XIX.

Enivré d’espoir et plein de reconnaissance pour son talisman, Edgar l’employait à deviner les vœux, les désirs de Valentine, et à les accomplir avant qu’elle eût pensé à les exprimer.

Si l’on proposait une partie de plaisir qu’il savait devoir l’ennuyer, et qu’elle aurait acceptée par complaisance, il en rejetait l’idée avec empressement. Le spectacle où elle devait s’amuser était toujours celui où il offrait d’aller ; et madame de Champléry s’étonnait à tous les instants de la conformité de leurs goûts.

Il arrivait souvent à Valentine de refuser par délicatesse un plaisir qu’on lui offrait, et dont elle craignait de priver quelqu’un. Un jour qu’elle persistait à refuser une place à l’Opéra dans la loge de madame de Fontvenel, Edgar s’amusa à l’observer pour connaître la cause de son obstination.

— Non, merci mille fois, disait-elle, vous savez que je déteste les premières représentations ; la musique est, en général, mal exécutée ; les acteurs ne savent pas leurs rôles ; et puis il y a toujours deux intérêts, celui de la pièce, et celui du succès, et moi, je n’en sais suivre qu’un à la fois : j’ai l’esprit très-exclusif.

— C’est toujours cela, dit Edgar.

Et il se mit à rire de la pensée de Valentine, qui était : « Je ne veux pas accepter cette place : on me forcerait à me mettre sur le devant de la loge, madame de Fontvenel ne verrait rien et se gênerait pour moi… C’est dommage pourtant ! j’aurais aimé à voir le Philtre et à entendre cette musique que l’on dit si jolie. »

Edgar sortit aussitôt ; il courut à l’Opéra. À force de peine, il parvint à se faire louer une loge déjà promise, et le lendemain Valentine reçut de madame de Monbert le billet suivant :

« Mon neveu m’apporte une loge à l’Opéra, pour la première représentation du Philtre, en me disant que vous avez envie d’y aller. Il sait me flatter en me donnant l’occasion de vous faire plaisir. Cependant croyez, chère Valentine, que je ne suis pas aussi vieille tante que je veux bien le paraître, ou plutôt je trouve que je ne le suis pas encore assez. »

Ce billet embrouillé à dessein fit rêver Valentine. Le soir, en voyant Edgar à l’Opéra, elle éprouva un de ces accès d’embarras qui la rendaient si malheureuse. M. de Lorville se plut à y ajouter.

— Vous voyez, dit-il, que j’aime à punir la mauvaise foi, même quand un bon sentiment l’inspire : ainsi prenez garde à vous.

Madame de Champléry, déconcertée, ne lui répondit que par un sourire. Le moyen de se fâcher contre la malice qui cherche à plaire ?

Une autre fois, M. de Lorville exauçait les vœux de Valentine sans qu’elle les eût indiqués par rien, pas même en exprimant le contraire.

Elle venait d’admirer les nouveaux tableaux qui ornent le Musée cette année, et se rappelant une des charmantes vues de Naples, peintes par Smargiassi, elle se promettait d’acquérir ce tableau, dont le prix encore modeste l’autorisait dans ce caprice. « Les tableaux de Smargiassi, pensait-elle, vaudront le double dans deux ans, et les acheter dans ce moment, c’est, en vérité, faire une bonne affaire. »

C’est ainsi qu’une femme raisonnable trouve toujours un prétexte sensé pour se permettre une fantaisie. Comme elle songeait à ce projet, sa calèche fut arrêtée au coin d’une rue par un embarras de voitures ; elle leva la tête et aperçut à quelque distance un jeune homme qui la lorgnait : c’était M. de Lorville ; et le lendemain, quand Valentine revint de la messe, elle fut bien surprise de trouver, en rentrant chez elle, le tableau qu’elle avait tant admiré la veille et dont elle rêvait l’acquisition.

— Qui donc a envoyé ce tableau ? demanda-t-elle aussitôt.

— Madame, c’est un commissionnaire qui l’a apporté, sans dire de quelle part.

— Il n’avait point de lettre ?

— Non, madame, seulement il m’a remis ce papier où se trouve l’adresse de madame, pour prouver qu’il ne se trompait pas.

Valentine lut cette adresse ; l’écriture en était élégante, mais elle lui était inconnue. Elle resta longtemps immobile devant ce beau paysage, qui lui rappelait un des sites de l’Italie qu’elle préférait ; puis elle se mit à réfléchir, à rêver, et à se demander comment il était là. M. de Fontvenel la surprit dans cette contemplation.

— Que vous avez eu raison d’acheter ce paysage, dit-il ; je l’ai remarqué comme vous, il est enchanteur !

— N’est-ce pas, repartit Valentine avec distraction. Mais, faisant un effort sur elle-même et lui montrant l’adresse qu’elle tenait : — Dites-moi, connaissez-vous cette écriture ?

— Oui sans doute : c’est celle d’Edgar. Pourquoi rougir ainsi ? C’est donc lui qui vous a envoyé ce tableau ?

— Je ne sais, reprit Valentine avec embarras : ce tableau me plaisait extrêmement ; j’avais le projet de l’acheter, mais je n’en ai encore parlé à personne, et je ne puis concevoir…

— Ah ! vous connaissez bien Edgar ! interrompit M. de Fontvenel ; il aura deviné tout cela : c’est un homme étonnant ! Savez-vous ce qu’il a fait pour moi ?

— Non.

Alors M. de Fontvenel raconta comment Edgar lui avait donné les cinquante mille francs qu’il venait lui emprunter, avant qu’il eût eu le temps d’en faire la demande.

— Je m’étais expliqué cette singulière aventure, continua-t-il, en pensant qu’Edgar été prévenu de mon inquiétude par mon vieux valet de chambre, qui, me voyant au désespoir, serait allé à mon insu demander secours à mon ami, en le priant de cacher cette démarche. Tout cela me paraissait naturel ; mais je vois depuis quelque temps ce phénomène de pénétration se renouveler si souvent, que je me perds dans mes conjectures. Il faut, en vérité, que ce rusé Lorville ait un talisman ou des espions dans tout Paris, pour savoir ainsi ce qu’on y pense… Y a-t-il longtemps que vous ne l’avez vu ?

— Je l’ai rencontré hier, répondit Valentine ; peut-être était-il comme nous au Salon, et a-t-il remarqué à quel point j’admirais ce tableau.

— N’importe, reprit M. de Fontvenel, vous ne m’ôterez pas de l’idée que ceci cache quelque chose d’extraordinaire.

— Mais j’ai des scrupules, je l’avoue, dit madame de Champléry ; bien que M. de Lorville soit le fils d’un ami de ma mère, je ne le connais pas assez peut-être pour accepter…

— Ah ! gardez-vous d’attacher de l’importance à une chose si simple… et ne l’affligez pas par un refus, il en serait si malheureux !

Vous croyez ? dit Valentine en souriant.