Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 1/Chap10

Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (1p. 65-71).


CHAPITRE X


SUITE DU PRÉCÉDENT


Argument : Çalya se dirige contre Youdhishthira et arrête l’élan de l’armée Pândouide. Nakoula combat et tue Citrasena, Satyasena et Soushena. Effroi des Kourouides. Çalya les rallie. Combat terrible qui met le désordre dans les deux armées.


460. Sañjaya dit : Le majestueux roi de Madra ayant vu cette armée en déroute, dit à son cocher : Pousse tes chevaux rapides comme la pensée.

461. Le roi Youdishthira, fils de Pândou, se tient (ferme), avec le parasol brillant et jaune-pâle qu’on porte (au-dessus de sa tête).

462. Conduis-moi vite là, ô cocher. Vois ma force. Certes, les fils de Prithâ ne sont pas capables de tenir aujourd’hui devant moi dans la bataille.

463. Alors le cocher du roi de Madra, ainsi commandé, se dirigea là où était le roi Youdhishthira Dharmarâja, fidèle à ses vœux.

464. Et, arrivant subitement, Çalya soutint dans le combat (le choc de) la grande armée des Pândouides, semblable à un océan soulevé par la marée.

465. Or, ô vénérable, les vagues de l’armée Pândouide ayant rencontré Çalya, s’arrêtèrent dans la bataille comme une rivière (brise) son élan, quand elle a rencontré une montagne.

466. Mais, ayant vu le roi de Madra arrêté pour combattre, les Kourouides revinrent sur leurs pas, oublieux de (l'imminence de) la mort.

467. Les grandes armées étant retournées au combat dans l’ordre de leurs dispositions naturelles, il s’engagea une bataille formidable, où le sang coula comme de l’eau.

468. Nakoula, enragé au combat, rencontra Citrasena. Ces deux brillants archers, s’étant attaqués réciproquement,

469. Semblables à deux nuages pluvieux qui s’élèvent au midi et au nord, s’arrosèrent réciproquement de (pluies de) flèches, en guise d’eau,

470. Je ne vois pas de différence entre ce fils de Pândou et son adversaire. Tous les deux sont forts, exercés à l’usage des armes et habiles dans le maniement du char,

471. Résolus à se tuer l’un l’autre, attentifs seulement à surveiller les fautes (de l’adversaire). Cependant, Citrasena, d’une flèche bhalla aiguë, qui a bu (l’huile où elle avait été trempée),

472, 473. Coupa l’arc de Nakoula à l’endroit de la poignée, ô grand roi, puis, sans se troubler, ficha dans le front de (son ennemi, dont) l’arc était brisé, trois flèches aiguisées sur une pierre, et dont la partie postérieure était dorée, et, avec des traits aigus, envoya ses chevaux à la mort.

474, 475. Il fit aussi tomber l’étendard et le cocher par trois flèches pour chacun. Avec les trois flèches, que la main de son ennemi lui avait enfoncées dans le front, (Nakoula) brillait comme une montagne qui a trois sommets, ô roi. Privé de son char, son arc étant brisé, ayant pris son épée.

476. Le héros descendit de son char, comme un lion (descend) d’une montagne. Au moment où il tombait sur ses deux pieds, (Citrasena) répandait sur lui une pluie de flèches,

477. Que Nakoula, à la démarche rapide, recevait sur son bouclier. Le brillant guerrier, inaccessible à la fatigue, ayant atteint le char de Citrasena,

478, 479. Ce héros aux grands bras, (en présence) de toute l’armée qui le regardait, monta sur ce char. Le fils de Pândou, enleva de sur le corps de Citrasena, la tête (ornée) d’un beau nez, de grands yeux, de boucles d’oreilles, d’un diadème. Ce (Kourouide) dont l’éclat était semblable à celui du soleil, tomba sur le siège de devant du char.

480. Les grands guerriers, en voyant Citrasena tué poussèrent de nombreux rugissements et des cris d’approbation, en disant : Bien, bien !

481. Les deux grands héros Soushena et Satyasena, fils de Karna, voyant leur frère tué, lancèrent des flèches de plusieurs sortes.

482. Ces deux excellents maîtres de chars se hâtèrent alors de courir contre le fils de Pândou, désireux de le tuer, comme, dans la grande forêt, deux tigres (courent) sur un éléphant, ô roi.

483. Ils accablaient ce grand guerrier de (traits) aigus, en lançant des flots de flèches, comme deux nuages orageux (versent) de l’eau.

484. Blessé de tous côtés par les traits, l’héroïque fils de Pândou, en quelque sorte joyeux, ayant pris un autre arc, monta sur un (autre) char.

485-487. Le héros se tenait dans le combat, pareil à Antaka irrité. Ô roi, les deux frères entreprirent de mettre le char en pièces, avec des flèches barbelées, ô maître des hommes. Alors Nakoula se mit à rire, et avec quatre flèches aiguës, tua les quatre chevaux de Satyasena, puis, ayant placé sur son arc une flèche nârâca aiguisée sur une pierre,

488. Ô Indra des rois, le fils de Pândou coupa l’arc de Satyasena ; mais, étant monté sur un autre char et ayant pris un autre arc,

489. Satyasena courut avec Soushena contre le fils de Pândou. Le majestueux fils de Mâdrî, sans se troubler, atteignit ces deux (guerriers)

490, 491. De deux flèches (chacun), à la tête de l’armée, ô grand roi. Mais alors le grand guerrier Soushena irrité brisa avec une flèche kshourapra (à tête de rasoir), le grand arc du fils de Pândou. Nakoula, rempli de colère, ayant pris un autre arc,

492, 493. Atteignit Soushena de cinq (flèches), coupa son étendard d’une seule, et, ô vénérable, brisa rapidement la garde de main de l’arc de Satyasena. Alors les hommes (qui virent cela) poussèrent des cris. Mais (Satyasena) ayant pris un autre arc destructeur des ennemis, source de prospérité pour les Bharatides,

494. Couvrit de tous côtés de flèches le fils de Pândou. Cependant Nakoula tueur des héros ennemis, ayant rendu ces traits vains,

495. Atteignit Satyasena et Soushena, chacun de deux flèches. Ces deux guerriers en lançaient chacun de leur côté contre lui.

496, 497. Ô Indra des rois, ils frappèrent de traits aigus le cocher de Nakoula.

L’adroit et majestueux Satyasena coupa, pour sa part, avec deux flèches aiguës, le timon du char et l'arc de Nakoula. Ce grand guerrier, se tenant sur son char, saisit la hampe de l’étendard,

498. Consistant en un bâton doré, à extrémité aiguë enduite d’huile, absolument sans tache, semblable à une jeune serpente ayant beaucoup de venin et dardant sa langue,

499. Et l’ayant levée, il la lança dans le combat contre Satyasena, ô roi. Cette hampe lui brisa le cœur en cent morceaux.

500. Presque insensible, sa vie s’en allant, il tomba de son char, à terre. Soushena, plein de colère à la vue de son frère tué,

501. Faisait tomber sur le fils de Pândou, (qu’il allait réduire à l’état de) fantassin, une rapide pluie de traits. Ayant percé de quatre flèches les quatre chevaux et coupé l’étendard de cinq,

502. Ayant tué le cocher avec trois, le fils de Karna poussa un cri. A la vue de Nakoula privé de son char, le grand guerrier fils de Draupadî,

503. Soutasoma, accourut pour protéger son père dans la bataille. Alors, Nakoula, étant monté sur le char de Soutasoma,

504. L’excellent Bharatide brilla comme un lion qui se tient sur une montagne, et, ayant pris un autre arc, résista à Soushena.

505. Ces deux excellents guerriers s’étant réciproquement attaqués, s’efforcèrent de se tuer l’un l’autre.

506. Soushena irrité atteignit le fils de Pândou de trois flèches, et Soutasoma de vingt, dans les bras et dans la poitrine.

507. Alors, ô grand roi, Nakoula, tueur des héros ennemis, l’enveloppa rapidement de flèches, qui lui dérobèrent la vue de l’horizon.

508. Puis ayant pris une flèche en demi lune, très éclatante, à pointe tranchante, il la lança rapidement contre le fils de Karna.

509. Ô le plus grand des rois, avec cette flèche, il lui sépara la tête du corps. Cela fut considéré comme un prodige par toutes les armées qui virent (cet exploit).

510. Ce (héros), tué par Nakoula, tomba en avant, comme un grand arbre né sur la rive, déraciné par la rapidité (du courant) de la rivière.

511. À la vue du meurtre du fils de Karna et de l’acte héroïque de Nakoula, ton armée s’enfuit de peur, ô le plus grand des Bharatides.

512. Mais, ô grand roi, le majestuex roi de Madra, le héros dompteur des ennemis, le maître de l’armée, la protégea dans (cette) bataille.

513. Il ne s’effraya pas, ô grand roi, et ayant disposé ses troupes et poussé un fort rugissement, il fit avec son arc un bruit terrible.

514. Les tiens, ô roi, protégés dans le combat par ce porteur d’un arc solide, oubliant leurs craintes, s’avancèrent de toutes parts à la rencontre des ennemis.

515. Entourant le roi de Madra, (ils étaient) tous fermes, magnanimes, désireux de combattre.

516. Le Satyakide, Bhîmasena, et les deux Pândouides fils de Mâdrî, ayant mis à leur tête Youdhishthira, dompteur des ennemis,

517. L’entourèrent dans la bataille en poussant des rugissements et des cris de carnage, et produisant avec leurs flèches des bruits divers et répétés.

518. De même, tous les tiens, exaspérés, ayant entouré le roi de Madra, voulaient, tout d’un coup, retourner au combat.

519, 520. Alors, ô roi, entre les tiens et les ennemis, (les uns et les autres) ayant mis de côté la crainte et la pensée que la mort (pût les atteindre), eut lieu un combat qui enrichit le royaume d’Yama et qui fut semblable à celui qui se produisit jadis entre les dieux et les Asouras.

521. Puis, ô roi, le fils de Pândou, qui a pour étendard un singe (Arjouna), ayant tué les conjurés, courut sur cette armée Kourouide.

522. Et, de même, tous les Pândouides, conduits par Dhrishtadyoumna attaquèrent cette armée, en lançant des traits aigus.

523. Les troupes, dispersées par les fils de Pândou, avaient l’esprit égaré et ne discernaient plus les points cardinaux ni les espaces intermédiaires.

524. Couverte de flèches aiguës lancées par les Pândouides, ayant ses meilleurs héros tués, détruite, dispersée de toutes parts,

525, 526. L’armée Kourouide était anéantie par les grands guerriers fils de Pândou, et de même, ô roi, des centaines et des milliers (de soldats) de l’armée Pândouide étaient tués de toutes parts par les flèches de tes fils. Ces deux armées, très effrayées, tuées l’une par l’autre,

527. Etaient troublées comme deux rivières après la pluie. Alors une grande et violente terreur s’empara des tiens

528. Et des Pândouides, ô Indra des rois, le combat étant devenu tel (que je viens de le raconter).