Le Messager Évangélique/1862/L’amour et l’amour fraternel
L’amour et l’amour fraternel.
Cependant il y a quelque chose de plus excellent que tous les dons : ces dons sont la manifestation de la puissance de Dieu et des mystères de la sagesse : l’amour, celle de la nature même de Dieu.
On peut avoir toutes les langues, la prophétie, la connaissance des mystères, la foi qui sait remuer les montagnes ; on peut encore distribuer toutes ses possessions pour nourrir les pauvres, et livrer son corps pour être brûlé, si l’amour n’est pas dans l’âme, il n’y a rien. L’amour est la conformité à la nature de Dieu, l’expression vivante de ce que Dieu est, la manifestation d’une participation à sa nature : on agit, on sent d’après la nature de Dieu. Cet amour se développe en rapport avec les autres ; mais les autres ne sont pas le motif de son activité, quoiqu’ils en soient l’objet : l’amour a sa source au dedans de celui en qui il agit, sa force est indépendante des objets dont il s’occupe, et c’est ainsi qu’il peut agir là où les circonstances pourraient produire dans le cœur de l’homme l’irritation ou la jalousie. Il agit d’après sa propre nature dans les circonstances où il se trouve placé, et, en les considérant selon cette nature, les circonstances n’agissent pas sur l’homme qui est plein d’amour, sauf en tant qu’elles fournissent l’occasion pour son activité et qu’elles en dirigent la forme. L’amour est son propre motif à lui-même ; en nous, il n’est que la participation à la nature divine, nature qui en est la source éternelle. Ce n’est que la communion avec Dieu Lui-mème qui soutient l’amour, à travers les difficultés qu’il doit surmonter dans son chemin. Cet amour est l’opposé de l’égoïsme et de la recherche de soi-même, et les exclut ; il recherche le bien d’autrui, comme (quant au principe) Dieu l’a recherché, en grâce (voyez Éph. IV, 32 ; — V, 1, 2). Quelle puissance que cet amour pour éviter le mal en soi, pour tout oublier, pour faire le bien !
Les huit premières qualités de l’amour, telles qu’elles nous sont présentées ici, sont l’expression de l’abnégation de soi-même : L’amour use de longanimité ; il est plein de bonté ; l’amour n’est pas envieux ; l’amour ne se vante pas ; il ne s’enfle pas ; il n’est pas déshonnête ; il ne cherche pas son propre intérêt ; il ne s’aigrit pas. Les trois qualités qui suivent sont l’expression de la joie que l’amour éprouve en contemplant le bien, nous montrant aussi cet amour comme délivrant de la tendance de la nature humaine à supposer le mal ; tendance si naturelle au cœur humain à cause du fond de mal qui se trouve en lui, et du mal dont on fait l’expérience dans ce monde : « L’amour ne pense pas le mal ; il ne se réjouit pas de l’injustice ; mais se réjouit avec la vérité. » Puis viennent quatre autres caractères montrant l’énergie positive de l’amour qui, source de toute bonne pensée, croit au bien par le ressort puissant de la nature divine, quand il ne voit pas ce bien, et supporte le mal quand il le voit, en le couvrant par le support et la patience : « L’amour supporte tout, croit tout, espère tout, endure tout. » L’amour ne veut pas mettre le mal au jour, mais il l’ensevelit dans la profondeur de cette nature qui aime, profondeur dont on ne trouve pas le fond, parce que l’amour ne change pas ; et les pensées qui voudraient produire le mal au grand jour, ne trouvent jamais place en lui. On ne trouve que l’amour là où il est réel et où il s’exerce, car les circonstances ne sont qu’une occasion pour le mettre en exercice et le montrer. L’amour est toujours lui-même, et c’est l’amour qui agit et qui se montre là où la vie divine opère ; c’est cet amour qui est dans la pensée ; tout ce qui est extérieur n’est qu’un moyen de réveiller l’âme pour l’exercice de l’amour, lorsqu’elle demeure dans cet amour. C’est là le caractère divin. Sans doute le temps du jugement viendra, mais nos rapports avec Dieu sont en grâce : l’amour est la nature de Dieu, et c’est maintenant le temps de son exercice : nous le représentons sur la terre en témoignage.
Dans tout ce qui est dit de l’amour dans ce chapitre, on trouve la reproduction de la nature divine, sauf en tant que ce qui est dit ne nous est présenté que comme le renoncement à l’égoïsme de la chair en nous. Or la nature divine ne change pas et ne cesse jamais, et c’est ici un dernier caractère de l’amour. L’amour demeure donc toujours. Les communications des pensées de Dieu, les moyens de communications, la connaissance d’ici-bas, selon laquelle nous saisissons la vérité en partie seulement, bien que toute la vérité nous soit révélée, en un mot tout ce qui a le caractère d’être « en partie, » passe. Ici-bas, nous saisissons la vérité en détail, de sorte que nous n’avons jamais le tout de cette vérité à la fois. Le caractère de cette connaissance est de saisir diverses vérités, chacune à part : tout ce genre de connaissance donc passe. L’amour ne passe pas. L’enfant apprend ; il se réjouit aussi dans ce qui l’amuse ; — homme fait, il lui faut des choses selon l’intelligence qu’il a comme homme fait. Il en est ainsi des langues diverses qu’on parlait par un don extraordinaire, et des dons pour l’édification de l’Église. Les langues étaient bien utiles pour l’œuvre et pour le progrès de ceux qui ne faisaient qu’apprendre, mais non pas pour la jouissance éternelle. Au reste le temps vient où l’on connaîtra comme on a été connu, non par le moyen de communications de vérités partielles à une capacité qui saisit la vérité par ses diverses parties, mais où l’on aura une capacité comprenant l’ensemble de la vérité, comme un seul et unique tout. Or l’amour subsiste déjà : la foi et l’espérance existent aussi ; mais non-seulement celles-ci doivent passer, mais il y a déjà ici-bas ce qui est plus excellent que des pensées, qui sont mesurées par la capacité de la nature humaine, bien qu’elle soit éclairée de Dieu et qu’elle ait pour objet la gloire révélée de Dieu.
Les chrétiens sont donc exhortés à poursuivre et à rechercher l’amour, tout en désirant les dons de l’Esprit, mais en particulier de pouvoir prophétiser, parce qu’ainsi on édifie l’assemblée ; et c’est l’édification de l’assemblée qu’on doit chercher. C’est ce que l’amour désire et cherche, et ce que l’intelligence voudrait ; et l’amour et l’intelligence caractérisent l’homme fait en Christ, pour lequel Christ est tout.
Le cœur se trouvant ainsi dans la communion de Dieu, l’affection se répand librement sur ceux qui sont chers à Dieu, et qui, participants d’une même nature, attirent nécessairement l’affection du cœur spirituel : l’amour fraternel se développe.
Il y a un autre principe qui couronne, gouverne et caractérise tous les autres : c’est la charité, l’amour proprement dit. L’amour, au fond, c’est la nature de Dieu lui-même, la source et la perfection de toutes les autres qualités qui ornent la vie chrétienne.
La distinction entre l’amour et l’affection fraternelle est d’une haute importance. L’affection fraternelle, comme nous venons de le dire, découle de l’amour ; mais cette affection, étant dans des hommes mortels, peut être mêlée, dans son exercice, avec des sentiments humains, — avec des affections individuelles, avec l’effet de ce qu’il peut y avoir d’attrayant dans une personne ou l’effet des habitudes, des convenances de caractère. Les affections fraternelles sont on ne peut plus douces ; leur maintien est de la plus grande importance pratique dans l’Église ; mais elles peuvent dégénérer, comme elles peuvent se refroidir ; et si l’amour, si Dieu ne tient pas la première place, ces affections pourront le remplacer, le mettre de côté et l’exclure. L’amour divin, qui est la nature même de Dieu, dirige, domine et caractérise l’affection ; autrement c’est ce qui nous est agréable à nous, — c’est-à-dire notre propre cœur, — qui nous gouverne. Si l’amour me gouverne, j’aime tous mes frères ; je les aime parce qu’ils sont à Christ : il n’y a pas de partialité. Je jouirai davantage d’un frère qui a de la spiritualité ; mais je m’occuperai de mon frère faible avec un amour qui domine sa faiblesse et en tient compte avec tendresse ; je m’occuperai du péché de mon frère, pour l’amour de Dieu, pour restaurer mon frère, en le reprenant, s’il le faut. En un mot, Dieu aura sa place dans toutes les relations dans lesquelles je pourrai me trouver. Exiger l’amour fraternel en une manière qui exclue ce qu’exige ce que Dieu est, et qui porte atteinte aux droits de Dieu, c’est exclure Dieu de la manière la plus spécieuse, afin de satisfaire nos propres cœurs. L’amour divin qui agit selon la nature, le caractère et la volonté de Dieu, est ce qui doit diriger et caractériser toute notre conduite chrétienne, et avoir autorité sur tous les mouvements du cœur. En dehors de là, tout ce que peuvent les affections fraternelles, c’est de substituer l’homme à Dieu…
Ici, il vaut la peine de remarquer l’ordre de ce beau passage, vers. 7-10 : Nous possédons la nature de Dieu, nous aimons, par conséquent ; nous sommes nés de Dieu et nous le connaissons, mais la manifestation de l’amour envers nous, en Christ, est la preuve de cet amour. C’est ainsi que nous connaissons l’amour. Vers, 11-16 : Nous jouissons de l’amour en y demeurant ; c’est la vie présente, dans l’amour de Dieu, par la présence de son Esprit en nous ; c’est la jouissance de cet amour dans nos cœurs, par la communion, — en ce que Dieu demeure en nous, et qu’ainsi nous demeurons en Lui. Vers. 17 : Son amour est consommé avec nous, c’est la perfection de cet amour considéré dans la position qu’il nous a donnée : nous sommes dans ce monde tels que Christ est. Enfin, les vers. 18 et 19, nous donnent les éléments moraux et caractéristiques de cet amour : ce qu’il est dans nos relations avec Dieu.
Dans le premier passage (vers. 7-10), où il est question de la manifestation de cet amour, l’Écriture ne va pas au delà du fait que celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. La nature de Dieu, qui est amour, étant en nous, celui qui aime connaît Dieu, car il est né de Lui ; il a sa nature et sait ce qu’elle est.
C’est ce que Dieu a été pour le pécheur qui démontre sa nature d’amour. Ensuite, ce qu’on a appris comme pécheur, on en jouit comme saint. L’amour parfait de Dieu est répandu dans le cœur, et nous demeurons en Lui. Ainsi, étant comme Jésus, déjà dans ce monde, la crainte n’a plus de place en celui pour qui l’amour de Dieu est une demeure et un lieu de repos.
L’amour de Dieu a pourvu à tout : il est manifesté envers nous ; lorsque nous étions pécheurs, il a donné le Fils unique pour être notre vie à nous, qui étions morts dans le péché, et la propitiation pour nous pécheurs coupables. L’amour est en nous ; nous en jouissons comme des saints. Mais l’amour est consommé avec nous : il a pensé au jour du jugement ; et nous sommes tels que le Juge.
Ensuite, vers. 19, la réalité de notre amour pour Dieu, fruit de son amour pour nous, est mise à l’épreuve. Si nous disons que nous aimons Dieu, et que nous n’aimions pas les frères, nous sommes menteurs, car si la nature divine si rapprochée de nous, en eux, ne réveille pas nos affections spirituelles, comment le fera Celui qui est loin. Aussi, c’est ici le commandement de Dieu, que celui qui l’aime, aime aussi son frère.
L’amour pour les frères est la preuve de la réalité de notre amour pour Dieu. Or cet amour doit être universel, doit être en exercice envers tous les chrétiens, car quiconque croit que Jésus est le Christ, est né de Dieu (chap. V, 4). Or, celui qui aime quelqu’un, aime celui qui est né de lui ; et si ce qu’on sait de Lui est le motif, on aimera tout ce qui sera né de Lui.
Mais il y a un danger d’un autre côté : il peut arriver que nous aimions les frères, parce qu’ils nous sont devenus agréables, et que nous jouissons de relations avec eux, qui ne froissent pas notre conscience. II y a donc une contre-épreuve : « par ceci nous savons que nous aimons les enfants de Dieu, c’est quand nous aimons Dieu, et que nous gardons ses commandements » (chap. V, 2). Ce n’est pas comme enfants de Dieu que j’aime les frères, si je n’aime pas Dieu de qui ils sont nés. Je puis les aimer individuellement comme compagnons ; ou bien je puis aimer quelques-uns d’entr’eux, mais je ne les aime pas comme enfants de Dieu. Si je n’aime pas Dieu lui-même, si Dieu lui-même n’a pas dans mon cœur la place qui lui appartient, ce qui porte le nom d’amour des frères exclut Dieu, et le fait d’une manière d’autant plus complète et subtile que ce qui nous lie à eux porte le nom sacré d’amour fraternel.
Or il y a une pierre de touche, même pour cet amour de Dieu, savoir l’obéissance à ses commandements. Si je marche avec les frères dans la désobéissance envers leur Père, ce n’est pas comme enfants de Dieu que je les aime. Si je les aimais parce que j’aime le Père, et qu’ils sont ses enfants, j’aimerais assurément qu’ils lui obéissent. Si donc je marche dans la désobéissance avec les enfants de Dieu, sous prétexte d’amour fraternel, ce n’est pas aimer mes frères comme enfants de Dieu. Si je les aimais comme tels, j’aimerais leur Père et le mien, et je ne pourrais vivre dans la désobéissance envers Lui, et faire de cette marche une preuve que je les aime parce qu’ils sont siens.
Si j’aime mes frères parce qu’ils sont enfants de Dieu, j’aimerai aussi tous ceux qui sont tels, parce que le même motif me porte à les aimer tous.
L’universalité de cet amour envers tous les enfants de Dieu, son exercice dans l’obéissance pratique à la volonté de Dieu, tels sont les signes du vrai amour fraternel. Ce qui n’a pas ces caractères n’est qu’un esprit charnel de coterie, qui revêt le nom et les formes de l’amour fraternel. Bien certainement, je n’aime pas le Père, si j’encourage ses enfants dans la désobéissance envers Lui.