Le Médecin malgré lui/Acte II
ACTE II
Scène I
Oui, monsieur, je crois que vous serez satisfait ; et nous vous avons amené le plus grand médecin du monde.
Oh ! morguenne ! il faut tirer l’échelle après ceti-là, et tous les autres ne sont pas daignes de li déchausser ses souliés.
C’est un homme qui a fait des cures merveilleuses.
Qui a gari des gens qui étiant morts.
Il est un peu capricieux, comme je vous ai dit ; et, parfois, il a des moments où son esprit s’échappe, et ne paroît pas ce qu’il est.
Oui, il aime à bouffonner ; et l’an diroit parfois, ne v’s en déplaise, qu’il a quelque petit coup de hache à la tête.
Mais, dans le fond, il est toute science ; et bien souvent il dit des choses tout à fait relevées.
Quand il s’y boute, il parle tout fin drait comme s’il lisoit dans un livre.
Sa réputation s’est déjà répandue ici ; et tout le monde vient à lui[1].
Je meurs d’envie de le voir ; faites-le-moi vite venir.
Je le vais quérir.
Scène II
Par ma fi, monsieu, ceti-ci fera justement ce qu’ant fait les autres. Je pense que ce sera quessi queumi ; et la meilleure médeçaine que l’an pourroit bailler à votre fille, ce seroit, selon moi, un biau et bon mari, pour qui alle eût de l’amiquié.
Ouais ! nourrice, ma mie, vous vous mêlez de bien des choses !
Taisez-vous, notre minagère Jacquelaine ; ce n’est pas à vous à bouter là votre nez.
Je vous dis et vous douze que tous ces médecins n’y feront rian que de l’iau claire ; que votre fille a besoin d’autre chose que de rhibarbe et de séné, et qu’un mari est un emplâtre qui garit tous les maux des filles.
Est-elle en état maintenant qu’on s’en voulût charger, avec l’infirmité qu’elle a ? Et lorsque j’ai été dans le dessein de la marier, ne s’est-elle pas opposée à mes volontés ?
Je le crois bian ; vous l’y vouliez bailler eun homme qu’alle n’aime point. Que ne preniais-vous ce monsieur Liandre, qui li touchoit au cœur ? alle auroit été fort obéissante ; et je m’en vas gager qu’il la prendroit, li, comme alle est, si vous la li vouillais donner.
Ce Léandre n’est pas ce qu’il faut ; il n’a pas du bien comme l’autre.
Il a eun oncle qui est si riche, dont il est hériquié.
Tous ces biens à venir me semblent autant de chansons. Il n’est rien tel que ce qu’on tient ; et l’on court grand risque de s’abuser, lorsque l’on compte sur le bien qu’un autre vous garde. La mort n’a pas toujours les oreilles ouvertes aux vœux et aux prières de messieurs les héritiers ; et l’on a le temps d’avoir les dents longues, lorsqu’on attend pour vivre le trépas de quelqu’un.
Enfin, j’ai toujours ouï dire qu’en mariage, comme ailleurs, contentement passe richesse. Les pères et les mères ant cette maudite couteume de demander toujours, Qu’a-t-il ? et Qu’a-t-elle ? et le compère Piarre a marié sa fille Simonette au gros Thomas pour un quarquié de vaigne qu’il avait davantage que le jeune Robin, où alle avoit bouté son amiquié ; et v’là que la pauvre criature en est devenue jaune comme un coing, et n’a pas profité tout depuis ce temps-là. C’est un bel exemple pour vous, monsieu. On n’a que son plaisir en ce monde ; et j’aimerois mieux bailler à ma fille eun bon mari qui li fût agriable, que toutes les rentes de la Biausse.
Peste ! madame la nourrice, comme vous dégoisez. Taisez-vous, je vous prie ; vous prenez trop de soin, et vous échauffez votre lait.
Morgue ! tais-toi, t’es eune impartinente. Monsieu n’a que faire de tes discours, et il sait ce qu’il a à faire. Mèle-toi de donner à teter à ton enfant, sans tant faire la raisonneuse. Monsieu est le père de sa fille ; et il est bon et sage pour voir ce qu’il ly faut.
Tout doux ! Oh ! tout doux.
Monsieu, je veux un peu la mortifier, et ly apprendre le respect qu’alle vous doit.
Oui. Mais ces gestes ne sont pas nécessaires.
Scène III
Monsieur, préparez-vous. Voici notre médecin qui entre.
Monsieur, je suis ravi de vous voir chez moi, et nous avons grand besoin de vous.
Hippocrate dit… que nous nous couvrions tous deux.
Hippocrate dit cela ?
Oui.
Dans quel chapitre, s’il vous plaît ?
Dans son chapitre… des chapeaux.
Puisque Hippocrate le dit, il le faut faire.
Monsieur le médecin, ayant appris les merveilleuses choses…
À qui parlez-vous, de grâce ?
À vous.
Je ne suis pas médecin
Vous n’êtes pas médecin ?
Non, vraiment
Tout de bon ?
Tout de bon.
(Sganarelle prend un bâton, et bat Géronte comme on l’a battu.)
Ah ! ah ! ah !
Vous êtes médecin maintenant ; je n’ai jamais eu d’autres licences[2].
Quel diable d’homme m’avez-vous là amené ?
Je vous ai bien dit que c’étoit un médecin goguenard.
Oui : mais je l’enverrois promener avec ses goguenarderies.
Ne prenez pas garde à ça, monsieu ; ce n’est que pour rire.
Cette raillerie ne me plaît pas.
Monsieur, je vous demande pardon de la liberté que j’ai prise.
Monsieur, je suis votre serviteur.
Je suis fâché…
Cela n’est rien.
Des coups de bâton…
Il n’y a pas de mal.
Que j’ai eu l’honneur de vous donner.
Ne parlons plus de cela. Monsieur, j’ai une fille qui est tombée dans une étrange maladie.
Je suis ravi, monsieur, que votre fille ait besoin de moi ; et je souhaiterois de tout mon cœur que vous en eussiez besoin aussi, vous et toute votre famille, pour vous témoigner l’envie que j’ai de vous servir.
Je vous suis obligé de ces sentiments.
Je vous assure que c’est du meilleur de mon ame que je vous parle.
C’est trop d’honneur que vous me faites.
Comment s’appelle votre fille ?
Lucinde.
Lucinde ! Ah ! beau nom à médicamenter ! Lucinde !
Je m’en vais voir un peu ce qu’elle fait.
Qui est cette grande femme-là ?
C’est la nourrice d’un petit enfant que j’ai.
Scène IV
Peste ! le joli meuble que voilà ! (Haut.) Ah ! nourrice, charmante nourrice, ma médecine est la très humble esclave de votre nourricerie, et je voudrois bien être le petit poupon fortuné qui tetât le lait de vos bonnes grâces. (Il lui porte la main sur le sein.) Tous mes remèdes, toute ma science, toute ma capacité est à votre service ; et…
Avec votre parmission, monsieu le médecin, laissez là ma femme, je vous prie.
Quoi ! elle est votre femme ?
Oui.
Ah ! vraiment je ne savois pas cela, et je m’en réjouis pour l’amour de l’un et de l’autre.
(Il fait semblant de vouloir embrasser Lucas et embrasse la nourrice.)
Tout doucement, s’il vous plaît.
Je vous assure que je suis ravi que vous soyez unis ensemble : je la félicite d’avoir un mari comme vous ; et je vous félicite, vous, d’avoir une femme si belle, si sage, et si bien faite comme elle est.
(Faisant encore semblant d’embrasser Lucas, qui lui tend les bras, il passe dessous, et embrasse encore la nourrice.)
Hé ! tétigué ! point tant de compliments, je vous supplie.
Ne voulez-vous pas que je me réjouisse avec vous d’un si bel assemblage ?
Avec moi tant qu’il vous plaira, mais avec ma femme, trêve de sarimonie.
Je prends part également au bonheur de tous deux : et si je vous embrasse pour vous témoigner ma joie, je l’embrasse de même pour lui en témoigner aussi.
(Il continue le même jeu.)
Ah ! vartigué, monsieur le médecin, que de lantiponages[3] !
Scène V
Monsieur, voici tout à l’heure ma fille qu’on va vous amener.
Je l’attends, monsieur, avec toute la médecine.
Où est-elle ?
Là-dedans.
Fort bien.
Mais, comme je m’intéresse à toute votre famille, il faut que j’essaie un peu le lait de votre nourrice, et que je visite son sein.
(Il s’approche de Jacqueline.)
Nannain, nannain ; je n’avons que faire de ça.
C’est l’office du médecin de voir les tétons des nourrices.
Il gnia office qui quienne, je sis votre sarviteur.
As-tu bien la hardiesse de t’opposer au médecin ? Hors de là.
Je me moque de ça.
Je te donnerai la fièvre.
Ote-toi de là aussi ; est-ce que je ne sis pas assez grande pour me défendre moi-même, s’il me fait queuque chose qui ne soit pas à faire ?
Je ne veux pas qu’il te tâte, moi.
Fi, le vilain, qui est jaloux de sa femme !
Voici ma fille.
Scène VI
Est-ce là la malade ?
Oui, Je n’ai qu’elle de fille ; et j’aurois tous les regrets du monde si elle venoit à mourir.
Qu’elle s’en garde bien ! Il ne faut pas qu’elle meure sans l’ordonnance du médecin[4].
Allons, un siège.
Voilà une malade qui n’est pas tant dégoûtante, et je tiens qu’un homme bien sain s’en accommoderoit assez.
Vous l’avez fait rire, monsieur.
Tant mieux : lorsque le médecin fait rire le malade, c’est le meilleur signe du monde. (à Lucinde.) Hé bien ! de quoi est-il question ? Qu’avez-vous ? quel est le mal que vous sentez ?
Han, hi, hou, han.
Hé ! que dites-vous ?
Han, hi, hon, han, han, hi, hon.
Quoi ?
Han, hi, hon.
Han, hi, hon, han, ha. Je ne vous entends point. Quel diable de langage est-ce là ?
Monsieur, c’est là sa maladie. Elle est devenue muette, sans que jusques ici on en ait pu savoir la cause ; et c’est un accident qui a fait reculer son mariage.
Et pourquoi ?
Celui qu’elle doit épouser veut attendre sa guérison pour conclure les choses.
Et qui est ce sot-là, qui ne veut pas que sa femme soit muette ? Plût à Dieu que la mienne eût cette maladie ! je me garderois bien de la vouloir guérir.
Enfin, monsieur, nous vous prions d’employer tous vos soins pour la soulager de son mal.
Ah ! ne vous mettez pas en peine. Dites-moi un peu : ce mal l’oppresse-t-il beaucoup ?
Oui, monsieur.
Tant mieux. Sent-elle de grandes douleurs ?
Fort grandes.
C’est fort bien fait[5] Va-t-elle où vous savez ?
Oui.
Copieusement ?
Je n’entends rien à cela.
La matière est-elle louable ?
Je ne me connois pas à ces choses.
Donnez-moi votre bras. (à Géronte.) Voilà un pouls qui marque que votre fille est muette.
Hé ! oui, monsieur, c’est là son mal ; vous l’avez trouvé tout du premier coup.
Ha ! ha !
Voyez comme il a deviné sa maladie !
Nous autres grands médecins, nous connoissons d’abord les choses. Un ignorant auroit été embarrassé, et vous eût été dire, C’est ceci, c’est cela ; mais moi, je touche au but du premier coup, et je vous apprends que votre fille est muette.
Oui : mais je voudrois bien que vous me pussiez dire d’où cela vient.
Il n’est rien de plus aisé ; cela vient de ce qu’elle a perdu la parole.
Fort bien. Mais la cause, s’il vous plaît, qui fait qu’elle a perdu la parole ?
Tous nos meilleurs auteurs vous diront que c’est l’empêchement de l’action de sa langue.
Mais encore, vos sentiments sur cet empêchement de l’action de sa langue ?
Aristote, là-dessus, dit… de fort belles choses[6].
Je le crois.
Ah ! c’étoit un grand homme !
Sans doute.
Grand homme tout à fait ; (levant le bras depuis le coude.) un homme qui étoit plus grand que moi de tout cela. Pour revenir donc à notre raisonnement, je tiens que cet empêchement de l’action de sa langue est causé par de certaines humeurs, qu’entre nous autres savants nous appelons humeurs peccantes ; peccantes, c’est-à-dire… humeurs peccantes ; d’autant que les vapeurs formées par les exhalaisons des influences qui s’élèvent dans la région des maladies, venant… pour ainsi dire… à… Entendez-vous le latin ?
En aucune façon.
Vous n’entendez point le latin ?
Non.
Cabricias, arci thuram, catalamus, singulariter, nominativo, hœc musa, la muse, bonus, bona, bonum. Deus sanctus, est-ne oratio latinas ? Etiam, oui. Quare ? pourquoi ? Quia substantivo, et adjectivum, concordat in generi, numerum, et casus[7].
Ah ! que n’ai-je étudié !
L’habile homme que v’là !
Oui, ça est si biau que je n’y entends goutte.
Or, ces vapeurs dont je vous parle venant à passer, du côté gauche où est le foie, au côté droit où est le cœur, il se trouve que le poumon, que nous appelons en latin armyan, ayant communication avec le cerveau, que nous nommons en grec nasmus, par le moyen de la veine cave, que nous appelons en hébreu cubile, rencontre en son chemin lesdites vapeurs qui remplissent les ventricules de l’omoplate ; et parceque lesdites vapeurs… comprenez bien ce raisonnement, je vous prie ; et parceque lesdites vapeurs ont certaine malignité… écoutez bien ceci, je vous conjure.
Oui.
Ont une certaine malignité qui est causée… soyez attentifs, s’il vous plaît.
Je le suis.
Qui est causée par l’âcreté des humeurs engendrées dans la concavité du diaphragme, il arrive que ces vapeurs… Ossabandus, nequeis, nequer, polarinum, quipsa milus[8]. Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette.
Ah ! que ça est bian dit, notre homme !
Que n’ai-je la langue aussi bian pendue !
On ne peut pas mieux raisonner, sans doute. Il n’y a qu’une seule chose qui m’a choquée : c’est l’endroit du foie et du cœur. Il me semble que vous les placez autrement qu’ils ne sont ; que le cœur est du côté gauche, et le foie du côté droit.
Oui ; cela étoit autrefois ainsi : mais nous avons changé tout cela, et nous faisons maintenant la médecine d’une méthode toute nouvelle.
C’est ce que je ne savois pas, et je vous demande pardon de mon ignorance.
Il n’y a point de mal ; et vous n’ètes pas obligé d’être aussi habile que nous.
Assurément. Mais, monsieur, que croyez-vous qu’il faille faire à cette maladie ?
Ce que je crois qu’il faille faire ?
Oui.
Mon avis est qu’on la remette sur son lit, et qu’on lui fasse prendre pour remède quantité de pain trempé dans du vin.
Pourquoi cela, monsieur ?
Parcequ’il y a dans le vin et le pain, mêlés ensemble, une vertu sympathique qui fait parler. Ne voyez-vous pas bien qu’on ne donne autre chose aux perroquets, et qu’ils apprennent à parler en mangeant de cela ?
Cela est vrai ! Ah ! le grand homme ! Vite, quantité de pain et de vin.
Je reviendrai voir sur le soir en quel état elle sera.
Scène VII
Doucement, vous. (à Géronte) Monsieur, voilà une nourrice à laquelle il faut que je fasse quelques petits remèdes..
Qui ? moi ? Je me porte le mieux du monde.
Tant pis, nourrice ; tant pis. Cette grande santé est à craindre, et il ne sera pas mauvais de vous faire quelque petite saignée amiable, de vous donner quelque petit clystère dulcifiant.
Mais, monsieur, voilà une mode que je ne comprends point. Pourquoi s’aller faire saigner quand on n’a point de maladie ?
Il n’importe, la mode en est salutaire ; et, comme on boit pour la soif à venir, il faut se faire aussi saigner pour la maladie à venir[9].
Ma fi, je me moque de ça, et je ne veux point faire de mon corps une boutique d’apothicaire.
Vous êtes rétive aux remèdes, mais nous saurons vous soumettre à la raison.
Scène VIII
Je vous donne le bonjour.
Attendez un peu, s’il vous plaît.
Que voulez-vous faire ?
Vous donner de l’argent, monsieur.
Je n’en prendrai pas, monsieur.
Monsieur…
Point du tout.
Un petit moment.
En aucune façon.
De grâce !
Vous vous moquez.
Voilà qui est fait.
Je n’en ferai rien.
Hé !
Ce n’est pas l’argent qui me fait agir[10].
Je le crois.
Cela est-il de poids ?
Oui, monsieur.
Je ne suis pas un médecin mercenaire.
Je le sais bien.
L’intérêt ne me gouverne point.
Je n’ai pas cette pensée.
Ma foi, cela ne va pas mal ; et pourvu que…
Scène IX
Monsieur, il y a longtemps que je vous attends ; et je viens implorer votre assistance.
Voilà un pouls qui est fort mauvais.
Je ne suis point malade, monsieur ; et ce n’est pas pour cela que je viens à vous.
Si vous n’êtes pas malade, que diable ne le dites-vous donc ?
Non. Pour vous dire la chose en deux mots, je m’appelle Léandre, qui suis amoureux de Lucinde, que vous venez de visiter ; et comme, par la mauvaise humeur de son père, toute sorte d’accès m’est fermé auprès d’elle, je me hasarde à vous prier de vouloir servir mon amour, et de me donner lieu d’exécuter un stratagème que j’ai trouvé pour lui pouvoir dire deux mots d’où dépendent absolument mon bonheur et ma vie.
Pour qui me prenez-vous ? Comment ! oser vous adresser à moi pour vous servir dans votre amour, et vouloir ravaler la dignité de médecin à des emplois de cette nature !
Monsieur, ne faites point de bruit.
J’en veux faire, moi. Vous êtes un impertinent.
Hé ! monsieur, doucement.
Un malavisé.
De grâce !
Je vous apprendrai que je ne suis point homme à cela, et que c’est une insolence extrême…
Monsieur…
De vouloir m’employer… (tenant la bourse.) Je ne parle pas pour vous, car vous êtes honnête homme ; et je serois ravi de vous rendre service : mais il y a de certains impertinents au monde qui viennent prendre les gens pour ce qu’ils ne sont pas ; et je vous avoue que cela me met en colère.
Je vous demande pardon, monsieur, de la liberté que…
Vous vous moquez. De quoi est-il question ?
Vous saurez donc, monsieur, que cette maladie que vous voulez guérir est une feinte maladie. Les médecins ont raisonné là-dessus comme il faut ; et ils n’ont pas manqué de dire que cela procédoit, qui du cerveau, qui des entrailles, qui de la rate, qui du foie[11] : mais il est certain que l’amour en est la véritable cause, et que Lucinde n’a trouvé cette maladie que pour se délivrer d’un mariage dont elle étoit importunée. Mais, de crainte qu’on ne nous voie ensemble, retirons-nous d’ici, et je vous dirai en marchant ce que je souhaite de vous.
Allons, monsieur : vous m’avez donné pour votre amour une tendresse qui n’est pas concevable ; et j’y perdrai toute ma médecine, ou la malade crèvera, ou bien elle sera à vous.
- ↑ Ceci prépare la seconde scène du troisième acte, où nous verrons Thibaud et Perrin venir demander des remèdes à Sganarelle.
- ↑ Le Sganarelle du Médecin volant consent à devenir médecin sur la promesse de deux pistoles. Il dit à son maître : « Venez me donner mes licences, que sont les deux pistoles promises. » Molière reproduit ici le même trait, mais d’une manière beaucoup plus comique. (Aimé Martin.)
- ↑ De lantiponer, chicaner, importuner
- ↑ Ce passage est tiré de la farce du Médecin volant :
Gorgibus
« Monsieur le médecin, j’ai grand’peur qu’elle ne meure.
SgnarelleAh ! qu’elle s’en garde bien ! Il ne faut pas qu’elle s’amuse à se mieux mourir sans l’ordonnance de la médecine.»
- ↑ Esope* conte qu’un malade, étant interrogé par son médecin quelle opération il sentoit des médicaments qu’il lui avoit donnés : J’ai fort sué, répondit-il. — Cela est bon, dit le médecin. Une autre fois il lui demanda encore comment il s’était porté depuis : J’ai eu un froid extrême, fit-il, et ai si fort tremblé. — Cela est bon, reprit le médecin. À la troisième fois, il demanda derechef comment il se portit : Je me sens, dit-il, enfler et bouffir comme d’hydropisie. — Voilà qui va bien, ajouta le médecin. Venant après à s’enquérir à lui de son état : Certes, mon ami, répondit-il, à force de bien aller je me meurs**. — Molière avait déjà imité cette fable d’Ésope dans le Médecin volant. « Sentez-vous de grandes douleurs à la tête et aux reins ? dit Sganarelle à Lucile. — Oui, monsieur. — C’est fort bien fait, répond Sganarelle. » (Aimé Martin.)
*. Fable XLIII, Ægrotus et medicus.
**. Éssais de Montaigne, livre II, ch. XXXVII.
- ↑ Imitation du Médecin volant : « Ce grand médecin, au chapitre qu’il a fait de la nature des animaux, dit… cent belles choses ; et comme les humeurs qui ont de la connexité ont beaucoup de rapport (car, par exemple, comme la mélancolie est ennemie de la joie, et qu’il n’est rien de plus contraire à la santé de la maladie), nous pouvons dire avec ce grand homme que votre fille est fort malade. »
- ↑ Les quatre premiers mots de cette tirade prétendue latin sont des mots forgés qui n’appartiennent à aucune langue. Le reste est une citation estropiée de quelques lignes du rudiment de Despautere, et principalement de ce passage : « Deux sanctus, est-ne oratio latina ? Etiam. Quare ? Qui adjectivum et subtantivum concordant in gencre, numero, casu ». (Auger.)
- ↑ Il n’est pas besoin de remarquer que ossabandus et les mots qui suivent, ainsi qu’armyan et nasmus, qui se trouvent plus haut, n’appartiennent à aucune langue.
- ↑ C’était exactement la médecine du temps, qui ordonnait sans cesse des purgations ou des saignées de précaution. On voit, dans les Mémoires de Dangean, que Louis XIV prenait médecine chaque mois, pour la maladie à venir, comme dit Sganarelle. (Auger.)
- ↑ Dans Rabelais, Panurge, ayant consulté le médecin Rondibilis, « s’approcha de luy, et luy mist en main, sans mot dire, quatre nobles à la rose*. Rondibilis les print très bien, puis luy dist en effroi, comme indigné : Hé ! hé ! hé ! monsieur, il ne falloit rien. Grand mercy, toutesfois. De meschantes gens jamais je ne prends rien, rien jamais de gens de bien ne refuse. Je suis toujours à vostre commandement. En payant, dist Panurge. Cela s’entend, respondit Rondibilis. »
*. Chaque noble à la rose valait cent sous.
- ↑ Qui, répété disjonctivement, signifie celui-ci, celui-là.