Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 1/Chap44

Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (1p. 287-292).


CHAPITRE XLIV


LÉGENDES SARASVATIENNES


Argument : Les mounis purifient la Sarasvatî. Plaintes des Raksliasas ; réponse des mounis. La Sarasvatî devient l'Arounâ. Les mounis ont pitié des Rakshasas et les sauvent. Crime de Çakra qui en obtient la rémission en se baignant dans le tîrhia de l'Arounà. Description du tirtha de Soma.


2400. Viçampâyana dit : Celle-ci, maudite par le sage Viçvâmitra dans sa colère, apporta du sang avec ses (eaux) dans l’heureux et excellent tîrtha.

2401. Et alors, ô roi descendant de Bharata, les Rakshasas y vinrent ; tous burent ce sang et furent joyeux,

2402. Bien repus, heureux, dansant et riant, leurs chagrins s’étant évanouis, comme s’ils eussent gagné le Svarga.

2403. Mais, ô maître de la terre, au bout d’un certain temps, des rishis au grand ascétisme, vinrent, réunis, en pèlerinage, aux tîrthas de la Sarasvatî.

2404. Or, ces héroïques et sages mounis, avides (d’acquérir de nouveaux mérites) ascétiques, s’étant baignés dans tous les tirthas et en ayant retiré une satisfaction extrême,

2405. S’avancèrent ensuite vers le tîrtha sanglant. Alors ces (hommes) heureux, arrivés à ce tîrtha terrible.

2406. Virent l'eau de la Sarasvatî mêlée de sang et bue par de nombreux Rakshasas, ô le plus grand des rois.

2407. Les mounis aux vœux parfaits, ô roi, à la vue des Rakshasas, firent des efforts extrêmes pour protéger la Sarasvatî.

2408. Ces hommes heureux, aux grands vœux, s’étant tous réunis et ayant appelé auprès d’eux la meilleure des rivières, lui dirent :

2409. « Ô belle, dis-nous la cause pour laquelle la masse de tes eaux est ainsi troublée. Quand nous aurons entendu (ta réponse), nous saurons (ce qu’il y aura à faire). »

2410. Alors, elle leur raconta en tremblant, comment tout s’était passé. Puis, ces ascètes ayant vu qu’elle était malheureuse, dirent :

2411. « Ô (rivière) sans péché, nous connaissons (maintenant) la cause (de tes maux), et la malédiction (lancée contre toi). Nous ferons tous nos efforts (pour t’en délivrer). »

2412. Après avoir ainsi parlé à la meilleure des rivières, ils se dirent entre eux : « À (nous) tous, nous délivrerons la Sarasvatî de la malédiction (de Viçvâmitra). »

2413, 2414. Ô roi, tous ces brahmanes ayant, par diverses sortes de pratiques ascétiques, d’austérités, de jeûnes, de pénitences, de vœux contraires à la nature, rendu favorable Mahâdeva, protecteur du bétail, maître du monde, délivrèrent la divine Sarasvatî, la meilleure des rivières.

2415. La Sarasvatî (rendue) à son état naturel par leur pouvoir, se remit à rouler les eaux claires qu’elle avait jadis.

2416. Et la meilleure des rivières, délivrée (de ses maux), reprit son ancien éclat. En voyant l’eau de la Sarasvatî purifiée ainsi par ces mounis,

2417. Les Rakshasas, que cela affamait, allèrent vers eux pour implorer leur protection. Après avoir fait l’añjali, ô roi, les Rakshasas, tourmentés par la faim,

2418. Dirent à ces Mounis toujours compatissants : « Nous sommes affamés et privés des règles perpétuelles du devoir.

2419. Ce n’est pas de notre plein gré que nous faisons le mal. C’est par suite des grâces dont vous jouissez, et par la conséquence (fatale) des mauvaises actions,

2420. Que nos crimes s’accroissent, de sorte que nous sommes les Rakshasas de Brahma. C’est aussi par les fautes et l’inconduite des jeunes femmes 19.

2421. Car ceux qui, ainsi, parmi les Vaiçyas, les Coudras et les Kshatriyas, persécutent les brahmanes, deviennent des Rakshasas, (dans leurs existences suivantes),

2422. Les vivants qui offensent un guide sacré, un ritvij, un gourou, un vieillard, deviennent aussi des Rakshasas.

2423. Ô les plus grands des brahmanes, sauvez-nous ici. Vous êtes (assez) puissants pour sauver tous les mondes. »

2424. Cependant les mounis, après les avoir entendus, louèrent la grande rivière. Ces hommes aux sens domptés répondirent au sujet de la protection (demandée) par les Rakshasas :

2425. « Ce sur quoi on a éternué, ce qui est couvert de vers, les rogatons, ce qui est couvert de cheveux, ce qui est rejeté, ce qui est souillé par les larmes,

2426. Une nourriture composée de ces choses, est la part des Rakshasas ici-bas. Aussi, en reconnaissant ces choses, le sage les évitera toujours avec soin.

2427. Car, celui qui se nourrit de tels objets, mange une nourriture de Rakshasa. » Puis, après avoir purifié ce tîrtha, les rishis (au grand) ascétisme,

2428. Se tournèrent vers la rivière, dans le but (de la prier) de venir en aide aux Rakshasas. La meilleure des rivières, ayant compris la pensée des grands rishis,

2429. Se porta vers l’Arounâ, ô le meilleur des hommes, Ces Rakhasas s’y étant baignés et ayant abandonné la vie, allèrent au ciel.

2430, 2431. Car (quand elle est jointe à) l’Arounâ, elle purifie, (même) du meurtre d’un brahmane. Çatakratou, roi des dieux, ayant connaissance de cette propriété, fut délivré de son mal après s’être baigné dans cet excellent tîrtha.

2432. Janamejaya dit : Comment l’adorable Çakra commit-il un brahmicide, et comment fut-il purifié de sa souillure, en se baignant dans ce tîrtha ?

2433. Vaiçampâyana dit : Ô maître des hommes, écoute ce récit, (qui relate) comment cela s’est passé. Jadis Vâsava rompit l’accord (qu’il avait fait) avec Namouci.

2434. (L’Asoura) Namouci, effrayé par Indra, se réfugia dans un rayon de soleil. Indra lia amitié avec lui et prononça (ces paroles, à titre de) convention :

2435. « Je jure par la vérité, ô mon ami, le plus grand des Asouras, que je ne te frapperai ni par le sec, ni par l’humide, ni pendant le jour, ni pendant la nuit. »

2436. Après avoir fait cet accord, le roi Vâsava ayant vu (que l’univers était couvert) d’un brouillard, coupa la tête (de Namouci) au moyen de l’écume des eaux, ô roi.

2437. Cette tête coupée de Namouci, suivait de près Çakra par derrière, en lui disant : « Ô méchant, qui tue tes amis. »

2438. Constamment excité et tourmenté par cette tête, (Çakra) fit connaître cette affaire à Pitâmaha.

2439. Le gourou du monde lui dit : « Ô Indra des dieux, offre un sacrifice selon la règle et baigne-toi dans l’Arounâ, dans le tîrtha qui délivre de la crainte (des conséquences) du péché.

2440. Ô Çakra, cette eau salutaire a été créée par les mounis mêmes. Jadis elle n’était pas connue ici-bas.

2441. Alors, la Sarasvatî, s’étant approché de la divine Arounâ, l’arrosa de ses eaux, et ce grand confluent de (cette rivière) avec l'Arounâ est salutaire.

2442. Ô Indra des dieux, offre des sacrifices, des dons et des offrandes, et quand tu t’y seras baigné, tu seras purifié du grave péché que tu as commis. »

2443. Ô Janamejaya, ce (dieu), Indra Balabhid, ayant entendu ces paroles et sacrifié selon la règle dans le bosquet de la Sarasvatî, se baigna dans l’Arounâ.

2444. Le maître des trois mondes, délivré de son mal et du brahmicide, retourna joyeux au troisième ciel.

2445. Et cette tête s’étant aussi baignée, obtint les mondes impérissables qui comblent les désirs, ô le plus grand des rois.

2446. Vaiçampâyana dit : Le magnanime Bala s’y étant baigné aussi, ayant fait des dons de diverses sortes, et s’étant livré à des exercices pieux, en vue du but suprême, alla au grand et excellent tîrtha de Soma,

2447. Où Soma offrit jadis selon les règles, pour les fêtes de son sacre, un sacrifice dans lequel, ô Indra des princes, le magnanime Atri fut le hotar à la tête des prêtres.

2448. À la fin de ce (sacrifice) il y eut un très grand combat des Danavas et des Rakshasas contre les dieux, (combat) terrible portant le nom de Tàraka, dans lequel Skanda tua celui qui a pour nom Târaka.

2449. Mahâsena y devint le généralissime de l’armée des dieux, (charge) dans laquelle il tua les Daityas. L’enfant Kârtikeyay demeura toujours. Ce lieu est Plaksharâja 20.