Le Massacre des Amazones/Grosses Chevilles

Chamuel, éditeur (p. 56-87).

VI

GROSSES CHEVILLES


Que le lecteur austère ou délicat se rassure : je ne me suis point égayé à soulever des jupes et à tâter ce qui se cache sous l’azur des bas ; j’ai lu des vers. J’ai lu, en bâillant quelquefois, les vers parnassiens de Daniel Lesueur et de Louise Ducot. J’ai lu, avec un sourire méprisant, des vers aussi vides et moins sonores signés Madeleine Lépine et Jean Bertheroy. J’ai lu un recueil franco-roumain. J’ai feuilleté rapidement telles versificatrices indifférentes dont, tout à l’heure, je retrouverai les noms dans mes notes. J’ai pris la peine d’étudier, dans les rimes d’une certaine Berthe Reynold, le néant absolu. Enfin j’ai goûté un plaisir mêlé et agacé à quelques vers sincères et vieillots d’Andréa Lex, à quelques vers sincères et enfantins de Marie Caussé.

Louise Ducot dédie ses Rêves d’exil à Sully-Prud’homme, en « hommage d’admiration et de reconnaissance ». Et cette excellente élève doit, en effet, à son maître beaucoup de qualités extérieures et d’apparences de talent.

Les pièces de son recueil sont rassemblées, comme les sonnets des Épreuves, de façon à donner l’illusion d’un progrès naturel de l’âme. La première partie, Insouciance, chantonne le vague éveil à la vie, les primes sourires, puérils et jolis, à la beauté extérieure des choses, et la jeune tranquillité, parfois railleuse, en face des problèmes qu’on ignore, en face des sentiments qu’on nie à la veille de les ressentir. — Tristesses déplorent l’amour, car Sully-Prud’homme, cœur inquiet et gentiment égoïste comme tous les enfants malades, a établi pour les parnassiens philosophes la vanité des tendresses qui, paraît-il, ne peuvent durer. Et Louise Ducot pleurniche aussi sur notre pauvre esprit qui fait le pendule au milieu du puits, également incapable de remonter jusqu’à la solide margelle de la foi ancienne et d’atteindre la blanche vérité, naïade endormie tout au fond. — Sully-Prud’homme, bon kantien, après avoir détruit tout motif et toute règle d’action, se tire d’affaire en se commandant « catégoriquement » d’agir. Louise Ducot est peut-être plus heureuse. Elle paraît remonter à la solide margelle. Il semble que, sur un ton qui reste mélancolique, les Joies psalmodient le retour voulu à la foi de l’enfance et l’innocence dont les brèches sont bouchées avec du repentir. Mais, ceci demeure vague, n’est peut-être que littéraire. Je soupçonne les pièces de cette troisième partie d’avoir été fabriquées en même temps que les autres, et la composition tardive de nous révéler un artifice de lettré imitateur plutôt que le pèlerinage d’une âme.

Les sentiments de Louise Ducot ne sont jamais exprimés dans leur lyrique spontanéité ; ils sont étudiés à la loupe. Au lieu de jouir de leur élan vivant, nous assistons à l’examen péniblement scientifique de leurs parties et de leurs éléments. On nous offre, une fois de plus, cette chose paradoxale, morte et sully-prud’hommesque, de la poésie analytique :


Un autre moi railleur se tient à ma fenêtre

Et fixe sur mon âme un regard obstiné.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Il ne peut jamais croire à ma sincérité.
Dans mes plus chers amours il voit l’indifférence.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il chasse d’un sourire et la joie et le rêve.

Quelle poésie ou même quelle vie pourrait subsister en la pauvre âme démolie à ce point par « un autre moi railleur et méchant » ? Cette lutte tragi-comique entre les deux moi fut déjà contée par Saint-Paul et par Molière. Ici, Mercure,


          Ce moi qui s’est montré mon maître,
          Ce moi qui m’a roué de coups,



dépasse vraiment les limites de la cruauté. Il ne lui suffit pas de démolir Sosie ; il fait crouler ses ruines mêmes :


    Il sape lentement chacun de mes amours.
    Je les vois crouler tous et je reste meurtrie.
    Alors, n’ayant personne à qui tendre les bras,
    Le cœur plein de tristesse et l’âme endolorie,
    Je sens un vide affreux auquel il ne croit pas.


Cette Obsession me paraît décrire, de façon heureuse et anti-poétique, le cercle absurde de l’anti-poétique enfer où Sully-Prud’homme, petit Virgile, a égaré cette pauvre Louise Ducot, Dante anémique. On y voit non seulement la matière des « poésies », mais encore les qualités et quelques-uns des défauts de leur manière. On y trouve, comme partout, cette précision sèche et anguleuse qui blesse dès le premier dystique :


          Le souci des choses pratiques
          Vide mon cœur à tout instant.


Si vous n’étiez averti, ne croiriez-vous pas lire du mauvais Sully-Prudhomme ?


          L’inintelligence des cœurs
          À tout instant froisse le nôtre :
          Les âmes qui se croyaient sœurs
          Sont étrangères l’une à l’autre.


Je veux bien le croire pour les âmes, mais certains esprits ne me paraissent que trop faciles à pénétrer. Je m’énerve à regarder à chaque page le titre courant pour être certain ou presque de ne point relire les Vaines tendresses. Le caprice de tel détail joli,


    Ramassons les bonheurs de la saison dernière
    Que dans tous les sentiers nous avons égrenés,


perdu parmi tant de trivialités nettes, ne me console pas des régiments d’images banales qui, risibles de précision raide, parcourent lourdement une plaine de tristesse. Et je m’irrite à rencontrer tant de symboles pauvres qui marchent glose au dos, tant de Vases brisés moins élégants et de moins gracieuses Danaïdes. Les cœurs des abandonnés, par exemple, sont comparés en quatre vers aux chiens délaissés, dont quatre strophes nous dirent les ennuis. Chiens infortunés en les cœurs de qui, paraît-il, « germent » des « fleurs de mal », tout comme en le cerveau de quelque Baudelaire !

Parfois Sully-Prud’homme semble collaborer avec Mlle de Scudéry et le symbole nous est expliqué, dans chacun de ses détails, avec une préciosité minutieuse et ridicule. Ainsi, on mène le Convoi de l’espérance de Louise. Il y a des pleureuses, qui sont ses douleurs. Il y a un prêtre, qui est le « symbole de sa foi chrétienne ». Il y a d’autres personnages encore qui eussent intéressé peut-être Guillaume de Lorris. Mais on remarque surtout un grand fantôme noir, qui est le cœur de Mlle Ducot. Or, sachez que ce cœur a des « yeux pleins de larmes » et que sa « main tremble ». Souvent nous le retrouvons, ce cœur, « être bizarre et pétri de contrastes ». Le voici qui « marche dans la rue » et qui « colle son front aux vitres des hôtels » en « clignant des paupières ». Plus loin, il est heureux : « des pleurs joyeux baignent son front » et diverses allégresses viennent « se découvrir à ses regards ». — Décidément, il faut compter cette brave Louise parmi ceux qu’elle appelle si poétiquement :


    Les rêveurs retardataires,
    De cœur tendre propriétaires.


Alternant avec ces préciosités si malheureusement féminines, voici d’étranges virilités : un madrigal à je ne sais quelle dame ; une diatribe contre la Femme, « l’Inconsciente » qui


    …Cherche un dominateur
    Dont elle rongera le cœur
    Pour se distraire…


et des exhortations vaillantes :

Sachons aimer le Bien d’un amour plus viril.

À force d’aimer trop virilement le Bien, Louise embrouille sinon les sexes, du moins les genres : un dialogue qu’elle tient avec le cœur tendre dont elle est propriétaire s’achève par ce tercet ;


Alors, lui : « Honte à moi si jamais je l’oublie !

Ah ! puissé-je plutôt, par les veilles pâlie.

Toujours souffrir, toujours aimer, toujours pleurer. »

Mlle Jeanne Loiseau fait semblant de se cacher derrière un nom d’homme. Mais, lorsque Galatée ne réussit pas à se laisser apercevoir dans sa fuite, elle écarte elle-même le feuillage des saules trop protecteurs : Daniel Lesueur fait mettre devant ses poèmes son sourire de femme et son accoudement de penseuse. Daniel Lesueur est une travailleuse : outre des vers auxquels les parnassiens trouvent quelque mérite technique, elle a publié des romans irritants, elle a donné un drame à l’Odéon, un autre au Théâtre Féministe. Enfin elle a traduit Byron et Sterne, et elle chronique assidûment à la Fronde.

Il ne convient pas de la juger sur ses besognes de traductrice ou de journaleuse. Le théâtre d’une époque où les hommes, n’ayant aucune foi commune, ne peuvent ni rire ni s’émouvoir des mêmes choses profondes, est nécessairement un artifice superficiel et méprisable. Quand un écrivain a fait autre chose, j’ai l’indulgence d’oublier ses machines scéniques ; de cette pitié, je suis récompensé parfois par quelques beautés plus longuement savourées, toujours par de l’ennui évité.

Les romans de Daniel Lesueur appartiennent à un genre grossier qui passe pour élégant et que la critique n’a pas encore étiqueté : le feuilleton mondain. Il y a diverses populaces intellectuelles que servent des feuilletonistes également méprisables. Jules Lemaître lui-même admet que les Richebourg de nos concierges valent les Georges Ohnet qui flattent la vanité et la curiosité bébête des bourgeois ; et l’Académie française couronne indifféremment les uns et les autres. Les « gens du monde » portent d’autres cravates que les négociants de la rue du Sentier et ont soin de se baigner plus souvent ; mais leur sottise intellectuelle, plus satisfaite, n’est pas moindre, et les Henry Rabusson qui travaillent pour eux, malgré un métier différent et des prétentions plus grandes, ne peuvent passer pour des artistes qu’aux yeux de leurs ineptes clients. La sottise foncière des snobs qui se disent artistes ou lettrés est servie aussi par des feuilletonistes qui, à cette clientèle insuffisamment payante, ajoutent celle de quelques demi-mondaines. Mendès n’est-il pas le feuilletoniste des imbéciles de lettres nés vers 1845 et Paul Adam celui des esthètes de trente ans ? Le fécond Saint-Georges de Bouhélier, qui deviendra de plus en plus Lepelletier, me paraît destiné à tenir l’emploi chez nos plus jeunes nigauds.

Voici la formule d’après laquelle la maison Daniel Lesueur fabrique le feuilleton mondain. Un problème — le plus souvent ce que nos juristes appellent une question d’état — est posé. On espère nous y intéresser par des moyens puissamment nouveaux : le bonhomme dont la situation a quelque chose de louche est merveilleusement beau, merveilleusement élégant, merveilleusement héroïque, merveilleusement intelligent, merveilleusement amoureux et merveilleusement aimé par une jeune fille non moins merveilleuse. Bien supérieur aux ingénieurs et aux maîtres de forges de M. Ohnet, il porte le pantalon rouge de l’officier d’avenir. Lentement, par des artifices savants et idiots, on nous entraîne à une solution du problème. À peine la croyons-nous certaine, qu’on nous inquiète de nouveau. On nous mène sur une autre voie et, dès que nous marchons d’un pas assuré, on nous indique que nous faisons peut-être fausse route, on nous démontre que nous faisons sûrement fausse route. Et recommence pendant trois cents pages et plus le jeu fuyant et énervant qui nous entraîne à la conquête de rien, comme les coquetteries engageantes et refuseuses de quelque Bélise. D’ailleurs, j’avertis les vrais amoureux des Bélises — il y en a — qu’ils finiront par avoir satisfaction, et qu’après bien des agaceries et des reculades, bien des aguichements et des fuites, ils atteindront le dénoûment heureux où les jeunes officiers distingués épousent les héritières riches de beauté, d’intelligence et d’argent. Voulez-vous que nous nous amusions et nous irritions un instant à une de ces anecdotes élégamment grotesques ?

Le lieutenant Jean Valdret, une perfection mâle, aime une perfection de sexe différent, Mlle Odette de Ribeyran, fille du colonel de Jean. Hélas ! cet admirable garçon est sans fortune et — obstacle poétique et nouveau — on ignore qui peut bien être son papa.

Cependant les choses, semble-t-il, pourront s’arranger, car le colonel estime son subordonné pour qui Mme de Ribeyran a une affection et une admiration maternelles. Mais voici que des indices légers, bientôt corroborés par de graves indices, désignent le colonel comme le père de Jean. Diable ! un inceste en perspective ; voilà qui est excitant. Demandez plutôt à Mendès, notable fabricant de drogues aphrodisiaques, et à toutes les femmes qui, depuis Zo’har, ont rêvé des Hors nature et des Incestes d’âmes. Et, vous savez, ça y est. Une cousine, qui a des tuyaux sérieux, affirme. Et Jean et Odette, liés d’un trop Invincible charme, ne réussissent pas à ne plus s’aimer d’amour. Les mondains, qui trouvent l’inceste intéressant, puisque pour leur sottise c’est un crime, ont, quelques pages durant, de délicieux frissons le long de la moelle. Et ils courent, ces voyeurs, vers l’élégante ignominie qu’on leur promet… Ça devient plus amusant. De nouveaux indices contredisent les premiers. Nous ne savons plus du tout. Quelle chance ! Le doute est un doux oreiller pour un inceste bien fait. Nous aurons peut-être, nous les heureux contemporains des demi-vierges et des demi-sexes, un demi-inceste de plus. Et nous ignorons encore sa séduisante formule. Jean et Odette, innocents au milieu d’un baiser coupable, se possèderont-ils en frères qui ne croient pas à leur fraternité ? Ou bien, se croyant frères et ne l’étant pas, commettront-ils coupablement la plus légitime et la plus innocente des actions ? L’horreur grandit encore, et la terreur. Non, Jean n’est pas le frère d’Odette. Mais, cette Française, cette fille du plus brave des colonels, du plus intransigeant des patriotes, aime peut-être un Prussien. Oui, Jean, — oh ! mon Dieu, ça devient de plus en plus probable, — doit être le fils d’un de ces viols qui comptent parmi les menues contributions de guerre… Je ne me vengerai pas plus longtemps sur mes lecteurs des quatre cents pages durant lesquelles Invincible Charme m’a agacé… L’Édit de Nantes n’a pas été révoqué pour rien, et le patriotisme du Daniel Lesueur que l’Académie couronna pour cette rime riche :


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La France !
On dirait, n’est-ce pas ? l’écho du mot souffrance…


est capable de quelque subtilité. La situation vraie de Jean de Cantri dit Jean Valdret est résumée en cette phrase du brave colonel : « Tu es le fils d’un officier allemand, MAIS de descendance française et portant un nom français. » Malgré cet énorme mais, M. de Ribeyran refuse encore sa fille. Jean remplit tout son devoir : il court à Madagascar et se fait tuer en héros. À la terrible nouvelle, Odette menace de s’enterrer dans un couvent, si on ne la fiance au mort. On lui accorde la satisfaction paradoxale et anodine. Vous vous doutez bien qu’il y a là une ruse de la Providence et de Daniel Lesueur. Jean était mort pour de rire, et le brave colonel n’est pas homme à manquer à sa parole. Le Rocambole de l’épaulette se marie donc, et nous espérons qu’il fera beaucoup de petits-fils à « l’Allemand de descendance française ».

Chez Daniel Lesueur, le poète est moins méprisable que le romancier. Peut-être même serait-il intéressant, s’il était un moins parfait disciple. Mais il imite trop correctement et trop froidement les menues psychologies de Sully-Prud’homme, les grandes historiettes de Leconte de Lisle, et même les petites histoires de l’illustre prosopoète François Coppée :


Un garde de Paris, par le froid étonné,
Se tient, raide et muet, et grave, sur sa selle.


Quelquefois aussi elle bouche soigneusement de l’eau dans des bouteilles de champagne et de froids raisonnements dans la strophe romantique de douze vers ; ou, écoutant deux voix, celle de Paris et celle de l’Océan, elle nous sert du Hugo refroidi et banalisé. D’autres jours, à cheval et cravache à la main, elle débite, d’un ton délibéré, du Musset mondain trop richement rimé.


Que faut-il donc de plus pour que l’âme se grise ?
Un bon cheval, un soir embaumé, vaporeux,
Un charmant tête-à-tête obtenu par surprise,
Un horizon lointain qui pâlit et s’irise,
Et la rouge bruyère au bord du chemin creux.


Le plus souvent, elle fabrique du parnasse historique, et surtout du parnasse philosophique, sages dissertations bien correctes, bien plates, où les abstractions sont exprimées directement, sans même l’élégance de quelque symbole sully-prud’hommesque. Elle est d’autant plus coupable qu’elle sent ce qu’a de ridiculement prosaïque son effort d’« enchâsser des pensées dans des vers : »


Hélas ! mes durs sonnets les tiennent oppressées ;
Elles perdent en eux leur sève et leurs senteurs.


Elle continue pourtant à chanter, inharmonieuse, « l’homme, astre humble »,


L’atome obéissant aux forces despotiques.



et,


Dans l’organisme obscur la cellule captive.


Elle met Darwin en alexandrins, rime richement une tardive chronique sur la déesse Raison ou nous apprend en un quatorzain que l’Histoire n’a pas rempli toute sa mission quand elle nous a montré « d’une plume fringante » les événements extérieurs, mais qu’elle doit encore, très grave, s’efforcer d’en déterminer les causes.

Cette endormante philosopheuse est une femme : elle a publié des vers d’amour auxquels, malgré leurs défauts pédantesques, je trouve parfois une demi-saveur de sincérité et de charme. Je suis même tenté de croire que la froideur des dissertations philosophiques et des récits barbares ou antiques, la tiédeur surtout de beaucoup de poésies amoureuses, sont des crimes de l’amant autant que de Leconte de Lisle. Cet homme m’apparaît, à travers les éloges enthousiastes de Jeanne grotesquement pédant, et ennuyeux, et fat. À chaque instant, qu’on soit inspirée ou non, monsieur, la coquette exige qu’on lui fasse des vers ; de sorte que stances et sonnets, tout comme les calembours de Trissotin, ont un papa et une maman :


Vous lui devez la vie, ô strophes cadencées,
Il vous fit naître en moi.

Plus heureux que Jean Valdret, ces « fruits d’un hymen sublime » ! La maman peut leur dire :


Votre naissance est haute, et pure, et légitime.

Le papa les flatte moins, car il tient à avoir des enfants sérieux. Même, il fait les gros yeux, dès que la maman sourit :


Ami, qui raillez mon sourire,

Préférez-vous donc à mon rire

Mes pleurs ?

Il paraît que ce vilain veut mettre « un masque aux fleurs », et je l’ai entendu leur tenir de bien sévères discours :


Fleurs, il faut être philosophe,
Votre âme est de bien mince étoffe.


La pauvre fleur obéit, admiratrice, et s’efforce d’être « philosophe », et archéologue, et même chimiste :


Peut-être, — c’est, je crois, ce qu’apprend la chimie.


Et voilà l’infortuné calice qui se rêve cornue et qui bavarde combinaisons et mélanges.

Dès que la fleur a ânonné sa leçon, elle est condamnée à entendre un nouveau cours :


Parfois vous m’expliquez votre philosophie.


Mais je n’en finirais pas d’énumérer les crimes de l’amoureux transi et érudit qui est sûr du sens des hiéroglyphes et qui garde un sourire sceptique devant les protestations les plus tendres. Quelques détails gracieux et même quelques jolies pièces ont échappé à sa sévérité ; rien n’a échappé à son influence. Les meilleures pages manquent de lyrisme et de spontanéité, sont trop ingénieuses. En voici une, par exemple, qui s’appelle la Nature et l’Amour, et qui chante, non sans charme parfois, la nature vue par des yeux heureux. Mais on nous fait remarquer, dès les premiers vers, qu’il y a là une nouveauté intéressante et que les poètes antérieurs ont tous chanté la nature consolatrice des douleurs. Le départ littéraire et l’originalité étudiée gâtent une inspiration qui serait heureuse si le sentiment était moins pensé.

Hélène Vacaresco est absurde de bégayer son âme en une langue étrangère ; mais, puisqu’il était écrit que cette Roumaine se traduirait en vers français, il ne faut pas s’étonner qu’elle fabrique ses strophes comme Santeul forgeait des vers latins ou comme Daniel Lesueur forge du Leconte de Lisle. Il serait intéressant de relever ses innombrables imitations : elles nous révéleraient lesquels de nos poètes sont illustres au bord du Danube. Cette jeune orientale se laisse prendre au clinquant des Orientales et les lourdeurs barbares de Leconte de Lisle brillent assez pour lui paraître de l’or. Mais son goût personnel la porte vers des poètes doux et lents, et elle ne déteste pas un peu de mièvrerie : elle abonde en verlainismes et elle fredonne des andantes que pourraient réclamer tantôt Paul Bourget, tantôt Jean Aicard. Si les langueurs lâches de Pierre Loti étaient versifiées, elle serait plus séduite encore par cet homme qui semble réunir toutes les élégances roumaines : officier de marine, cornac littéraire de Carmen Sylva, jouisseur aux grands airs dédaigneux, Morny de la littérature que tels imbéciles prennent pour une âme parce qu’il est un ennui.

Le snobisme de l’Académie française, excité, sans doute, au souvenir d’un roman princier, couronna un recueil d’Hélène Vacaresco. Malgré l’applaudissement des Quarante, je croirais pousser loin la naïveté si je relevais chez cette étrangère impropriétés et incorrections. Je signale seulement deux pléonasmes satisfaits dont l’un s’orne d’une heureuse allitération :


Le chevalier, songeur, songea rêveusement.

En quoi, sans doute, il imitait la jeune Muse qui se demande :


À quoi donc songeai-je, en songeant ?

Je me rappelle certaines recherches de Tola Dorian et je soupçonne toutes les Orientales qui font des vers français d’aimer le bizantinisme cliquetant des allitérations.

Il y en a d’innombrables dans les Chants de l’Aurore et dans l’Âme sereine. Je me contente d’indiquer ce vers où les r roulent plus drus que dans Leconte de Lisle :


Pour voir leur ombre errer au ras des flots encor.

Et, par une citation plus longue, je donne une idée de la manière d’Hélène Vacaresco :


     Onde rose qui t’enfuis
     Sous les bois aux vertes nuits,
     D’avoir reflété les pâles
     Et mystérieux pétales
     De la fleur qui sur tes bords
     A des parfums lourds et forts
     Dont s’enivrent les clairières
     Avec leurs vertes lumières.....


La phrase continue, mais je suis las de tourner le mirliton où s’enroule cette période plus interminable et moins rythmée que les plus lâchées de Mme Deshoulières.

Louise Ducot et Daniel Lesueur sont de grands poètes, si on les compare à Madeleine Lépine ou à Jean Bertheroy. Celles-ci vident en des récipients informes les mêmes liqueurs insipides et parnassiennes. Les premières sont des femmes enlaidies de fard, raidies en une mode qui fut toujours ridicule et qui nous semble déjà vieille. Les secondes sont des femmes laides et négligées, vêtues d’oripeaux quelconques, ornées de verroteries grossières. Louise Ducot et Daniel Lesueur répètent, en vers généralement soignés, les leçons qu’on vient de leur apprendre. Madeleine Lépine et Jean Bertheroy laissent couler de leurs lèvres un fade bavardage que relève seulement par endroits le ridicule d’un effet manqué ou d’un pédantisme. Les unes ont trop de métier, et pas assez d’art, et pas assez d’âme ; chez les secondes, âme, art, métier, tout est nul. Et je préfère encore les bonnes écolières de tout à l’heure aux petites filles que j’entends maintenant bégayer de vieilles histoires indifférentes. Dalila, et la ruine de Jérusalem, et les barbaries d’Alboin et de Rosemonde n’inspirent à Madeleine Lépine que des vers médiocres, vides de pensées, d’images et de sentiments, quelque chose comme des résumés mnémotechniques de tragédies. Guère moins négligeables, les romans où Jean Bertheroy nous conte, après un naïf démarquage, les moyens de séduction et les ennuis de bas-bleus transformés en « peintresses » ; guère moins négligeables, les vers où elle chante banalement les Femmes antiques.

Pourtant ce sont là des amazones relativement connues. Depuis que Mlle Madeleine Lépine est devenue Mme Fernand Clerget, ses vers sont loués par d’avisés jeunes hommes, qui songent que M. Fernand Clerget est un éditeur. Jean Bertheroy fut sacrée poète par François Coppée et applaudie par Hugues Le Roux. Aussi vais-je m’efforcer de caractériser l’effort de chacune d’elles, d’étiqueter leurs produits amorphes et peu discernables. Madeleine Lépine me paraît chercher surtout l’effet spirituel ou tragique, tandis que Jean Bertheroy veut plutôt nous éblouir de sa science.

Les odes de Madeleine Lépine sont de pénibles et vraiment trop longues nouvelles à la main. Il s’agit, par exemple, de préparer ce mot de la fin :


Ton beau nom est gravé, Sapho, dans tout cœur d’homme ;
Mais l’odieux Phaon était privé d’un cœur.

Ou bien la fière Vasthi se livre à un esclave pour amener cette antithèse :


Et, lionne, devint telle qu’une brebis.

On néglige de nous dire si l’esclave heureux fut tel qu’un bélier ou un bouc.

Les moins mauvaises pièces sont des banalités harmonieuses dont la pauvreté voudrait être revêtue de musique, de longs rabâchages où le même sentiment est répété sous des formes presque identiques suivant le procédé connu de nos illustres chansonniers.

Les drames, Azraël, le Jour prédit, Rosemonde : des horreurs non émouvantes. Le dernier, par exemple, est une involontaire parodie du dénoûment de Rodogune et réussit à puériliser le terrible empoisonnement. La forme est d’ordinaire si plate et ennuyeuse que, lorsqu’elle devient ridicule, je me réjouis comme d’une bonne fortune. J’ai été heureux deux ou trois fois. Je me suis amusé de cette harmonie :


A déchirer tes pieds dans mon sentier pierreux.


J’ai souri, presque tenté, à cette invitation :


Dans ce beau crâne humain où je me désaltère
Daigne étancher ta soif.


Et j’ai éclaté de rire en entendant cette exhortation :


Maintenant de l’audace et de la diligence.
Fuyons.


Dans La Fontaine, le berger Tircis, pour séduire la jeune Amarante, explique à l’enfant naïve ce que c’est que l’amour.


Amarante dit à l’instant :
« Oh ! oh ! c’est là ce mal que vous me prêchez tant !
Il ne m’est pas nouveau : je pense le connaître, n
Tircis à son but croyait être,
Quand la belle ajouta : « Voilà tout justement
Ce que je sens pour Clidamant. »


Cette rapide citation m’épargne une analyse du dernier roman de Jean Bertheroy, Sur la pente. Les trois cents pages contiennent d’ailleurs autre chose que les cinquante vers. Du livre du bas-bleu s’élèvent des « relents de charnalité » que La Fontaine a négligé de nous faire sentir. Elle parle d’une « reconduction continuelle de l’infiniment grand à l’infiniment petit » que le philosophe de l’Astrologue qui se laisse tomber dans un puits eût peut-être mal comprise. Il y a encore dans ce livre des formules d’une correction audacieuse : « Elle était prête à tout consentir. » Et il y a, comme dans l’Initiateur de cet imbécile d’Armand Charpentier, « l’amoureux par excellence, l’amoureux altruiste ; avec lui une femme ne peut manquer de parvenir au septième ciel de la félicité ». Et il y a des maximes que je signale au brave idiot qui découpe pour le supplément du Journal des Pensées et Impressions. Celle-ci fera sans doute son affaire : « D’une situation ambiguë résultent toujours des conséquences embarrassantes. »

Pour être plus mal rythmés que ceux de Daniel Lesueur et plus vides, les vers de Jean Bertheroy n’en sont pas moins pédants :


       Alma, c’est l’Aditi, l’Isis myrionyme.


Vous voyez que cette amazone aime les grands mots et vous ne serez pas étonnés quand, « sous d’erratiques cieux », elle nous vantera « l’influence erratique » de Dionysos.

Parfois ces grands mots ont un sens vague et qui m’inquiète :


Dans son amour profond et fatidique
S’écoulent les torrents des maux inoubliés.


Jean Bertheroy prend-elle fatidique pour un synonyme de fatal, ou bien songe-telle aux bavardages célèbres des Bijoux indiscrets ?

La façon dont elle évoque


Les grandes entités qui charmèrent le monde


est aussi très heureuse :


Et ses sens,
Reconnaissant enfin l’amour qui les embrase,
S’éveillent tout-puissants.


A ces sens tout-puissants, vous reconnaissez immédiatement Hercule et vous songez à celui de ses travaux qui le ferait soigner aujourd’hui comme satyriaque. Vous êtes loin de compte ; Mme Jean Bertheroy nous présentait la pudique Psyché.

J’aime encore chez elle cette belle science de l’anachronisme que Charles Maurras admira jadis en son poète préféré. Elle attribue à Psyché un « baiser de nymphe ou de madone », et Circé dans ses vers parle des « Eons », des « Archanges » et de « l’Hosanna ». Je signale cette Circé étonnante à M. Drumont : celle-là encore doit être vendue aux Juifs.


Un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire


et le plus mauvais élève, avec le temps, devient instituteur. Jean Bertheroy, si ineptement pédante, a trouvé un disciple, et bien inférieur, en M. Marc Legrand, rédacteur de la Fraternité et auteur de l’Ame antique, journaliste pour nègres et poète pour lui-même.

Or j’ai lu encore des vers, des vers innombrables. J’ai lu de Mme Caro-Delvaille des alexandrins grandiloquents et naïfs, — quelque chose comme du Hugo inharmonieux et gauche, — où


Le mont géant, hautain, millénaire et farouche


daigne répondre longuement,


Comme un aïeul très doux qu’un appel d’enfant touche,


aux questions métaphysiques d’un « homme ébloui. »

J’ai lu des vers mélancoliques et bébêtes, où François Casale (il y a beaucoup de François-les-bas-bleus, sans compter le François-les-chaussettes-roses dont le vrai nom est Francis Coppée) établit une comparaison sully-prud’hommesque entre « nos âmes lassées » et les soleils d’octobre.

En des vers plats, invertébrés,


Il fut, en Grèce, un roi qui s’appelait Candaule,


j’ai entendu Camille Bruno comparer les écrivains à


Ce mari surprenant entre tous les maris


qui


...Soutint sans broncher son déplorable rôle


Il parait que, par vanité,


Pour montrer au public nos intimes splendeurs,
Nous avons devant lui déshabillé nos âmes.


Non, Madame, nous sommes surtout coupables de n’avoir point d’âmes à montrer. Une âme, même médiocre, candidement mise à nu, est un spectacle admirable : Verlaine l’a prouvé.

Mme Claudine Funck-Brentano compare les caresses qu’elle échange avec son ami aux baisers du ciel et delà mer, car le regard de l’ami ressemble au « firmament qui recouvre le monde. » Et moi, affirme Claudine,


Et moi, je suis la mer orageuse et profonde ;
Ma prunelle verdâtre en a tous les attraits.


Mes compliments, Madame.

Antoinette Renaud s’efforce de s’attrister en maniant des fleurs sèches et en leur demandant ce qui dort en leur « sein pâli ».

Des vers mélancoliques de la duchesse de la Roche-Guyon m’ont ému parfois par leur abandonnement lassé, m’ont plus souvent fait rire par leur rhétorique naïve ou fatigué par leurs lents procédés de développement.

J’ai écouté Marie Valandré gazouiller Au bord de la vie les bons sentiments qu’on lui apprit, et j’ai lu, traduites en alexandrins, parfois souriants, les narrations où on lui fit vanter amour filial et enthousiasme pour le drapeau.

Je suis insatiable et j’ai lu beaucoup de rondels de Mme de Montgomery. Sans doute, j’ai tort de lire des rondels, d’essayer de m’intéresser à ce puéril jeu de société. Mais Mme de Montgomery joue sans sourire et sans grâce, n’atteint même pas les élégances mondaines et ineptes du genre où elle s’amuse.

Hélas ! que n’ai-je point lu ? Je puis même vous réciter un quatrain où Rachel Boyer, bien connue à la Comédie-Française, enferme sous une forme admirable une philosophie étonnamment nouvelle :

   Pantins de bois, aux gestes fous,
   À tirer vos fils, l’homme excelle.
   Pantins de chair, hommes, pour vous,
   Le Destin tire la ficelle !

On avait dit, avec moins de longueurs : « L’homme s’agite, Dieu le mène. »

Descendons encore. Je reçois une plaquette signée Dolor. Une note de presse l’accompagne qui affirme que Mlle Berthe Reynold publie « sous son nom » cet Éternel Pierrot. Lisons un ou deux vers, et, pour la joie de voir sourire telle délicieuse « bouche de colibri », faisons le pion :


Il faut vivre ou mourir, dilemme anti-nature.

Vous avez tort, petite Berthe Dolor, de faire de dilemme le synonyme d’alternative. Il me semble aussi que le mot anti-nature ne peut être adjectif que pour quelque hardi garçon de restaurant ou pour une cuisinière audacieuse. Pourquoi, d’ailleurs, appeler « anti-nature » une loi naturelle ou, comme vous avouez élégamment, un « dilemme »,


Tracé depuis longtemps pour toute créature ?

Je crois inutile, mademoiselle, de continuer la pénible correction de votre devoir. Toutes les fois que vous essayez quelque bavardage abstrait, vous abondez en termes vagues et impropres. Au contraire, quand il s’agit d’objets colorés, vous êtes d’une précision criarde. Je vous ai vu déployer jadis, — était-ce le 14 juillet ? — un sonnet tricolore. Dans les treize premiers vers, vous aviez blessé cruellement un pauvre cygne pour le seul plaisir de nous montrer enfin


L’oiseau blanc qui teintait en rouge le lac bleu.

Fi, mademoiselle, c’est bien vilain ce que vous avez fait ce jour-là. Aujourd’hui, du moins, vous n’êtes pas méchante et vous ne méritez que le bonnet d’âne.

Andréa Lex, auteur de Péchés véniels, aime aussi les Couleurs du drapeau. Plus cruelle mais plus logique, au lieu de leur sacrifier un cygne, elle tue un soldat.


    Voyez-le, blanc comme un linceul,
    Parmi les plis bleus de la toile !…
    Une tache rouge (ô douleur !)
    Coule de son front comme un pleur !


Elle a, celle-ci, toutes les gaucheries. Ses vers auraient paru vieillots en 1825. On n’y voit que fleurs et papillons. Elle fait des quatrains qui valent celui de Rachel Boyer. Et son vocabulaire est moisi : elle « peint ses feux ». Et elle abonde en didactismes rances.

Et ce sont, tous les trois mots, des points d’exclamation, des points de suspension, des points d’interrogation. Et ses rythmes cahotés ne lui permettent pas deux vers de suite qui soient des vers. Mais, quand elle exprime la passion, son mouvement heurté devient naturel et parfois on ne songe plus au ridicule de la forme parce qu’on est ému. Elle a quelques cris venus du cœur ou de la chair, et qui nous font tressaillir.

Les Cantiques du Cantique sont signés Jacques Nervat et Marie Caussé. « C’est pendant de longues fiançailles, — dit la préface, — que ces vers ont jailli de deux âmes qui se sont penchées l’une vers l’autre pour se pénétrer. »

Malgré d’horribles allitérations,


Qu’enlinceule le lin que ta face illumine,


ces vers sont généralement jolis, tendres et harmonieux.

La prosodie des deux jeunes gens effraierait classiques, romantiques et parnassiens. Pourtant elle est relativement sage. Elle n’admet pas le vers que Viélé-Griffin et Marie Krysinska croient libre et que Franc-Nohain avoue amorphe. Elle élide toujours la syllabe muette qui suit une voyelle sans exiger ici l’hiatus qu’on défend ailleurs :


Et l’or en effigie remplace le soleil.

En outre, Jacques Nervat et Marie Caussé font partout ce que les prosodistes appellent la synérèse. Je ne leur cherche pas querelle quand ils comptent « visions » pour deux syllabes et a mystérieux » pour trois ; mais je suis choqué quand ils me forcent à prononcer « paisan » ou à frémir en lisant un vers faux :


Se courbent des paysans sous leurs larges chapeaux.


Si je devais parler de Jacques Nervat, je lui ferais, très intéressé, beaucoup d’éloges et beaucoup de reproches. Il a une imagination gasconne qui dépasse souvent mais qui m’amuse toujours. INon sans quelque honte, j’aime presque ceci :


Et le soleil fait ruisseler des pièces d’or
vers la bourse tendue du vieux saule penché.


Mon sourire est plus incertain, hésite entre l’approbation et l’ironie, quand je rencontre :


Sa bouche est la margelle de mon puits de joie
où tombent les cailloux de ses éclats de rire.


L’ironie l’emporte décidément, quand on me montre, trop ingénieux, un martin-pêcheur qui « tisse de la clarté avec l’aiguille bleue de son essor ».

Marie Causse imite timidement et docilement ce défaut ; mais, à l’éclat du plein jour, son imagination préfère les douceurs nocturnes :


Et mon teint pâle comme un clair de lune,
sera la nef d’argent dans la mer de tes nuits.


Son écriture est moins sûre que celle de Jacques Nervat. Il aurait bien du, le bon fiancé, souffler sur certaine « neige de cendre » que je ne vois pas bien et effacer l’expression plate et un peu ridicule de tel aveu d’impuissance :


Et rien ne peut le définir, même des vers.


La poésie de Marie Caussé est trop souvent presque aussi balbutiante que la prose rimée de Francis Jammes. Mais, par endroits, je suis charmé de sa sincérité craintive et gracieuse :


J’offrirais notre amour à Dieu, pour qu’il me fasse
bonne, comme ton cœur se plût à me rêver

et qu’il mette en mes yeux une lueur discrète
qui soit comme une douce lampe à ton foyer.


C’est une petite fille qui manque de couleurs, cette poésie, mais on regarde avec quelque plaisir sa joliesse pâle et anémique et ses gestes d’une câlinerie gentiment puérile :


Je ferai la maison attachante et câline
en des riens délicats qui te feront rêver,
je serai la fée prévoyante qui devine
tes plus secrets désirs pour pouvoir les combler.
Oh ! mon ami, regarde au loin la belle vie.
j’aurai du rose aux joues, de la joie dans les veux,
car. bien sûr, tes baisers me rendront plus jolie,
et les fleurs du jardin pareront mes cheveux.