV\ 29.
  28. On petit noter encore que R. Méïr prouvait la résurrection par des passages comme Ex. XV, 1 et Jos, VIII, 30 » où il est dit : n Mûïseehanlcra » TCI ; « Josué construira », ruz\
  29. /, lra<L ScbwabT voL II, p. 319.
  30. x
  31. x
  32. x
  33. x
  34. I Cor. xv, 37.
  35. j. Kilaïm, trad. Schwab, t. II, p. 315 s.
  36. L’opinion de Rabbi était donc que Dieu ressusciterait aussi les vêtements ; on lit peu auparavant : « car, disait Rabbi, lorsque l’homme ressuscitera, il n’aura plus les vêtements qu’il avait en étant enterré ; tandis que, selon d’autres rabbins, il garde au moment de la résurrection les effets qu’il avait sur lui dans sa sépulture ».
  37. Bacher, Tann. II, p. 67 s.
  38. Bacher, Tann. II, p. 528.
  39. D’après ps. xxii, 31.
  40. D’après ps. xxii, 32.
  41. Die messianischen Vorstellungen des jüdischen Volkes im Zeitalter der Tannaiten.
  42. Le Messianisme dans le Talmud et les Midraschim, p. 92 (Paris, 1907).
  43. Jellinek, Bet ha-Midrasch, VI, p. 148 ss., dix questions sur la résurrection des morts, regardées par l’éditeur comme des traductions de Saadya.
  44. Aboth, iv, 22.