Le Marquis ridicule ou la Comtesse faite à la hâte/Acte IV


ACTE IV


Scène I

BLANCHE, LIZETTE.
Blanche.

Il ne savoit donc pas mon futur hyménée,
Et qu’à son frére aîné l’on m’avoit destinée ?

Lizette.

Il ne le savoit pas : vous n’auriez jamais cru
Quelle fut sa douleur aussi-tôt qu’il l’a su.
Si vous eussiez ouï ses amoureuses plaintes,
Votre cœur en eût eu de sensibles atteintes.
Jamais un malheureux au fort de son tourment,
N’a maudit son destin plus pitoyablement.
Je n’ai pas pour autrui le cœur autrement tendre ;
Mais quand je songe à lui, je sens le mien se fendre.
Son frére est bien heureux.

Blanche.

Son frére est bienheureux.Son frére est ce qu’il est,
Puisqu’il est approuvé par mon pére, il me plaît ;
Mais j’entends un carrosse.

Lizette, regardant par la fenêtre de la salle.

Mais j’entends un carrosse.Il est vrai qu’il s’arrête
Chez nous.

Blanche.

Chez nous.Est-ce pour moi ?

Lizette.

Chez nous. Est-ce pour moi ? Feignez un mal de tête,
Si ce sont des fâcheux : je vais les recevoir,
Et vous irai querir, si ce sont gens à voir.

Blanche sort.

à part. Cette madame ici viendroit-elle à la noce ?



Scène II

STEFANIE, OLIVARÈS, LOUIZE, LIZETTE.
Stefanie.

Olivarès ?

Olivarès.

Olivarès ? Madame ?

Stefanie.

Olivarès ? Madame ? Envoyez le carrosse.
Pourrois-je dire un mot à Blanche de Vargas ?

Lizette. Elle sort.

Je m’en vais l’avertir de descendre ici-bas.

Stefanie.

Il était de mon train et de ma bonne mine,
De ne pas faire ici ma visite en gredine :
Quelque mauvais que soit un carrosse emprunté,
Il nous donne toujours beaucoup d’autorité.

Olivarès.

Mais quel noble dessein allez-vous entreprendre ?

Stefanie.

Digne de mon esprit.

Olivarès.

Digne de mon esprit.J’ai peine à le comprendre.

Stefanie.

Tu me verras marquise, ou bien je périrai.

Olivarès.

Ma foi, vous le serez comme je volerai.

Stefanie.

N’ai-je pas plaisamment attrapé la peinture,
L’aimable marmouset de l’épouse future ?

Olivarès.

Quel bien vous viendra-t-il d’avoir pris un portrait ?

Stefanie.

J’en aurai du plaisir.

Olivarès.

J’en aurai du plaisir.J’en aurai du cotret.

Stefanie.

Homme de peu de foi !

Olivarès.

Homme de peu de foi ! Sans beaucoup d’apparence,
Je ne me flatte point d’une vaine espérance.

Stefanie.

Et je m’en flatte, moi. Mais n’as-tu pu savoir
Où le marquis allait si vîte hier au soir ?

Olivarès.

J’ai fait ce que j’ai pu pour le pouvoir apprendre.

Stefanie.

Il fut couru des mieux.

Olivarès.

Il fut couru des mieux.Courir, ce n’est pas prendre.



Scène III

LIZETTE, STEFANIE, BLANCHE, OLIVARÈS, LOUIZE.
Lizette.

Madame va venir dans un petit moment.

Stefanie.

N’aurois-je point troublé son divertissement ?
Ne lui ferois-je point de visite importune ?
Mais je la vois venir : sa beauté non commune
Est encor au-dessus du grand bruit qu’on en fait,
Et pour tout dire enfin, efface son portrait.
Madame, trouvez bon devant que vous rien dire,
Que je vous considére et que je vous admire
Je n’ai jamais rien vu de si charmant que vous.

Blanche.

Je n’attendois pas moins d’un visage si doux,
Que des civilités et des cajolleries.

Stefanie.

Qui ne vous en feroit ?

Blanche.

Qui ne vous en feroit ? Trêve de railleries.

Stefanie.

Je rends ce que je dois à ce que vous valez.

Blanche.

Apprenez-moi plutôt ce que vous me voulez.
De vous pouvoir servir je me tiendrois heureuse.

Stefanie, à sa suivante.

Louize ! qu’en dis-tu ?

Louize.

Louize ! qu’en dis-tu ? J’en serois amoureuse.

Stefanie.

Et déjà je la suis, et j’en hais doublement
Le méchant qui la veut tromper si lâchement.

Louize.

Comment peut-il tromper cette belle personne ?

Stefanie.

Comment me trompe-t-il ?

Blanche.

Comment me trompe-t-il ? Ce langage m’étonne.
Savez-vous qui je suis ?

Stefanie.

Savez-vous qui je suis ? Non, je ne le sais pas !
Ce n’est pas votre nom que Blanche de Vargas ?

Blanche.

Je l’avoue.

Stefanie.

Je l’avoue.Et j’ignore aussi qu’on vous marie ?
Mais vous, savez-vous bien la noire perfidie
Qu’un traître, qu’un marquis dom Blaize…

Blanche.

Qu’un traître, qu’un marquis dom Blaize…Ha ! taisez-vous,
Ne venez point ici décrier mon époux.

Stefanie.

Il est donc votre époux ?

Blanche.

Il est donc votre époux ? Au moins il le doit être.

Stefanie.

Elle me fait pitié, Louize !

Louize.

Elle me fait pitié, Louize ! Ô le grand traître !

Blanche.

Ces discours surprenans et pleins d’obscurité,
M’empêchent de répondre à vos civilités.

Stefanie.

Je m’expliquerai mieux, quelque mal qu’il m’arrive ;
Mais qu’on ne dise point à personne qui vive,
Et sur-tout au marquis, que l’on m’ait vue ici :
Ce n’est pas sans raison que je vous parle ainsi.

Je veux bien l’avouer : il y va de ma vie.
Mais pour avoir le bien de vous avoir servie,
Je hasarderois tout, excepté mon honneur :
Vous gagnez à tel point mon estime et mon cœur,
Que je serois pour vous de même ardeur zélée,
Quand dans vos intérêts je serois moins mêlée.

Blanche.

Mon estime et mon cœur ne sont pas moins à vous :
Mais si vos intérêts sont communs entre nous,
Contentez le désir que j’ai de les apprendre.

Stefanie.

J’ai toujours dans l’esprit que l’on nous peut surprendre,
Madame, encor un coup, suis-je ici sûrement ?

Blanche.

Ne craignez rien, madame, et parlez seulement.

Stefanie.

Faites donc, s’il vous plaît, sortir votre suivante.

Blanche.

Je ne lui cache rien.

Stefanie.

Je ne lui cache rien.Elle est pourtant servante.

Blanche.

Oui : mais elle a le don de garder un secret.

Stefanie.

Vous reconnoissez bien cet aimable portrait ?

Blanche.

Et qui vous l’a donné ?

Stefanie.

Et qui vous l’a donné ? C’est la personne même
À qui vous avez fait cette faveur extrême.

Blanche.

Mais pourquoi le marquis l’a-t-il mis dans vos mains ?

Stefanie.

Dom Blaize est, en un mot, le dernier des humains.
Quand vous mariez-vous ?

Blanche.

Quand vous mariez-vous ? Aujourd’hui.

Olivarès, à part.

Quand vous mariez-vous ? Aujourd’hui.L’infidelle !

Louize, à Olivarès.

Il n’est pas dans le monde une plus fourbe qu’elle.

Olivarès.

Fourbissime.

Stefanie.

Fourbissime.Et dom Blaize a signé le contrat ?

Blanche.

Dès long-tems.

Stefanie.

Dès long-tems.Ô bon dieu ! pardonne au scélérat.
Il n’en peut accomplir la principale clause,
Ni vous donner la main.

Blanche.

Ni vous donner la main.Puisque tout s’y dispose,
Que mon pére le veut, que j’en suis convenu,
Et que c’est pour cela que dom Blaize est venu,
Qui l’en peut empêcher ?

Stefanie.

Qui l’en peut empêcher ? Hélas ! c’est moi, madame !
Moi qui l’ai fait régner dès long-tems dans mon ame,
Sa qualité, son bien, ses sermens et ses pleurs,
Son langage flatteur et ses feintes douleurs.
Ma jeunesse crédule et mon ame trop tendre,
Ma folle vanité trop aisée à surprendre,
Enfin tout ce que peut d’ennemis assembler
La rigueur d’un destin qui vouloit m’accabler,
Favorisa si bien les desseins de ce traître,
Que je ne puis l’haïr, quelqu’ingrat qu’il puisse être,
Qu’il obtint… mais, hélas ! ma rougeur et mes pleurs
Vous déclarent assez jusqu’où vont mes malheurs ;
Mais aussi je vous suis encor si peu connue,
Que vous pourriez douter si je suis ingénue,
Et sans me faire tort, mettre en doute ma foi,
Si j’étois sans témoins qui parlassent pour moi.
Deux enfans malheureux d’un infidéle pére,
Joindront leur faible voix à celle de leur mére,

Et ces deux innocens auront bien le crédit
De vous persuader tout ce qu’elle vous dit.

Blanche.

Si mon cœur vous pouvoit aussi-bien que ma bouche,
Témoigner à quel point votre malheur me touche,
Vous ne douteriez pas de la juste douleur
Que me fait ressentir votre cruel malheur.

Lizette, entre toute effrayée.

Tout est perdu !

Blanche.

Tout est perdu ! Quoi donc ?

Lizette.

Tout est perdu ! Quoi donc ? Ils vont venir, madame.

Blanche.

Qui ?

Lizette.

Qui ? Dom Blaize et dom Cosme.

Stefanie.

Qui ? Dom Blaize et dom Cosme.Ô malheureuse femme !
Et que ferai-je donc en cet accablement ?

Lizette.

Vous pouvez vous cacher en son appartement :
La clef tient à la porte.

Blanche.

La clef tient à la porte.Ouvre vîte, Lizette.

Lizette.

Sauvez-vous vîtement, Dame, Écuyer, Soubrette !
Et vous défendez bien si l’on vous veut forcer.



Scène IV

DOM BLAIZE, D. COSME, D. SANCHE, BLANCHE,
LIZETTE, MERLIN, ORDUGNO.
D. Blaize.

Et je soutiens encor qu’il ne faut rien presser.

D. Sanche.

Et je soutiens aussi qu’une semblable affaire
Se hasarde beaucoup, alors qu’on la différe.

D. Blaize.

Et moi, je resoutiens qu’on ne hasarde rien,
Quand on différe un peu ce qu’on retrouve bien.
Si les grands de la Cour n’étoient pas à ma noce,
Si j’allois emprunter ou louer un carrosse,
Pour aller à l’Église, au-lieu d’en avoir un
En propre, et d’un ouvrage au-delà du commun ;
Si Blanche en pareil jour étoit si mal en ordre,
Que le moindre bourgeois y pût trouver à mordre :
Enfin si j’épousois votre fille en gredin,
Ne me croiroit-on pas un fou, vous un badin ?
Ne passerois-je pas, ô trop hâté dom Cosme !
Pour le plus grand vilain qui soit dans le royaume ?
Ne serois-je pas fat, et même plus que vous,
(Ceci soit dit pourtant sans vous mettre en courroux)
Si je ne rendois pas célébre la journée
Qui se pourra vanter de mon noble hyménée ?
Je veux que bals, festins, musiques, et taureaux,
Carrousels et combats de barriére aux flambeaux,
Fassent parler en cour de ma magnificence :
Je différerai donc, avec votre licence.

D. Cosme.

Il faut donc différer, je ne conteste plus ;
Mais bals, festins, tournois sont des frais superflus.
À la cour aujourd’hui, l’on ne s’en pique guére.
Il n’est donc pas besoin pour cela qu’on différe.

D. Blaize.

Cet homme me fera bientôt désespérer.
Il ne conteste plus, il veut bien différer,

Et dans le même temps qu’il accorde la chose,
Le drôle la refuse, et même en dit la cause.

D. Cosme.

Je ne refuse rien.

D. Blaize.

Je ne refuse rien.Nous différerons donc ?

D. Cosme.

Ha, non.

D. Blaize.

Ha, non.Ô mal plaisant vieillard, s’il en fut onc,
Voulez-vous différer ou non ?

D. Cosme.

Voulez-vous différer ou non ? Je ne veux faire
Que ce que vous voudrez.

D. Blaize.

Que ce que vous voudrez.Hé bien donc, qu’on différe.

D. Cosme.

Mais si nous différons, qu’est-ce que l’on dira ?

D. Blaize.

Rien, sauf, hormis, sinon que l’on différera.
Je veux absolument différer l’hyménée,
Dussiez-vous enrager en votre âme obstinée.

D. Cosme.

Je ne puis différer.

D. Blaize.

Je ne puis différer.Et pour moi, je le puis.

D. Cosme.

Je ne puis différer.

D. Blaize.

Je ne puis différer.Étant ce que je suis
Il faut que je différe, et j’en ai dit la cause.

D. Cosme.

Je ne puis différer.

D. Blaize.

Je ne puis différer.Ha, parlons d’autre chose,
Ou nous nous brouillerons.

D. Cosme.

Ou nous nous brouillerons.Je ne puis différer.

D. Blaize.

Messieurs ! sur mon honneur, il le faut séparer.
Ne voyez-vous pas bien qu’il n’est déjà pas sage ?
Et que sera-ce donc, si jamais il enrage ?

Blanche, tout bas à son pére.

On peut bien différer les noces pour un tems,
J’ai reçu là-dessus des avis importans.

D. Cosme.

Je ne puis différer.

D. Blaize.

Je ne puis différer.Quel détestable flegme !
Ha ! dites-moi plutôt quelque vieil apophtegme,
De ceux dont vous m’avez tantôt assassiné.

D. Cosme.

Je ne puis différer.

D. Blaize.

Je ne puis différer.Maudit soit l’obstiné !

D. Sanche.

Puisqu’il vous presse tant, c’est un fort mauvais signe.

D. Blaize.

C’en est un très-certain qu’il est un fourbe insigne,
Mais allons faire un tour, pour rafraîchir un peu
Mes esprits échauffés, et mon visage en feu.

Blanche.

Ce n’est pas sans raison que je vous dis, mon pére,
Que vous devez aussi souhaiter qu’on différe.
Je sais que le marquis aime depuis deux ans,
Une dame, et de plus qu’il en a deux enfans.

D. Cosme.

Tous les gens comme lui n’en font-ils pas de même ?
Étant en Portugal, par un bonheur extrême,
Je pus gagner le cœur d’une jeune beauté,
Aimable pour l’esprit, riche, et de qualité.
Je déguisois mon nom, à cause qu’en Castille
J’avois l’inimitié de toute une famille,
Pour avoir fait périr à mes pieds un rival,
Dont la mort me retint deux ans au Portugal.

Cette belle avait nom Elvire de Pachéque,
Moi, j’avois pris celui de dom Juan Paloméque.
Nous nous aimions tous deux avecque passion ;
Mais ayant obtenu mon abolition,
Je sortis de Lisbonne et revins en Castille,
Laissant Elvire en pleurs et grosse d’une fille.
Je devois retourner l’épouser, mais la cour
Bannit de mon esprit Elvire et mon amour.
À quelque temps de là j’épousai votre mére.

Stéfanie, cachée.

Dans la relation que je viens d’ouir faire,
Je trouve assurément l’infaillible moyen,
D’obtenir, si je veux, et dom Blaize, et son bien.

D. Cosme.

Le voici qui revient.



Scène V

DOM BLAIZE, D. SANCHE, ORDUGNO, D. COSME, BLANCHE.
D. Blaize.

Le voici qui revient.Je vous croirai, dom Sanche.
Mais allez de ce pas parler d’amour à Blanche.
J’entretiens cependant cet ennuyeux vieillard.
Don Cosme, pourroit-on vous parler à l’écart ?

D. Cosme.

Je suis à vous.

D. Blaize.

Je suis à vous.Hé bien, otre aimable beau-pére,
Consentez-vous enfin que l’hymen se différe,
Ou m’entendrai-je encor l’oreille pénétrer
Par cet impertinent, je ne puis différer ?

D. Cosme.

Je n’eusse pas usé de paroles pareilles,
Pour peu que j’eusse cru vous blesser les oreilles.
Je ne ferai jamais que ce que vous voudrez.

D. Blaize.

Ô que les hommes doux sont souples et madrez !

D. Cosme.

Mais, monsieur, vous disiez tantôt, ou je me trompe,
Que vous haïssiez fort le vain luxe et la pompe,
Et ce qui peut passer pour superfluité :
À quelque bourgeois riche et né sans qualité,
On pourroit pardonner une folle dépense :
Mais elle est condamnée en l’homme de naissance.

D. Blaize, à part.

Ce qu’il me vient de dire, a quelque fondement.

D. Sanche, à l’autre bout du Théâtre.

Je ne puis plus tenir contre tant de tourment.
Ou vous serez bientôt de mes larmes fléchie,
Ou bien votre orgueil verra finir ma vie.

Blanche.

Êtes-vous furieux, Dom Sanche, et croyez-vous,
Que je puisse long-tems retenir mon courroux ?

D. Sanche.

Ne la retenez pas point cette juste colére :
Perdez un misérable ; aimez son heureux frére.
Avancez mon trépas par vos dédains cruels,
J’en sortirai plutôt de mes maux éternels.

D. Blaize.

Mon frére ! à mon secours, il me tourne, il me vire,
Il me fait enrager, et ne fait que sourire.

Stefanie, cachée.

Le frére aîné m’échappe, et le cadet trompeur
De mon esprit jaloux augmente la fureur.
Louize ! Olivarès ! écoutez…

D. Blaize.

Louize ! Olivarès ! écoutez…Ô dom Cosme !
Dans Madrid, ou plutôt dans tout ce grand royaume,
Trouvez-vous quelquefois quelqu’un fait comme vous ?
Croyez-vous que la paix soit long-tems entre nous ?
Moi chaud comme le feu, vous froid comme la glace,
Et quoi que l’on vous dise, et quoi que l’on vous fasse,
Vous allez toujours droit où vous voulez aller :
Vous me déplaisez fort, je vous veux quereller,

Et vous m’assassinez à force de me plaire.
Il n’est pas dans le monde un plus parfait beau-pére.
Mais que vois-je ?

Stefanie sort avec Louize toutes deux voilées, et Olivarès la méne la tête cachée dans son manteau, et elles se détournent pour choquer dom Blaize.

Mais que vois-je ? Mes yeux ont vu sa trahison ;
Mais je sais le moyen d’en avoir la raison.
Éloignons ce méchant.

D. Cosme.

Éloignons ce méchant.Et quelles gens peut-ce être,
Qui se cachent chez moi sans se faire connoître ?

D. Blaize.

Quel escadron en deuil vient me choquer ici ?
Pourquoi diable ! à moi seul s’adresse-t-il ainsi ?
Connoissez-vous quelqu’un de cette noire bande ?
Dites-le moi, dom Cosme.

D. Cosme.

Dites-le moi, dom Cosme.Et je vous le demande.
Qui le sait mieux que vous ?

D. Blaize.

Qui le sait mieux que vous ? Je n’en sais rien, ma foi :
Je les ai d’abord pris pour les gens d’un convoi.

Blanche, tout bas à son pére.

Monsieur, c’est cette dame, épouse de dom Blaize,
Dont il a des enfans.

D. Blaize.

Dont il a des enfans.Il en use à son aise.
Je n’ai jamais été choqué si rudement,
J’en suis quasi tombé par terre lourdement.

D. Cosme, tout bas à sa fille.

Mais le savez-vous bien ?

Blanche.

Mais le savez-vous bien ? Oui, monsieur, c’est la même.

D. Cosme.

Ha ! c’est nous mépriser d’une insolence extrême,

Je me plains justement de votre procédé.
Dom Blaize.

D. Blaize.

Dom Blaize.Et parbleu bon, je suis réprimandé.
Je n’eusse jamais cru qu’un doux à triple étage,
De se mettre en colére eût jamais le courage.

D. Cosme.

Il n’entre point chez moi de semblable gibier,
C’est me faire une offense, et c’est me décrier.

D. Blaize.

Mais que je sache donc, dom Cosme, je vous prie,
Et ce qui vous offense, et ce qui me décrie.

D. Cosme.

Vous manquez de respect à ma fille.

D. Blaize.

Vous manquez de respect à ma fille.Êtes-vous
Parfois capricieux, vous autres esprits doux ?

Blanche.

Mon pére a grand sujet de trouver fort étrange…

D. Blaize.

Quand est du temps présent, vous vous tairez, bel ange !
Et quand est du futur, bel ange, vous saurez
Que vous me plairez fort, lorsque vous vous tairez.
Mais enfin sachons donc ce que vous voulez dire.

D. Cosme.

Que lorsque vous aurez un légitime empire
Sur Blanche, qu’elle aura bien souvent à souffrir
De pareils déplaisirs.

D. Blaize.

De pareils déplaisirs.Que je puisse mourir,
Si dom Cosme ne croit que j’ai fait en cachette
Entrer dans sa maison quelque amitié secrette.
Mon frére, allez après.

D. Sanche.

Mon frére, allez après.J’y cours.

D. Blaize.

Mon frére, allez après. J’y cours.Mais à grand pas.

D. Sanche, à part.

Ô amour ! si l’hymen par-là ne se fait pas.

D. Blaize.

Allez donc, qu’avez-vous à regarder les nues ?
Quand des cornes seroient à mes tempes venues,
Je n’aurois pas été davantage étonné :
C’est quelque dame à qui j’ai de l’amour donné.
Ordugno !

Ordugno.

Ordugno !Monseigneur ?

D. Blaize.

Ordugno ! Monseigneur ?En sais-tu quelque chose ?

Ordugno.

Rien du tout.

D. Blaize.

Rien du tout.Avois-tu tenu ma chambre close ?

Ordugno.

À double tour.

D. Blaize.

À double tour.Ma foi, je n’y connois donc rien.
Vous vous coulez, dom Cosme ; allez, vous faites bien.

Dom Cosme et Blanche sortent.

Et vous, astre d’amour qui suivez votre pére,
Empêchez l’esprit doux de se mettre en colère,
Ordugno !

Ordugno.

Ordugno !Monseigneur ?

D. Blaize.

Ordugno ! Monseigneur ?Il faut assurément
Que le ciel m’ait donné de ses biens largement.
Ô les rares talens que je laisse détruire !
Je n’ai pas plutôt fait mon mérite reluire
Dans Madrid, et j’y suis à grand’peine arrivé,
Qu’on m’y court, que j’y suis, peu s’en faut, enlevé.
Il n’est, ma foi, rien tel que d’être né bel homme.
J’eusse voulu donner une notable somme,

Afin que mon hymen pour un tems fût remis ;
Mais sans ces gens masqués, sans-doute mes amis,
Je n’eusse jamais pu différer l’hyménée
Avec un tel vieillard, de qui l’ame obstinée
N’eût jamais démordu de son premier projet,
Et quoi que j’eusse dit et quoi que j’eusse fait :
Allons voir là-dessus ce qu’aura fait mon frére :
Encore un coup, beauté, que tu m’es salutaire !