Le Mauvais Génie (Comtesse de Ségur)/11

Hachette (p. 135-142).


XI


départ pour la foire


Le lendemain matin, comme Julien finissait son ouvrage, Mme Bonard vint le chercher pour aller à la foire. Ils se mirent en route.

madame bonard.

Dis donc, Julien, si nous prenions M. Georgey en passant devant sa porte ? Il ne va pas pouvoir s’en tirer tout seul à la foire ; il se fera attraper, voler, bien sûr.

julien.

Maîtresse, si vous voulez, nous y passerons seulement pour lui dire qu’il m’attende, que je viendrai

le chercher vers midi.
madame bonard.

Et pourquoi pas l’emmener tout de suite, puisque nous y allons ?

julien.

Maîtresse, c’est que… c’est que… j’aimerais mieux que nous ayons fini nos emplettes sans lui.

madame bonard.

Pourquoi cela ?

julien.

Parce que… je crains… que…, que…, qu’il ne veuille tout payer. Et il m’a déjà tant donné, que j’en serais honteux.

madame bonard.

Tu as raison, Julien. C’est une bonne et honnête pensée que tu as là. »

Mme Bonard lui donna une petite tape sur la joue, et ils continuèrent leur chemin.

Julien monta chez M. Georgey pendant que Mme Bonard se reposait en causant avec Caroline, qui s’apprêtait aussi pour la foire.

« Monsieur, dit Julien en entrant, pardon si je vous dérange.

m. georgey.

Pas dérangement du tout, pétite Juliène. Moi satisfait voir toi ; je voulais aller au foire avec toi.

julien.

Oui, Monsieur ; je venais tout juste vous demander de m’attendre jusqu’à midi, je viendrai vous

prendre.
m. georgey.

Moi aimer plus aller dans lé minute. Moi voulais acheter une multitude de choses.

julien.

Il y aura plus de marchands à midi, Monsieur.

m. georgey.

Alors moi garder toi, pétite Juliène ; nous mangerons un turkey auparavant lé foire.

julien, embarrassé.

Je ne peux pas, Monsieur ; il faut que je m’en aille.

m. georgey.

Quoi c’est cet impatientement ? Pourquoi il fallait partir toi seul ?

julien, avec hésitation.

Parce que Mme Bonard m’attend à la porte, Monsieur, et que…

m. georgey.

Oh ! my goodness ! Madme Bonarde attendait et moi pas savoir ! C’était beaucoup malhonnête, pétite Juliène. »

Et, avant que Julien eût pu l’en détourner, M. Georgey était descendu.

m. georgey.

Oh ! dear ! Madme Bonarde ! Moi étais fâché fort ; vous rester devant mon porte et moi pas savoir. Oh ! pétite Juliène, c’est très fort ridicoule ! Moi faire excuses, pardon. Entrez, Madme Bonarde, s’il vous plaît.

madame bonard.

Je ne peux pas, Monsieur, il faut que je mène Julien faire des emplettes et que nous soyons de retour à midi.

m. georgey.

Et lé pétite nigaude Juliène disait pas à moi les emplettes. Il disait rien. Jé allais manger un pièce. Caroline, Caroline ! vitement thé, crème, toast. Beaucoup toast, beaucoup tasses, beaucoup crème. Vitement, Caroline. »

Caroline se dépêcha si bien, qu’un quart d’heure après, le thé et les accompagnements du thé étaient apportés dans la salle. M. Georgey força Mme Bonard et Julien à se mettre à table et à manger. Comme ils n’avaient encore rien pris, ce petit repas improvisé fut avalé avec plaisir. M. Georgey mangea une douzaine de toasts, c’est-à-dire des tartines de pain et de beurre grillées ; chacune d’elles était grande comme une assiette. Quatre de ces tartines eussent étouffé tout autre, mais M. Georgey avait un estomac vigoureusement constitué ; il n’éclata pas, il n’étouffa pas, et il se leva satisfait et pouvant sans inconvénient attendre l’heure du dîner. Un petit verre de malaga acheva de le réconforter ; et, prenant son chapeau, il sortit avec Mme Bonard et Julien après avoir pris la précaution de glisser dans sa poche une poignée de pièces d’or.

La ville n’était pas loin ; le temps était magnifique ; ils arrivèrent au bout d’une demi-heure de marche. Pendant qu’ils achètent, que M. Georgey paye, qu’il fait d’autres emplettes pour son compte, châles, robes, fichus, bonnets, pour Mme Bonard, vêtements, chaussures, chapeau, etc., pour Julien,



M. Georgey sortit avec Mme Bonar et Julien.

présents d’espèces différentes pour d’autres qu’il

voulait récompenser des petits services qu’il en avait reçus, Frédéric et Alcide se rencontraient à la ferme.