Le Loup, et le Chien maigre


Fables choisies, mises en versDenys Thierry et Claude BarbinQuatrième partie : livres ix, x, xi (p. 47-49).

X.

Le Loup, & le Chien maigre



Autrefois Carpillon fretin,
Eut beau prêcher, il eut beau dire ;
On le mit dans la poëſle à frire.
Je fis voir que lâcher ce qu’on a dans la main

Sous eſpoir de groſſe avanture,
Eſt imprudence toute pure.
Le Pêcheur eut raiſon ; Carpillon n’eut pas tort.
Chacun dit ce qu’il peut pour défendre ſa vie.
Maintenant il faut que j’appuye
Ce que j’avançay lors, de quelque trait encor.
Certain Loup auſſi ſot que le pêcheur fut ſage,
Trouvant un Chien hors du village,
S’en alloit l’emporter ; le Chien repreſenta
Sa maigreur. Jà ne plaiſe à voſtre ſeigneurie,
De me prendre en cet eſtat-là,
Attendez, mon maiſtre marie
Sa fille unique ; Et vous jugez
Qu’eſtant de nopce il faut mal-gré moy que j’engraiſſe.

Le Loup le croit, le Loup le laiſſe ;
Le Loup quelques jours écoulez
Revient voir ſi ſon Chien n’eſt point meilleur à prendre.
Mais le drôle eſtoit au logis.
Il dit au Loup par un treillis :
Amy, je vais ſortir ; Et, ſi tu veux attendre,
Le portier du logis & moy
Nous ſerons tout à l’heure à toy.
Ce portier du logis eſtoit un Chien énorme,
Expediant les Loups en forme.
Celui-cy s’en douta. Serviteur au portier,
Dit-il, & de courir. Il eſtoit fort agile ;
Mais il n’eſtoit pas habile :
Ce Loup ne ſçavoit pas encor bien ſon métier.