Éditions Jules Tallandier (p. 87-97).


CHAPITRE V

Midoulet reste en arrière


Midoulet s’étira dans son lit. Il bâilla ; enfin, il murmura d’une voix ensommeillée :

— Quelle heure est-il ?

Comme pour répondre à la question, la pendule se mit à sonner.

— Une, deux, trois, quatre, compta l’agent… Cinq, c’est le réveil.

Mais il s’arrêta stupéfait. La pendule sonnait toujours : six, sept, huit…

Il sauta à bas de son lit effaré, puis une réflexion le calma :

— Les pendules d’hôtel, ça ne marche jamais.

Celle-ci dit huit heures, et il n’en est pas cinq et demie ; j’ai fait marquer mon réveil, donc…

On frappait à sa porte.

— Monsieur ?… Monsieur ?…

— Il est l’heure, n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur.

— Bien, bien ! fit Midoulet tirant les rideaux.

Une grande clarté tomba de la fenêtre et envahit la chambre. L’inquiétude le reprit. Il courut à la porte, l’entr’ouvrit :

— Garçon ! clama-t-il dans le couloir.

L’interpellé, qui s’éloignait déjà, revint vivement sur ses pas.

— Monsieur désire quelque chose ?… Le petit déjeuner, peut-être ?

— Oui, et un, renseignement : quelle heure est-il ?

— Huit heures précises, monsieur, déclara l’homme d’un ton triomphant. J’ai été exact comme un chronomètre.

Mais il ne poursuivit pas son éloge. La porte s’était refermée avec un claquement retentissant, et derrière le panneau, on percevait les vociférations de Midoulet, absolument fou de rage.

Il y avait de quoi, du reste. Être réveillé à huit heures, alors que le paquebot sur lequel on compte embarquer, a dû quitter le port une heure plus tôt, c’est, on en conviendra, une aventure exaspérante.

En quelques minutes, l’agent était habillé, avait bouclé sa valise.

Il dégringola l’escalier ainsi qu’une trombe, fit irruption dans le bureau en rugissant :

— Ma note ! Par votre faute, je manquerai le paquebot !

— Permettez, monsieur, protesta l’employé auquel il s’adressait.

— On n’a pas idée d’un pareil service ! Je fais marquer mon réveil pour cinq heures et demie et il en est huit !

— Mais, monsieur, je ne comprends rien à vos reproches. Moi-même j’ai porté l’inscription au tableau.

— Où vous avez marqué huit heures, je vous crois.

— Pardon ! Cinq heures et demie… Je tiens à ce que vous vous en assuriez par vous-même, monsieur !

Et l’employé entraînait Midoulet devant le tableau. Mais là son ahurissement fut sans, bornes. En regard de la chambre n° 15, s’étalait un 8 superbe.

— Ah çà ! balbutia-t-il, c’est de la prestidigitation.

Midoulet riposta par un ricanement rageur, solda la note, sans vouloir écouter, l’homme qui cherchait vainement à s’expliquer comment, pensant cinq heures et demie, il avait pu écrire huit ; puis, à toutes jambes, l’agent se précipita dans la rue, bondit à l’intérieur d’une voiture qui passait, et terrifia le cocher en lui hurlant à l’oreille :

— Embarcadère des Messageries maritimes… Bon pourboire !

Mais le brave automédon ne pouvait rattraper les heures écoulées.

Grondant, soufflant, hérissé, hagard, Midoulet parvint à l’embarcadère pour apercevoir, de loin, le panache de fumée que le steamer Shanghaï, parti réglementairement laissait traîner sur l’horizon.

Du coup, sa valise roula à terre, et, sur le quai empierré, l’agent se croisa les bras ; anéanti, les yeux rivés sur le vapeur qui, peu à peu, s’enfonçait sous la ligne d’horizon, là-bas, au bout de l’immense plaine liquide, il murmura :

— Je suis roulé !

Ses ruses, la stratégie savante qu’il avait déployée depuis cinq jours, ses plans, ses espérances de succès, tout s’écroulait d’un coup. La mer, barrière infranchissable, s’étalait maintenant entre lui et le général Uko, emportant son secret pantalonesque.

Dans un grand geste désespéré, l’agent leva les bras vers le ciel, semblant le prendre à témoin de son infortune.

Et probablement le ciel eut pitié de sa déconvenue, car une main se posa familièrement sur son épaule, tandis qu’une voix amicale prononçait :

— Ah ! ce brave Midoulet ! Qu’est-ce que tu fais ici ?

L’agent reconnut incontinent un de ses collègues du service des Renseignements.

— Blondeau ! murmura-t-il.

— Parfaitement, Blondeau ! Blondeau qui se demande ce qui parvient à te bouleverser ainsi.

— Ah ! mon cher ! Une chose inouïe ! Depuis cinq jours je file un général japonais chargé d’un secret d’État inscrit, du moins je le suppose, sur l’étoffe d’un pantalon…

— un secret à l’allemande, reprit Blondeau sans manifester la moindre surprise.

C’est, en effet, un procédé classique de l’espionnage allemand de transmettre des renseignements, à l’aide de vêtements : robes, manteaux, vestons ou autres.

— Comme tu le dis ; naturellement, je n’ai qu’une idée : capturer ce pantalon. J’ai dérobé une demi-douzaine de culottes au Japonais, sans mettre la main sur la bonne, celle que je cherche. Mais je me connais tenace ; donc j’aurais fini par l’avoir, quand, patatras ! voilà le paquebot qui part avec lui, et sans moi !… Ces crétins à l’hôtel m’ont réveillé trop tard !

— Quel paquebot ?

— Le Shanghaï, des Messageries maritimes, qui a quitté le port il y a exactement deux heures maintenant.

— Pour Brindisi, Port-Saïd, Obock et Extrême-Orient.

— Tu connais bien l’itinéraire !

— Ce qui va me permettre de t’aider, estimable Midoulet…

— M’aider ?… À quoi ?

— À rattraper ton général Japonais.

Midoulet ne put dissimuler une grimace.

— Tu sais, Blondeau, je ne la trouve pas drôle, ta plaisanterie.

— Mais je ne plaisante pas.

— Encore !

— Tu peux rejoindre le Shanghai à Brindisi ; même y arriver cinq ou six heures avant lui.

— Tu as un aéroplane à me proposer ?

— Plus simple que cela : le modeste chemin de fer. Le rapide de dix heures ; tu as le temps de le prendre ; il te conduit à Gênes avec correspondance vers le Sud-Italien.

— Et il va plus vite que le Shanghaï ?

— Il lui amène les passagers venus d’Allemagne par le Saint-Gothard.

Transporté de joie, Midoulet secoua les mains de son collègue si vigoureusement que l’on eût pu craindre qu’il les désarticulât.

— Ah ! mon cher Blondeau, je te revaudrai cela ! Adieu… merci… au revoir ! Je file à la gare.

Tout en jetant ces paroles, Midoulet s’éloignait déjà, à la recherche d’un véhicule pouvant le conduire rapidement à la gare de Marseille-Saint-Charles.

Il avait une demi-heure devant lui ; ce qui eût suffi largement pour effectuer la route à pied. Mais il venait de manquer un paquebot et, tremblant de manquer un train, il lui semblait indispensable d’user des moyens les plus rapides.

Le Shanghaï, cependant, avait gagné la haute mer.

Sur le pont, les passagers se promenaient, ou bien, étendus sur des rocking-chairs, se formaient par groupes sympathiques, préludant ainsi à ces amitiés, souvent durables, qui se nouent pendant les traversées.

Il semble que, perdu entre le ciel et l’eau, l’homme si présomptueux sur la terre ferme, reprend conscience de sa faiblesse. Il recherche alors l’appui de son semblable et donne plus facilement l’essor à ses facultés émotives.

Certaine que Midoulet ne se trouvait pas à bord, Emmie s’était approchée de Sika, et avec cette familiarité spéciale, admise à bord des paquebots, elle était entrée en matière par quelques aperçus sans originalité sur l’état de la mer.

En bateau, comme en chemin de fer, la pluie et le beau temps sont questions à l’ordre du jour, ce qui démontre bien la pauvreté des ressources dialoguées de l’humanité.

Puis, le bris de la glace ainsi résolu, pour la satisfaction des oreilles indiscrètes, la petite Parisienne, faisant signe à son interlocutrice de la suivre, avait entraîné celle-ci à distance respectueuse des autres voyageurs.

— Mademoiselle, dit-elle alors, vous êtes une jeune fille ; moi je suis sur la frontière qui sépare la fillette de la demoiselle. Rien de plus naturel que nous nous recherchions.

— Et, ajouta gaiement Sika, la traversée nous venant en aide…

— Le voleur de pantalons étant d’ailleurs semé, rien ne nous oblige à nous ignorer, comme depuis notre départ de Paris.

Elles se tendirent la main et s’oublièrent un instant dans une étreinte confiante.

De fait, elles étaient attirées l’une vers l’autre. Pourquoi ? Elles n’eussent su l’expliquer. Au vrai, elles subissaient l’attraction inconsciente de deux natures droites, se reconnaissant loyales.

— Ce sera bien plus gentil comme cela, reprit Emmie. De plus, si le général veut avertir mon cousin d’une chose imprévue, ce sera aussi beaucoup plus commode.

— Et nous serons amies, miss Emmie ?

— Pour, ma part, c’est déjà fait, mademoiselle Sika.

La Japonaise se prit à rire, mais son visage revint tout doucement à. une expression grave :

— Très curieux, prononça-t-elle comme se parlant à elle-même ; je crois que chez moi, c’est fait également… Jamais je n’aurais supposé que l’affection pût naître si rapidement.

— Oh ! déclara doctoralement Emmie, Kant l’a écrit : « Le processus des affections vraies, en dépit des protestations du vulgaire, est foudroyant. »

Et Sika la couvrant d’un regard, décelant sa surprise de voir Kant apparaître en cette affaire, la petite Parisienne reprit vivement :

— Mon cousin m’a enseigné la philosophie, je lui en ai une vive gratitude à cette heure, car elle me permet d’expliquer ce qui vous paraissait inexplicable.

Mais, changeant de ton :

— Voulez-vous faire accepter notre résolution par M. le général ?… Moi, je me charge de Marcel.

Un signe de tête, une nouvelle étreinte des mains, le pacte était conclu.

Les deux nouvelles amies se séparèrent, chacune se mettant à la recherche de son parent.

Emmie se dirigea vers l’escalier des cabines de première. Elle avait laissé Tibérade enfoncé dans la lecture d’un livre attachant, et elle comptait le retrouver ainsi.

Seulement comme elle posait la main sur la rampe de cuivre, elle s’arrêta net.

Un petit jeune homme blond, joli comme une femme (une femme qui serait jolie, bien entendu), vêtu d’un élégant complet de voyage, les pieds menus, le chef coiffé d’une casquette-béret, ayant dans toute son allure un je ne sais quoi qui étonnait, un jeune homme, disons-nous, jaillit de l’escalier des premières, ainsi qu’un lutin sortant d’une boite.

Il passa auprès d’Emmie, la frôlant presque.

La fillette le suivit machinalement des yeux. L’adolescent marcha droit à une personne accoudée au bastingage, et qui, vraisemblablement l’attendait, car les deux personnages se serrèrent la main et se prirent à causer à voix trop basse, pour que leurs paroles n’arrivassent pas à la cousine de Tibérade.

Celle-ci ne songea pas à s’en plaindre.

Non, elle était médusée. Dans l’interlocutrice du jeune gentleman, elle venait de reconnaître Véronique Hardy, la femme de chambre de Sika.

Et les questions se pressaient dans sa tête mutine.

Que signifiait la familiarité du passager de première classe et de la servante, familiarité soulignée par le shake-hand ?

De toute évidence, leur rencontre était à la fois préméditée et secrète, car la camériste promenait sans cesse autour d’elle des regards inquiets.

Un moment ses yeux rencontrèrent ceux d’Emmie. Elle tressaillit, parla bas à son compagnon, et tous deux se séparèrent brusquement : lui, se dirigeant vers le « salon », elle se hâtant vers l’avant du steamer.

— Tiens, tiens, monologua la fillette. Il faudra que je signale cela à Mlle  Sika. Quand on a à redouter les espions, il convient de surveiller ses domestiques. Ceci est d’un grand poète, lequel, durant quelques secondes, pensa avec le bon sens d’un bourgeois.

Et la raillerie distendit ses lèvres spirituelles :

— Que de gens prétendent connaître Lamartine et ignorent cela !

Elle secoua sa tête mutine :

— Allons, allons, assez de littérature. Décidons Marcel à accepter le modus vivendi que nous avons décidé Mlle  Sika et moi. Elle est charmante, Sika ; Marcel est le plus brave cœur du monde. Seulement, si je ne m’en mêlais pas un peu, ils continueraient à se regarder en chiens de faïence. Or, moi, je veux que ces chiens deviennent des tourtereaux. Hé donc ! chacun comprend la zoologie à sa façon.

Et pfuit ! elle se laissa glisser sur la rampe, jusque dans le couloir des cabines.

Cinq minutes après, elle ramenait triomphalement sur le pont son cousin Tibérade, et apercevant à l’arrière Sika, qui s’entretenait avec le général, elle entraînait le jeune homme vers eux.

Une présentation en règle suivit. Véritablement, le passager le plus méticuleux n’eut pu en conclure que les intéressés se connaissaient avant cet instant.

Par exemple, quand on se fut mis en règle avec les précautions nécessaires, la fillette prit le bras de sa « nouvelle amie », et déambulant sur le pont, tandis que les deux hommes s’entretenaient ensemble, elle murmura :

— Sika, êtes-vous sûre de votre fille de chambre ?

La Japonaise marqua un geste surpris.

— De Véronique ?

— Oui, c’est bien d’elle qu’il s’agit.

— Pourquoi votre question ?

— Parce que, tout à l’heure, je l’ai surprise en grande conversation avec un jeune gentleman, passager de première.

— Elle ?

— Et ajouta la petite souris, ce gentleman est tellement gracieux et charmant que…

— Achevez, je vous prie, demanda la fille du général, impressionnée par la suspension de la phrase de son interlocutrice.

Celle-ci plaisanta :

— Après cela, je n’affirme rien ; mais j’ai pensé que « ce monsieur » pourrait devenir une « madame » sans difficulté.

Et les jeunes filles, s’étant considérées un moment, la Japonaise reprit :

— Je vais interroger Véronique.

— Ceci m’apparaît sage, car, dans votre situation, il convient de se défier de tout et de tous.

La réflexion amena un imperceptible sourire sur les lèvres de Sika. La situation, cette brave petite Emmie croyait la connaître. Qu’eût-elle dit si elle avait soupçonné que ce n’était pas un simple individu qui poursuivait le général Uko, mais bien un peuple tout entier.

Pourtant, Sika conclut sérieusement :

— Cherchons Véronique ; car je suis de votre avis. Bien d’obscur ne doit exister autour de nous.

Elles descendirent au pont des secondes. La camériste ne se trouvait pas dans sa cabine. Elles remontèrent ; mais ce ne fut qu’après une demi-heure de recherches, qu’elles découvrirent la fille de chambre, tout à l’avant du steamer, accoudée juste au-dessus de l’étrave et absorbée en apparence par la contemplation de l’horizon, sans cesse reculé par la marche du navire.

Sans doute, Pierre-Véronique avait mis à profit le temps écoulé, car il ne manifesta aucune surprise en voyant les jeunes filles réunies.

Et Sika lui disant à brûle-pourpoint, avec la pensée de le troubler par la brusquerie de l’attaque :

— Véronique, vous ne m’avez pas appris que vous aviez rencontré à bord un ami…

Il répliqua sans hésitation :

— Je me proposais de le confier à Mademoiselle en la revoyant.

Puis, avec une nuance de respect fort bien joué d’ailleurs, il poursuivit :

— Seulement, ce n’est pas un ami. L’héritier d’un grand nom et d’une immense fortune ne saurait être l’ami d’une humble fille de chambre.

— Qu’est-ce donc alors ?

— Mon frère de lait, mademoiselle, qui veut bien se souvenir que ma mère nous fut nourricière à tous deux, et qui consent à me marquer une bienveillance dont je lui suis profondément reconnaissante.

La pseudo-Véronique acheva d’un ton pudique :

— Mademoiselle pense bien que je n’aurais eu aucune raison de lui cacher cela. Bien plus, même si le devoir de parler n’existait pas, je lui aurais conté la chose, car une pauvre, fille doit aller au-devant des suppositions de nature à friper sa réputation.

Emmie, Sika écoutaient sans un geste.

Elles éprouvaient une sorte de honte des soupçons qui les avaient lancées à la recherche de la soubrette. Ce sentiment fut si fort que la blonde Japonaise éprouva le besoin de s’excuser discrètement.

— Croyez, Véronique, que je ne vous ai pas suspectée. J’ai obéi à la curiosité, rien de plus.

Véronique remercia en termes choisis. Mais Emmie eût senti renaître tous ses doutes, si elle avait pu la voir un peu plus tard, causant de façon animée avec mistress Honeymoon, toujours vêtue en jeune garçon.

— Eh bien ? prononçait celle-ci.

— Eh bien, mistress, j’ai suivi votre conseil. Malgré ma timidité, je ne m’en suis pas trop mal tiré, et ces demoiselles, j’en jurerais, croient que j’ai le grand honneur d’être votre sœur de lait.

Une buée rose monta aux joues de l’Anglaise. Pourquoi ? Aucun des causeurs n’eût été à même de l’expliquer.

Toutefois, elle surmonta ce trouble passager et reprit :

— Tout est bien ainsi. Maintenant, il faudrait savoir quelles sont ces personnes, avec lesquelles le général et sa fille se sont liées à bord.

Véronique secoua la tête.

— Non, non, mistress, pas à bord.

— Que voulez-vous dire par là ?

— Qu’ils se sont connus à Paris.

— À Paris ?

— Oui. Le jeune homme a empêché Mlle  Sika d’être renversée par une automobile.

La stupéfaction se peignit sur les traits de mistress Honeymoon.

— Vous êtes certaine ?… commença-t-elle.

— Certaine. J’accompagnais mademoiselle. Ensuite ; elle m’a fait prendre un fiacre, nous avons suivi son sauveur jusqu’à son domicile, sans qu’il s’en doutât…

L’Anglaise eut un hochement de tête pensif.

— Bizarre. Je les surveillais ce matin. Ils se sont abordés comme s’ils ne s’étaient jamais vus.

Puis, d’un ton décidé :

— Tâcher de savoir quelle est la nature de leurs relations. Éviter de nous rencontrer durant le jour, sauf le matin de très bonne heure.

— Bien, mistress.

— Nous serons à Brindisi après-demain. Six heures d’escale. Ils descendront vraisemblablement à terre.

— Oui, en effet. Après deux jours de paquebot, on est heureux de fouler le sol ferme.

— Vous ne le foulerez pas, monsieur Pierre.

La fausse Véronique tressaillit, regarda autour d’elle avec inquiétude, puis, rassurée par l’absence de tout être humain à proximité, elle murmura :

— Si l’on m’ordonne cependant ?

— On ne vous ordonnera pas.

— Vous l’affirmez…

— Et je le prouve. La mer ne vous réussit pas. Vous allez jouer la malade. À Brindisi, vous resterez à bord afin de vous reposer. Et comme j’y resterai moi-même, nous profiterons de leur promenade à terre pour avoir le long et tranquille entretien, où nous conviendrons de notre conduite dans l’avenir. Maintenant, prudence… prudence ! La réussite de mes projets, que je vous confierai à Brindisi sera pour vous la délivrance de la terrible accusation qui pèse sur vous.