Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 1/Chap17

Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (1p. 110-120).


CHAPITRE XVII


MORT DE ÇALYA


Argument : Suite du combat de Çalya contre Youdhishthira et les autres Pândouides. Péripéties de ce combat. Réflexions de Youdhishthira qui finit par tuer Çalya. Mort du frère puiné de Çalya. Combat du Hridikien contre le Satyakide. Kripa vient au secours du Hridikien.


864. Sañjaya dit : Ayant pris un autre arc très puissant et percé Youdhishthira (de ses traits), le robuste maître de Madra rugissait comme un lion.

865. Et cet excellent Kshatriya, à l’âme incommensurable, arrosait les Kshatriyas (d’une pluie de flèches), comme un nuage orageux (les eût arrosés d’eau).

866. Ayant atteint le Satyakide de dix traits, Bhîmasena de trois et Sahadeva de trois, il en accablait Youdhishthira.

867. De même (qu’on tourmente) les éléphants avec des tisons (brûlants), il tourmentait avec ses flèches les meilleurs des maîtres de chars, tuait les chevaux avec leurs cavaliers et les éléphants avec ceux qui les montaient.

868. Le meilleur des maîtres de chars tua les chevaux, ceux qui étaient montés sur les chevaux, les éléphants, ceux qui étaient montés sur les éléphants, et (détruisit) les chars avec ceux qui étaient montés sur les chars,

869. Il trancha rapidement les bras, avec les armes (qu’ils soutenaient), ainsi que les étendards. En vérité, il couvrit la terre de (cadavres de) guerriers, comme l’autel (est couvert) des herbes du sacrifice.

870. Les Pândouides, les Pâñcâlas et les Somakas, irrités, entourèrent ce fort (guerrier) qui détruisait les armées de ses ennemis, comme (s’il eût été) Antaka, (le dieu de) la mort.

871. Bhîmasena, le petit fils de Çini, et les deux fils de Mâdrî, héros parmi les héros, (attaquèrent) ce (guerrier) que le roi (Youdhishthira) avait rencontré dans la bataille ; et (les combattants) se provoquèrent mutuellement.

872. Ô roi, (ces) héros, ayant atteint dans le combat, le souverain des hommes, le plus grand des guerriers, le frappèrent, de flèches empennées, à la rapidité terrible, en l’en couvrant dans le combat,

873. Protégé par Bhîmasena, par les deux fils de Mâdrî et par le Madhavide, le roi Dharmasouta frappa le roi de Madra en dedans des seins, avec des flèches rapides et terribles.

874. Alors, les meilleurs de tes guerriers, bien armés, (qui montaient) la multitude de tes chars, ayant vu le roi de Madra accablé par les flèches (de ses ennemis), l’entourèrent avec l’autorisation préalable de Douryodhana.

875. Il se produisit une chose merveilleuse. Le roi de Madra atteignit de sept flèches, dans la mêlée, Youdhishthira qui le frappa lui-même de neuf.

870. Le roi de Madra et Youdhishthira étaient cachés l’un à l’autre par les flèches brillantes d’huile, que les grands guerriers tiraient dans la bataille, en bandant l’arc jusqu’à amener la corde à toucher l’oreille.

877. À ce moment, ces deux héros, les meilleurs d’entre les rois, possédant une grande force, invincibles à leurs ennemis, cherchant rapidement dans la lutte le joint l’un de l’autre, furent grièvement blessés par les flèches (qu’ils se lançaient).

878. Ces deux magnanimes, le roi de Madra et le fils de Pândou, se lançant mutuellement une multitude de flèches, faisaient, avec la paume de la main, sur la corde de leurs arcs, un bruit terrible, semblable à celui de la foudre du grand Indra.

879. Semblables à deux jeunes tigres, se comportant comme deux (de ces animaux) avides d’une proie convoitée, dans les grands bois, enflammés de l’orgueil du combat, ils se blessaient comme (le feraient) deux éléphants d’élite, armés de longues défenses.

880. Alors le roi de Madra s’attaqua au très fort Youdhishthira et atteignit rapidement ce héros au cœur, avec une flèche dont l’éclat était pareil à celui du feu et du soleil.

881. Mais ensuite, ô roi, Youdhishthira, quoique grièvement blessé, frappa le roi de Madra d’une flèche bien envoyée, et le magnanime taureau de la race de Kourou en conçut une (grande) joie.

882. Puis (Çalya), l’Indra des princes, n’ayant repris ses esprits qu’au bout d’un instant, l’œil rouge de colère et dont la majesté était comparable à celle (du dieu) qui a mille yeux, se hâta de frapper le fils de Prithâ de cent (traits) .

883. Mais le magnanime Dharmasouta, sous l’empire de la colère, s’empressa de percer la poitrine de Çalya de neuf flèches et son armure brillante de six autres.

884. Cependant, le roi de Madra, ayant joyeusement bandé son arc, lança des flèches, par deux desquelles il coupa l’arc du roi, héros de la race de Kourou 12.

885. Alors, le magnanime roi saisit un autre arc neuf, terrible, et atteignit Çalya de toutes parts avec ses flèches à l’extrémité aiguë, comme le grand Indra (atteignit) Namouci.

886. Mais le magnanime Çalya, ayant brisé de neuf flèches les armures sonores et dorées de Bhîma et de Youdhishthira, leur déchira le bras ;

887. Puis, avec un autre trait en rasoir, à l’éclat aussi brillant que celui du soleil, il coupa l’arc du roi, et Kripa tua avec six flèches, son cocher qui tomba en avant

888. Le roi de Madra tua aussi avec quatre flèches les chevaux de Youdhishthira, et après les avoir tués, le magnanime fit un (grand) carnage des soldats du roi fils de Dharma.

889. Le roi étant réduit à cette (extrémité), le magnanime Bhîmasena se hâta de couper, avec une flèche rapide, l’arc du roi de Madra et atteignit grièvement de deux (autres, cet) Indra des hommes.

890. Et avec une nouvelle (flèche), il sépara la tête de son cocher de son corps, dont la partie moyenne resta debout ; puis, plein de colère, il tua très rapidement ses quatre chevaux.

891. Le premier de tous les archers, Bhîma, avec Sahadeva, fils de Mâdrî, couvrit d’une centaine (de traits) le roi de Madra, qui était réduit à ses propres forces dans le combat.

892, 893. Bhîma, voyant Çalya l’esprit égaré par cette (grêle de) traits, coupa son armure avec ses flèches. Le roi de Madra, ayant son armure brisée par Bhîmasena, saisit son glaive et un bouclier orné de mille étoiles, sauta à bas de son char et attaqua le fils de Kountî. Doué d’une force terrible, ayant coupé le timon du char de Nakoula, il assaillit Youdhishthira.

894. Dhrishtadyoumna, les fils de Draupadî, Çikhandin et le petit fils de Çini, entourèrent ce roi, bondissant en l’air, et arrivant à l’improviste, comme Antaka irrité,

895. Le magnanime Bhîma, coupa de neuf flèches son incomparable bouclier, et criant joyeusement au milieu de ton armée, il coupa, avec des bhallas, le glaive (de son adversaire), à la poignée.

896. À la vue de cet exploit de Bhîma, la multitude des guerriers montés sur leurs chars, les plus excellents des Pândouides, poussèrent en souriant de grands cris de joie et soufflèrent dans leurs conques (brillantes) comme la lune.

897. L’armée protégée (par Çalya) et (jusqu’alors) invincible, (terrifiée) par ce bruit effrayant, abattue, défaillit, comme (un homme qui) perd connaissance, et dont les membres sont inondés de sang.

898. Ce roi de Madra, soudainement couvert par ceux conduits par Bhîmasena, et qui étaient les premiers des guerriers Pândouides, se dirigea rapidement vers Youdhishthira, comme un lion (qui désire saisir) une gazelle.

899. Celui-ci, Dharmarâja, plein de colère, brillant comme le feu, ses chevaux et son cocher étant tués, à la vue du roi de Madra, courut avec impétuosité contre cet ennemi.

900. Ayant rapidement réfléchi à la parole de Govinda, Dharmarâja, sur son char dont les chevaux et le cocher étaient tués, appliqua sa pensée à la destruction de Çalya et songea à prendre une lance.

901. Ayant réfléchi à cet exploit qui lui était laissé (comme son lot, et qui consistait à triompher du) noble Çalya, le magnanime (Youdhishthira) appliqua sa pensée à (préparer la) mort de ce héros, ainsi que cela lui avait été dit par (Krishna) le jeune frère d’Indra.

902. Dharmarâja saisit une lance ayant l’éclat de l’or, au manche doré et orné de pierreries, et, roulant les yeux avec colère, regarda le roi de Madra.

903. Que celui-ci, (ainsi) regardé par le roi des rois dont l’âme était purifiée et dont les fautes étaient effacées, n’ait pas été réduit en cendres, cela, ô roi, me semble un prodige.

904. Puis le plus excellent des descendants de Kourou, le magnanime (Youdhishthira), lança avec une très forte impulsion cette lance flamboyante, étincelant de l’éclat des plus excellents joyaux, au manche brillant et terrible.

905. Tous les Kourouides réunis , regardaient cette (arme) qui brillait ainsi, jetant des étincelles de feu par suite de la grande force (avec laquelle elle était lancée), et qui tombait subitement comme, à la fin du Youga, un grand météore (tombe) du ciel.

906. Dharmarâya fit un effort, (et) lança ce (javelot qui était) semblable, (par l’effroi qu’il inspirait), à la nuit dans laquelle le monde est détruit à la fin du Youga, pareil à la nourrice d’Yama son lien à la main, terrible de forme, infaillible, comparable au bâton de Brahma.

907. Honoré avec soin par les fils de Pândou, au moyen de parfums, de guirlandes, d’une place d’honneur, (d'oblations), de boissons et d’aliments, brillant, semblable au feu Samvartaka (qui détruit tout à la fin du monde), puissant comme les incantations de l’Atharveda d’Angiras.

908. Préparé par Tvashtar (l’ouvrier universel) pour le compte d’Içana (Çiva), dévorant le corps et la vie des ennemis, capable de tuer, après les avoir atteints, les êtres habitant la terre, l’eau, le ciel, etc.,

909. Ayant un manche doré garni de grelots, une bannière, des joyaux et des diamants, bariolé de lapis lazuli, préparé avec grand soin par Tvashtar dans une cérémonie religieuse, terrible, mortel aux ennemis de Brahma,

910. À qui l’effort (fait en le lançant) a donné une rapidité croissante. Après l’avoir charmé par des incantations redoutables, il le lança avec un (grand) élan, par la voie la plus convenable, pour la mort du roi de Madra.

911. Tu es tué, dit Dharmarâja rugissant de colère, après avoir étendu son bras très fort et sa belle main, dansant en quelque sorte de joie, de même que Roudra lança la flèche qui causa la mort d’Andhaka.

912. Quand il la reçut, Çalya poussa un rugissement à l’adresse de cette lance douée d’une puissance héroïque, qu’on ne saurait esquiver, envoyée avec toute sa force par Youdhishthira, de même que le feu (crépite) sur la goutte de beurre âjya convenablement offerte en sacrifice.

913. Ayant déchiré les parties vitales et la large et brillante poitrine (de Çalya), ce (javelot) entra dans la terre comme dans de l’eau où il n’adhérerait pas, emportant (avec elle) la grande gloire du roi (vaincu),

914. Qui avait le corps arrosé du sang sorti du nez, des yeux, des oreilles et de la bouche, et qui coulait aussi de la blessure. Il était semblable à la grande montagne Kraunca frappé par Skanda.

915. Le magnanime (Çalya), pareil à Indravâha (l’éléphant d’Indra), ayant son armure brisée par le descendant de Kourou, étendit les bras et tomba de son char à terre, comme le sommet d’une montagne frappée par la foudre.

916. Le roi de Madra ayant étendu les bras en face de Dharmarâja, tomba à terre comme l’étendard d’Indra, (jadis) dressé (et maintenant abattu) 13

917, 918. Ce taureau des hommes, ayant les membres brisés, inondé de sang, est accueilli sur la terre avec amour, comme un amant l’est par sa bien-aimée, sur le sein de laquelle il se laisse tomber. Ce roi, ayant joui longtemps de la terre comme d’une chère amante,

919. Et l’ayant embrassée de tous ses membres, semblait endormi, (quoique) tué dans un combat régulier, par le magnanime Youdhishthira, fils de Dharma,

920, 921. Comme, dans un sacrifice le feu à qui on a offert une oblation, est en quelque sorte apaisé par l’offrande qu’on a faite. La beauté n’abandonna pas le roi de Madra, même quand il fut mort, le cœur percé par la lance (de Youdhishthira) et que ses armes et sa bannière eurent été détruites. Alors Dharmarâja, ayant saisi son arc pareil à celui d’Indra,

922. Dispersa les ennemis dans la bataille, comme le roi des oiseaux (disperse) les serpents, et détruisit les corps des ennemis avec des bhallas très aiguës.

923. En ce moment, tes soldats couverts de la multitude des flèches du fils de Prithâ, extrêmement tourmentés, fermaient les yeux (de terreur) et se blessaient les uns les autres.

924. Laissant couler le sang de leur corps, (ils étaient) sans épées, sans armes et sans vie. Quand Çalya fut tué le jeune frère puîné du roi de Madra,

925. Monté sur son char, attaqua le fils de Pândou avec toutes les qualités de son frère (défunt), et cet homme éminent atteignit précipitamment (Youdhishthira) de nombreuses nârâcas.

926. Dans sa rage de combattre, et de venger son frère. Dharmarâja se hâta de le percer de six flèches rapides.

927, 928. Avec deux flèches en rasoir il coupa son arc et son étendard. Puis, avec une bhalla brillante, très forte et très aiguë, il lui enleva la tête, comme il se trouvait en face de lui. On vit alors tomber du char cette tête avec ses boucles d’oreilles,

929. Comme un mort arrivé à l’expiration de ses mérites, tombe du Svarga, et le corps, dont la tête était séparée, tomba aussi du char.

930. Ce frère puîné, à l’armure brillante, du roi de Madra étant tué, l’armée, à la vue de son corps baigné dans son sang, se débanda (et)

931. Les Kourouides se dispersèrent en poussant des cris de : Ah ! Ah ! À la vue du frère puîné de Çalya tué, les tiens ayant fait le sacrifice de leurs vies,

932-934. Tout couverts de poussière, tremblèrent par l’effet de la terreur (que leur inspiraient) les fils de Pândou. Ô excellent Bharatide, le Satyakide, le petit-fils de Çini, attaquait, en les couvrant de ses flèches, ces Kourouides mis en déroute. Ô roi, le Hridikien se hâta d’assaillir avec intrépidité, (au moment où) il s’approchait, ce grand et invincible archer, terrible à rencontrer. Ces deux magnanimes Vrishniens aux prises (l’un avec l’autre),

935. Le Hridikien et le Satyakide, pareils à deux très forts lions, se couvrirent réciproquement de flèches dont la couleur était brillante,

936, 937. Et qui avaient pour ainsi dire (l’éclat) des rayons du soleil. (Ces deux héros) avaient une splendeur semblable à celle de l’astre du jour. Nous voyions les traits lancés avec la force que leur communiquait l’impulsion des arcs de ces deux taureaux (de la race) de Vrishni, traverser l’air comme des oiseaux au vol rapide. Ayant atteint le Satyakide de dix flèches, et ses chevaux de trois,

938. Le Hridikien lui coupa son arc avec un seul trait aux nœuds recourbés. Le taureau de Çini, ayant jeté cet excellent arc qui était brisé,

939. S’empressa de prendre une autre arme très rapide. Alors, le plus grand de tous les porteurs d’arcs, en ayant pris un excellent,

940. Blessa de dix flèches le Hridikien entre les seins, puis ayant coupé le char et le timon au moyen de bhallas bien dirigées,

941, 942. Il tua rapidement les chevaux et leurs deux conducteurs de côté. Alors, ô roi, l’héroïque Çaradvatide Kripa, voyant (ce guerrier) privé de son char, se hâta de le faire monter sur le sien propre et de l’emmener. Ô roi, le roi de Madra étant mort et Kritavarman privé de son char,

943. Toute l’armée de Douryodhana tourna de nouveau le dos, (mais) comme elle était entourée (d’un nuage) de poussière, les ennemis ne s’en aperçurent pas.

944. Et alors (le reste de) cette armée, dont la plus grande partie était tuée, tourna le dos. Au bout d’un instant on vit la poussière élevée de la terre

945. Arrosée par plusieurs ruisseaux de sang, ô homme excellent. Alors Douryodhana voyant près de lui l’armée rompue,

946. Arriva avec rapidité et, à lui seul, arrêta tous les Prithides. Ayant vu sur leurs chars les fils de Pândou et le Prishatide Dhrishtadyoumna,

947. Ainsi que l’Anartien (le Satyakide) terrible à attaquer, il les arrêta avec ses traits aigus. Ses ennemis ne l’approchèrent pas plus que les mortels (n’approchent de) la mort qui se présente (devant eux).

948. Mais le Hridikien aussi, monté sur un autre char, se retournait (contre les ennemis). Alors le roi Youdhishthira, le grand guerrier, se hâta

949. De tuer de quatre flèches les chevaux de Kritavarman, et atteignit aussi le Grotamide de six bhallas très éclatantes.

950. Et Açvathâman, avec son propre char, conduisit (loin) de Youdhishthira, le Hridikien qui était privé du sien, ses chevaux étant tués.

951. Puis le Çaradvatide blessa Youdhishthira de six traits et perça ses chevaux de huit çilîmoukhâs aiguës.

952. Ô roi, descendant de Bharata, ce combat était la conséquence des mauvais conseils, que (vous aviez suivis) toi, et ton fils,

953. Le meilleur des grands archers étant sacrifié dans le combat par le taureau des descendants de Kourou, les fils de Prithâ, réunis et très joyeux, soufflèrent dans leur conque, à la vue de Çalya tué,

954. Et glorifièrent Youdhishthira sur le champ de bataille, comme jadis Indra, à l’occasion du meurtre de Vriha, (fut applaudi). Ils poussèrent des cris de diverses sortes, emplissant de bruit, la terre, de toutes parts.