Le Marquis ridicule ou la Comtesse faite à la hâte/Acte I


ACTE I


Scène I

STEFANIE, LOUIZE.
Louize.

Madame, excusez-moi, si je vous interromp ;
Mais le soleil ici donne sur nous à plomb.
Sans parasol, sans mante, au Soleil, à telle heure,
Être au cours, c’est jouer à se perdre, ou je meure.
Voulez-vous faire ici de l’astre radieux,
Et de votre bel œil morguer celui des cieux ?
Sauf l’honneur que je dois à votre noble essence,
Ce dessein romanesque a de l’extravagance.

Stefanie.

Tu me parles toujours avecque liberté.

Louize.

Mais Madame après tout, je dis la vérité ;
Car au cours, à midi, que voulez-vous donc faire ?

Stefanie.

Ignorant mon dessein, tu n’as rien qu’à te taire.

Louize.

Au moins m’avouerez-vous que l’on y vient que tard,
Et qu’on n’y laisse point son carrosse à l’écart.

Stefanie.

Tais-toi. Je te disois tout à l’heure, Louize,
Qu’à moins que d’un seigneur, je ne puis être éprise.
Je hais le petit noble à l’égal du bourgeois ;
L’écu seul à couronne est l’objet de mon choix :
Enfin, nul, quel qu’il soit, n’aura sur moi d’empire,
Si dans ses qualités il n’entre du Messire.

Louize.

Et dom Sanche, madame, est-il un grand seigneur,
À qui si franchement vous donnez votre cœur ?
Ma foi ! d’un grand seigneur, il n’a pas l’équipage,
Et son train jusqu’ici ne peche pas en page.

Stefanie.

Si tu voyois bien clair, tu connoîtrois qu’il est,
Quoique avec peu de train, autre qu’il ne paroît.

Louize.

Et sur quoi fondez-vous pareille conjecture ?

Stefanie.

Sur ce qu’il a l’air grand, et de fort bon augure ;
Sur ce qu’en l’approchant mon ame m’avertit
Qu’il est né grand seigneur, mais qu’il se travestit.
Je ne me suis jamais d’un seigneur approchée,
Que d’un instinct secret je n’aie été touchée :
Mais je me pique aussi d’être de mon côté,
Le véritable aimant des gens de qualité,
Titre, que je préfére au beau titre de reine.

Louize.

Vous êtes Portugaise ?

Stefanie.

Vous êtes Portugaise ?Il est vrai, je suis vaine.

Louize.

Mais par l’ordre du ciel à qui tout est sujet,
Si dom Sanche n’est pas un seigneur contrefait,

Lui ferez-vous encor, de l’humeur dont vous êtes,
La mine, et les doux yeux, que par-tout vous lui faites ?

Stefanie.

Il est vrai que je dis ce que je ne fais pas :
Il est vrai qu’à le voir je trouve trop d’appas :
Et bien qu’il ne m’ait pas par mon foible attaquée,
Qu’il m’a pourtant vaincue.

Louize.

Qu’il m’a pourtant vaincue.Ou du moins détraquée.
Pour moi, si je brûlois, je cacherois mon feu,
Ou je n’en ferois voir que quelquefois un peu :
Car s’il voit, fin qu’il est, en pareille matiére,
Que vous en ayez tant, il n’en recevra guére.
Il est doux, complaisant, fort civil, grand flatteur :
Avec ces qualités, on peut être imposteur,
Avec ces qualités, on trompe dans le monde ;
Et si c’est là-dessus que votre esprit se fonde,
Pour croire que le sien vous est assujetti,
J’ai peur que votre amour n’en est le démenti.
Ou je sais peu de chose en l’amoureux martyre,
Ou c’est modérément que pour vous il soupire,
Et je n’ai pas grand’peur que sa famille un jour
Vous plaide à son sujet pour un meurtre d’amour.
Fût-il comte ou marquis, étant ce que vous êtes,
Il feroit pour le moins le chemin que vous faites.
Votre rare beauté fait tout pour l’acquérir :
Voit-on sur votre amour, son amour enchérir !

Stefanie.

Oui, même avec excès.

Louize.

Oui, même avec excès.Chacun en croit de même,
Chacun croit aisément qu’on l’aime autant qu’il aime,
Vous autres déités, vous avez l’esprit vain.
Ha ! Sortez vîtement de ce doute incertain ;
Qu’il décline son nom, son pays, sa naissance ;
Il est tems qu’à son tour, il fasse quelque avance.
S’il a ce qu’il vous faut, un notaire, un curé ;
S’il n’est pas ce qu’on croit, fît-il bien l’éploré,
Fermez-lui votre porte, et m’en cherchez un autre,
Dont vous serez le fait, comme il sera le vôtre.

Stefanie.

Je sais que bien souvent, il se promene ici.
Et c’est pour ce sujet que je m’y trouve aussi.
Afin qu’en m’y voyant, seule, à pied, sans livrée,
Il s’aille figurer ma conquête assurée,
Et que pour me connoître, il vienne m’approcher.

Louize.

Qu’espérez-vous par là ?

Stefanie.

Qu’espérez-vous par là ? Je lui veux reprocher,
Qu’il donne à tout.

Louize.

Qu’il donne à tout.Ma foi, ce n’est pas gain de cause,
Pour vos nobles desseins, il faut bien autre chose.

Stefanie.

Cela me peut servir à le faire expliquer ;
À connoître s’il m’aime, ou s’il se veut moquer.
Car puisque tout mon bien est ma seule industrie,
Je redoute sur-tout la contre-fourberie.

Louize.

Par ma foi, je le tiens aussi fourbe que nous.

Stefanie.

Mais il n’est pas aussi le seul but de mes coups.

Louize.

Ce financier coquet, que vous couchiez en joue,
Et qui ne vous hait pas, le valoit bien.

Stefanie.

Et qui ne vous hait pas, le valoit bien.Il joue,
Son humeur m’est suspecte ; on croit qu’il doit au roi,
Et n’est pas dans Madrid cru pour homme de foi.

Louize.

Et ce beau courtisan, qui vous suit à la piste ?

Stefanie.

Le madré veut savoir en quoi mon bien consiste.

Ne t’imagine pas à voir ma vanité,
Que je m’attache tant aux gens de qualité :
Si je trouve ou bourgeois, ou vieillard qui soit riche,
Par d’honnêtes faveurs, dont je ne suis pas chiche,
Je saurai le gagner ; lors ma condition
Se pourra bien passer de mon invention,
Et lors avec honneur, sans faire de bassesse,
Je pourrai soutenir l’éclat de ma noblesse :
Pour cet effet, je vole aux oiseaux passagers,
Et notre politique en veut aux étrangers.
J’ai de bons espions dans les hôtelleries,
Dans les postes, bureaux, coches, messageries,
Tu m’es un bon second, et notre Olivarès,
Pour nos nobles desseins est comme fait exprès,
Aux yeux de cent jaloux, il sait faire un message.

Louize.

Bref, votre Olivarès est un grand personnage.

Stefanie.

Il a su découvrir qu’un certain vrai marquis
Arrive dans Madrid, et sait bien son logis.
Ce seigneur étranger, si j’ai bonne mémoire,
A nom dom Blaize Pol, marquis de la Victoire.

Louize.

La peste, que de noms !

Stefanie.

La peste, que de noms !Cela sent son seigneur.

Louize.

Madame, j’apperçois votre écuyer d’honneur.

Stefanie.

Il nous apportera quelques bonnes nouvelles.

Louize.

C’est le phénix, l’extrait des écuyers fidèles.

Stefanie.

Dis-moi la vérité que tu ne le hais pas.

Louize.

Je pense aussi pour lui ne manquer pas d’appas.

Eh bien ! surintendant des dépêches secrettes,
Qu’as-tu de bon ?



Scène II.

OLIVARÈS, STEFANIE, LOUIZE.
Olivarès.

Qu’as-tu de bon ? Tais-toi, sultane des coquettes.
Je me suis informé, comme vous m’aviez dit,
Du logis de dom Sanche, et je sais comme il vit,
Et que pour le servir, il n’a qu’une personne :
Mais on m’a dit de plus, et c’est ce qui m’étonne,
Que son appartement, dont je me suis enquis,
Étoit l’appartement de même marquis,
De ce dom Blaize Pol qu’on attend de Castille.

Stefanie.

Eh bien ! c’est un matois, un petit noble, un drille,
Vois-tu ! je me connois en gens de qualité.

Olivarès.

En sortant de chez lui, je l’ai trouvé botté.

Louize.

Et moi je l’apperçois.

Stefanie.

Et moi je l’apperçois.Mon bonheur me l’amene.

Louize.

D’où vient-il si matin ?

Stefanie.

D’où vient-il si matin ? Il faut que je l’apprenne,
Cachons-nous.



Scène III.

DOM SANCHE, MERLIN.
Dom Sanche.

Cachons-nous.Tu dis donc que mon frére est venu ?

Merlin.

Oui, monsieur, craignant fort d’être un animal cornu,
Et que cette beauté qu’ici l’on lui destine,
Ne soit pour son repos trop aimable et trop fine.

D. Sanche.

Comment se porte-t-il ?

Merlin.

Comment se porte-t-il ? Ma foi, trop bien pour vous.
Au reste, avant l’hymen le Seigneur est jaloux.
Sa lettre qu’il m’a lue, et que je vous apporte,
Vous fera voir comment son marquisat se porte.
Il prétend se cacher quelque temps dans Madrid,
Faisant la guerre à l’œil, s’éclaircissant l’esprit
Du renom, et des mœurs de l’épouse promise,
Qui payera bien cher le titre de marquise.

D. Sanche.

La femme qu’il prendra, doit bien se préparer
À mal passer son temps et beaucoup endurer.
J’avois, comme tu vois aujourd’hui, pris la botte,
Pour aller au-devant de ce franc dom Quixotte.

Merlin.

Vous l’avez mieux nommé que vous n’avez pensé,
Il n’est pas dans le monde un homme moins sensé.
Vous ne croiriez jamais le chagrin et la peine,
Que je souffre à servir une tête mal-saine.

D. Sanche.

Que les péres ont tort de tenir leurs enfans,
Éloignés de la Cour, à se rouiller aux champs !

Merlin.

Et vos lettres, monsieur ?

D. Sanche.

Et vos lettres, monsieur ? Garde-les ; qu’ai-je à faire
De lire les fatras d’un impertinent frére,
Puisqu’il est dans Madrid, et que je le vais voir ?
Mais dis-tu vrai, Merlin, que tu n’as pu savoir
Le nom ni le logis de sa femme future ?

Merlin.

Vous savez comme il est défiant de nature,
Qu’il fait secret de tout, et de rien bien souvent,
Et qu’il n’a pour conseil que son chef plein de vent :
Mais vous, mon cher Seigneur, qu’il ne vous en déplaise,
Comment vont vos amours avec la Portugaise ?

D. Sanche.

Stefanie !

Merlin.

Stefanie ! Elle-même.

D. Sanche.

Stefanie ! Elle-même.Elles vont assez bien ;
Car elle me caresse, et ne demande rien.

Merlin.

Tant mieux.

D. Sanche.

Tant mieux.Je la vais voir, parce que sa demeure
Est proche de la mienne, et qu’on m’ouvre à toute heure,
Et l’on m’y voit souvent n’ayant que faire ailleurs,
Et manque aussi d’avoir des passe-tems meilleurs.
J’y demeure parfois pour changer moins de place.
J’en sors pour en changer, quand la mienne me lasse ;
J’y rêve par coutume, et jamais par amour ;
Ma paresse souvent m’y retient tout un jour ;
Quand j’y rêve, elle croit, comme elle est vaine et belle,
Que je ne puis rêver pour autre que pour elle ;
Et lorsque je me tais par taciturnité,
Que c’est par le respect que j’ai pour sa beauté.
Je lui dis des douceurs, qui ne me coûtent guére,
Et souvent je me plais de lui rompre en visiére,

Pour diversifier la conversation.
Ou faisant le jaloux par ostentation,
J’ai le plaisir de voir comment elle s’efforce
D’appaiser un amant qui parle de divorce.
Je paye ses faveurs de vers bien ou mal faits ;
Et nous aimons ainsi tous deux à peu de frais.
Juge si mon amour me rend fort misérable.

Merlin.

Votre relation me la rend toute aimable.
N’avez-vous point appris à sa rare beauté
Votre nom ?

D. Sanche.

Votre nom ? Oui, Merlin, non pas ma qualité,
Non plus que mon pays : mais elle s’imagine
Que je suis pour le moins de royale origine,
Un infant d’Arragon, ou bien de Portugal ;
Car cette Portugaise, un franc original,
Ne reçoit dans ses fers que des gens de la sorte,
À tous autres galans elle ferme la porte.
Elle en souffre parfois par maxime d’État,
Ou pour rendre jaloux quelque gros potentat,
Ou bien pour faire voir qu’à ses yeux rien n’échappe,
Et qu’indifféremment tout le monde elle attrape.

Merlin.

La dame, ou je me trompe, est foible de cerveau.

D. Sanche.

À cela près, elle est aimable, a l’esprit beau ;
Et mille en cette Cour avecque moins de charmes,
Se font rendre tribut de soupirs et de larmes.

Merlin.

Elle est fort mal en meuble, et je gagerois bien
Qu’elle est franche friponne et qu’elle ne vaut rien.
L’autre jour sa suivante, en colére contr’elle,
Disoit tout haut qu’à peine elle était demoiselle.

Stéfanie, cachée.

Nous ne pouvons ouïr ce qu’ils disent d’ici.

D. Sanche.

Mais, nous avons manqué, dont j’ai bien du souci,

Cette jeune beauté que nous avions suivie,
Pour la revoir encor, si tu chéris ma vie,
Avançons jusqu’au pont.

Merlin.

Avançons jusqu’au pont.C’est autant de perdu.

D. Sanche.

Viens. Qu’importe ?

Louize.

Viens. Qu’importe ? Il s’en va le marquis prétendu.

Stefanie.

Appelle son valet, si tu m’aimes, Louize.

Louize.

Cavalier !

Merlin.

Cavalier ! Que me veut l’écueil de ma franchise ?

Louize.

Converser un moment.

Merlin.

Converser un moment.Beau magasin d’attraits,
Mon maître est déjà loin, il faut que j’aille après,
Sans cela, croyez-moi, ma chère impératrice,
Qu’il n’est rien ici-bas pour vous que je ne fisse.

Louize.

Demeure ici, Merlin.

Merlin.

Demeure ici, Merlin.Je n’en ai pas le tems,
Adieu, moule adorable à faire des enfans.

Stefanie.

Je l’arrêterai bien. Dis-moi mon cher, de grace,
Le pays de dom Sanche, et son bien et sa race,
Et quelle est la beauté qu’il adore à la Cour.

Merlin.

On vous a donc appris l’objet de son amour ?

à part.

Je viens de lui donner du martel.

Stefanie, à part.

Je viens de lui donner du martel.Hà, le traître !

Merlin.

Mon maître n’est pas tel qu’il tâche de paroître.

Stefanie.

Dis-moi donc son pays, sa qualité, son bien.
Tiens.

Merlin.

Tiens.Vous m’avez charmé par ce doux mot de tiens,
Le diamant est bon ?

Stefanie.

Le diamant est bon ? Fort bon.

Merlin.

Le diamant est bon ? Fort bon.Un peu jaunâtre.
Bas de Bizot ?

Louize.

Bas de Bizot ? Vois-tu, l’on te bat comme plâtre,
Si tu ne parles vite.

Merlin.

Si tu ne parles vite.Encore faut-il bien
Savoir si ce qu’on donne est quelque chose ou rien.

Stefanie.

Dis-moi donc son pays, son bien et sa naissance.

Merlin.

Vous me demandez là des choses d’importance.
Et dont jusques ici mon maître, homme discret,
Et sage au dernier point, m’a toujours fait secret ;
Mais comme les valets ont l’ame curieuse,
Et que je vous connais dame très-généreuse,
Je veux vous avouer avec sincérité
Que quant à son pays, son bien, sa qualité,
Quoique votre présent j’aye bien voulu prendre.

Il s’enfuit.

Je n’en sais rien du tout, et n’en puis rien apprendre.

Stefanie.

Le coquin m’a jouée, il faut aller après.

Olivarès.

Mon bras est impuissant, où le sont vos attraits.

Stefanie.

Il a laissé tomber, en fuyant, quelque chose,
Va-t’en le ramasser.

Olivarès.

Va-t’en le ramasser.C’est une lettre close.

Stefanie.

Apporte.

Olivarès.

Apporte.Ou c’en sont deux en un même paquet.

Stefanie.

Il faut voir ce que c’est, romps vîte le cachet.
La date est d’aujourd’hui, la lettre est fraîche faite,
Nous allons découvrir quelque affaire secrète.

LETTRE.

Mon frère,

Je suis dans Madrid, et qui pis est, j’y suis pour me marier. J’ai grand’peur qu’un bourreau de beau-pére ne m’aille tromper, et ne m’ait promis plus de beurre que de pain. Je ne me mouche pas sur ma manche, comme vous savez, et il en faudrait venir au coupe-gorge. Je vais donc faire la guerre à l’œil ; car de deux accidens il faut éviter le pire. Informez-vous de ses vie et mœurs de votre côté, comme je ferai du mien, et me sachez bon gré de la confidence. Je vous adresse une lettre que j’écris à ma future épouse, afin qu’elle ne me soupçonne pas d’être à Madrid. Le dessus de la lettre vous apprendra sa demeure.

Louize.

A-t-on jamais écrit plus extravagamment,
En des termes plus bas, avec moins d’agrément ?

Le style répond mal à l’esprit de dom Sanche.
Avez-vous remarqué ce mouche sur la manche ?

Stefanie.

On écrit mal parfois, quoique l’on parle bien.

Louize.

Et tous ces quolibets qui ne servent de rien ?

Stefanie.

Qu’importe ? Mais, hélas ! il importe qu’un traître
M’ait donné de l’amour sans se faire connoître ;
Il est marquis, le fourbe, et d’une qualité
Qui peut à mon souhait borner ma vanité.
Il traite cependant d’un autre mariage,
Et me fait le jouet de son esprit volage.

Louize.

Je n’eusse jamais cru qu’il eût écrit si mal :
Il nous déguisoit bien son esprit de cheval.

Stefanie.

Personne n’est exempt d’avoir quelque foiblesse.
Quelque tendre, où, d’abord qu’on le touche, on le blesse.
Il est jaloux sans doute, et quand son mal le prend
D’agréable qu’il est, ridicule il se rend.
Il verra si je suis de mon côté jalouse.
Voyons comment il parle à sa divine épouse :
L’adresse est à Madrid pour Blanche de Vargas.
Dont la maison contient un appartement bas,
Peint de neuf, et grillé, qui donne en la grand-rue.

Louize.

Vraiment l’adresse est rare et de grande étendue.

Olivarès.

J’irois les yeux bandés. Je connois la maison.

Stefanie.

Tant mieux. Vérifions sa noire trahison.


LETTRE.

Ma chère épouse,

Quelques affaires m’empêchent de vous appeler de plus près de ce doux nom. Recevez-le d’où vous êtes, je vous le donne d’où je puis, et cependant je consens, et ma volonté est que cette lettre ait la force d’une promesse de mariage, en attendant que nous le consommions dans Madrid après la bénédiction du Prêtre.

Dom Blaize Pol, Marquis de la Victoire.

Louize.

Il entre, ce me semble, ici quelque mystére ;
Car, madame, il écrit de Madrid à son frére,
Son frère apparemment est aussi dans Madrid.

Stefanie.

Il n’est pas question de se lasser l’esprit
À deviner le sens, dont la lettre est écrite ;
Mais il est question que mon âme s’irrite ;
Qu’on se moque de moi, qu’on me fait enrager,
Et que je veux tout faire, afin de me venger.
Oui perfide, oui méchant, j’irai chez ta maîtresse,
Lui faire le récit de ta fausse finesse.
Louize, Olivarès, il faut me seconder,
À rompre cet hymen, ou bien le retarder ;
Mais ce n’est pas assez de rompre un hyménée,
Il faut bien davantage à ma rage obstinée :
Je veux après avoir fait manquer cet hymen,
Qu’il en meure le traître.

Louize.

Qu’il en meure le traître.Oui, qu’il en meure.

Olivarès.

Qu’il en meure le traître. Oui, qu’il en meure.Amen.

Stefanie.

Perdons le scélérat qui s’attaque à ma gloire.

Olivarès.

Soyons victorieux de la même victoire.

Stefanie.

L’allusion me plaît, elle est pleine d’esprit.
Tantôt, pour cela seul, je te donne un habit.

Louize.

À moi, madame ?

Stefanie.

À moi, madame ? À toi, je te donne une jupe.

Louize.

Malheur sur le Marquis qui nous a pris pour dupe.