Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 1/Chap34

Traduction par Louis Ballin.
Ernest Leroux, éditeur (1p. 229-234).


CHAPITRE XXXIV


DIALOGUE ENTRE BHÎMASENA ET DOURYODHANA


Argument : Krishna reproche à Dharmarâja d’avoir permis à Douryodhana, qui est très adroit à la massue, de combattre un seul adversaire avec cette arme. Bhîma rassure Krishna sur le succès du combat. Conseils de Krishna à Bhîma. Discours de Bhîma à Youdhishthira et à Douryodhana ; fermeté et réponse de ce dernier.


1889. Sañjaya dit : Ô roi, tandis que Douryodhana ne cessait de vociférer ainsi, le Vasoudevide, irrité, adressa ces paroles à Youdhishthira :

1890, 1891. Pourquoi donc, ô Youdhishthira, as-tu eu la témérité de lui dire : Quand tu auras tué un seul (d’entre nous), soit roi sur les Kourouides, s’il peut choisir pour adversaire, toi, Arjouna, Sahadeva ou Nakoula ?

1892, 1893. Je ne pense pas que vous soyez capables de le combattre, la massue à la main, car il s’est, pendant treize ans, exercé contre (la statue d’un) homme de fer, ô roi, dans l’intention de tuer Bhîmasena. Que pourrions-nous donc faire, ô excellent Bharatide ?

1894. Cependant, ô le plus grand des rois, tu t’es confié au hasard, et, à part Vrikodara, il n’aura pas à se donner beaucoup de peine (pour nous vaincre).

1895, C’est un nouveau coup de dés inégal, comme (celui) joué jadis par toi, contre Çakouni, ô maître des hommes.

1896. Bhîma est fort, Souyodhana est adroit. (Quand) le fort (combat) contre l’adroit, dit-on, c’est l’adroit qui triomphe.

1897. Ô roi, celui-ci, (qui est) notre ennemi, a été mis par toi dans (une bonne) voie. Tu te trouves toi-même dans une situation difficile, et nous sommes mis en danger.

1898. Qui donc, après avoir vaincu tous ses ennemis, pourrait (consentir à) se laisser ravir, par un seul adversaire tombé dans le malheur, la royauté acquise (avec tant de peines) ?

1899. Je ne vois, en vérité pas, dans le monde entier, celui qui, fût-ce un immortel, serait aujourd’hui capable de triompher, dans un combat contre Douryodhana, la massue à la main.

1900. Ni toi, ni Bhîma, ni Sahadeva, ni Nakoula, ni Phâlgouna, n’êtes capables (de le) vaincre (dans un combat) régulier. Certes, le roi Douryodhana est adroit.

1901. Comment as-tu (pu) dire : « Combats (tes) ennemis à la massue et sois roi quand tu auras tué un seul d’entre nous ? »

1902. Car, (même) s’il a affaire à Vrikodara, notre victoire est douteuse, si nous combattons régulièrement ; ce (prince), fort, est, en effet, adroit (en même temps).

1903. Mais tu as dis : Tu seras roi si tu tues un seul d’entre nous. Certes, cette lignée de Pândou et de Kountî ne possédera pas la royauté.

1904. (Elle est) vouée à la mendicité ou au séjour perpétuel dans les bois.

1905. Bhîmasena dit : Ne te désespère pas, ô meurtrier de Madhou. Je finirai aujourd’hui cette guerre si difficile à terminer.

1906. Je tuerai sans aucun doute Souyodhana dans le combat. La victoire de Dharmarâja (me) parait certaine.

1907. Ma massue, que voici, est une fois et demie plus lourde que celle du fils de Dhritarâshtra. Ne t’alarmes pas, ô Madhavide,

1908. Certes, j’ose lutter contre lui dans un combat à la massue. Ô tourmenteurs des hommes, soyez tous mes témoins.

1909. Je pourrais livrer bataille aux trois mondes, y compris les immortels apportant dans le combat des armes divines, à plus forte raison à Souyodhana.

1910. Sañjaya dit : Le Vasoudévide joyeux salua respectueusement Vrikodara qui venait de parler ainsi, et lui répondit en ces mots :

1911. Ô guerrier aux grands bras, il n’est nullement douteux qu’en ayant recours à toi, Dharmarâja Youdhishthira n’obtienne la mort de son ennemi et un brillant succès.

1912. Par toi, dans la grande bataille, tous les Dhritarâshtrides (ont été) tués, les rois, les fils de rois et les éléphants (ont été) abattus.

1913. Les Kâlingas, les Mâgadhâs, les Prâcyas (habitants de l’Est), les Gândhâras, les Kourouides, ont péri après t’avoir attaqué dans la grande bataille, ô fils de Pândou.

1914. Quand tu auras aussi tué Douryodhana, offre la terre avec les mers à Dharmarâja, fils de Kountî, comme Vishnou (en usa) pour (Indra), époux de Sâcî.

1915. En se rencontrant avec toi au combat, le méchant fils de Dhritarâshtra périra. Tu rempliras ta promesse en lui brisant les deux cuisses.

1916. Mais, ô fils de Prithâ, le fils de Dhritarâshtra doit constamment être combattu avec précaution. Il est adroit et fort, et le combat l’enivre toujours.

1917. Alors, ô roi, le Satyakide s’inclina devant le fils de Pândou. Les Pâñcâlas et les Pândouides, Dharmarâja en tête,

1918. Approuvèrent tous ces paroles de Bhîmasena, et ensuite Bhîma, à la force terrible, dit à Youdhishthira

1919. Qui, brillant comme le soleil, se trouvait avec les Sriñjayas : J’ose rencontrer cet homme dans le combat et lutter contre lui.

1920, 1921. Car ce (prince), le plus vil des hommes, n’est pas capable de triompher de moi dans la bataille. Je vais aujourd’hui déchaîner contre le Dhritarâshtride Souyodhana, la colère (qui était) profondément cachée dans mon cœur, comme Arjouna (déchaina) le feu dans (la forêt de) Khândava. Je vais maintenant arracher l’épine enfoncée dans ton cœur, ô fils de Pândou,

1922. En tuant le méchant à l’aide de ma massue. Maintenant, ô roi, sois heureux, je vais te rendre une couronne glorieuse.

1923. En ta faveur je vais aujourd’hui délivrer Souyodhana (du fardeau) de la vie, de la fortune et de la royauté 4. Et le roi Dhritarâshtra, en apprenant que son fils a été tué par moi,

1924. Se souviendra de l’action mauvaise qui résulta des réflexions de Çakouni. Après avoir ainsi parlé, l’excellent et héroïque descendant de Bharata, la massue haute,

1925. Semblable à Çakra provoquant Vritra, se leva pour combattre. Ton héroïque fils, ne supportant pas (patiemment) cette provocation,

1926, 1927. Se hâta de se placer en face de lui, comme un éléphant en rut (se place devant un autre) éléphant en rut. Tous les Pândouides voient ton fils qui s’était approché pour combattre, la massue en main, pareil à (la montagne) Kailàsa. S’étant approchés de ce Dhritarâshtride très fort, (mais qui était) seul,

1928-1931. Semblable à un éléphant séparé de son troupeau, les Pândouides étaient joyeux. Douryodhana, de son côté, n’éprouvait, ni confusion, ni crainte, ni lassitude, ni douleur, et se présentait au combat comme un lion. Alors, ô roi, Bhîmasena dit à Douryodhana en le voyant la massue à la main, pareil au mont Kailâsa : Souviens-toi de tes mauvais procédés et de ceux du roi Dhritarâshtra à notre égard, et de ce qui s’est passé à Vâranâvata ; (rappelle-toi) que Droupadî, au moment critique de son mois, a été maltraitée au milieu de l’assemblée,

1932-1934. Que le roi a été vaincu aux dés, par suite des idées de Çakouni. Ô (homme) à l’âme souillée, tu as fait ces (offenses), et d’autres (aussi) graves aux innocents fils de Prithâ. Les résultats en ont été terribles. C’est à cause de toi que notre grand oncle à tous, le très glorieux fils de la Gangâ, le plus grand des Bharatides, (a été) tué et repose sur un lit de flèches. Drona est tué, Karna aussi, ainsi que le majestueux Çalya.

1935. Et Çakouni, le premier auteur de la guerre, a succombé dans le combat. Les héros, tes frères, tes fils et tes soldats sont tués.

1936. Les héroïques rois qui ne tournaient pas le dos dans les combats, sont tués. Ceux-là et d’autres excellents Kshatriyas en grand nombre ont péri.

1937. Le méchant serviteur qui tourmentait Droupadî est tué aussi. Seul tu es resté (vivant), ô homme très vil, destructeur de ta race.

1938, 1939. Aujourd’hui, je te tuerai aussi avec ma massue, cela ne fait aucun doute. Aujourd’hui, je détruirai, dans (notre) combat, ton orgueil et la grande espérance (que tu nourrissais) de la royauté, et (je vengerai) les iniquités (commises) contre les fils de Pândou .

1940. Douryodhana dit : Assez de paroles. Combats maintenant avec moi. Je vais aujourd’hui, ô Vrikodara, te guérir de ta confiance dans (l’issue du) combat.

1941. Ô méchant, comment ne vois-tu pas que j’ai saisi ma grande masse, semblable au sommet de l’Himalaya, et que je suis en place pour le combat à la massue ?

1942. Qui donc, ô scélérat, fût-ce même Pourandara (Indra) parmi les dieux, serait capable de me tuer dans un combat régulier, (quand je suis armé) de ma massue 5 ?

1943. Ne rugis pas inutilement, ô fils de Kountî, comme un nuage d’automne dépourvu d’eau. Déploie dans le combat toutes les forces que tu possèdes.

1944. Après l’avoir entendu parler ainsi, tous les Pândouides et les Sriñjayas, désireux de vaincre, applaudirent ses paroles.

1945. Ils réjouirent (avec leurs acclamations) le roi Douryodhana, comme des hommes encouragent un éléphant furieux en battant des mains.

1946. Dans cette circonstance, les éléphants rugirent, les chevaux hennirent à plusieurs reprises. Les fils de Pândou, qui désiraient la victoire, firent étinceler leurs épées.