Calmann-Lévy (p. 395-411).


XXXIV


À neuf heures, dans la cour de la petite maison, elle trouva M. Fusellier qui balayait sous la pluie, en fumant sa pipe. Madame Fusellier sortit de sa loge. Ils avaient tous deux l’air embarrassé. C’est Madame Fusellier qui parla la première :

M. Jacques n’est pas chez lui.

Et, comme Thérèse restait silencieuse, immobile, Fusellier s’approcha, avec son balai, cachant de la main gauche sa pipe derrière son dos :

M. Jacques n’est pas encore rentré.

— Je l’attendrai, dit Thérèse.

Madame Fusellier la conduisit dans le salon où elle alluma le feu. Et, comme le bois fumait et ne flambait pas, elle restait penchée, les deux mains sur les cuisses.

— C’est la pluie, dit-elle, qui rabat la fumée.

Madame Martin murmura que ce n’était pas la peine de faire du feu, qu’elle n’avait pas froid.

Elle se vit dans une glace.

Elle était blême, avec des plaques ardentes aux joues. Alors seulement elle sentit qu’elle avait les pieds glacés. Elle s’approcha du feu. Madame Fusellier, la voyant inquiète, chercha une bonne parole :

— M. Jacques ne tardera pas à rentrer. Que madame se chauffe en attendant.

Un jour triste tombait avec la pluie sur le plafond vitré. Le long des murs, la Dame à la licorne, le geste roide et la chair amortie, n’était plus belle parmi les cavaliers, dans la forêt pleine de fleurs et d’oiseaux. Thérèse se répétait ces mots : « Il n’est pas rentré. » Et, à force de les redire, elle en perdait le sens. Les yeux brûlants, elle regardait la porte.

Elle resta ainsi, sans mouvement, sans pensée, un temps dont elle ne savait pas la durée : peut-être une demi-heure. Un bruit de pas vint, la porte s’ouvrit. Il entra. Elle vit qu’il était trempé de pluie et de boue, brûlé de fièvre.

Elle arrêta sur lui un regard si sincère et si franc qu’il en fut frappé. Mais, presque aussitôt, il rappela du dedans de lui-même toute sa souffrance.

Il lui dit :

— Que me voulez-vous encore ? Vous m’avez fait tout le mal que vous pouviez me faire.

La fatigue lui donnait un air de douceur. Elle en fut effrayée.

— Jacques, écoutez-moi…

Il lui fit signe qu’il n’avait rien à entendre d’elle.

— Jacques, écoutez-moi. Je ne vous ai pas trompé. Oh ! non, je ne vous ai pas trompé. Est-ce que c’était possible ? Est-ce que…

Il l’interrompit :

— Ayez pitié de moi. Ne me faites plus de mal. Laissez-moi, je vous en supplie. Si vous saviez la nuit que j’ai passée, vous n’auriez pas le courage de me tourmenter encore.

Il se laissa tomber sur le divan où, six mois auparavant, il lui avait donné des baisers sous sa voilette.

Il avait marché toute la nuit, au hasard, remonté la Seine, jusqu’à la trouver bordée de saules et de peupliers. Pour ne pas trop souffrir, il avait imaginé des distractions. Sur le quai de Bercy, il avait regardé la lune courir dans les nuages. Pendant une heure il l’avait vue se voiler et reparaître. Puis il s’était mis à compter les fenêtres des maisons, avec un soin minutieux. La pluie avait commencé de tomber. Il était allé aux Halles, avait bu de l’eau-de-vie dans un cabaret. Une fille très grosse, qui louchait, lui avait dit : « T’as pas l’air heureux. » Il s’était assoupi sur la banquette de cuir. Ç’avait été un bon moment.

Les images de cette nuit douloureuse passaient dans ses yeux. Il dit :

— Je me suis rappelé la nuit de l’Arno. Vous m’avez gâté toute la joie et toute la beauté du monde.

Il la supplia de le laisser seul. Dans sa lassitude il avait une grande pitié de lui-même. Il aurait voulu dormir ; non pas mourir : la mort lui faisait horreur. Mais dormir et ne plus jamais se réveiller. Cependant il la voyait devant lui, tant désirée et aussi désirable qu’autrefois dans le trouble de son teint et malgré la fixité pénible de ses yeux secs. Et douteuse maintenant, plus mystérieuse que jamais. Il la voyait. Sa haine se ranimait avec sa souffrance. D’un regard mauvais, il cherchait sur elle le souvenir des caresses qu’il ne lui avait pas données.

Elle tendit vers lui les bras :

— Écoutez-moi, Jacques.

Il lui fit signe qu’il était inutile qu’elle parlât. Pourtant, il avait envie de l’entendre et déjà il écoutait avidement. Ce qu’elle allait dire, il le détestait et le rejetait d’avance, mais c’était tout ce qui l’intéressait au monde. Elle dit :

— Vous avez pu croire que je vous trahissais, que je ne vivais pas en vous seul et de vous seul. Mais vous ne comprenez donc rien ? Vous ne voyez donc pas que, si cet homme était mon amant, il n’aurait pas eu besoin de me parler au théâtre, dans cette loge ; il aurait eu mille autres moyens de me donner un rendez-vous. Oh ! non, mon ami, je vous assure bien que depuis que j’ai le bonheur, — aujourd’hui encore, désolée, torturée, je dis le bonheur — de vous connaître, j’ai été toute à vous. Est-ce que j’aurais pu être à un autre ? C’est monstrueux, ce que vous imaginez. Mais je t’aime, je t’aime ! Je n’aime que toi. Je n’ai jamais aimé que toi.

Il répondit lentement, avec une pesanteur cruelle :

— « Je serai tous les jours, à partir de trois heures, chez nous, rue Spontini. » Ce n’est pas un amant, votre amant qui vous disait cela ? Non ! C’était un étranger, un inconnu.

Elle se dressa debout, et, avec une gravité douloureuse :

— Oui, j’ai été à lui. Vous le saviez bien. Je l’avais nié, j’avais menti, pour ne pas vous affliger, pour ne pas vous irriter. Je vous voyais inquiet, ombrageux. Mais j’avais menti si peu et si mal ! Tu le savais. Ne me le reproche pas. Tu le savais, tu m’as parlé souvent du passé, et puis on t’a dit un jour au restaurant… et tu en imaginais plus qu’il n’y en avait jamais eu. En mentant, je ne t’ai pas trompé. Si tu savais le peu que c’était dans ma vie ! Voilà ! je ne te connaissais pas. Je ne savais pas que tu devais venir. Je m’ennuyais.

Elle se jeta à genoux :

— J’ai eu tort. Il fallait t’attendre. Mais, si tu savais à quel point cela n’existe plus, n’a jamais existé !

Et sa voix, modulant une plainte douce et chantante, dit :

— Pourquoi n’es-tu pas venu plus tôt ? Pourquoi ?

Elle se traîna jusqu’à lui, voulut lui prendre les mains, les genoux. Il la repoussa.

— J’étais stupide. Je ne croyais pas, je ne savais pas. Je ne voulais pas savoir.

Il se leva et, dans un éclat de haine :

— Je ne voulais pas, je ne voulais pas que ce fût celui-là.

Elle s’assit à la place qu’il avait quittée, et là, plaintive, à voix basse, elle expliqua le passé. Dans ce temps-là, elle était jetée, seule, dans un monde horriblement banal. Cela s’était fait, elle avait cédé. Mais tout de suite elle avait regretté. Oh ! s’il savait la tristesse morne de sa vie, il ne serait pas jaloux, il la plaindrait.

Elle secoua la tête, et, le regardant à travers les mèches défaites de ses cheveux :

— Mais je te parle d’une autre femme. Je n’ai rien de commun avec cette femme-là. Moi, je n’existe que depuis que je t’ai connu, depuis que j’ai été à toi.

Il s’était mis à marcher dans la chambre, d’un pas fou, comme tout à l’heure sur la berge de la Seine. Il éclata d’un rire douloureux :

— Oui, mais, pendant que tu m’aimais, l’autre femme, celle qui n’était pas toi ?

Elle le regarda, indignée :

— Tu peux croire…

— Vous ne l’avez pas revu à Florence, vous ne l’avez pas reconduit à la gare ?

Elle lui dit comment il était venu la retrouver en Italie, qu’elle l’avait vu, qu’elle avait rompu, qu’il était parti irrité et que, depuis, il cherchait à la reprendre, mais qu’elle n’y avait pas même fait attention.

— Mon ami, je ne vois, je ne sais que toi au monde.

Il secoua la tête.

— Je ne te crois pas.

Elle se révolta :

— Je vous ai tout dit. Accusez-moi, condamnez-moi, mais ne m’offensez pas dans mon amour pour vous. Cela, je vous le défends.

Il secoua la tête :

— Laissez-moi. Vous m’avez fait trop de mal. Je vous ai tant aimée que toutes les douleurs que vous auriez pu me donner, je les prendrais, je les garderais, je les aimerais ; mais celle-là est hideuse. Je la hais. Laissez-moi, je souffre trop. Adieu.

Droite, ses petits pieds fixés au tapis :

— Je suis venue. C’est mon bonheur, c’est ma vie que je dispute. Je suis âpre, vous le savez. Je ne m’en irai pas.

Et elle redit tout ce qu’elle avait dit. Violente et sincère, sûre d’elle, elle expliqua comment elle avait rompu le lien déjà si lâche et qui l’impatientait ; comment, du jour où elle s’était donnée dans le pavillon de la via Alfieri, elle n’avait été qu’à lui, sans regrets, certes, sans un regard, sans une pensée égarés. Mais, en lui parlant d’un autre, elle l’irritait. Et il lui criait :

— Je ne vous crois pas !

Alors elle recommença de dire ce qu’elle avait dit.

Et tout à coup, d’instinct, elle regarda sa montre :

— Mon Dieu ! il est midi.

Elle avait jeté bien des fois le même cri d’alarme, quand l’heure des adieux venait les surprendre. Et Jacques tressaillit en entendant cette parole familière, si douloureuse, cette fois, et désespérée. Quelques minutes encore elle répandit des paroles ardentes et mouillées de larmes. Puis il fallut bien qu’elle s’en allât ; elle n’avait rien gagné.


Chez elle, elle trouva dans l’antichambre les Dames de la halle qui l’attendaient pour lui offrir un bouquet. Elle se rappela que son mari était ministre. Il y avait pour elle des paquets de télégrammes, de cartes et de lettres, des félicitations, des demandes. Madame Marmet lui écrivait pour la prier de recommander son neveu au général Larivière.

Elle entra dans la salle à manger, et tomba accablée sur une chaise. M. Martin-Bellème achevait de déjeuner. Il était attendu en même temps au conseil de cabinet et chez le ministre démissionnaire des finances à qui il devait une visite. Déjà l’obséquiosité prudente du personnel l’avait flatté, inquiété, lassé.

— N’oubliez pas, chère amie, dit-il, d’aller voir madame Berthier d’Eyzelles. Vous savez qu’elle est susceptible.

Elle ne répondit pas. Tandis qu’il trempait dans le bol de verre ses doigts jaunes, il leva la tête et la vit si lasse et si défaite qu’il n’osa plus rien dire.

Il se trouvait devant un secret qu’il ne voulait pas connaître, devant une douleur intime qu’un seul mot pouvait faire éclater. Il en ressentit de l’inquiétude, de la peur et comme une sorte de respect.

Il jeta sa serviette :

— Excusez-moi, chère amie.

Et il sortit.

Elle essaya de manger. Elle ne put rien avaler. Tout lui donnait un dégoût insurmontable.

Vers deux heures elle revint à la petite maison des Ternes. Elle trouva Jacques dans sa chambre. Il fumait une pipe de bois. Une tasse de café, presque vide, était sur la table. Il la regarda avec une dureté dont elle fut glacée. Elle n’osait pas parler, sentant que tout ce qu’elle pourrait dire l’offenserait et l’irriterait, et que, discrète et muette, seulement en se montrant, elle ranimait sa colère. Il savait qu’elle reviendrait ; il l’avait attendue avec l’impatience de la haine, d’un cœur aussi anxieux qu’il l’attendait naguère dans le pavillon de la via Alfieri. Elle eut une lueur soudaine et elle vit qu’elle avait eu tort de venir ; qu’absente, il l’aurait désirée, voulue, appelée, peut-être. Mais il était trop tard ; et, d’ailleurs, elle ne cherchait pas à être habile.

Elle lui dit :

— Vous voyez. Je suis revenue, je n’ai pas pu faire autrement. Et puis, c’était tout naturel, puisque je t’aime. Et tu le sais.

Elle l’avait bien senti, que tout ce qu’elle pourrait dire ne ferait que l’irriter. Il lui demanda si elle en disait autant rue Spontini.

Elle le regarda avec une tristesse profonde :

— Jacques, vous me l’avez dit plusieurs fois, que vous me gardiez un fonds de haine et de colère. Vous aimez à me faire souffrir. Je le vois bien.

Avec une ardente patience, longuement, elle lui redit sa vie entière, le peu qu’elle y avait mis, les tristesses du passé, et comment, depuis qu’il l’avait prise, elle ne vivait que par lui, en lui.

Les paroles coulaient limpides comme son regard. Elle s’était assise près de lui. Elle l’effleurait par moment de ses doigts devenus timides et de son souffle trop chaud. Il l’écoutait avec une avidité mauvaise. Cruel envers lui-même, il voulut tout savoir : les derniers rendez-vous avec l’autre, la rupture. Elle lui rapporta fidèlement ce qui s’était passé à l’hôtel d’Angleterre ; mais elle transporta la scène dehors, dans une allée des Casiene, de peur que l’image de leur triste entretien dans une chambre close n’irritât encore son ami. Puis elle expliqua le rendez-vous à la gare. Elle n’avait pas voulu désespérer un homme violent et qui souffrait. Depuis, elle n’avait pas eu de nouvelles de lui, jusqu’au jour où il lui avait parlé avenue Mac-Mahon. Elle répéta ce qu’il avait dit sous l’arbre de Judée. Le surlendemain, elle l’avait vu à l’Opéra, dans sa loge. Certes, elle ne l’avait pas encouragé à venir. C’était la vérité.

C’était la vérité. Mais le poison ancien, lentement amassé en lui, le brûlait. Le passé, l’irréparable passé, elle le lui rendait présent par ses aveux. Il en voyait des images qui le torturaient.

Il lui dit :

— Je ne vous crois pas.

Et il ajouta :

— Et, si je vous croyais, je ne pourrais plus vous revoir, à la seule idée que vous avez été à cet homme. Je vous l’ai dit, je vous l’ai écrit, — vous vous rappelez, à Dinard. — Je ne voulais pas que ce fût celui-là. Et depuis…

Il s’arrêta. Elle dit :

— Vous savez bien que, depuis, il n’y a rien eu.

Il reprit avec une sourde violence :

— Depuis, je l’ai vu.

Ils restèrent longtemps silencieux. Enfin elle dit, étonnée et plaintive :

— Mais, mon ami, vous deviez pourtant bien penser que telle que je suis, mariée comme je l’étais… On voit tous les jours des femmes apporter à leur amant un passé plus lourd que le mien et se faire aimer, pourtant. Ah ! mon passé, si vous pouviez savoir le peu que c’était !

— Je sais ce que vous donnez. On ne peut pas vous pardonner, à vous, ce qu’on pardonnerait à une autre.

— Mais, mon ami, je suis comme les autres.

— Non, vous n’êtes pas comme les autres. À vous, on ne peut rien pardonner.

Il parlait la bouche serrée, les dents haineuses. Ses yeux, ces yeux qu’elle avait vus si grands, chargés de flammes douces, maintenant secs, durs, rétrécis entre les paupières plissées, lui jetaient un regard nouveau. Il lui fit peur.

Elle alla se mettre au fond de la chambre, sur une chaise, et là, le cœur gros, les prunelles étonnées, comme un enfant, elle resta longtemps tremblante, étouffée de sanglots. Puis elle se mit à pleurer.

Il soupira :

— Pourquoi vous ai-je connue ?

Elle répondit dans ses larmes :

— Moi, je ne regrette pas de vous avoir connu. J’en meurs, et je ne regrette pas. J’ai aimé.

Il s’entêta méchamment à la faire souffrir. Il se sentait odieux et ne pouvait s’arrêter.

— C’est possible, après tout, que, moi aussi, vous m’ayez aimé.

Elle, avec une douce amertume :

— Mais je n’ai aimé que vous. Je vous ai trop aimé. Et c’est de cela que vous me punissez… Oh ! vous pouvez penser que j’étais avec un autre ce que j’ai été avec vous !

— Pourquoi pas ?

Elle le regarda sans force, sans courage :

— C’est vrai, que vous ne me croyez pas, dites ?

Elle ajouta très doucement :

— Si je me tuais, me croiriez-vous ?

— Non, je ne vous croirais pas.

Elle s’essuya les joues avec son mouchoir ; puis, levant ses yeux qui brillaient à travers ses larmes :

— Alors, c’est fini !

Elle se leva, revit dans la chambre les mille choses avec lesquelles elle avait vécu dans une intimité riante et voluptueuse, qu’elle faisait siennes, et qui tout à coup ne lui étaient plus de rien, et qui la regardaient comme une étrangère et comme une ennemie : elle revit la femme nue, qui faisait en courant le geste qu’on ne lui avait pas expliqué ; les médailles florentines, qui lui rappelaient Fiesole et les heures enchantées de l’Italie ; le profil ébauché par Dechartre, cette tête de gamine, qui riait dans sa jolie maigreur souffrante. Elle s’arrêta un moment, avec sympathie, devant cette petite marchande de journaux qui, elle aussi, était venue là et qui avait disparu, emportée dans l’immensité effrayante de la vie et des choses.

Elle répéta :

— Alors, c’est fini ?

Il se tut.

Le crépuscule effaçait déjà les formes.

Elle dit :

— Qu’est-ce que je vais devenir ?

Il répondit :

— Et moi, que deviendrai-je ?

Ils se regardèrent avec pitié, parce que chacun avait pitié de soi-même.

Thérèse dit encore :

— Et moi qui craignais de vieillir, pour vous, pour moi, pour que notre bel amour ne finît pas ! Il valait mieux ne pas naître. Oui, ce serait meilleur que je ne fusse pas née. Quel pressentiment avais-je donc quand, toute petite, sous les tilleuls de Joinville, près de la Couronne, devant les nymphes de marbre, je voulais mourir ?

Les bras tombants et les mains jointes, elle leva les yeux ; son regard mouillé jeta dans l’ombre une lueur.

— Et il n’y a pas moyen de vous faire sentir que ce que je vous dis est vrai, que jamais, depuis que je suis à vous, jamais… Mais comment aurais-je pu ? L’idée seule m’en paraît horrible, absurde. Vous me connaissez donc si peu ?

Il secoua la tête tristement :

— Non ! je ne vous connais pas.

Elle interrogea encore une fois d’un regard toutes les choses qui, dans la chambre, les avaient vus s’aimer.

— Mais alors, ce que nous avons été l’un pour l’autre… c’était vain, c’était inutile. On se brise l’un contre l’autre, on ne se mêle pas !

Elle se révolta. Ce n’était pas possible qu’il ne sentît pas ce qu’il était pour elle.

Et, dans l’ardeur de son amour déchiré, elle se jeta sur lui, l’enveloppa de baisers, de larmes, de cris, de morsures.

Il oublia tout, la prit endolorie, brisée, heureuse, la pressa dans ses bras avec la rage morne du désir. Déjà, la tête renversée au bord de l’oreiller, elle souriait dans les larmes. Brusquement il s’arracha d’elle.

— Je ne vous vois plus seule. Je vois l’autre avec vous, toujours.

Elle le regarda, muette, indignée, désespérée. Elle se leva, rajusta sa robe et ses cheveux, avec un sentiment inconnu de honte. Puis, sentant que tout était fini, elle promena autour d’elle le regard étonné de ses yeux qui ne voyaient plus, et sortit lentement.

fin