Imprimerie de « L'Événement » (p. 153-157).

Épilogue.


— Bonjour monsieur Mansot.

— Bonjour, Jean.

Et, tranquillement, à la sortie de la station, Donat Mansot donna la main au vieil « engagé » de son père qui le connaissait depuis qu’il était haut comme ça.

— Le « quatr’roue » est là, monsieur Donat, continua l’« engagé » en prenant des mains du nouvel arrivant son « satchel » et en se dirigeant vers la voiture attelée d’un cheval qui « piaffait » d’impatience.

Jean arracha la bride, la lança au fond du coffre du « cabarouet » et puis, il fit signe à monsieur Donat d’« embarquer ». Ensuite, ayant grimpé lui-même sur le petit siège d’en avant, il fouetta Fane qui partit au grand galop sur la route bordée d’arbres, à travers une nuée de poussière, dans un « trimballement », de vieilles ferrailles et au « charivari » de machines aratoires au « gréement » mal « rafistolé ».

— Asteur, monsieur Donat, dit l’engagé, rompant le premier le silence, quand il eut mené à peu près six arpents, c’est’ti’qu’ça va ben, vot méquier ?…

— Pas mal, répondit Mansot. Qu’est-ce qu’on dit de bon de moi dans le pays ?

— Mon guieu ! monsieur Donat, couci-couça, du bien et pi du mal. C’est « malaisé » allez, d’faire taire les « bavaceux » quand i s’mettent à mal jaser du monde.

Il y eut un nouveau temps de silence. Le soleil d’une belle journée de fin de juin « plombait » sur les chaumages et faisait craquer les branches sèches des arbres. De chaque côté du chemin du roi, c’étaient des champs dont l’ensemble ressemblait à un grand jeu de dames où les carreaux verts du jeune grain qui levait déjà alternaient avec les carrés bruns de labour frais.

« Et le père ? » demanda Donat.

— Téjours pareil ; i s’arrête pas, Ah ! c’est pas qu’un p’tit homme que c’t’homme-là. Vous savez, faudra pas lui faire des « magnières » à cause qu’i vous a encore en « gribouille ». I était si en « guiabe » contre vous quand i vous a vu s’lancer dans les gazettes, et pi dans la politique, et pi, enfin, dans un tas d’affaires pas beaucoup « creyables » et qu’on voyait dans les gazettes, le dimanche, voilà déjà quelques mois.

La voiture avait quitté le grand chemin et avait « viré » dans une route de traverse pleine de gravois Le cheval allait p’tits pas.

— Ah ça ! cria tout-à-coup, Jean, ça ne va donc pas comme vous voulez ; vous paraissez ben « marabout » ?….

— Mais non, mais non, Jean, s’obstina à dire Donat Mansot, je suis content de revoir le pays et je regarde … voilà tout, Jean…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La voiture arrivait. Des arbres, saules, bouleaux et trembles, qui avaient poussé là, sans « cérémonie », pêle-mêle, jetaient de l’ombrage sur le chemin. La maison du père apparaissait là-bas, frappée en plein par le soleil. Autour des « bâtiments », le grain, vert et court, dans les champs, s’étendait à perte de vue. On entendait seulement dans le grand silence de la campagne, que le « piaillement » des poules et les cris des oies et des canards qui barbotaient dans un ruisseau voisin. On arriva à la ferme. C’était une belle « bâtisse » à « comble français ». La grange et l’étable s’élevaient tout près. Des poules jaunes picoraient sur un tas de fumier, derrière l’étable, et des petits cochons fouillaient dans la vase de la cour.

Le père Mansot apparut aussitôt sur le perron de la porte. Il était vêtu d’« overalls ».

Bonjour mon garçon.

— Bonjour, père.

Ils se serrèrent les mains et les yeux du bonhomme semblaient vouloir dire qu’il était content.

— Alors, ça va ?…

— Comme ça… Et vous ?

— Ben, merci…

Ils entrèrent dans la cuisine où les « engagés » étaient à « luncher ». Puis, ils traversèrent dans une petite salle éclairée par un « châssis » garni d’un rideau d’indienne fleurie.

— On va souper tout de suite, fit le père, le fricot est prêt.

Un air frais entrait dans la pièce aux murailles tapissées de vieux journaux illustrés. Les derniers rayons du soleil couchant « miroitaient » dans la vaisselle fleurie. Ce « set » de vaisselle, Donat s’en souvenait. C’est lui qui l’avait gagné quand il était jeune, pendant une de ses dernières vacances, à vendre des pilules roses par tout le rang. Il en avait vendu douze boites et la Compagnie des Produits Chimiques lui avait octroyé ce « set » en prime.

Le père Mansot et son fils soupèrent de bon appétit. Puis, quand ils eurent fini le dessert :

— Ça m’f’rait plaisir, dit le vieux, de t’avoir pour la veillée.

Donat ne répondit pas. Le père se leva et s’en fut à la cuisine ordonner à Jean d’atteler la jument au « sulky » pour conduire son garçon à la station, à huit heures ; puis, il revint s’asseoir.

— Et pi… tejours chanceux ?…

— Non…

— Asteur, qu’est-ce que te rapporte ta place ? Pas de « grattages » encore ?

— Père, je ne suis plus député. J’ai donné ma démission. J’ai essayé des « grattages » et ça ne m’a pas réussi.

— En effet, j’ai entendu parler de que’que chose comme ça. C’est Jos à Barnabé qui m’a appris ça. Il disait qu’il l’avait vu dans les papiers. Mais j’ai cru que c’était des menteries. Alors, c’est vrai ?

— C’est vrai, Jos à Barnabé avait raison.

— T’as tejours été un peu naïf… Et asteur, qu’est-ce que tu vas faire ?…

— Rester avec vous et travailler la terre, père…

Le vieux bondit sur sa chaise et ne poussa rien moins qu’un rugissement de joie.

— C’est vrai, ça, mon fiston ?…

Et, comme la porte s’ouvrait laissant passer l’engagé qui cria : « La jument est attelée… » le père répondit :

— Va la dételer… Jean. Donat reste « icitte »…


FIN