Le Lord des îles/Gosselin, 1824/Texte entier

Traduction par M. A. P.
Gosselin.


ŒUVRES
COMPLÈTES
DE WALTER SCOTT.



ROMANS POÉTIQUES.


TOME QUATRIÈME.


IMPRIMERIE DE LACHEVARDIERE,
SUCCESSEUR DE CELLOT,
rue du Colombier, n° 30.


LE
LORD DES ILES,
ROMAN POÉTIQUE,
par SIR WALTER SCOTT.


TRADUIT DE L’ANGLAIS
par M. A. P.,
TRADUCTEUR DES OEUVRES DE LORD BYRON.



PARIS,
LIBRAIRIE DE CHARLES GOSSELIN,
RUE DE SEINE, N° 12 ;
LADVOCAT, LIBRAIRE,
PALAIS-ROYAL, N° 195.
1824.


AVERTISSEMENT


La scène de ce poëme est d’abord au château d’Artornish, sur les côtes du comté d’Argyle ; ensuite dans les îles de Skye et d’Arran, sur la côte du comté d’Ayr ; et, enfin, près de Stirling.

L’action commence au printemps de l’année 1307, époque où Bruce, qui avoit été chassé de l’Écosse par les Anglais, revient de l’île de Rachrin pour réclamer ses droits. La plupart des personnages et des incidens sont historiques ; les autorités de l’auteur sont surtout lord Hailes, qu’on pourroit appeler le restaurateur de l’histoire écossaise, comme Bruce le fut de la monarchie ; et l’archidiacre Barbour, à qui l’on doit l’histoire en vers de Robert Bruce.

Abbotsford, 10 décembre 1814.


LE
LORD DES ILES


CHANT I.


L’automne fuit ; mais son manteau de feuillage repose encore sur les bosquets du noble Sommerville : un voile de pourpre parsemé d’or se déploie sur la Tweed et sur les ruisseaux tributaires de son onde. La voix de l’aquilon, celle du torrent retentissent au loin ; cependant on saisit encore quelques sons mourans de l’harmonie des forêts : C’est le ramier qui soupire, c’est l’aigre cri du rouge-gorge. Le soleil, en se couchant derrière les montagnes boisées d’Étrick, nous offre en- core quelques teintes des riches couleurs de l’été.

L’automne a fui ; les chants rustiques des plaines de Gala ne viennent plus réjouir nos rivages. Les chœurs joyeux ne se mêlent plus au murmure des ruisseaux et à la brise légère. Les dernières acclamations viennent de finir. Le chariot bruyant repose sous un toit de chaume. Tout est silencieux sur le coteau désert : on ne voit plus que quelques vieillards courbés sous le poids des années, qui, suivant de loin le cortège de l’automne vont çà et là glanant les épis oubliés.

Vous à qui ces tableaux moins brillans offrent encore des charmes, aimez-vous à parcourir les domaines flétris de l’automne ; aimez-vous à voir la bruyère desséchée sur la colline, à écouter l’harmonie expirante des bois ? Aimez-vous à voir la feuille rougir et se faner sur sa tige, aimez-vous à admirer les derniers feux du soleil sur la cime des monts, à suivre des yeux le glaneur dans les champs déserts, et à moraliser sur les plaisirs et les peines de la vie ? Ah ! si vous aimez de pareilles scènes, ne dédaignez pas le chant du ménestrel.

Non, ne le dédaignez point. Je l’avoue, les roucoulements du ramier sont préférables à ces accords sans art ; les beautés de ses chants sont plus pâles que la teinte douteuse du soleil couchant sur un ciel nébuleux d’automne, et plus rares que ces feuilles desséchées qui frémissent au souffle des vents, lorsque novembre a fait résonner son cor ; mais ne méprisez pas ses travaux : glaneur solitaire, il parcourt des champs où des bardes plus heureux ont cueilli jadis d’abondantes moissons.

Vous n’entendrez pas sans intérêt une simple histoire des jours de gloire d’Albyn. Dans ces contrées éloignées que méprise l’habitant du Sud, il reste encore quelques fragmens de l’ancien récit. Quand les derniers rayons du soleil pâlissent derrière les sommets de Coolin, ces antiques traditions servent au prophète de Skye à abréger les heures du soir. On les connoît aussi dans les déserts de Reay, à Harries et dans les temples d’Ionie, où reposent les nobles chefs des Iles.

I.

— Éveille-toi, fille de Lorn ! chantoient les ménestrels ; et ces accens retentissoient sous tes antiques salles, ô Artornish ! La mer qui baigne tes murs ne poussoit plus sur le rivage que des vagues paisibles, comme pour marier son harmonie à ces concerts ; les vents se taisoient sur les sommets d’Inninmore et dans les bosquets du rivage de Loch-Alline, comme si les bois et les vagues eussent aimé à écouter les bardes. Jamais l’écho des montagnes ne répéta des accords aussi doux. L’Écosse, les îles de Ross, d’Arran, d’Hay et d’Argyle avaient réuni leurs ménestrels pour célébrer ce jour de fête. Honte éternelle au barde qui ne répondit point à l’appel de ce jour, insensible à l’espérance de la gloire et du sourire des dames, le plus noble but de ses vers ! Honte éternelle au barde qui resta muet dans le château d’Artornish !

II.

Éveille-toi, fille de Lorn ! répétoient les ménestrels : éveille-toi ! c’est à nous qu’il appartient de bannir le sommeil de la couche de la beauté : tout reconnoît notre pouvoir ; les airs, la terre, l’Océan. Dans Lettermore, le cerf timide s’arrête pour entendre le son de nos harpes ; le veau marinnote de Heiskar suit la barque qui porte le ménestrel ; on a vu l’aigle orgueilleux l’écouter du haut d’un nuage sur le Ben-Cailliach. Que la jeune fiancée daigne se montrer sensible à nos chants ! Édith de Lorn, éveille-toi au son de nos harpes !

III.

— Éveille-toi ! la campagne est couverte des perles de l’aurore. La nature offre des charmes dignes de le disputer aux tiens. Elle excite la grive à faire entendre ses chants pour lutter contre la douceur de ta voix. L’éclat dont elle orna la violette rivalise avec l’azur de tes beaux yeux. O Édith ! éveille-toi, et nous verrons alors si tout ce qu’il y a de touchant et de beau dans la nature ne s’efface pas devant tes charmes.

— Elle ne paroît point, s’écrie le vieux Ferrand ; amis, essayons un mode plus tendre, une mélodie plus douce, qui se marie mieux aux songes de la beauté, et réveille dans son cœur l’espérance qu’elle cherche et qu’elle craint d’avouer. Il dit, et des sons plus doux et plus tendres s’échappent des cordes de la harpe. C’est un chant d’amour que Ferrand ordonna de commencer.

IV.

— Éveille-toi, fille de Lorn ! elles s’enfuient ces heures où l’on peut te donner encore le nom de vierge ; éveille-toi ! éveille-toi ! La voici cette heure où l’amour va recevoir tes sermens et ta foi. Par cette pudeur qui soulève ton sein, par l’espérance qui charmera bientôt tes craintes, brise les liens du sommeil, réveille-toi à l’appel de l’amour.

— Éveille-toi, Édith, éveille-toi. Je vois près du rivage des barques couvertes de pavillons, le joyeux Pibroc se fait entendre ; des banderoles de soie se déroulent dans l’air. Quel est celui dont le Pibroc chante des louanges ? à quel preux appartient ce cimier tissu sur ces bannières ? le ménestrel n’ose le dire : c’est à l’amour de deviner cette devise.

V.

Retirée au milieu de ses suivantes, Édith avoit entendu ces chants, mais son indifférence eût humilié le ménestrel qui en auroit été le témoin ; ses joues ne brillèrent point de cette rougeur que la flatterie fait naître ; les plus tendres accords ne purent lui arracher un soupir. C’étoit vainement que les suivantes avaient disputé d’adresse pour parer cette jeune fiancée. Cathleen d’Ulne, c’est toi qui tressas ses longs cheveux noirs ; la jeune Éva, en se baissant avec grâce, chaussoit ses pieds légers de la mule de soie, pendant que la belle Bertha en entouroit les contours gracieux d’un rang de perles du Lochryan qui leur cédoient en blancheur. Mais c’étoit Einion qui, plus âgée et plus habile, avoit rempli la tâche de fixer avec art son manteau, afin qu’il dessinât les formes qu’il sembloit cacher ; les franges d’or qui bordoient ses larges plis de pourpre descendoient jusqu’à terre.

VI.

Existe-t-il une jeune fille qui, parée de tous les atours, dans tout l’éclat de ses charmes, à l’approche du triomphe de l’amour, à l’heure de l’hymen, soit assez indifférente pour voir la glace fidèle répéter son image sans trahir par la moindre altération de ses traits la secrète satisfaction de son cœur !… Tout ce que le ménestrel peut dire, c’est qu’il en fut une dans l’île de la Bretagne le jour où la belle Édith de Lorn ne daigna pas sourire à la pensée de son hymen.

VII.

Morag, à qui le baron de Lorn avoit confié le soin de nourrir Édith, et qui voyoit sa tendresse payée par le retour d’une tendresse filiale (car ce lien, le plus doux de tous, fut toujours sacré dans l’Écosse) ; Morag, déjà courbée par l’âge, se tenoit à l’écart, et cherchoit à lire dans les traits d’Édith ce qui se passoit dans son cœur. En vain les suivantes réclamèrent l’adresse et le zèle de la bonne nourrice, Morag s’aperçut bien que sa fille étoit indifférente à ces soins comme la belle statue d’une sainte que les vierges du cloître parent à l’envi ; elle reconnut que le cœur d’Édith ne prenoit aucun plaisir à toute cette pompe ; elle l’observa encore quelque temps, puis la serrant sur son sein quand elle fut revêtue du manteau nuptial, elle la conduisit dans une tour solitaire dont le faîte crénelé s’élance dans la nue, et domine, ô sombre Mullnote ! ce détroit profond où des courans contraires mêlent leurs voix mugissantes et séparent tes noires collines du rivage de Morven.

VIII.

— Ma fille, dit-elle, regarde cette mer qui baigne le rivage de deux cents îlesnote, depuis Hirt, situé plus au nord, jusqu’au rivage fertile de la verdoyante Ilay ; tourne les yeux sur le continent où tant de tours féodales reconnoissent ton vaillant frère pour seigneur suzerain, depuis Mingarry, dont le château s’élève au-dessus des flots et des forêts, jusqu’à Dunstaffnage, qui entend le Connal furieux lutter contre des rochers. Dans toute l’étendue de ces domaines, ton front seul exprime la tristesse, le jour où la fille du noble baron de Lorn donne sa main à l’héritier du puissant Somerlednote, à ce généreux Ronald, issu d’une race de héros, le beau, le vaillant, le noble lord des Îles, dont mille bardes ont célébré le nom, qui est l’égal des rois, et qui traite de pair avec l’orgueilleux Anglais. Dans le château des grands, dans la chaumière des pauvres, chacun parle de cette heureuse alliance et s’en réjouit. La jeune fille se pare de ses habits de fête, le pâtre allume des feux de joie ; c’est pour célébrer ce grand jour que le cor de chasse a retenti, que la cloche a tinté dès le matin. Le saint ministre des autels chante l’hymne de reconnoissance ; il n’est de serf si obscur qui, dans son humble retraite, n’oublie ses chagrins, et, libre du travail journalier, ne veuille prendre part aux plaisirs de ce grand jour. Édith seule, la reine de cette fête, Édith est triste quand tous se livrent à la joie.

IX.

A ces paroles, le regard d’Édith s’anime, son dépit étouffe un soupir prêt à s’échapper, et sa main essuie avec précipitation la larme brûlante d’un orgueil offensé.

— Laisse-moi, Morag, va prodiguer les louanges à ces harpistes mercenaires ; vante à ces jeunes filles la pompe et la grandeur. Qu’elles passent des heures à parler des bannières qui se déploient, du cor et de l’airain qui résonnent, des robes brillantes, des riches bijoux ; mais toi, Morag, qui me connois, penses-tu que tous ces frivoles objets puissent toucher un cœur qui sait aimer et qui attend vainement un tendre retour ? Non, jamais. Tu auras exprimé en peu de mots tout le malheur d’Édith en disant : Elle n’est point aimée.

X.

— Ne me le conteste pas. Trop long-temps j’ai essayé d’appeler du nom d’amour ses égards et son respect étudié ; séduite par l’alliance qui me permet de me croire l’épouse destinée à Ronald depuis sa plus tendre enfance ; pendant que son bras combattoit pour l’Écosse, mon cœur battoit en entendant prononcer son nom, lorsqu’il se trouvoit mêlé aux récits de sa gloire comme un doux parfum au vent d’été. Quel pèlerin entra jamais dans ce château sans raconter quelque haut fait du brave Ronald ? quel ménestrel chanta les héros sur sa harpe, sans célébrer ses vertus ? Et toi-même, Morag, tu ne racontois jamais rien de glorieux sans terminer ton récit par le nom de Ronald. Il vint… tout ce que j’avois ouï de ses hautes qualités me sembla bien au-dessous d’elles. La renommée avoit été froide, timide, injuste pour Ronald et pour moi.

XI.

Depuis lors, quelle pensée Édith a-t-elle jamais conçue qui ne fût une pensée d’amour, et quelle a été ma récompense ? De froids délais, des prétextes sans cesse renouvelés pour différer le jour de notre hymen ! Il luit enfin ce jour, et Ronald n’est pas ici ! Chasse-t-il le cerf agile de Bentalla, ou adresse-t-il dans quelque asile solitaire de tendres adieux à une beauté crédule, lui jurant que, s’il ne peut refuser la main de la sœur de Lornnote, il viendra la revoir pour ne plus la quitter après la vaine cérémonie de l’hymen ?

XII.

Cesse de tels discours, ma fille : loin de toi ces soupçons injurieux, et pense plus noblement de l’amour de Ronald. Tourne les yeux vers cet antique château, et regarde la flotte qui sort de la baie d’Arros. Vois le mât de chaque galère fléchir sous sa voile qui se déploie, et nous dérobe le rivage bleuâtre comme les blanches nuées d’avril cachent l’azur de l’horizon.

Regarde la première de toutes, dont le mât plie sous le souffle de la brise ; elle semble incliner sa bannière pour saluer de loin la fiancée de son prince. Ton époux arrive, et tandis que sa galère, plus rapide que l’ardent coursier, vole sur les flots, il accuse encore la lenteur de sa marche. — La belle Édith rougit, soupira, et répondit avec un sourire mélé de tristesse :

XIII.

— Pensée flatteuse, mais vaine !… Non, Morag, remarque un emblème plus vrai de son empressement, dans cette barque isolée qui, serrant sa voile et son gouvernail, lutte contre le vent. Dès la pointe du jour, nos yeux inquiets ont cherché à connoître la route qu’elle voudroit suivre. Les promesses de l’aurore l’ont trompée ; notre rade-offre aux gens de l’équipage un asile contre les vents contraires ; cependant ils redoublent d’efforts pour ployer leur voile bruyante, et cherchent à gagner la haute mer comme s’ils craignoient Artornish plus que le vent et les écueils.

XIV.

La jeune fiancée avoit dit vrai. Cette barque qu’elle voyoit sur la mer luttoit contre les flots, et, le flanc penché sur l’onde, erroit de rivage en rivage. Un ménestrel auroit pu comparer l’étendue du chemin qu’elle avoit parcouru à l’espace que sillonne en un jour le pauvre laboureur. Tels étaient les dangers qu’affrontoit le pilote, qu’avant d’avoir viré de bord, le mât de beaupré touchoit souvent les vagues soulevées que la mer poussoit avec violence sur les grèves ; mais l’équipage infatigable manœuvroit sans relâche pour suivre la route qu’il s’étoit tracée, au lieu de se diriger vers le château d’Artornish, ou de gagner la baie d’Arros.

XV.

Cependant la flotte de lord Ronald s’avançoit, secondée par un vent favorable, Des banderoles de soie tissues d’or flottoient sur tous les mâts. Elle portoit les plus nobles et les plus vaillans chevaliers des Iles. . La mer gronde et bouillonne autour de leur galère, et s’indigne des coups répétés de la rame. Ainsi frémit l’orgueilleux coursier, lorsqu’au jour du combat il bondit sous un vaillant chevalier et mord le frein blanchi de son écume ; mais, dompté dans son courroux, il obéit à la main qui le guide.

On voyoit sur tous les tillacs étinceler l’acier des lances, les casques d’or, les cottes de mailles et les écharpes brodées. La flotte entra dans le port au milieu du frémissement des vents, et fit entendre une harmonie plus sauvage encore. Les chants de triomphe s’élevèrent au-dessus des épais brouillards qui couvrent les rivages de Saline et de Scallastle. L’écho de Morven s’émut à ces accens, et Duart entendit la vague lointaine gémir dans le sombre détroit de Mull.

XVI.

Ainsi s’avançoient les joyeux matelots. Si quelquefois leurs yeux tomboient sur la barque, jouet des courans, leurs regards exprimoient cette indifférence dédaigneuse dont le riche orgueilleux accable le serf obscur qu’il rencontre sur ses pas poursuivant le cours de ses rudes travaux. S’ils avaient su quel étoit celui que porte cette barque fragile, ces vaisseaux triomphans ne l’eussent pas laissée passer sans défi. On auroit plutôt vu le loup, que la faim attire dans la plaine, respecter la bergerie sans défense. Et toi, Ronald, qui t’éloignes au milieu des chants des ménestrels, si elle t’étoit connue celle qui passe auprès de toi, on verroit ton regard étinceler et ton front se couvrir d’une rougeur subite, au lieu de feindre avec tant d’efforts la tendre allégresse d’un époux qui s’approche de sa fiancée.

XVII.

Qu’ils poursuivent leur route… Je ne quitterai point le malheureux qui gémit, pour suivre ceux qui triomphent. Que la joie accompagne cette flotte brillante : que les bardes embellissent la féte par leurs romances, leurs hymnes et leurs glorieux récits ; que les transports bruyans de la gaieté étourdissent le cœur s’ils ne peuvent dissiper les soucis. Le ménestrel va suivre ce léger esquif menacé par les rochers et l’abîme, ses rameurs fatigués qui bravent les périls, et cette jeune fille qui répand des larmes :

XVIII.

L’équipage fit tout le jour des efforts inutiles. Sur le soir, la proximité du lac rendit les courans qu’il avoit à remonter plus rapides ; entré dans le détroit, l’esquif fut exposé aux vagues qui se croisoient en mugissant. Elles s’élevoient dans les airs, semblables aux débris de lances qui volent en éclat dans un champ de bataille. Les derniers rayons du soir avaient disparu. Le vent du sud gémissoit avec plus de force entre les rochers d’Inninniore. La voile étoit déchirée, le mât chancelant, l’onde entroit par de larges ouvertures. Le pilote tremblant tenoit les yeux fixés sur le gouvernail, qu’il abandonnoit aux flots.

XIX.

Ce fut alors qu’un guerrier dont la terreur ni la fatigue ne pouvoient abattre le regard calme et altier, s’adressant au pilote, Iui dit : — Mon frère, espères-tu pouvoir résister jusqu’à la pointe du jour à la fureur des vagues, et éviter les rochers qui nous entourent ? ne sens-tu pas notre barque trembler sous nos pieds ? ses flancs ont gémi au dernier choc de la vague, et cependant quel autre parti prendre ? Tu vois près de moi la malheureuse Isabelle à demi morte de frayeur et de besoin. La mer, les rochers, le ciel qui se couvre d’épais nuages, tout nous présente le désespoir et la mort. C’est Isabelle seule qui m’inquiète ; car, pour moi, les dangers qui me poursuivent sur la terre et sur la mer ne peuvent m’émouvoir. Je te suivrai partout, soit qu’il faille braver la tempête, nous diriger vers cette tour ennemie, ou, en nous jetant au milieu-de cette flotte, interrompre sa joie par des cris de guerre, et mourir les armes à la main.

XX.

Son frère lui répondit d’une voix ferme : — C’est souvent dans l’extrême danger que le ciel vient au secours de l’homme. Edward, charge-toi de plier la voile déchirée ; moi, je prendrai le gouvernail, et nous pourrons continuer notre route sous le vent ; nous éviterons ainsi la baie de l’ouest, la flotte ennemie et un combat trop inégal. Je dirigerai notre barque vers les murs du château ; car, s’il reste encore quelque espoir de salut, nous devons le trouver à titre de malheureux battus par la tempête, qui vont, hôtes inviolables, demander un asile. Et si l’hospitalité n’est point respectée… il convient à notre rang, à notre honneur, à notre courage, de ne mourir que d’une noble main

XXI.

Alors le gouvernail, dirigé par son robuste bras, fit prendre vent à la voile déployée, et, dans sa nouvelle direction, la galère fendit l’onde en bondissant comme le lévrier qui, libre du lien qui le retenoit, s’élance sur sa proie. Les flots sillonnés par la proue rapide brillent des feux factices de l’Océan, éclairs de l’onde amèrenote. Des étincelles jaillissent des vagues divisées, et les flancs du navire sont éclairés d’un reflet magique. Cette pâle lumière jette un éclat effrayant dans les ombres de la nuit. On eût dit que le vieil Océan secouoit de son front ces feux bleuâtres, jaloux de ces météores qui traversent l’horizon de la nuit autour du mont Hécla.

XXII.

Des clartés plus sûres guidèrent l’esquif dans les ténèbres. Artornish, qui, du haut de son rocher sourcilleux, — paroit suspendu entre les nuages et l’Océan, brilloit de mille feux, dont la flamme se répandoit au loin sur la terre et sur la mer. La barque se dirigea vers cette lumière propice, mêlée aux pâles rayons de la lune qui commençoit à élever son disque au-dessus des collines de l’orient.

XXIII.

Ils furent bientôt en vue du rivage. Des cris de joie souvent répétés se confondoient avec le sombre murmure des vents, avec le bruit des vagues et le sifflement des oiseaux de nuit, qui sembloient le disputer aux concerts de la fête ; comme ces chants funéraires qui interrompent soudain ceux de la débauche, ou comme les cris de la bataille entendus par le paysan du haut de ses montagnes, quand la victoire, le désespoir et la mort planent sur la campagne arrosée de sang.

En approchant du rivage ils aperçurent, à travers les brouillards et la tempête, la sombre tour s’élever devant eux, et son ombre se projeter au loin sur l’Océan, qui vient battre son rocher. La lueur vacillante de mille torches qui se réfléchissoient dans la mer, sembloit se jouer sur son sein ; et ces éclairs rapides, qui brilloient sur les vagues, rappeloient les vains plaisirs qui, dans cette vallée de Iarmes, éblouissent un moment et disparoissent aussitôt.

XXIV.

Ils vinrent mouiller sous les murs du château, dans une baie paisible. Un passage taillé dans le roc conduisoit à la forteresse par un escalier si étroit et si élevé, qu’il auroit suffi d’un seul homme armé d’un simple rameau de chêne pour le défendre contre les lances et les glaives d’un millier de soldats et pour les renverser dans l’abîme des flots.

Le pilote sonna de son cor : les échos de la tour, des rochers et de la mer lui répondirent. La poterne gémit et roula sur ses gonds, et bientôt le fanal du gouverneur brilla sur les marches glissantes de l’escalier.

— Soyez trois fois le bienvenu, saint père, s’écria-t-il, depuis long-temps la pompe nuptiale est prête. Votre retard nous inquiétoit, nous craignions que la bise du soir n’eût égaré votre barque.

XXV.

— Gouverneur, répondit le jeune étranger, ton erreur pourroit égayer dans un jour de fête, mais par une nuit obscure comme celle-ci, quand le vent irrité soulève les mers, il sied mal de se permettre de telles plaisanteries ; ce sont des secours que nous demandons, et un lieu de repos pour cette jeune fille. Pour nous, les planches d’un tillac nous paraissent aussi douces que les lits de mousse que caressent les zéphyrs du mois de mai. Nous cherchons pour notre navire quelque abri contre les flots ; et quand le premier rayon du jour éclairera l’orient, nous reprendrons notre route.

Le gouverneur répondit : A quel titre demandez-vous l’hospitalité ? D’où venez-vous ? où vous dirigez-vous ? Erin a-t-il vu sortir de ses ports vos voiles déployées ? Sont-ce les vents de la Norwège qui vous amènent ? cherchez-vous les plaines fertiles de l’Angleterre, ou les montagnes de l’Écosse ?

XXVI.

— Nous sommes des guerriers ; enchaînés par un vœu, tel est le seul titre que nous puissions prendre pendant quelque temps. La gloire nous a souri quelquefois dans les tempêtes et dans les combats. Ce peu de mots suffit à une âme généreuse pour nous mériter un asile et un accueil fraternels. Voilà sur quel titre notre demande se fonde. Accordez-nous ce léger bienfoit, et notre reconnoissance proclamera votre courtoisie dans les royaumes étrangers ; Si vous nous refusez, votre avare demeure sera pour toujours méprisée des âmes nobles et fières ; le pèlerin l’évitera quand il visitera ces parages.

XXVII.

— Fier étranger, à ta prière aucune porte ne peut rester fermée, quoique tu parles en roi plutôt qu’en suppliant ; le château d’Artornish en ce jour de bonheur est ouvert à tous. Eussiez-vous tiré l’épée contre notre allié le puissant roi d’Angleterre, eussiez-vous revêtu la cotte de mailles dans un combat contre le seigneur de Lorn, ou, fugitifs, eussiez-vous erré au milieu des bois avec le féroce chevalier d’Ellerslie, et pris part au combat meurtrier qui vit Comyn tomber sous le poignard de l’homicide Bruce, cette nuit seroit encore sacrée pour vous.

Holà ! vassaux, que l’on accueille nos hôtes, qu’on leur ouvre la poterne du sombre escalier.

XXVIII.

Alors les deux frères sautèrent à terre. L’équipage fatigué resta dans le navire pour le garder. A la lueur des torches dont la lumière obscurcie de fumée se réfléchissait dans la mer, l’un des chevaliers porta sur le rivage la jeune fille qui étoit presque mourante. Sa tête se penchoit sur les larges épaules du chevalier, et les tresses de ses cheveux étaient pendantes ; semblables aux guirlandes de la vigne sauvage à laquelle le chêne de la montagne sert d’appui. L’autre chevalier, plus avancé en âge, suivoit son frère. Sa main portoit une épée dans le fourreau. Peu de bras auroient pu manier une telle arme : les casques les mieux trempés et les boucliers les plus solides ne résistoient point à ses coups.

XXIX.

Ils passent sous la herse relevée et par le guichet fermé avec des barres de fer ; ils suivent une longue voûte flanquée de meurtrières où se placent les archers pour recevoir l’ennemi que la trahison ou la force auroit conduit dans les retranchemens. Mais aujourd’hui chaque poste est désert, les passages sont libres et sans défense. Les étrangers parviennent dans un vaste vestibule où les écuyers et les hommes d’armes, les pages et les valets, célébroient aussi la fête.

XXX.

— Arrêtez-vous ici, leur dit le gouverneur. Je cours instruire notre prince de votre arrivée ; et vous, camarades, cessez d’examiner cette jeune fille et ces étrangers, comme si vous n’aviez jamais vu de femme fatiguée de la mer, une figure mâle et un maintien guerrier.

Malgré ce reproche d’Eachin, les pages et les vassaux ne s’éloignèrent pas. Ils se réunirent en cercle autour des voyageurs, comme des gens à qui la courtoisie n’est pas familière. Mais le bouillant Edward arracha rudement le plaid à carreaux de celui qui s’étoit le plus approché, et le jeta sur sa sœur pour la dérober aux regards de ces hommes grossiers. Le frère du chevalier, voyant l’Écossois froncer le sourcil en signe de mécontentement, lui adressa ces excuses courtes et sévères :

— Vassal, apprends que le manteau que porte ton seigneur dans ce jour de fête seroit encore honoré de couvrir cette jeune fille.

XXXI.

Son langage étoit fier, mais calme. Son œil brilloit de cette dignité imposante, son maintien avoit cette noblesse et cette autorité qui commandent le respect aux âmes vulgaires. Les signes de tête, les regards, le rire moqueur, tout cessa. Les vassaux reculèrent confus les uns après les autres, comme un troupeau de daims timides. Le sénéchal parut alors. Il avoit reçu l’ordre du baron de conduire les étrangers dans la salle du château où l’on alloit célébrer le pompeux hymen du prince des Iles avec Édith, sa belle fiancée. A côté d’elle on voyoit son vaillant frère et maints chevaliers, la fleur et l’orgueil des terres et des mers de l’ouest.

Lecteur, arrêtons-nous ; si mon récit a su mériter votre indulgence, ne me refusez pas un moment de patience. Le ménestrel reprendra bientôt ses chants.


FIN DU CHANT PREMIER.



CHANT II.

I.

Emplissez les coupes, dressez les tables du festin, qu’on assemble tous ceux qui sont amis des plaisirs, les chevaliers, les dames ; que les transports de la joie et les sons de l’harmonie célèbrent la fuite des soucis ; mais ne me demandez pas si le bonheur préside à la fête, si le rire n’est pas un paisible déguisement de la douleur, si ces fronts sereins confirment les sentimens du cœur. Ne soulevez pas le voile enchanté… Il vous suffit de savoir que dans cette courte vie, il n’est aucun lieu qui préserve des peines, apanage des mortels.

II.

Le choc des verres, les romances des bardes, tous les plaisirs de ces vieux temps fêtoient l’hymen du lord des Iles ; mais son œil troublé jetoit un feu sombre, et sur son front, que la pâleur et la rougeur couvroient tour à tour, on voyoit des émotions étrangères au bonheur de la fête. Il s’arrêtoit par momens ; le chant des ménestrels, le récit comique du bouffon, se faisoient vainement entendre à ses côtés ; s’ils frappoient son oreille, c’étoit comme ces sons confus que l’on entend dans les songes. Puis tout-à-coup il se levoit, ranimoit la gaieté par sa vivacité, portoit de joyeux défis aux convives, excitoit les chants des ménestrel ; alors, comme il étoit le plus bruyant, il paraissoit aussi le plus gai.

III.

Les convives ne voyoient rien d’extraordinaire dans ces alternatives d’une joie folle et d’une longue rêverie. Ils attribuoient son air distrait à la pensée des doux ravissemens qu’il devoit goûter bientôt ; et les vifs transports d’une gaieté subite leur sembloient l’expression du bonheur d’un nouvel époux. Ils ne furent pas les seuls à se tromper. L’orgueilleux Lorn lui-même, soupçonneux autant que fier et jaloux de sa noble race, et l’habile chevalier d’Argentinenote, que l’Angleterre avoit député en Écosse pour resserrer les nœuds de la ligue des îles occidentales, crurent l’un et l’autre trouver dans l’humeur de Ronald le trouble et les transports d’un amant.

Mais il étoit un cœur accablé de tristesse, un œil rempli de larmes, qui pénétroient ce mystère, et qui épioient avec une pénible inquiétude l’humeur inconstante et bizarre de ce nouvel époux.

IV.

Édith l’observoit… mais elle évitait ses regards. Ronald de son côté évitoit ceux de sa fiancée. Enfin leurs yeux se rencontrèrent, et Ronald auroit moins souffert du coup d’une lance ennemie. Il frémit d’abord, puis il fit un effort sut son cœur pour reprendre le rôle pénible auquel il étoit obligé. Il se leva de table.

— Qu’on emplisse cette large coupenote qui appartint jadis au royal Somerled. Que la liqueur petille sur ses bords ciselés ; que les perles dont elle est enrichie se réfléchissent dans des flots de pourpre ; à vous, brave chevalier, mon-frère, c’est à vous que je porte cette santé : à l’union glorieuse de deux races par les nœuds de cet heureux hymen ?

V.

— Faites passer la coupe à la ronde, répondit le seigneur de Lorn ; cette santé vient à propos. Le cor nous annonce l’abbé ; ce moine est enfin arrivé, après s’être si long-temps fait attendre.

Lord Ronald entendit les sons du cor ; et la coupe, qu’il n’avoit pas encore approchée de ses lèvres, échappa de ses mains, et roula à ses pieds. Mais lorsque le gouverneur lui eut dit à l’oreille ce qu’avoit annoncé le cor, sa gaieté reparut comme le soleil de mai quand il perce à travers un épais nuage. Le prince de deux cents îles bénit un moment de délai, comme un criminel qui attend l’heure de son supplice.

VI.

— Lorn, mon frère, s’écria-t-il à mots précipités, et vous, nobles seigneurs, réjouissez-vous. Pour augmenter le nombre de nos convives, le hasard nous envoie des chevaliers errans qui reviennent des pays lointains, et qui, disent-ils, ont fait preuve de courage sur terre et sur mer : Qu’on leur donne à notre table une place digne de leur rang ; dites-leur qu’ils sont les bienvenus.

Alors le sénéchal, portant sa baguette d’argentnote, se rendit d’un pas grave auprès des étrangers. Il devina facilement quelle place il convenoit de leur donner. Bien que la riche fourrure de leur manteau fût déchirée, que leur habit fût usé, et l’or de leurs éperons terni, il y avoit dans leur maintien et sur leur visage une grandeur qui commandoit tellement le respect, qu’ils paraissoient dignes de la place d’un prince ou du trône d’un roi. Ce fut la place d’honneur que le sénéchal leur assigna.

VII.

Les chevaliers et les dames se parlèrent à l’oreille, et leurs regards jaloux exprimoient leur mécontentement, de voir des étrangers, dont le nom même étoit inconnu, occuper une place si voisine du trône du prince. Mais Owen Erraugt s’écria :

— Sénéchal depuis quarante ans, j’exerce l’honorable fonction de choisir la place des convives dans les salles et dans les palais ; le rang, la naissance de chacun d’eux, me sont révélés par son regard, ses manières et son maintien. Ce n’est ni la richesse des habits, ni la broderie des ceintures, qui décident de mon choix ; et je parierois ma baguette d’argent contre une branche de chêne, que ces inconnus ont souvent occupé des places plus honorables encore que celle qu’on leur a donnée.

VIII.

— Et moi aussi, reprit le vieux Ferrand, la science des ménestrels me permet de bien juger des places et des rangs. Remarquez, mes amis, le plus jeune de ces deux étrangers ; voyez quelle vivacité dans son regard, que de grâce, que de fierté ! Des éclairs ont jailli de ses yeux quand il s’est avancé au milieu de cette foule de chevaliers, comme pour chercher les plus nobles, étant accoutumé à ne s’arrêter qu’avec ses pairs. Et cependant je suis encore plus étonné en voyant avec quel front calme et majestueux l’autre a examiné les convives. Il ressemble à un être d’une nature supérieure, qui, dans son âme impartiale, voit du même œil la différence des rangs et l’éclat des grandeurs. Et cette jeune fille aussi, quoique étroitement enveloppée dans un manteau qui cache sa figure et ses yeux, elle ne peut nous dérober sa grâce et la belle proportion de ses formes.

IX.

Le front du baron de Lorn exprimoit des soupçons et un orgueilleux mépris. Il regarda les étrangers d’un air sombre, et murmura quelques mots qu’Argentine seul entendit. Puis il leur demanda à haute voix, et en peu de mots, si, dans leurs voyages, ils n’avaient pas ouï parler de ces rebelles écossois réfugiés dans Rath-Erin avec le chef proscrit de Carricknote ; si ces rebelles habiteroient encore après l’hiver le rivage d’Ulster, — ou si, remontés dans leurs galères, ils reviendroient ravager leur patrie.

X.

Le plus jeune des étrangers, fier et bouillant, jeta les yeux sur le baron de Lorn, et lui répondit avec le même dédain :

— Nous n’avons rien à dire des rebelles. Mais si tu veux parler du roi Bruce, je t’avertis qu’il a juré qu’avant neuf jours les vents de l’Écosse feront flotter sa bannière, en dépit de tous ses ennemis, quels qu’ils soient ; malgré les Anglois armés de lances et d’arcs, malgré Allaster de Lorn !

La colère du baron s’enflamma à ces mots. Ronald apaisa sa fureur naissante : — Mon frère, il vaut mieux passer la nuit à écouter les chansons de Ferrand, que de rallumer, au milieu d’un festin, les haines qu’engendra cette malheureuse guerre.

— Je suis satisfait, dit Lorn ; et il prit à part Ferrand, le chef des ménestrels. Puis il dit tout bas à Argentine :

— Si je ne me trompe, la ballade que j’ai demandée doit blesser le cœur altier de ces vaillans étrangers. Il se tut, et le silence régna jusqu’a ce que le ménestrel eût commencé en ces termes :

L’AGRAFE DE LORN.

XI.

— Quelle est cette agrafe d’or qui réunit les plis du manteau de Lorn ? elle est travaillée avec un goût exquis ; des perles d’un grand prix la décorent, et brillent sur ses tartans bigarrés, comme on voit sous l’arc-en-ciel, à la fin du jour, l’étoile du nord jeter au loin des éclairs interrompus.

— Bijou précieux et inconnu sur les montagnes de l’Écosse, es-tu un don de la fée des fontaines ? est-ce la naïade des mers qui te polit dans sa grotte de corail, ou le nain d’Irlande, qui travailla ton métal de ses propres mains ? ou bien, si tu fus l’œuvre des hommes, serois-tu le gage de l’amitié de l’Angleterre ou des craintes de la France ?

XII.

CONTINUATION DE LA BALLADE.

— Mais non, ta beauté n’atteste ni l’art des étrangers ni le pouvoir magique des fées : tu fus destinée à un monarque ; lorsque le présomptueux Brucenote couvrit d’un manteau royal son sein nourri de haine et d’orgueil, tu lui fus arrachée par la main victorieuse de Lorn.

— Quand cette agrafe devint le prix de la valeur, les cris de guerre retentirent au loin ; la forêt de Bendourish gémit ; les rochers de Douchart répondirent à ce gémissement ; le daim s’enfuit du sauvage Teyndrum, et le meurtrier vaincu s’échappa, couvert de blessures, accablé de honte et de douleur, et laissant dans sa fuite ce gage glorieux de la victoire de Lorn.

XIII.

FIN DE LA BALLADE.

— Ainsi donc l’épée de Douglas, le bras de Campbell si vanté, le fer que le féroce Kirkpatrick employoit au facile métier d’assassin, tout fut inutile. Barendown et le courageux Delahaie s’enfuirent au loin, quand cette agrafe rayonna sur le manteau de Lorn triomphantnote.

— Son ancien maître a abandonné ses soldats aux bûchers, aux bourreaux, au fer sanglant de nos montagnards, aux gibets, à la hache et aux supplices de l’Angleterre. Qu’il erre de rivage en rivage, poursuivi par l’ombre vengeresse de Comynnote : ses dépouilles serviront long-temps de trophée au baron de Lorn.

XIV.

Comme le tigre, dont les yeux étincellent, lorsque, environné d’arcs et de piques, il choisit celui des chasseurs dont il veut faire sa proie, tel Edward regardoit tour à tour le barde et le baron. Il saisit son épée ; mais son frère lui dit d’un air sévère : — Arrête ; es-tu si peu maître de toi, après tant d’épreuves et tant de souffrances, que tu ne puisses supporter les chants d’un barde mercenaire ?… Vieillard, ta ballade loue dignement celui à qui tu vends tes services. Mais pourquoi rien dire de ces trois vassaux du baron de Lorn, si braves et si fidèles, qui arrachèrent des mains de Bruce leur seigneur terrassé, et qui périrent pour le sauver ? Je croyois que l’agrafe et le manteau étaient restés entre les mains mourantes de ces infortunés, lorsque, attaqué par cent ennenis de plus, qui se précipitèrent sur lui, Bruce fit sa retraite, long-temps après que Lorn eut abandonné le champ de bataille, heureux d’avoir la vie sauve… Mais en voilà assez… Ménestrel, prends cette chaîne d’or pour salairenote : que désormois elle te serve au moins de prétexte pour parler plus noblement de Bruce.

XV.

— Par saint Columba ! par tous les saints qui reposent dans son église ! je jure que c’est Bruce lui-même, s’écria avec fureur le baron de Lorn. Qu’il meure pour expier la mort de mon parent.

Non, s’écria Ronald tant que ma main portera une épée, je ne souffrirai point qu’on immole à ma vue un guerrier sans défense. Le sang de l’étranger ne souillera point mon château ; cette antique demeure de mes pères sert d’asile à l’infortune ; c’est le réfuge et le bouclier des faibles, ce n’est point ici qu’on égorge un malheureux battu par la tempête. — Que parlez-vous de combat inégal ? reprit le baron. Comyn tomba sous le fer de trois scélérats qui lui percèrent le cœur. Ne m’opposez point les droits de l’hospitalité. Comyn périt dans le temple du Seigneur ; son sang ruissela sur l’autel. Son implacable assassin le fouloit aux pieds, immobile… comme ce barbare, le bras armé et le mépris sur le front. A moi ! mes amis ! frappez, exterminez ces rebelles proscrits.

XVI.

Aussitôt plusieurs seigneurs des terres du continent se lèvent, dociles à la voix de leur chef. Le bras nerveux de Barcaldine s’agite, Kinloch-Alline a tiré son épée, la dague du noir Murthock est hors du fourreau, et la main formidable de Dermid est prête à frapper. Ils réclament une juste vengeance et répètent leurs cris de guerre. Ils s’avancent les armes hautes ;  ; les femmes fuient épouvantées. O terre d’Écosse ! c’en étoit fait de ton plus noble fils, il périssoit à son aurore, si les braves chevaliers qui étaient venus des îles de l’Océan, réunis autour de Ronald, n’eussent arrêté la fureur de l’impitoyable Lorn.

XVII.

C’étaient le vaillant Torquil, descendu des hauteurs de Dunvegan, le seigneur des montagnes brumeuses de Skye ; Mac-Niel, ancien taniste de la sauvage Bara ; Duart, chef du clan belliqueux de Gillian ; Fergus, seigneur de la baie et du château de Canna ; Mac Duffith, lord de Colonsay. Quand ils virent les épées briller, ils levèrent leurs armes, d’autant plus prompts que de vieilles haines, souvent assoupies, mais jamais éteintes, divisoient entre eux, depuis longtemps, les seigneurs d’Argyle et les chefs des Hébrides. Spectacle effrayant ! de tout côté on voyoit briller des armes ; la chevelure de chacun des chefs flottait en désordre ; ils se menaçoient des yeux ; déjà leurs bras et leurs épées se croisoient ; les torches réfléchissoient leur lumière sur l’acier meurtrier qui la renvoyoit en éclairs bleuâtres ; les flambeaux de l’hymen sembloient destinés à éclairer un spectacle de sang au lieu des plaisirs d’une fête nuptiale.

XVIII.

Le combat alloit s’engager. Les chevaliers, agitant leurs épées nues, se préparoient à s’entr’égorger. Mais tous ces ennemis hésitent encore, par un reste de respect pour les droits de l’hospitalité. La fureur se peignoit dans tous les yeux ; mais chacun craignoit de porter les premiers coups ; car les ménestrels maudissent celui qui trouble la joie des festins ; d’ailleurs, un même nombre de chevaliers dans chaque parti, et des forces égales, rendoient ineerLaine l’issue du combat. Les menaces et les cris s’apaisèrent peu à peu et bientôt cette troupe guerrière resta dans un silence aussi profond que le calme, image de la mort, qui précède l’orage. Anglois et Écossois, tous demeuroient immobiles comme les hommes de fer des anciens temps, auxquels on eût dit qu’il ne manquoit que le souffle de la vie pour engager le combat.

XIX.

Édith profita de ce moment peur fléchir ces cœurs irrités. Avec elle, la jeune étrangère s’élança vers Argentine ; et son voile, s’étant détaché, laissa voir le feu de ses regards et les boucles flottantes de ses cheveux.

— O toi ! dit-elle, qui fus jadis la fleur des chevaliers et le protecteur du faible, toi qui vainquis dans Juda pour notre sainte loi, et qui, dans les lices as souvent remporté des couronnes que cette faible main t’a décernées, pourras-tu rester insensible au cri de l’honneur qui s’indigne d’un combat aussi inégal, et dans lequel mes frères, autrefois tes amis, vont être immolés, au mépris des droits de l’hospitalité ?

Ces paroles s’adressoient à Argentine ; mais les yeux de la belle suppliante parloient au lord des Iles. Une couleur pâle, semblable à celle des derniers rayons du jour, couvroit le front de Ronald ; il tressaillit à ces paroles, et une convulsion subite fit frémir tout son corps. Il jeta sur la belle suppliante un regard plein de trouble, et d’une voix timide : — Ne craignez rien, mon Isabelle… mais que dis-je ! Ne crains rien, Édith ; non, ne crains rien. Je saurai veiller à ton salut, mon aimable fiancée. Ma fiancée !… Ce dernier mot expira sur ses lèvres tremblantes.

XX.

Alors Argentine s’avança pour réclamer, comme vassaux du roi son maître, ces deux étrangers qui avaient porté les armes contre lui. Cette demande n’étoit sans doute qu’un prétexte pour les sauver, car jamais chevalier ne fut plus brave et plus loyal qu’Argentine. Ronald : ayant deviné son intention ne s’y opposa point ; mais le fougueux Torquil traversa ce dessein.

— Nous avons entendu parler du joug de l’Angleterre ; s’écria-t-il, et la renommée aussi a murmuré dans nos îles qu’un droit légitime appelle Bruce au trône de l’Écosse, quoique dépossédé par une épée étrangère. Cette demande mérite d’être examinée ; mais quelque juste que soit la mission du chevalier anglois, que la couronne d’Angleterre saisisse ses sujets rebelles partout où s’étend sa domination. Au mépris des lois de l’hospitalité, au milieu des seigneurs de l’Écosse, appelés à venir partager les réjouissances d’un festin, soyez sûrs que je ne consentirai jamais à voir Lorn ou d’Argentine charger de chaînes un malheureux et brave chevalier.

XXI.

Ce discours ralluma la querelle : les menaces, les clameurs recommencèrent. Les vassaux et les domestiques, en se précipitant dans la salle, mêloient leurs voix à ce tumulte, quand tout-à-coup on entendit le cor retentir au loin sur l’Océan.

— C’est l’abbé, s’écria-t-on de toute part : c’est cet homme de Dieu dont les yeux ont eu de saintes visions ; qui a rencontré des anges sur son passage, auprès de la baie des Martyrs et de la pierre de Saint-Columba. Les moines de son couvent les ont entendus réciter leurs hymnes célestes sur les sommets de Dun-Y, pour charmer les heures de sa pénitence, pendant qu’il s’agenouilloit et disoit son rosaire au pied de chaque croix[1]. Il arrive pour apaiser nos querelles. C’est un saint qui vient d’une île sainte ; nous invoquerons son ministère de paix : l’abbé terminera nos différends.

XXII.

Cet heureux accord étoit à peine conclu que la grande porte roula sur ses gonds, et l’on vit entrer le pieux cortège en étoles noires. C’étaient douze religieux chaussés de sandales et portant des reliques. Ils étaient précédés de flambeaux et suivis de la sainte croix. A cet aspect, les ennemis cessèrent de se menacer, les épées et les dagues rentrèrent dans les fourreaux, tout cet appareil de guerre disparut, comme ces feux rapides qui sillonnent le ciel et s’évanouissent aussitôt.

XXIII.

L’abbé s’arrêta sur le seuil de la porte. Il tenoit la croix entre ses mains. Son capuchon étoit renversé sur ses épaules. La flamme des torches éclairoit d’une lueur rougeâtre ses joues flétries, son aumusse blanchi, ses yeux bleus qui brilloient encore d’un feu à demi éteint, et les rares cheveux qui ombrageoient son front blanchi par l’âge.

— Nobles seigneurs, dit-il, que la protection de la Vierge et les secours du ciel soient avec vous. — Mais d’où vient ce désordre ? Rien ne m’annonce ici la paix. Pourquoi ces armes et ces épées nues ? Pourquoi cet apareil de guerre dans une telle cérémonie ? Convient-il que des armes menaçantes frappent les yeux d’un prêtre qu’on appelle pour unir les cœurs et les mains de deux jeunes époux ?

XXIV.

Alors, déguisant sa fureur sous l’apparence d’un zèle fanatique, l’orgueilleux Lorn s’empressa de répondre.

— Saint père, vous étiez mandé pour unir de vrais enfans de l’Église, et certainement vous vous attendiez peu à rencontrer ici un misérable frappé de l’anathème du pontife de Rome, pour avoir souillé d’un meurtre la pierre des saints autels. Vous seriez sans doute bien plus surpris si, après avoir découvert parmi nous un tel ennemi, nous parlions de trêve, de paix ou d’alliance avec Bruce l’excommunié, au lieu de répandre son sang coupable.

XXV.

Ronald prit la défense de l’étranger, et fit valoir les sermens de la chevalerie et les lois de l’honneur. Isabelle, à genoux devant lui, accompagnoit ces paroles de ses pleurs et de ses prières. La généreuse Édith se joignoit à elle, et, en versant des larmes, elle sollicitait la pitié de son frère.

— Loin de moi, s’écria l’inflexible baron, sœur indigne ; n’est-ce pas assez de t’avoir amenée au château de Ronald comme une maîtresse ou comme une esclave qui vient à la porte de son maître pour attendre les caprices de son amour, ou s’exposer à sa froide indifférencenote ; mais le seigneur de Cumberland, le généreux Clifford, recherche ta main, tu seras son épouse. Point de réponse ; éloigne-toi de moi et ne reparois à ma vue qu’après avoir séché ces indignes larmes.

Le respectable abbé entendoit avec peine ce discours ; mais rien n’altéroit le calme sévère de son front.

XXVI.

Argentine exposa avec tant de fierté les prétentions de son maître le roi d’Angleterre, que ses paroles réveillèrent dans le cœur de Ronald un feu secret assoupi depuis long-temps. Soudain son courroux éclata comme l’étincelle qui jaillit du caillou.

— Assez long-temps, s’écria-t-il, le sang le plus illustre a coulé pour l’Anglois Edward. Que de meurtres depuis que le grand Wallace, par une infame dérision, fut ceint d’une couronne de feuillage et mis à mortnote, pour avoir bien défendu l’héritage de ses pères ! Où sont aujourd’hui Nigel Bruce et Delahaie, et le vaillant Seton, et le loyal Somerville, et Fraser, la fleur des chevaliers ; où sont-ils ces chefs généreux ? Leur tête n’a-t-elle pas été attachée au gibet, et leurs membres épars ne sont-ils pas devenus la pâture des chiens dévorans et des oiseaux de proie ? et nous délibérons froidement s’il convient d’augmenter le nombre des victimes. Le léopard anglois est-il insatiable du sang de l’Écosse ? La vie d’Athole n’a-t-elle pu satisfaire ce sombre tyran aigri par la maladie, et qui, de son lit de mort, ne parle que de roues, de gibets et de meurtres ? note Tu fronces le sourcil, d’Argentine ; tiens, voilà le gage de mon défi.

XXVII.

— Tu ne seras pas le seul à affronter les périls, s’écrie le vaillant chevalier de Dunvegan. Non, par tous les saints ! par le sauvage Woden ! serment de mes aïeux que Rome et l’Angleterre unissent leurs cruels desseins ; mais si Bruce, proscrit et excommunié, rassembloit jamais ses amis pour tenter de nouveau la fortune, si Douglas reprenait son épée, si Rodolphe tentoit de nouveau les chances de la guerre ; je le jure, le vieux Torquil irait grossir de deux mille hommes le camp de son roi. Et_toi, respectable prieur, ne blâme point ce courage. Depuis long-temps tu connois l’humeur farouche de Torquil, et son inflexible volonté, digne encore de la sauvage Scandinavienote : non, je ne déserterai là cause de la liberté ni pour l’or de l’Angleterre, ni pour les bénédictions de Rome.

XXVIII.

L’abbé écouta ce discours intrépide avec un air sévère puis il se tourna vers le roi Bruce, et deux fois la parole expira sur ses lèvres ; deux fois il baissa les yeux, et sa bouche ne balbutia que des mots confus. Mais après avoir surmonté ce sentiment de crainte, il l’apostropha ainsi :

— Dis-nous, malheureux, quelle est ta justification pour m’empêcher de lancer contre toi cette sentence fatale qui, selon les saints canons, voue l’âme aux enfers et lui donne la mort. Cet anathème redoutable éloigne de toi les saints anges et appelle tous les maux sur ta tête. L’Église refuse son secours à celui qui en est frappé ; le ciel reste sourd à ses plaintes, le bras des serviteurs se lève contre le maître, la malédiction est le partage des amis qui le suivent au combat, et de celui dont la main secourable soulage sa misère. Cette malédiction poursuit le coupable pendant toute la vie,… et, même après la mort, elle plane encore sur ses cendres. Elle renverse les écussons qui décorent sa tombe, fait taire l’hymne sacré qui devoit s’élever pour lui ; et, l’exilant de toute sainte sépulture, l’abandonne comme un vil cadavre à la voracité des chiens. Tel est le sort de celui que Rome a condamné. Voilà la juste récompense que mérite ton meurtre sacrilège.

XXIX.

— Homme de Dieu, répondit Bruce, il ne m’appartient point de contester ton pouvoir ; mais il faut que tu saches que le meurtre de Comyn n’est pas l’effet d’une vengeance personnelle. Comyn est mort parce qu’il a trahi la patrie. Je ne blâme ni ceux dont l’imprudent courroux a commis ce meurtre suivi de si près par le repentir, ni ceux dont la bouche perfide a lancé le fatal anathème ; je ne m’en prends qu’à moi-même, à mon indignation provoquée par les malheurs de l’Écosse ; le ciel connoît les projets que j’ai formés pour expier, autant qu’il dépendra de moi, le mal que j’ai pu faire ; et le juste ciel ne restera point sourd à la prière d’un suppliant qui appelle à sa clémence des condamnations d’un pontife et des fureurs d’un évêque. Dès que j’aurai rempli mon devoir le plus cher et le plus sacré, celui de délivrer l’Écosse de l’esclavage, il sera temps de demander à l’Église ses prières pour l’âme de Comyn ; et moi, soldat de la croix, j’irai en Palestine expier, en combattant pour Dieu, ce meurtre non méditénote. Mais jusque-là, que l’Église se contente de l’aveu de ma faute et de la promesse de réparer mes torts.

— A présent, je rends à Argentine et à Lorn le nom de traître qu’ils m’ont donné. Je leur porte un défi et déclare qu’ils en ont menti par la gorge.

XXX.

Tel qu’un homme immobile d’admiration devant un spectacle miraculeux, l’abbé regardoit fixement le roi Bruce. Bientôt la plus vive agitation se peignit sur ses traits, sa respiration devint plus difficile et plus pressée. Des regards sombres et égarés partirent de ses yeux ; ses cheveux se hérissèrent ; son visage s’enflamma ; le sang circula dans ses veines avec une nouvelle rapidité ; il murmura des mots inarticulés qui troubloient seuls le silence effrayant qui régnoit autour de lui, enfin il parla de la sorte :

XXXI.

— Bruce, j’allois frapper ta tête de mes malédictions ; j’allois livrer ton sang à celui qui brûle de le répandre. Mais semblable au Madianite arrêté sur Zophim, je sens dans mon cœur glacé par l’âge une puissance invincible ; elle dicte mes arrêts, elle m’embrase, elle trouble mes sens.

— Bruce, ta main sacrilège a frappé ton ennemi sur l’autel du Seigneur !… Mais, forcé de céder à l’esprit qui m’inspire, je te bénis, et ma bénédiction sera partout avec toi.

Il dit, et un silence de respect et de crainte régna long-temps au milieu de la foule étonnée.

XXXII.

Le feu divin enflamma de nouveau le regard de l’abbé ; ses mouvemens reprirent une force surnaturelle ; ce n’étoit plus la voix cassée d’un vieillard, mais les accents mâles de l’âge viril.

— Toi qui trois fois fus vaincu en bataille rangée ; toi qui vis tes amis en fuite, égorgés ou captifs ; toi qui, loin de ta patrie, erras dans les déserts après avoir été poursuivi par des limiers altérés de ton sangnote ; exilé sur des bords étrangers, roi proscrit, abandonné, réduit à la misère, je te bénis… Et ma bénédiction te suivra dans les palais et sur le champ de bataille ; sous la pourpre et sous le bouclier ; tu laveras les affronts de la patrie ; tu la vengeras de ses outrages ; Bruce, roi légitime de l’Écosse, désormois réconcilié avec la gloire et le ciel, quelle suite d’honneurs attendent ta mémoire ! Dans les siècles futurs, le père apprendra à son fils le nom du régénérateur de ses libertés. Les premières paroles de l’enfance célébreront tes louanges. Va, maintenant, marche de conquête en conquête ; poursuis ta carrière : ton nom ap partient à la postérité. La puissance du ciel te bénit avec moi ; elle répâncl sur toi ses grâces… Mais, c’en est fait ; je sens s’affaiblir cette force étrangère ; mes yeux se ferment à cette lumière de l’avenir… Le ciel a parlé ; je ne recevrai point le serment nuptial des époux. Mes frères, notre tâche est remplie, notre présence est désormois inutile en ces lieux : remettons à la voile.

Les moines reçoivent dans leurs bras le prêtre défaillant et respirant à peine. Pour obéir à ses ordres ils se hâtent de sortir du château, s’embarquent, et, la voile déployée, ils regagnent la haute mer.


FIN DU CHANT II.


CHANT III.


I.

N’avez-vous pas observé le silence profond qui règne sur la forêt, les prairies et les vallées, lorsque le tonnerre vient de gronder soudain dans la nue et que l’écho a répété sa voix lointaine ? Le seigle ne fléchit plus sa tête dorée dans les riches sillons ; le feuillage mobile du tremble cesse de faire entendre son frémissement monotone ; aucun souffle ne balance les touffes de la giroflée jaune qui tapisse les ruines du vieux château, jusqu’à ce qu’enfin l’orage s’éveille, s’approche avec un murmure sourd, et balaie avec fracas la colline retentissante.

II.

Tel fut le silence solennel qui succéda aux accens prophétique du prêtre en cheveux blancs. Dociles à ses ordres, les moines ont livré leur voile aux vents du sud avant qu’une seule parole ait été entendue dans le château. Bientôt des murmures qui expriment le doute et la terreur interrompent ce calme imposant. On se parle à l’oreille avec inquiétude, et l’on fixe un œil curieux sur le prince des Iles, qui, dans une embrasure à l’écart, sembloit intercéder le seigneur de Lorn, dont l’air distrait et les gestes pleins de courroux témoignoient le dédain et l’impatience.

III.

Lorn cesse enfin de se contenir ; il regarde Ronald d’un œil menaçant, seeoue la tête, et s’éloigne de lui avec un geste farouche : — Me crois-tu donc, dit-il, d’une humeur assez facile pour oublier une guerre à mort, et pour serrer en signe d’animé une main teinte du sang de mon parent ? Est-ce lâ le juste retour d’une confiance fondée sur des sermens réciproques ? Je vois bien la vérité du proverbe qui nous avertit de la foi inconstante des insulaires. Mais, puisqu’il en est ainsi… crois-moi : tu apprendras avant peu que nous savons, dans nos montagnes, nous venger d’un outrage… Qu’on appelle Édith… Où est la fille de Lorn ? Où est ma sœur ? lâches esclaves… Elle et moi nous ne nous exposerons pas plus long-temps à de nouveaux mépris… Venez, Argentine, venez ; nous n’aurons jamais pour allié ni pour frère un ami de Bruce et un ennemi de l’Angleterre.

IV.

Mais comment peindre la fureur du chef, lorsqu’on eut vainement cherché Édith depuis la salle la plus basse du donjon jusqu’au faîte de la tour ! — Perfidie !… Trahison !… s’écria-t-il… Vengeance !… vengeance sanglante !… Une riche récompense à celui qui me vengera : je lui promets les terres d’un baron ! Sa rage eut peine à se calmer lorsqu’on vint lui dire que Morag avoit suivi sa sœur dans sa fuite, et que deux femmes, qu’on n’avoit pu distinguer dans le tumulte de la nuit, s’étoient rendues secrètement au navire de l’abbé. — Que toutes mes galères s’arment… Volez ; qu’on les poursuive. Le prêtre me paiera cher sa perfidie… J’espère que bientôt nous saurons le prix que Rome réserve à sa prophétie prétendue. — C’est ainsi que le fier seigneur de Lorn exprimoit son indigation. Prompt à exécuter ses ordres, Cormac-Doil hisse sa voile et lève l’ancre ; Cornac-Doil étoit un franc pirate, charmé d’avoir un prétexte quelconque pour parcourir les mersnote.

Les autres officiers de Lorn hésitent encore en se disant tout bas :

— Édith a donné son premier amour à Ronald des Iles ; craignant que son frère ne veuille la forcer à recevoir la main de Clifford, elle a été chercher un refuge dans le cloître d’Iona. Elle veut sans doute habiter ce saint asile comme une recluse, jusqu’à ce que l’abbé apaise par sa médiation ces nouvelles querelles.

V.

Pendant que le château retentissoit des cris d’impatience et de colère du seigneur de Lorn, qui ne cessoit de demander son bouclier, son manteau, et d’appeler tous ses gens au nom de leur respect pour sa personne, Argentine s’adresse à Bruce avec une courtoisie mêlée d’une dignité sévère :

— Comte, dit-il, je consens encore à donner ce titre à Bruce quoiqu’il ait perdu ses titres et son nom depuis qu’il a pris les armes et s’est déclaré rebelle ; comte ou vassal, n’importe… Tu t’es permis tout à l’heure des menaces qui regardoient Argentine :… l’honneur m’oblige à t’en demander raison à toi-même. Nous n’avons pas besoin de nous dire que nos bras savent également manier l’épée ; je requiers de toi une grâce qu’un guerrier peut exiger. Place ce gant sur ton cimier au premier combat où nous nous rencontrerons, et je dirai, comme j’ai toujours dit, qu’égaré par l’ambition, tu n’as pas cessé d’être un noble chevalier.

VI.

— Et moi, répondit le prince, si j’avois la glorieuse épée d’Argentine, je regarderois comme une honte de la tirer du fourreau pour défendre un tyran ; mais, quant à la demande que tu m’adresses, sois certain que dans tous les combats on verra flotter sur mon cimier le gage que me remet ta main ; si mes paroles irréfléchies ont outragé ton honneur, il recevra une satisfaction digne de l’offense. Aucun gant donné aux jours de ma jeunesse par une belle ne fut aussi précieux à mon cœur que celui que je tiens de toi. Ainsi donc, noble ennemi, puisses-tu ne rencontrer que bonheur jusqu’au moment où nous nous reverrons ; et alors… adviendra ce que le ciel voudra.

VII.

C’est ainsi qu’ils se séparèrent… Déjà les amis de Lorn se retirent avec un murmure semblable aux sourds mugissemens des vagues que repoussent les rochers de la plage. Chacun des chefs, suivi de ses vassaux, se rend à son château des montagnes, réfléchissant à l’incertitude des projets de l’homme.

Cependant, par les ordres de Ronald, une double garde veilla sur les remparts d’Artornish. Les portes furent soigneusement fermées par de triples barres de fer, des verrous et des chaînes. Le prince pria ensuite ses hôtes, avec courtoisie, de l’excuser de l’interruption de la fête, et leur offrit un asile sûr dans sa forteresse.

Les chefs et les chevaliers, précédés par des vassaux qui portent des torches, sont conduits aux lits qui leur ont été réservés. L’oraison du soir est dite, et déjà chacun cède à ce profond sommeil qui verse sur les paupières fatiguées l’oubli d’un jour de travaux.

VIII.

Mais, bientôt réveillé, le monarque crie à Edward qui dort à côté de Iui ; — Lève-toi, mon frère… je viens d’entendre résonner une porte secrète ; une torche luit sur le plancher… Debout, Edward ; debout, te dis-je ; quelqu’un se glisse vers nous comme un fantôme nocturne… Arrête… c’est notre hôte généreux.

Ronald s’approche suivi du chef de Dunvegan… L’un et l’autre fléchissent le genou devant Bruce en signe de fidélité ; ils lui offrent leurs épées et le saluent du nom de monarque légitime d’Écosse. — O toi, qui es l’élu du ciel, ajouta Ronald, dis-moi si tu me pardonnes les erreurs de ma jeunesse ; les artifices des traîtres me détournèrent des sentiers du devoir, et j’osai lever contre toi un fer rebelle… Mais, alors même que j’étois armé contre tes droits, je ne cessai jamais de rendre un sincère hommage à ta noble valeur.

— Hélas ! ami, répondit Bruce, la faute en est à ces temps de malheur ; moi-même, plus, coupable que toi… — Il s’interrompit à ces mots, accablé par le remords de la défaite de Falkirknote ; il pressa le lord des Iles contre son cœur, et soupira amèrement.

IX.

Les deux chevaliers lui offrent leurs armes et leur influence pour reconquérir ses droits ; mais leurs avis doivent être mûrement pesés avant d’arborer la bannière des combats et de réunir des troupes ; l’or de l’Angleterre et les intrigues de Lorn avaient créé un grand nombre d’ennemis au monarque malheureux.

Bruce déclara franchement ses hardis desseins à ses nouveaux sujets : — Après avoir passé l’hiver dans l’exil, je voulois, dit-il, me rendre au rivage de Carrick : il me tardoit de voir le lieu de ma naissance et d’être témoin des banquets que donne Clifford dans mon château, dont il s’est déclaré le seigneur. Mais je me dirigeai d’abord vers Arran, où le vaillant Lennox me prépare des secours. Une tempête est venue poursuivre nos navires et les disperser. Traversé dans mes projets, j’aurois été forcé de m’éloigner du but de mon voyage pour éviter une voile ennemie ; cette sage inspiration qui maîtrise nos volontés nous a guidés dans le château d’un allié.

X.

Torquil prit alors la parole : — La nécessité nous dit de nous hâter ; un retard nous seroit funeste ; nous devons presser notre souverain d’éviter les périls d’un siège. Altéré de vengeance, Lorn, avec toutes ses troupes, n’est que trop près des tours d’Artornish ; les vaisseaux légers de l’Angleterre sillonnent de leurs proues les ondes de la Clyde, prêts à partir au premier signal pour garder tous les détroits et surveiller tous les rivages. Avant que l’alarme soit donnée, notre prince doit se trouver en sûreté dans les parages amis de Skye… Torquil sera son pilote et son guide.

— Non, brave chef, s’écria Ronald ; j’accompagnerai moi-même notre monarque ; j’irai appeler aux armes les guerriers de Sleate ; et toi, Torquil, sage dans les conseils, tu dirigeras leur bravoure et tu leur en imposeras par tes cheveux blancs.

— Si mes paroles sont trop légères dans la balance, dit Torquil, cette épée la fera pencher pour nous.

XI.

— Ce projet me sourit, dit Bruce ; cependant il seroit prudent qu’Isabelle allât chercher un asile, avec mon navire et mes gens, sur les rivages hospitaliers d’Érin. Edward, tu iras avec elle pour distraire son inquiétude, pour la défendre au besoin, et rallier autour de toi nos amis dispersés.

On eût cru lire dans les yeux de Ronald que cette résolution étoit loin de le satisfaire ; mais la plus grande promptitude fut adoptée pour l’exécution de ces plans ; deux navires, secrètement équipés, sortirent de la baie, faisant voile de deux côtés différens, l’un vers la côte de Skye, et l’autre vers le rivage d’Érin.

XII.

Nous suivrons Bruce et Ronald.

D’abord, un vent favorable enfla leurs voiles ; ils reconnurent avec peine les sombres hauteurs de Mull et les collines azurées d’Ardnamuchan. Mais là, des rafales les assaillirent et les forcèrent de baisser les vergues pour se servir de l’aviron. Ils luttèrent le jour et la nuit contre ces mers orageuses, et ce ne fut qu’avec l’aube matinale qu’ils aperçurent les rivages romantiques de Skye. Ils virent la lumière naissante du soleil couronner la crête aride de Coolin ; mais leur navigation fut si pénible et si lente, qu’avant qu’ils fussent entrés dans la baie de Scavigh, l’astre du jour répandoit ses dernières clartés dans l’occident. Ronald dit alors : — Si mes yeux ne me trompent, voilà les déserts qui s’étendent au nord de Strathnardill et de Dunskyenote. Aucun mortel n’y porte la trace de ses pas ; et, puisque les vents contraires nous repoussent, qui nous empêche de descendre à terre ? si mon prince aime l’arc du chasseur, ne pourrions-nous pas percer de nos flèches un chevreuil de ces montagnes ? Allan, mon page, viendra avec nous ; il sait bander l’arc d’un bras adroit ; et, si nous rencontrons du gibier, il nous répond du succès de la chasse.

Chacun deux s’arme ; la chaloupe est mise en mer ; ils s’élancent à terre, et abandonnent l’esquif et leurs rameurs au lieu où un torrent rapide accouroit en mugissaht sur son lit de rochers pour mêler ses flots à ceux de l’Océan.

XIII.

Ils s’avancèrent quelque temps en silence comme des chasseurs qui cherchent une proie ; enfin le roi Bruce dit à Ronald : — Sainte Marie, quel spectacle ! J’ai parcouru bien des montagnes dans ma patrie et dans les climats étrangers, ma destinée m’a fait plus souvent chercher un refuge que les plaisirs : aussi ai-je erré dans maints déserts, gravi des rochers et franchi des torrents ; mais, par le toit de mes pères ! je n’ai rencontré nulle part un spectacle aussi sauvage et aussi sublime dans ses horreurs que celui qui s’offre à ma vue.

XIV.

Le monarque pouvoit bien parler ainsi ; jamais les yeux des hommes n’ont connu un tableau plus sévère que ce lac effrayant avec les rochers escarpés qui le bornent. Il semble qu’un antique tremblement de terre a ouvert une route à travers le sein de la montagne, et que chaque précipice, chaque ravin, chaque sombre abîme atteste encore ses ravages. Le vallon le plus aride nous offre, quelques marques de l’influence vivifiante de la nature ; de vertes mousses tapissent les cimes du Benmore, la bruyère fleurit dans les profondeurs du Glencoé ; et un taillis croît sur le Cruchan-Ben ; mais ici vous chercheriez vainement au loin, et de quelque côté que vos regards se tournent, un arbre, un buisson, une simple fleur, le moindre indice de végétation ; tout est ici rocs jetés au hasard, vagues sombres, hauteurs arides, bancs de pierre ; comme si le ciel avoit refusé à ce séjour les rayons du soleil etla douce rosée du printemps, qui produisent les nuances variées des coteaux les plus incultes.

XV.

A mesure qu’ils pénétroient plus avant, les rochers sourcilleux et le lac profond paraissoient plus sauvages. D’énormes terrasses de noir granit étaient pour eux des sentiers rudes et d’un accès peu facile. C’étaient des débris de granit arrachés par l’orage des flancs de la montagne, et amoncelés les uns sur les autres dans une de ces nuits de terreur où le chevreuil prend la fuite pendant que le loup hurle dans sa tanière ; quelques uns de ces fragments informes étaient suspendus sur un appui incertain, et le bras d’un enfant eût ébranlé ces masses qu’une armée entière n’auroit pu soulever, et tremblantes sur leur base, comme la pierre des druides. Les brouillards du soir, dans leur course inconstante, couvroient tantôt la chaîne des monts, et tantôt abandonnoient leurs fronts chauves pour étendre leur voile vaporeux sur les ondes du lac, ou se disperser en légers tourbillons sur l’aile des vents. Souvent aussi, se condensant tout-à-coup, ils s’arrêtent immobiles ; des torrens s’échappent de leurs flancs entr’ouverts, et se précipitent en flots écumeux de la cime de la montagne, aussitôt que reparaît la clarté joyeuse du soleil.

XVI.

— Quel est, dit Bruce, le nom de ce sombre lac dont les barrières effrayantes sont des précipices escarpés qui n’offrent au chevreuil d’autre sentier que l’étroite lisière que foulent nos pas ? Comment appelez-vous ces monts arides, et ce pic gigantesque, élevant jusqu’aux nues ses gouffres affreux et ses crevasses, qui sont comme les cicatrices de sa crête brisée par la foudre ? — Coriskin est le nom du lac, et Coolin celui de la montagne, ainsi appelée par nos bardes depuis le chef Cuchullin, d’antique mémoire ; mais plus familiarisés dans nos îles avec les tableaux hideux de la nature qu’avec ses créations riantes, nos bardes se plaisent souvent, suivant le caprice de leur imagination, à donner des noms fictifs à de semblables objets. Je voudrois que le vieux Torquil pût vous montrer ses jeunes filles avec leur sein de neige, et vous dire d’écouter le chant monotone de sa nourrice. Les jeunes filles, ce sont d’énormes rochers à saillies blanchâtres ; la nourrice, un torrent à la voix menaçante. Nous pourrions aussi vous faire admirer l’étang glacé de Corryvrekin, connu sous le nom de la Sorcière au chaperon blanc. C’est ainsi que l’imagination de nos insulaires a trouvé des noms fantastiques pour les lieux sauvages qu’ils habitent.

XVII.

Bruce répondit : Une âme rêveuse pourroit trouver ici des idées plus morales. Ces rochers sublimes qui portent jusqu’à la voûte des cieux leurs têtes stériles, indifférens aux rayons du soleil et aux insultes des frimas, ne sont-ils pas l’image du sort d’un monarque ? Élevé au milieu des orages politiques, placé trop haut pour goûter les simples plaisirs d’une vie obscure, son âme est un roc insensible, son cœur un aride désert ; sa tête couronnée est au-dessus de l’amour, de l’espérance et de la crainte… Mais que vois-je sous cette pointe de rocher ? ce sont des chasseurs qui ont tué un cerf. Qui peuvent-ils être ? Vous disiez tout à l’heure que jamais mortel ne pénétroit dans cette île ?

XVIII.

— Je l’ai dit… et je le croyois, répondit Ronald. Cependant je vois aussi cinq hommes qui nous observent et viennent à nous. Par la ganse qui décore leurs bonnets je les reconnois pour des vassaux de Lorn, polir des ennemis de mon prince. — Peu importe, j’ai vu maint combat plus inégal. Nous sommes trois contre cinq ; mais le pauvre page ne peut guère nous aider : convenons donc de notre plan de bataille… S’ils nous disputent le passage, attaquez-en deux je me charge des autres. — Non, mon prince, c’est à mon épée qu’il appartient de résister à trois ennemis. Si Ronald succombe, ce sera une perte plus facile à réparer que celle de Bruce… Mais nos insulaires sont bientôt des soldats… Allan a une épée aussi bien qu’un arc ; et, si mon roi l’ordonne, deux flèches vont égaliser le nombre des deux côtés. — Non, reprit Brlice, dût-il m’en coûter la vie ; j’ai déjà à répondre de trop de sang inutilement versé… Nous saurons bientôt si ces gens-là viennent à nous comme amis ou comme ennemis.

XIX.

Ces étrangers s’approchoient toujours, et leur aspect sinistre étoit loin de rassurer le monarque : ils s’avançoient d’un pas irrésolu, le regard en dessous et cherchant à n’être pas vus. Les deux premiers, mieux équipés, portaient le costume, le plaid et les armes des montagnards : des dagues, des claymores, un arc et des traits. Les trois autres, qui suivoient à un court intervalle, sembloient des serfs d’une classe inférieure : — des peaux de chèvres ou les dépouilles du daim protégeoient leurs épaules contre le souffle du vent ; leurs bras, leurs jambes et leurs têtes étaient nus, leur barbe mêlée, et leurs cheveux crépus ; une massue, une hache et un glaive rouillé composoient toutes leurs armes.

XX.

Ils continuoient de venir à la rencontre de Bruce et de Ronald en gardant le silence. — Dites-nous qui vous êtes, s’écria Bruce, ou arrêtez ! Quand on se rencontre dansa des déserts, on ne s’aborde pas comme dans les villes paisibles. Ils s’arrêtent à ces paroles sévères, font un salut brusque, et répondent brièvement avec un ton peu gracieux qui prouve qu’ils sont courtois par crainte, mais non avec franchise : — Nous errons, comme vous peut-être ; jetés ici par les vents et les flots. Si vous y consentez, nous partagerons avec vous ce dernier fruit de notre chasse. — Si vous tenez la mer, où est votre navire ? — A dix toises au fond de l’Océan. Nous fîmes hier naufrage ; mais des hommes tels que nous font peu d’attention au danger. Les ombres s’épaississent… le jour a fui… voulez-vous venir dans notre hutte ? — Notre vaisseau nous attend dans la baie, nous vous remercions de votre offre. Adieu. — Seroit-ce votre vaisseau qui côtoyoit ce soir cette île ? — Oui sans doute. — Épargnez-vous la peine de le chercher ; nous l’avons aperçu tout à l’heure du haut de la montagne ; un navire anglois avec le pavillon rouge de Saint-Georges s’est montré tout-à-coup, le vôtre a levé l’ancre et gagné le large.

XXI.

— Par la croix sainte ! voilà une fâcheuse nouvelle, dit tout bas lord Ronald à Bruce. Il ne fait plus assez jour pour la vérifier ; ces gens-là semblent grossiers, mais on trouve de bons cœurs sous une rude écorce : suivons-les. La nourriture et l’abri qu’ils nous offrent nous sont nécessaires ; nous nous tiendrons en garde contre la trahison, et chacun de nous fera sentinelle à son tour pendant que les autres goûteront le sommeil… Braves gens, nous acceptons avec reconnoissance, et nous vous récompenserons… Allons, conduisez-nous à votre cabane… Mais, doucement, ne mêlons pas nos deux bandes. Montrez-nous le chemin à travers ces rochers, marchez devant, et nous vous suivrons.

XXII.

Ils arrivèrent sous une tente formée avec des voiles attachées contre une roche ; et en entrant ils trouvèrent un jeune garçon dont la taille délicate et le maintien noble s’accordoient mal avec un lieu si sauvage. Il avoit une toque et un manteau de velours vert ; le reste de son habillement, de couleur noire, ressembloit au costume des ménestrels ; des cheveux bouclés cachoient à demi son front flétri par la douleur, et ses yeux baignés de larmes. — Quel est ce pauvre enfant ? demanda Ronald. La voix du prince des Iles vint soudain le distraire de sa douleur. Il parut sortir d’un songe pénible ; il tressaillit, leva la tête en poussant un cri, et promena alentour ses yeux égarés ; puis il se tourna du côté du mur en rougissant.

XXIII.

— Quel est cet enfant ? demanda une seconde fois Ronald. — La guerre l’a rendu notre prisonnier, il sera tout à l’heure le vôtre, si la musique a pour vous plus de prix que l’or : muet depuis le berceau, ce jeune garçon est habile sur le luth, et sait abréger les heures par les accords les plus doux. Quant à nous, le vent favorable qui pousse notre proue en mugissant nous paroît mille fois plus mélodieux. — Entend-il du moins les paroles qu’on lui adresse ? — Oui, c’est ce que nous a dit sa mère qui a péri dans le naufrage. Voilà ce qui fait pleurer ce jeune musicien. Je ne puis vous en apprendre davantage ; il n’est notre captif que depuis hier ; au milieu de la tempête nous n’avons guère pu nous occuper de lui… Mais c’est trop perdre de temps en paroles ; partagez notre repas, et déposez vos armes. — Au même instant le captif tourne la tête et lance à Ronald un rapide coup d’œil : c’étoit un regard significatif que le guerrier comprit facilement.

XXIV.

Amis, dit-il, nous ferons feu et table à part. Apprenez que c’est un pèlerinage que, mon compagnon, ce page et moi, nous avons entrepris. Nous avons fait serment d’abstinence et de veille jusqu’à ce que notre vœu soit rempli ; nous ne pouvons quitter nos plaids et nos glaives, ni partager le repas d’un étranger. Pendant les heures du sommeil, l’un de nous est tenu de veiller. Ainsi ne vous offensez pas si nous choisissons ce coin de la hutte pour nous y retirer. — Étrange vœu ! dit le plus âgé des montagnards ; il est difficile de le bien observer. Que diriez-vous donc si, pour répondre à la méfiance dont vous récompensez notre bon accueil, nous refusions de vous faire part de notre chasse ? — Nous vous dirions que nos épées sont d’une bonne trempe, et que notre vœu ne nous contraint point à mourir de faim quand nous pouvons nous procurer des mets avec de l’or ou du fer. Le front de l’étranger s’enflamme de colère, il grince les dents ; mais tout son ressentiment s’éteint devant le regard étincelant de Ronald ; son lâche cœur ne peut soutenir le front calme et intrépide du monarque : — Que chacun suive donc la coutume de son clan, dit-il avec un faux sourire ; que chacun se tienne dans ses quartiers séparés, et y mange et dorme à son gré.

XXV.

Un double feu s’allume. Pendant le repas, Ronald, Bruce et le page veillent tour à tour. Le visage du vieux montagnard n’annonçoit rien de bon ; il sembloit méditer quelque noir stratagème, et ne cessoit de regarder en dessous avec un air de circonspection. On remarquoit sous ses épais sourcils l’expression du doute et de l’astuce. Le plus jeune, qui paraissoit être son fils, avoit ce sombre aspect qui fait peur aux âmes timides ; quant aux serfs qui se tenoient derrière eux, il y avoit dans leurs regards un mélange de haine et de crainte. Mais bientôt la nuit devint plus obscure dans la cabane ; ils se couchèrent tous cinq, et s’endormirent ou feignirent de dormir. Le jeune captif lui-même qui, prive de la parole, n’avoit plus que ses yeux pour déplorer ses malheurs, cédant à la fatigue, s’étendit par terre pour sommeiller.

XXVI.

Le monarque ne se fiant pas à ses hôtes dangereux, laisse veiller Ronald jusqu’à minuit ; alors Bruce le relève lui-même, et Allan veillera le dernier, après avoir pris le repos qu’exige son âge plus tendre. Quelle est la pensée que Ronald appelle à son secours pour résister au sommeil ? car la crainte d’un aussi lâche ennemi n’auroit pu suffire pour l’occuper : Ronald pense à la charmante Isabelle, au moment où elle tomba aux genoux d’Argentine ; il la revoit aussi dans le brillant tournois de Woodstœk, où elle lui remit avec un sourire bienveillant le prix dû au vainqueur. Belle aux jours de la gloire, belle encore dans le malheur, la sœur de Bruce ne remplit pas seule le cœur du prince des Iles ; il se rappelle aussi Édith, son aimable fiancée… Ah ! comment se décidera-t-il ? L’une a son amour et son cœur, l’autre sa foi et ses sermens prononcés devant le ciel. L’heure de la veille n’est pas pénible pour lui : rarement le sommeil visite les amants. Enfin le hibou fit entendre son chant de minuit ; le renard y répondit en glapissant ; le monarque s’éveilla, et, cédant à ses instances, lord Ronald consentit à prendre un peu de repos.

XXVII.

Quel charme employa le roi Robert pour oublier les fatigues du jour ? Son imagination fit palpiter son cœur de l’enthousiasme de la liberté ; il rêva au bonheur de sa patrie, aux combats livrés pour elle, aux châteaux pris d’assaut, aux villes affranchies, aux étendards de l’Angleterre humiliés par la croix triomphante d’Écosse ; aux vicissitudes de la guerre ; enfin à tout ce qui fait la pensée chérie des héros. Peut-on s’étonner si le sommeil ne vint point s’appesantir sur le monarque au milieu ales importans projets que méditoit sa grande âme ? Déjà une lumière pâle couronne la cime orientale de Coolin : la loutre va se cacher dans sa retraite, la mouette s’éveille avec un cri perçant… Le monarque se résout à goûter un sommeil nécessaire. Le page veille à son tour.

XXVIII.

Il est plus difficile aux yeux d’Allan d’observer la veille qu’exige la sûreté de ses compagnons et la sienne. Il garnit le foyer des rameaux pétillans du pin à la flamme bleuâtre, puis il regarde ses hôtes enveloppés dans leurs plaids. Mais son âme étoit peu accessible à la crainte ; issu d’une race de héros, Allan, s’il vit, égalera un jour les plus vaillans chevaliers. Il pense au château de sa mère, aux bosquets qu’aimoient ses jeunes sœurs, et aux jeux de son enfance. Mais bientôt la clarté de la flamme semble mourir devant ses yeux fatigués. Il se relève, considère le lac où les premières lueurs de l’aurore commençoient à briller. Le brouillard cachoit la cime des rochers, la brise du matin ridoit légèrement la surface de l’onde ; les vagues faiblement agitées frappoient le rivage avec un bruit continuel et monotone. Allan rêve aux récits qui amusèrent ses jeunes années, aux apparitions des pèlerins, aux esprits et aux fantômes, à la chaumière fatale de la sorcière, et aux grottes d’albâtre de la sirène qui habite sous l’Océan dans la retraite enchantée de Strathaire. Son imagination le transporte dans ce séjour : les voûtes de la grotte frappent sa vue au lieu de la sombre enceinte de la hutte ; il pense fouler aux pieds le pavé de marbre ; au-dessus de sa tête les sculptures magiques étincellent comme les étoiles du firmamentnote… Écoute, infortuné ! cesse de croire que le cri aigu que tu entends est la voix de la naïade irritée !… Hélas ! le cri secourable du captif interrompt trop tard le rêve d’Allan. Au moment où il se relève en sursaut, la dague de l’un des brigands a trouvé le chemin de son cœur ; il tourne vers le ciel ses yeux troublés… murmure le nom de son maître, et meurt.

XXIX.

Le réveil de Bruce fut fatal au meurtrier : sa main a saisi un tison ardent, première arme qui se présente lui ; le jeune Allan est déjà vengé : le scélérat tombe et rend le dernier soupir. Le prince des Iles seconde le monarque ; un des serfs montagnards expire percé de son épée, un autre, renversé par son bras redoutable, attend le coup du trépas ; mais, pendant que lord Ronald lui enfonce son épée dans le cœur, le chef de ces assassins vient par derrière lever sur lui une main perfide !… Que ne peut-il être secouru un moment jusqu’à ce que Bruce, qui ne peut frapper deux ennemis à la fois, en ait étendu un second sur le premier déjà expirant… Le captif a vu le péril de Ronald et s’est élancé sur le bras qui le menace ; il l’arrête, et déjà le traître a mordu la poussière, terrassé par le valeureux Robert.

XXX.

— Lâche, s’écrie le monarque, pendant qu’il te reste un souffle de vie, fais-moi connoître quelle noire trame t’arma d’un fer homicide contre de paisibles étrangers ?

— Tu n’es point un étranger, répond ce misérable aveç un accent farouche ; je te connois bien, j’ai vu en toi l’ennemi de mon noble chef, du puissant Lorn. — Eh bien, dit Bruce, réponds encore à une question, et réponds sans détour, pour le salut de ton âme… D’où vient ce captif ? apprends-nous son nom, sa naissance et son pays ; répare par cet aveu ton infâme trahison. — Laisse-moi mourir ;… mon sang se glace, j’ai tout dit sur cet enfant : nous l’avons trouvé dans un navire où nous cherchions… et je pensai… — La mort Iui défend de poursuivre ; Cormac périt, comme il avoit vécu, au milieu du carnage.

XXXI.

Appuyé sur son glaive sanglant, le valeureux Bruce dit à Ronald : — Ami, nous devons rougir… Ce jeune ménestrel lève vers le ciel ses lèvres muettes, et il joint les mains pour rendre grâces au Très-Haut de notre délivrance miraculeuse, tandis que nous oublions d’exprimer notre reconnoissance à la Divinité.

Bruce s’approcha du jeune captif en lui parlant avec douceur ; mais son épée nue le fit frémir. Le monarque essuya le sang qui la souilloit et la plongea dans le fourreau. — Hélas, ajouta-t-il, pauvre enfant ! ta destinée est bien peu d’accord avec ta douceur et ta faiblesse : esclave d’un pirate, tu passes sous un autre maître dont la vie errante n’est qu’une suite de combats et de dangers ;… mais, quoique prince sans royaume et privé de presque tous ses amis, Bruce saura te donner un asile. — Viens, noble Ronald, tes larmes généreuses ont assez coulé sur celui qui n’est plus. Allan est d’ailleurs bien vengé ; viens, quittons ces lieux, le jour a lui ; allons chercher notre navire… Je me flatte que ce traître nous a trompés en nous annonçant qu’il avoit pris le large.

XXXII.

Cependant, avant de quitter ce théâtre de carnage, le prince des Iles fit ses tristes adieux à Allan : — Qui racontera sa fin déplorable dans le château de Donagaile ? dit-il ; hélas ! qui apprendra à sa pauvre mère que le plus chéri de ses fils est mort dans la fleur de son âge ! Paix à ton ombre, page infortuné ; compte sur moi pour le soin des prières funèbres. Quant à ces lâches, les hurlemens du loup et le cri du corbeau retentiront sur leurs cadavres privés de sépulture.

Déjà une lumière de pourpre et d’or se répand sur la crête orientale de Coolin et sur les sombres vagues du lac ulle brille des plus riches nuances depuis le pic aérien de la montagne jusqu’aux ravins et aux précipices. (C’est ainsi que les grandeurs de la terre nous abusent de loin par leur éclat, et couvrent sous la magnificence les soucis secrets qui les accompagnent.) Bruce et Ronald suivent un sentier inégal à travers les saillies d’un dur granit. Les deux guerriers s’entretiennent tristement, et le captif les suit en silence.


FIN DU CHANT III.


CHANT IV.


I.

Étranger, si tes pas audacieux ont parcouru les contrées septentrionales de l’antique Calédonie, où l’orgueilleuse reine du désert a placé son trône solitaire près des lacs et des cataractes, ton âme a éprouvé un plaisir sublime, mais triste, en contemplant les vallons incultes et la cime des monts ; en écoutant les torrens rapides qui se précipitent des flancs des rochers et mêlent leurs voix mugissantes aux cris de l’aigle, au`murmure du lac et au sifflement des aquilons.

Oui, ce spectacle t’a paru sublime, mais plein de mélancolie ; … la solitude a pesé sur ton âme, le désert a lassé tes yeux ; un sentiment solennel et sévère, une terreur étrange, ont accablé ton cœur ; tu aurois désiré trouver non loin de toi la cabane d’un bûcheron ou quelque indice d’une créature vivante ; tu aurois aperçu avec ravissement la fumée s’élever en légers flacons au-dessus du toit hospitalier ; tu aurois répondu avec joie au chant matinal du coq ou aux cris des enfans, sous la verdure des saules.

Quels sont les lieux dont la sauvage grandeur excite cet effroi adouci par un soupir ? Ce sont les lacs du sombre Rannoch, la vallée de Glencoë, ou bien encore ces cavernes blanches d’écume des climats du nord, où le Loch-Eribol mugit de colère. Mais que le ménestrel aille juger si ces solitudes imposantes ne cèdent pas au terrible rivage qui voit s’élever l’aride crête de Coolin, et qui entend rugir le Coriskin. —

II.

Les guerriers traversoient ces déserts, lorsque le son d’un cor et des clameurs répétées frappèrent leurs oreilles. — C’est le cor d’Edward, dit Bruce ; quelle cause a pu déterminer un si prompt retour ? Regarde, généreux Ronald… vois-le s’élancer sur les rochers avec la légèreté du cerf poursuivi. C’est ainsi qu’Edward Bruce précipite toujours ses pas dans les jeux de la paix comme aux jours des batailles… Il nous a vus ; avant qu’il soit auprès de nous, ses cris vont nous instruire des motifs qui l’amènent.

III.

Edward s’écrie : — Que faites-vous ici à la poursuite du chevreuil, lorsque l’Écosse réclame son roi ? Un navire de Lennox, qui s’est croisé avec le nôtre, m’accompagne pour vous en porter à la hâte l’heureuse nouvelle. Stuart appelle aux armes les vallons de Teviot et Douglas ceux où il reçut le jour. Ta flotte, ô Bruce ! est parvenue malgré la tempête dans la baie de Brodick. Lennox n’attend que ton arrivée et tes ordres pour embarquer une troupe de braves dévoués ; mais il me reste encore une faveur du ciel à t’apprendre : le plus cruel de tes ennemis, Edward d’Angleterre, vient d’expirer sur les frontières, en marchant contre nous à la tête de son arméenote.

IV.

Bruce demeura calme… son front sévère témoignoit rarement sa joie. Mais bientôt un noble enthousiasme colora son visage : — Terre d’Écosse, s’écria-t-il, tu verras donc, avec la volonté du ciel, tes enfans libres et vengés de leurs ennemis. Mais, Dieu tout-puissant, je te prends à témoin qu’il ne se mêle aucun ressentiment personnel à la joie que me cause la mort d’Edward : je reçus de sa main l’épée de chevalier ; je lui dus mon rang et mon sceptre, et je puis avouer qu’en arrachant de l’histoire la page des affronts faits à l’Écosse, la postérité ne pourroit plus voir en lui qu’un monarque sage, courageux, et chéri de son peuple. — Que les bourgeois de Londres déplorent la perte de leur prince, que les moines de Croydon chantent ses louanges, reprit Edward avec vivacité ; ma haine, éternelle comme la sienne, franchit les barrières de la vie et ne meurt pas avec celui qui n’est plus. Telle a été la haine de notre persécuteur sur les sables de Solway, quand la rage contractoit encore sa main presque insensible pour montrer la terre d’Écosse, et qu’il prononçoit pour dernières paroles des malédictions contre son successeur, s’il épargnoit la patrie de Bruce avant que tous les prétendus rebelles fussent étendus sur leurs sillons ensanglantés. Telle a été sa haine lorsque, renonçant aux paisibles demeures des morts, il a ordonné à son armée impitoyable de transporter ses ossemens sur nos frontières comme si son œil glacé pouvoit encore jouir du spectacle de nos infortunes. Telle a été la haine du tyran, cruelle, terrible, éternelIe… comme la mienne.

V.

— Edward, laisse les femmes s’attaquer avec des mots, et les moines avec des malédictions ; l’épée est la seule arme des guerriers. Crois qu’il nous restera assez d’ennemis vivants pour satisfaire ta haine et ta vengeance, Tourne les yeux vers la mer, et vois ces galères qui nous invitent à profiter du vent favorable. A bord, à bord, et qu’on mette à la voile. Dirigeons-nous sur Arran, où nos amis dispersés se sont réunis au loyal Lennox, à Delahaie, et à Boyd si audacieux dans les batailles. Il me tarde de commander ces vaillans soldats et de voir flotter de nouveau mon étendard… Le noble Ronald veut il nous accompagner, ou rester pour réunir les forces de ces îles ? — Advienne ce qu’il pourra, heur ou malheur, reprit le chef, Ronald ne quittera jamais le côté de Bruce. Puisque deux galères sont entrées dans la baie, la mienne ira, avec l’agrément de mon souverain, appeler aux armes les clans d’Uist et tous ceux qui entendent les rugissemens du Minche sur les rivages de Long-Island. Quant aux habitans des îles plus voisines, nous pouvons, sans éprouver un grand retard, les avertir nous-mêmes en continuant notre route ; et bientôt la côte d’Arran verra Torquil arriver avec une flotte, si ses insulaires de l’ouest respectent toujours les ordres de leur prince.

VI.

Ce projet fut adopté. Mais avant qu’on remît à la voile, Coolin et le sombre Coriskin entendirent les lamentations des funérailles. Les insulaires attristés portèrent jusqu’au rivage le corps du page malheureux, en suivant à pas lents les bords de ce lac, digne théâtre d’un spectacle aussi douloureux. A chaque halte, les chants du coronach s’élevoient jusqu’aux nues ; et, quand le cortège se remettoit en marche, les cornemuses célébroient avec les sons aigres du pibroc le jeune héritier de Donagaile. Les rochers et les cavernes du Coolin répétèrent l’hymne des tombeaux. Ces funèbres accords alloient mourir sur les brouillards de la montagne ; car jamais accents formés par les mortels n’atteignirent sa cime escarpée, qui ne répond qu’à la voix terrible de la tempéte, ou aux roulemens de la foudre.

VII.

Le navire sillonne rapidement les flots, et bondit, poussé par la brise des montagnes de Ben-na-Darch, qui se joue dans les voiles ; le frémissement qui agite les cordages ressemble au rire de la gaieté ; les vagues divisées bouillonnent et murmurent comme pour répondre par un semblable son. La mouette précède le vaisseau, et rase la plaine liquide d’une aile légère. La cime du Coolin et les rochers de Sapen ont déjà disparu. Ce fut alors que des signaux guerriers se firent voir aux noires tours du Dunscaith et du lac d’Éiford ; bientôt d’épais nuages de fumée s’élèvent en tournoyant sur Cavilgarrich. À cet aspect, qui flatte leur soif de guerre et de vengeance, les clans belliqueux de Sleath et de Strath, impatients d’en venir aux mains, coururent aux armes et se couvrirent de leurs boucliers. Le chef de Mac-Kinnon, blanchi dans les batailles, est chargé de les commander et de les conduire à la baie de Brodick.

VIII.

Un autre signal éclaire au loin la terre et la mer du haut de la tour de Canna, suspendue sur l’abîme comme le nid du fauconnote. Ne cherchez point à gravir le rocher sur lequel est assis ce château, pour y contempler ses ruines ; c’est une entreprise hasardeuse, si ce n’est pour le daim ou l’agile chevreuil. Arrêtez-vous sur les sables argentés de la plage, et faites répéter au vieux berger son antique tradition. Il imposera silence aux sauvages aboiements de son chien, étendra son plaid sur les grèves de l’Océan, vous invitera à vous y asseoir, et vous racontera comment un chef amena jadis une dame étrangère dans cette sombre tour. Une noire jalousie put seule inspirer à cet époux sévère de confiner dans une telle prison une aussi belle captive.

Souvent, lorsque les rayons de la lune dormoient sur le sein des vagues, cette aimable étrangère s’inclinoit en pleurant sur les créneaux des remparts, et tournoit les yeux vers les climats du sud. Pensant peut-être à des temps plus heureux, elle touchoit son luth, et chantoit de plaintives romances dans la langue de sa patrie. De nos jours encore, quand la clarté de l’astre des nuits se reflète sur le rocher de la baie ; quand chaque brise est muette, l’habitant des Hébrides croit entendre, avec un plaisir mêlé de crainte, le murmure d’un luth et la voix d’une captive qui déplore ses malheurs dans une langue inconnue… Ce récit est touchant… mais il a déjà trop occupé la harpe du ménestrel… Hélas ! qui peut passer près du rocher et de la tour en ruines, sans accorder le tribut d’un soupir à l’infortunée dont ils rappellent la mémoire ?

IX.

Cependant le pilote a dirigé le navire vers les montagnes de Ronin ; les peuples qui les habitent sont accourus sur le rivage ; leur arc est détendu. Soumis aux lois du lord des Iles, ils laissent le pieu des chasseurs pour le fer des guerriers. Bientôt la flamme qui brille sur Scouoreigg appelle ses habitans sous les drapeaux de leur prince, race nombreuse avant que le farouche Macleod vînt dans leur île, armé de la vengeancenote. Vainement la caverne de l’Océan offre un refuge à ses victimes : le chef inexorable en ferme l’entrée avec des bruyères en feu ; d’épaisses vapeurs remplissent le souterrain ; les menaces des guerriers, les gémissemens des enfans, les cris des mères sont vainement entendus ; le chef, n’écoutant que sa rage, entretient les flammes jusqu’à ce que toute une tribu expire dans son dernier asile. Les ossemens encore entassés dans la caverne attestent cette fatale vengeance.

X.

Le navire sillonne rapidement les flots, semblable à l’alouette qui fend les airs au retour de l’aurore, ou au cygne qui traverse l’onde amère dans un jour d’été. On aperçoit à l’est les rivages du Mull, Colonsay, Ulva et le groupe des îles qui entourent Staffanote, célèbre par le temple de l’Océan ; parmi ses colonnes ignorées, le cormoran trouve un asile paisible ; le timide veau marin repose sans crainte dans cet édifice merveilleux, que la nature semble avoir voulu élever elle-même à la gloire de son créateur, pour surpasser tous les temples construits par des architectes mortels. Pour quelle autre divinité se seroient élevées ces colonnes, et ces arches se seroient-elles arrondies ? Telle est la pensée solennelle qu’inspire la voix retentissante des vagues, répétée par l’écho dans les intervalles du flux et du reflux, avec une mélodie plus imposante que celle de l’orage. Ce n’est point sans dessein que l’entrée de l’édifice fait face à l’antique temple d’Iona ; la nature semble dire à l’homme : — Enfant fragile de la poussière, tu as construit un monument auguste et vanté au loin ;… mais regarde le mien !

XI.

Le navire continue sa route rapide, comme le dauphin qui échappe au tyran des mers, ou tel qu’un daim poursuivi par la meute. Ronald laisse le Loch-Tua du côté opposé au vent ; il se fait reconnoître aux guerriers du sauvage Tiry, et au chef de l’île sablonneuse de Coll. Il ne s’arrête point au port de Saint-Colomba, quoique l’airain des clochers retentisse solennellement. — Le fier et vaillant lord de Lochbuie vit son signal, et ceignit son épée ; la verdoyante Iloy réunit tous ses braves ; avec eux s’armèrent l’île de Scarba, battue par les flots menaçans du Corryvrekin, et la solitaire Colonsay. Lieux chantés par une harpe aujourd’hui muette, il a cessé de vivre, celui qui vous célébra ! il est éteint, ce flambeau qui aimoit à répandre au loin la clarté du savoir. Un rivage étranger a reçu le dépôt des cendres de Leyden !

XII.

Le vent n’a pas cessé d’étre favorable, mais le navire ne sillonne plus les mers. C’est une route inusitée qu’il suit, de peur de rencontrer la flotte ennemie du sud, en tournant autour de la péninsule de Cantirenote ; il entre dans le lac de Tarbat : l’équipage est obligé de traîner le vaisseau sur l’isthme, jusqu’à la baie de Kilmaconnel. Ce fut un spectacle étrange de voir les mâts passer au-dessus de la cime des arbres, et le vaisseau glisser librement le long des rochers et des bois. Maint devin des montagnes sut tirer d’importans présages de ce prodige, rappelant aux habitans de ces parages les anciennes légendes qui disoient : — Que lorsqu’un navire royal vogueroit sur la mousse de Kilmaconnel, l’antique Albyn triompheroit dans les batailles, et verroit pâlir et trembler tous ses ennemis à l’aspect de sa croix d’argent.

XIII.

Lancée une seconde fois dans la mer, la galère, fière de cet augure, fit voile pour l’île d’Arran ; avant de s’éclipser derrière Ben-Ghoil, montagne des vents, ie soleil éclaira d’une clarté propice cet âpre sommet et le Loch-Ranza. Bruce et ses compagnons saluent ces lieux avec foie ; l’île sembloit reconnoître son monarque, tant la côte étoit brillante, tant l’Océan étoit pur. Chaque vague diamantée rouloit paisiblement dans la baie, où les couleurs de l’or étaient mélées à celles de l’azur et de l’émeraude. La tour, la colline, le vallon et le bocage étaient richement nuancés par les teintes de la dernière heure du soir. Le vent, qui soupiroit avec amour, interrompoit seul par intervalles ce silence solennel. Qui auroit voulu détruire le charme de ce tableau enchanté par des entretiens de combats et de malheurs ?

XIV.

Est-ce de la guerre, que parle Ronald ? La rougeur qui colore ses joues, son regard timide et baissé, l’hésitation de sa voix, indiquent un tout autre discours ; le front du roi Robert laisse connoître qu’une pensée profonde l’absorbe, et qu’il doute de ce qu’il peut répondre à une demande importante ; cependant on lit aussi parfois dans ses yeux un regard de compassion mêlé à ce sourire de bienveillance de l’homme sévère qui écoute parler d’amour. Lord Ronald plaide sa cause avec inquiétude ; — Quant à ma fiancée, dit-il, mon souverain sait comment Édith a fui d’Artornish ; elle est trop à plaindre pour que je croie avoir le droit de blâmer cette prompte évasion ; que le bonheur l’accompagne !… Mais elle a fui l’hymen, et Lorn a retiré sa promesse en présence de nos chefs assemblés. J’ai offert ma main pour accomplir l’alliance projetée par nos pères… Repoussé avec dédain, je con-naîtrois mal les lois de l’honneur, mon cœur seroit bien lâche, si je jouois encore le rôle de suppliant pour le.plaiair de Lorn.

XV.

Ami, répondit Bruce, c’est à l’Église à décider cette question ; mais il seroit peu juste, il me semble, puisque Édith accepte, dit-on, Clifford pour son époux, que le lien qu’elle a rompu pût encore te retenir ; quant à ma sœur Isabelle, qui nous répondra des caprices d’une femme ? Le chevalier du Rocher, vainqueur dans le tournoi de Woodstok, ce chevalier inconnu, couronné de sa main, a su lui plaire ; je le soupçonne ; mais depuis le malheureux sort de notre frère Nigel, depuis la ruine de notre maison, ma sœur, pensive et triste, est bien changée ! Peut-être, ajouta le monarque en souriant, peut-être ce que je viens d’entendre pourra lui causer d’autres rêveries : nous le saurons bientôt ; ces montagnes nous cachent le couvent de Sainte-Brigite, c’est là qu’Edward a déposé Isabelle, qui doit y demeurer jusqu’à des temps plus prospères ; c’est là que je porterai ta requête ; crois que ton ami saura parler pour toi.

XVI.

Pendant qu’ils conversoient ainsi, le ménestrel muet étoit auprès d’eux, et appuyoit son front contre le mât ; un chagrin qu’il vouloit en vain réprimer arrachoit d’amers soupirs de son sein haletant ; ses mains pressoient ses paupières comme s’il eût voulu arrêter ses larmes au passage ; mais elles ruisseloient malgré lui à travers ses doigts délicats. Edward, qui se promenoit plus loin sur le tillac, s’aperçut le premier de cette douleur contrainte ; aussi irréfléchi que bravenote, il s’empressa de consoler le jeune homme affligé avec une bienveillance mêlée de brusquerie. Il arracha la faible main qui cachoit ses yeux baignés de pleurs ; le captif résistoit… mais le guerrier, avec une rudesse qu’il prenoit pour une marque d’amitié, essuya lui-même ses joues, en lui disant — N’as-tu pas honte de pleurer… Je voudrois que ta langue muette pût me dire quel est celui qui cause ta peine ; fût-il le meilleur de nos matelots, j’en aurois raison. Allons, console-toi ; te voilà propre à servir de page à un guerrier : tu seras le mien. Un beau palefroi te sera confié pour me suivre à la chasse ou pour porter mes messages à ma belle ; car je pense bien que tu ne trahiras point le nom de ma divinité.

XVII.

Bruce s’approche à ces mots. – Joyeux Edwardnote, dit-il, ce n’est point là le page qu’il te faut pour garder ton arc, remplir ta coupe, ou porter tes messages auprès de la beauté. Tu es un maître trop rude et trop irréfléchi pour cet orphelin. Ne vois-tu pas comme il aime à rester nuit et jour à l’écart ? Il est assurément plutôt fait pour servir notre sœur Isabelle dans les paisibles occupations du cloître, et pour y prier le ciel avec le père Augustin, que pour courir les aventures avec un guide tel que toi. — Grand merci de tes complimens flatteurs, répondit gaiement Edward. Mais un jour nous verrons qui de nous deux protégera ou emploiera mieux ce pauvre enfant… Notre vaisseau est en vue du rivage, lançons la chaloupe et débarquons.

XVIII.

Le roi Robert sauta légèrement à terre et fit trois fois retentir son cor, qui réveilla les échos de Ben-Ghoil. C’étoit là que Douglas et Delahaie serroient de près un cerf aux abois, et que Lennox excitoit la meute trop lente au gré de son impatience.

— C’est l’ennemi, s’écria Boyd_ qui accourut haletant et l’œil en feu… c’est l’ennemi ; que chacun de nous, vaillans chevaliers, laisse son arc et prenne son épée. — Non, reprit le lord James, ce n’est point là un cor anglois ; Je l’ai souvent entendu animer les combattans, les exciter à la victoire ou arrêter la déroute : Douglas, reconnois le signal de Bruce ; que chacun de nous se rende aux bords du Loch-Ranza ; ce cor est celui de notre monarque.

XIX.

La nouvelle se répand ; les guerriers courent au rivage en poussant les acclamations de la fidélité. Ils se pressent autour de Bruce, lui serrent les mains et versent des larmes. Les uns étaient de vieux guerriers dont le casque cachoit les cheveux blancs, et dont la hache étoit encore souillée du sang des Danois ; les autres, des enfants dont la faible main pouvoit à peine frapper de leurs épées pesantes contre le fer des boucliers. Il en étoit aussi qui portoient les cicatrices de blessures reçues dans les malheureuses guerres d’Albyn, au fatal combat de Falkirk et aux défaites de Teyndum et de Methven. On remarquoit le robuste Douglas, l’aimable Lennox, Kirkpatrick, le chevalier redoutable de Closeburn ; Lindsay farouche et bouillant, l’héritier de Delalaye, victime d’un meurtrier, le grave Boyd et le gai Seton. Ils entourent le roi qui leur est rendu ; ils pleurent, et le pressent sur leur cœur ; vieillards et jeunes gens, seigneurs et vassaux ; celui qui n’a jamais tiré le glaive du fourreau, comme le guerrier familiarisé avec les périls, tous sont déterminés à tout braver, et à vaincre ou à mourir aux côtés de Bruce.

XX.

Guerre ! tu as tes farouches plaisirs, tes rayons de joie qui brillent et éblouissent comme l’éclair de lumière qui jaillit du bouclier sur le champ de bataille. Tels sont les transports que fait naître le cri de victoire, ou le serment de vengeance après une défaite, quand une armée proclame les noms de ceux qui ont succombé en braves. Terre des Bretons, tu fus toujours la patrie des héros ! et tes nobles soldats aimeront toujours les sons de la lyre anglaise ! O vous à qui l’honneur est cher, ne connoissez-vous pas cette joie sévère qui fait vibrer tous les ressorts secrets du cœur et inonde les yeux de larmes ? Pourriez-vous donc blâmer Bruce, si son mâle visage offrit des traces de pleurs lorsqu’il aperçut à ses genoux, et lui tendant les bras, les courageux patriotes qui avaient salué les premiers jours de son règne ? Pourriez-vous le blâmer ? Son frère osa le faire : tout en partageant sa foiblesse, mais honteux, il détourna la tête avec un sourire de fierté, et se hâta d’essuyer la larme qui le faisoit rougir.

XXI.

L’aurore a lui ; la cloche de matines a cessé depuis long-temps de retentir dans le cloître de Saint-Bride. Une ancienne sœur accourt à la cellule d’Isabelle et s’écrie : — Hâtez-vous jeune princesse, hâtez-vous ; un noble étranger vous attend à la grille. Les pauvres recluses de Saint-Bride n’ont jamais vu chevalier à l’air si imposant ; c’est à lady Isabelle qu’il veut parler, a-t-il dit. — La belle princesse étoit agenouillée pour réciter son rosaire ; elle se lève et répond : — Qu’il vous confie son message ; je ne puis entretenir un inconnu. — Saint Bride m’en préserve, madame ! reprit la tourière en se signant ; je ne voudrois pas pour le titre de prieure refuser un aussi grand seigneur. — Eh ! quoi donc, dit Isabelle, les grandeurs de la terre peuvent-elles quelque chose sur une sœur de votre ordre ? Êtes-vous, comme les femmes mondaines, éblouie par un vain éclat ?

XXII.

— Non, madame ; depuis long-temps les pierreries et le faste n’ont aucun prix à mes yeux ; mais un vain cortège n’indique point le rang de l’étranger, un jeune page forme toute sa suite. C’est l’aspect, le regard et l’accent de ce seigneur qui imposent. Sa haute stature le fait ressembler à une tour ; mais elle est si parfaite dans ses proportions, qu’elle ne manque ni d’aisance ni de grâces. Ses cheveux, noirs comme le jais et déjà nuancés par la neige de l’âge, se bouclent sur son front comme les festons de la vigne. L’habitude des combats a laissé un air farouche dans ses traits majestueux ; mais il y a tant de dignité dans ses regards, que, malheureuse et suppliante, je serois sûre de trouver dans ce guerrier bienveillance et protection ; coupable, je le redouterois plus que la sentence qui m’auroit condamnée au trépas. — Assez, interrompit la princesse ; c’est l’espoir de l’Écosse, son espoir, son orgueil ; jamais le front des vulgaires mortels ne fut si auguste et si imposant : c’est l’élu du Ciel qui est rendu enfin à la patrie : hâte-toi, Mona, hâte-toi d’introduire mon frère chéri, le roi Bruce

XXIII.

Le frère et la sœur s’embrassent, avec le sentiment qu’éprouvent des amis qui se sont quittés avec douleur et qui ne se revoient qu’avec une espérance douteuse. Mais quand les premières émotions de cette entrevue furent calmées, Bruce promena ses regards dans l’humble cellule, sur la muraille nue et le lit de veille. — Et ce sont là, ma pauvre Isabelle, dit-il, ta demeure et ta couche royales ! Les riches étoffes et les joyaux qui conviennent à ton rang sont donc remplacés par un simple rosaire et une ceinture de crin ! Au lieu des fanfares du clairon qui annoncent les banquets ou les jeux de la cour, c’est la triste voix de la cloche qui t’appelle à la prière et à la pénitence ! Malheureuse sœur de celui qui a hérité des droits du premier David, pourquoi faut-il que la fortune des armes ait trahi la justice de ma cause !

XXIV.

— Laisse ces vains regrets ; sois l’inébranlable Bruce, s’écria-t-elle : je serois moins glorieuse de devoir une couronne au hasard, que d’avoir partagé tes disgrâces, lorsque ton bras s’arma pour la défense de la patrie. Ne t’afflige pas si je ne me laisse plus égarer par le rêve trompeur des joies du monde. Le ciel a daigné jeter un coup d’œil sur mon inexpérience et me préserver du naufrage. Il m’a éprouvée avec toute la sévérité de ses jugements ! La ruine de ma maison, ta défaite, la mort de Nigel, ont subjugué mon cœur ; j’ai fixé toutes mes espérances dans le ciel : les vaines grandeurs ne me séduiront plus dans ce monde du péché.

XXV.

— Non, Isabelle, répondit Bruce, non, avant de faire ce choix, écoute la voix de ton frère… Réfléchis bien ; crains que dans la pénitence du couvent, de plus douces pensées ne viennent te distraire… Peut-être le souvenir de ce chevalier inconnu, vainqueur au tournoi de Woodstok… Tu rougis ; que dirois-tu s’il mettoit à tes pieds un laurier plus glorieux encore ? – L’œil pénétrant de Bruce avoit aperçu la rougeur passagère d’Isabelle, aussi rapide que le dernier rayon du jour qui colore la nue et s’évanouit aussitôt. Mais Isabelle répondit avec un regard assuré : — Je devine l’intention de mon frère ; car la renommée a pénétré jusque dans ce cloître silencieux, et nous a appris que la voix de Ronald a rangé tous les habitans des îles sous ses nobles drapeaux. Mes yeux m’ont déjà fait reconnoître que le chevalier vainqueur du tournoi et le brave lord Ronald ne sont qu’un. Si, libre de tout autre lien, il eût brigué plus tôt mon alliance, son nom et l’appui de mon frère auroient peut-être… Mais fais éloigner ce page ; je ne puis te répondre devant lui.

XXVI.

Le page se tenoit à l’écart autant que pouvoit le permettre l’étroite enceinte de la cellule. L’œil troublé, le cœur ému, il s’appuyoit sur l’épée de Bruce. Chargé aussi du manteau du monarque, il s’en couvroit le visage. — Ne crains rien de ce témoin, dit Robert, je lui dois la vie. Il quitte rarement mon côté ; je suis sûr de sa discrétion puisque la nature l’a condamné à un éternel silence. Sa douceur est sans égale ; je veux qu’il habite dans la cellule du père Augustin, et qu’il consacre ses services à ma sœur Isabelle. Ne fais point attention à ses larmes ; je les ai vues couler comme l’onde qui s’échappe des monts au retour du printemps, c’est un jeune ménestrel qui mérite tout notre intérêt, mais trop timide pour braver les dangers et les flots ; ceux qui veulent suivre Bruce doivent savoir lutter contre l’orage. Continue ma chère Isabelle : que dois-je répondre à lord Ronald ?

XXVII.

Eh bien ? que Ronald apprenne que le cœur qu’il désire obtenir n’appartient plus qu’à Dieu. Mon amour fut comme la tendre fleur d’été qui se flétrit dans la saison des frimas ; enfant de l’orgueil et de la vanité, il s’est évanoui avec les brillantes chimères qui l’ont produit. Si Ronald insiste, dis-lui qu’il est lié à celle qui reçut sa foi ; l’anneau de l’hymen, ses sermens sur la croix et son épée sont des nœuds sacrés qui l’enchaînent. Et toi, Robert, qui plaides ici pour lui, je t’ai vu te déclarer le protecteur d’une femme malheureuse. Le danger te menaçoit de près ; les Anglais étaient à ta poursuite ; la retraite étoit pour toi le seul moyen de salut ; tu entends les cris d’une femme dans les douleurs de l’enfantement ; soudain tu fais retourner et arrêter tes guerriers ; tu braves tous les efforts de l’ennemi plutôt que d’abandonner, en lâche chevalier, une femme dans la détresse à des soldats impitoyables. Voudrois-tu donc aujourd’hui refuser ton assistance à une fiancée opprimée et outragée, soutenir la perfidie de Ronald et m’imposer la loi de favoriser son inconstance ? J’en atteste le ciel ! si les sentimens terrestres qui émurent jadis mon cœur n’étaient pas tous immolés à l’espérance d’une autre vie, je repousserois les hommages de Ronald jusqu’à ce qu’il eût déposé à mes pieds l’anneau nuptial et un écrit de celle qu’il dédaigne, pour attester qu’elle le dégage de sa foi.

XXVIII.

Cédant à une impulsion soudaine, le page s’élance vers le sein d’Isabelle ; puis, revenant à lui-même, il baisse la tête au même instant, fléchit le genou, baise deux fois la main de la princesse, se relève, et sort de la cellule. Isabelle interdite rougit, et se montre irritée de cette hardiesse ; mais le bon roi Robert s’écrie : — Pardonne-lui, ma sœur,… mon page s’exprime par signes ; il a entendu quel emploi je lui destine, et il n’a pu retenir les transports de sa joie… Mais toi, chère Isabelle, réfléchis au choix que tu veux faire, et crois que je ne veux point agir en tyran, ni pour te contraindre au don de ta main et de ton cœur, ni pour souffrir que Ronald outrage pour toi la fille de Lorn. Penses-y donc bien ; il n’y a pas longtemps encore que tu aimois à soupirer en secret, et que les chants que tu préférois étaient toujours ceux d’une tendresse malheureuse. Aujourd’hui que te voilà libre, c’est le cloître qui est l’objet de tous tes vœux. Ah ! si notre frère Edward connoissoit ce changement, comme son humeur satirique trouveroit un beau texte à s’exercer sur les caprices des femmes !

XXIX.

— Mon frère, répondit Isabelle, je ne serois pas, surprise des sarcasmes d’Edward ; bon, mais franc avec rudesse, il fut toujours ennemi de la contrainte et des pensées rêveuses ; mais toi, tu es d’un autre caractère. Je te charge donc de dire à Ronald, répéta-t-elle, que, s’il ne dépose à mes pieds l’anneau qui engagea sa liberté, il doit s’abstenir de rechercher ma main : que cet anneau soit volontairement rendu par Édith. Mais, quand même il seroit affranchi du nœud qui l’enchaîne, je ne promets point de préférer un époux à l’ombre du cloître. Adieu, mon frère, adieu pour un temps ; la cloche m’appelle à d’autres devoirs.

XXX.

— La voilà perdue pour le monde, dit Bruce en quittant cette fille des rois. Quelle pierre précieuse sera ensevelie dans ce cloître ! Hélas, c’est la main cruelle du malheur qui a détruit dans ce jeune cœur les tendres sentimens de l’amour ?… Mais qu’ai-je à faire avec l’amour ? des soins plus sérieux réclament mes pensées.

— Nous ne pouvons demeurer dans cette île : d’ailleurs elle ne suffiroit bientôt plus à nos besoins : vis-à-vis, sur le continent, sont les tours de Turnberry, qui attendent mes troupes… Le vieux chapelain de mon père, Cuthbert, qui habite toujours ce rivage, ne pourroit-il pas m’avertir, par la flamme d’un signal, de l’heure propice du départ ?… Espérons ; un ami fidèle lui portera mon message : c’est Edward qui trouvera le messager. Si une fois cette forteresse est en notre pouvoir, la flotte des Iles se réunira sur la côte de Carrick.

— O terre d’Écosse ! pourrai-je enfin venger tes outrages dans un combat ; lever mon front victorieux, et voir la liberté rendue à tes collines et à tes vallons ! ce spectacle de bonheur est tout ce que je demande au ciel avant de mourir.

En prononçant ces paroles, il descendoit lentement le coteau, s’arrêtant souvent d’un air pensif. Il arrive enfin au lieu champêtre où son armée avoit assis son camp.


FIN DU CHANT IV.


CHANT V.


I.

Les rayons de l’aube matinale éclairent le beau Loch-Ranza. La fumée s’élève en légers nuages des cabanes du hameau solitaire qu’une baie profonde et une chaîne de montagnes séparent du reste du monde.

Le pêcheur a déroulé sa voile ; le berger mène ses chevreaux sur la cime escarpée du Ben-Ghoil. Assise devant la porte de sa chaumière et ranimée par la chaleur vivifiante du soleil, la vieille ménagère tourne ses fuseaux… Partout les mortels se réveillent au travail et aux soucis.

Les sons d’une cloche à demi couverte de mousse appellent à d’autres devoirs les vierges des couvents. Les prières sont dites : le saint sacrifice est accompli ; chaque sœur docile à la règle ; entre dans sa cellule pour réciter son rosaire. Isabelle s’agenouille pour prier dans le recueillement ; un rayon du soleil, s’échappant à travers l’étroite jalousie, tombe sur son cou d’albâtre et sur ses cheveux noirs, qui ombragent sa tête dévotement inclinée.

II.

Sa prière est finie ; elle lève les yeux. Soudain elle aperçoit sur le plancher une bague enrichie d’un diamant, et lit ces mots sur un papier fixé à la bague par un fil de soie : — A lady Isabelle ; — Elle l’ouvre : — Cette bague fut jadis le gage de sa foi. Je la lui rends ainsi que ses promesses : je cède mes droits sur sa main à celle qui possède son cœur. O vous, qu’attend une meilleure destinée, ne refusez pas un soupir de compassion à l’infortunée Édith de Lorn ! — Un rayon de plaisir brilla dans les yeux d’Isabelle étonnée, mais il s’évanouit aussitôt, et la honte, qui colora son front, la punit de ce mouvement de joie.

— Loin de moi, sentimens indignes de ma famille, pensées viles et coupables qui avez fait battre mon cœur en voyant les espérances d’une rivale déçues !

— Gage des sermens qui lièrent un homme ingrat à une fiancée trop crédule, tu ne séduiras pas Isabelle. Je te placerai dans un lieu où meurent toutes les pensées du monde, où toutes les grandeurs de la terre perdent leur éclat imposteur. — A ces mots, Isabelle déposa la bague au pied de son crucifix.

III.

Une autre réflexion s’éleva bientôt dans son âme… Celle à qui cette bague appartient est loin de ces lieux ! Comment ce bijou a-t-il pu lui arriver à travers ces grilles et ces verroux ?

Mais le grillage de la fenêtre est entr’ouvert, Isabelle regarde ; elle voit la rosée du matin légèrement foulée. Sur le mur tapissé de mousse, elle suit l’empreinte d’un pied qui, en glissant, avoit détaché la verdure ; les branches de lierre étaient arrachées et entrelacées comme pour faciliter une escalade. — Quel est le hardi messager qui a pu tenter une telle entreprise ? Je conçois d’étranges soupçons. Mais Mona vient à moi ; rien n’échappe à son œil curieux. — Ma bonne mère, dites-moi quels sont les étrangers qui sont entrés aujourd’hui dans cette sainte demeure. — Madame, il n’en est venu aucun de distinction : seulement le page de votre frère est arrivé à la pointe du jour. Je l’ai invité à se rendre à la chapelle où l’on disoit la sainte messe ; mais il a fui plus rapide que la flèche. Des larmes sembloient rouler dans ses yeux.

IV.

A ces mots, la vérité se montra aux yeux d’Isabelle, comme un rayon de soleil échappé de la nue. — C’est Édith elle-même… Sa douleur muette, sa démarche, ses regards m’expliquent assez ce mystère. Ma chère Mona, qu’à l’instant on descende à la baie, qu’on prie le roi de venir dans ma cellule, et d’amener avec lui ce jeune page muet qu’il aime avec tant d’affection. Eh quoi ! madame, ignorez-vous que, dès la pointe du jour, le roi a quitté ce rivage ! Mes yeux affaiblis par les ans ont vu, du haut de la tour, le départ des guerriers. Hier, ils ont campé au milieu de la forêt, et au lever de l’aurore le cor de leur vaillant prince s’est fait entendre ; ils ont pris leurs rangs ; leurs lances ont brillé à travers les armes et les broussailles. Dans leur empressement, ils sont partis sans avoir imploré la protection du ciel, semblables aux cerfs qui, le matin, secouent les gouttes de rosée dont la nuit les a couverts, relèvent fièrement leur tête ornée de rameaux, et s’enfuient vers la plaine. — Mais en quels lieux mon frère a-t-il porté ses pas ? — J’ai appris qu’il se dirigeoit vers la baie de Brodick, où l’attendent, à ce qu’on assure, une vingtaine de barques qui doivent le porter, au premier signal, aux rivages de Carrick. Si tel est son dessein, ajouta l’inquiète Isabelle, il faut se hâter… faites venir auprès de moi le père Augustin. La nonne obéit, et le moine arriva bientôt.

V.

— Mon père, allez en toute hâte à la baie de Brodick : soyez mon messager auprès de Bruce. Dites-lui que je le conjure, au nom du ciel, de ne point quitter ce rivage avant de m’avoir parlé. Ou bien, si ses projets ne souffrent aucun retard, qu’il vous confie ce jeune page muet qui fait partie de sa suite ; dites-lui que c’est une grâce que lui demande Isabelle, et qu’elle a des motifs qu’elle ne peut expliquer. Allez, bon père, songez que votre diligence peut donner ou la vie ou la mort. — Le vieux prêtre se couvrit de son capuchon, s’appuya sur son bâton noueux, chaussa ses sandales, et, semblable au pèlerin courbé par l’âge, il se mit en route.

VI.

Les pas de la vieillesse sont tardifs : le trajet étoit long et pénible ; mais il n’y avoit dans ce Iieu aucune autre personne à qui l’on pût confier cet important message. Le moine chemina lentement au milieu des taillis. Il suivit le cours de maints torrens qui, se précipitant avec fracas du sommet des montagnes, rouloient en mugissant leurs eaux rapides, et se brisoient en brillante écumenote. Le sauvage courlis voltigeoit sans crainte autour du vieillard. Il traversa des chemins bordés de précipices dont les infractuosités demandoient un œil vigilant et une démarche assurée. Le voyageur reposa son front sur ces pierres druidiquesnote, antiques autels de nos pères ; et, au milieu des monumens solitaires des héros païens, il murmura une humble prière pour ceux qui moururent avant que le soleil de Siloé se fût levé pour eux. Il s’agenouilla au pied de la croix de Macfarlane, dit son rosaire sous l’ombrage, et apaisa sa soif dans l’onde du ruisseau voisin. De là, poursuivant sa route, il gravit, à l’approche de la nuit, la colline qui porte sur sa cime verdoyante les gothiques tours de Brodick. Douglas les avoit enlevées les armes à la main au dernier des Hastings, vassal de l’Angleterre. Le soleil, en se couchant derrière l’île, la coloroit encore de ses derniers rayons.

VII.

Malgré l’approche de la nuit, tout étoit en mouvement dans la baie de Brodick. Les soldats de Bruce s’étaient déployés sur le rivage. Les uns démarrent les navires et les chaloupes, d’autres déroulent les voiles ou agitent les rames. Leurs yeux se tournent souvent vers un point lumineux qui brilloit à l’horizon et que l’on auroit pris pour une étoile de la voûte azurée, si cette lumière eût été moins vive et moins étendue. Ce feu lointain brilloit au sud. Au déclin du jour, sa clarté sembloit pâle et mourante, mais quand la nuit eut jeté son voile sombre sur les rivages de Carrick, la flamme resplendissoit de plus en plus.

Les pas appesantis du moine pressent les sables du rivage ; il se trouve au milieu d’un spectacle étrange pour un ministre des autels. Ce sont des guerriers qui s’arment pour le combat ; et qui préparent leurs bagages de guerre. Leurs mains agitent des lances et des haches ; souvent les oreilles du saint homme sont frappées par un langage auquel elles étaient peu accoutuméesnote. Les chefs hâtent l’embarquement ; et, bouillants comme la vague de l’orage, ils parlent aux soldats avec les mots impérieux de l’impatience.

VIII.

Le moine traversa cette armée, et parvint jusqu’à Bruce. Il le trouva appuyé contre une galère restée à sec sur le rivage, et que la marée montante devoit remettre à flot. Bruce comptoit chaque vague qui s’enfloit sur la grève, et qui venoit baigner les flancs du navire. Il tournoit parfois ses regards vers ce feu lointain, fixoit son baudrier et agitoit son épée dans le fourreau. Edward et Lennox étaient auprès de lui. Douglas et Ronald pressoient l’embarquement des troupes… Le moine s’approche du roi, et s’incline en sa présence. — Êtes-vous arrivé de si loin, lui dit Bruce, pour nous bénir avant notre départ ? — Prince, sujet loyal, j’invoquerai le ciel pour le succès de vos armes : mais j’ai une autre demande à vous faire. Alors il lui exposa le message d’Isabelle. — Par saint Giles, s’écria le roi ; vous me désespérez ; ce matin j’ai envoyé le page à Saint-Bride avec l’ordre exprès d’y demeurer. — Il y est venu, nous a dit la tourière ; mais, seigneur, son séjour n’a pas duré long-temps.

IX.

— Edward prit, alors la parole C’est moi qui ai trouvé pour le page une mission plus importante. Je cherchois dans mon inquiétude un messager, qui fût habile à porter vos ordres à Cuthbert : le hasard m’a fait entrer à la pointe du jour dans une chapelle où l’on célébroit la messe ; là, j’ai vu le page muet assis sur un tombeau et pleurant sur sa jeunesse destinée à l’obscurité des cloîtres. Je lui ai proposé cette mission. Aussitôt la surprise et la joie ont rayonné dans ses yeux. Il s’est élancé dans un léger esquif ; le vent propice enfloit sa voile, et je vois qu’il a rempli fidèlement mes ordres ; car le feu qui brille à l’horizon nous annonce que Clifford garde négligemment, le château de nos pères.

X.

— Imprudent ! s’écria le roi, comment as-tu pu avoir la barbarie d’exposer à un pareil danger un orphelin, un enfant, incapable de fuir, incapable de se défendre, et qui ne peut même implorer la pitié ? Oui, si le ciel m’avoit rétabli dans mes droits, j’aurois donné ma couronne plutôt que d’exposer ainsi cet enfant sans défense. — Mon frère et mon roi, répondit Edward partagé entre la colère et le respect, je m’attendois peu à de pareils reproches. J’ai cru qu’un messager étranger s’introduiroit dans la demeure du chapelain plus facilement qu’aucun de nos chevaliers qui tous y sont connus. Sa présence ne sera pas remarquée. Son intelligence est active, et son malheur sera sa défense. S’il est découvert, on ne devinera jamais le but de son voyage ; et s’il est arrêté, sa bouche ne peut le trahir… D’ailleurs, cette flamme propice mériteroit le pardon d’une faute plus grave encore que la mienne. — Ta conduite fut imprudente, reprit le roi ; mais à présent tous ces discours sont superflus. Hâtons-nous de partir. Bon père, racontez à Isabelle quel malheureux hasard m’empêche de la satisfaire. Si la victoire nous sourit, j’aurai soin de lui rendre ce page. Allez porter mes félicitations à ma sœur ; ne nous oubliez pas dans vos prières.

XI.

— Ah ! répondit le prêtre, tant que cette faible main pourra élever le calice et faire un signe de croix, tant que ma voix cassée par l’âge pourra prononcer quelques paroles, jamais le roi Bruce ne sera oublié du fidèle Augustin. Alors Ronald s’approcha de lui et lui dit à voix basse : — Portez ces paroles à la princesse ; dites-lui que, puisque je combats sous les drapeaux de Bruce, pour l’Écosse et la liberté, je la supplie de permettre à son chevalier de porter quelque marque de son suffrage ; elle brillera sur mon cimier et fera trembler les plus braves chevaliers de l’Angleterre. Quant à ce page, des soins plus importans vont réclamer l’attention de Bruce : c’est Ronald qui veillera sur lui. Mon manteau lui servira de couche, mon bouclier de défense. A ces mots, le chevalier cessa de parler, car déjà l’effort de mille bras vigoureux avoit lancé les barques à la mer. Elles étaient au nombre de trente ; chacune portoit cent quatre-vingts hommes d’élite ; et c’étoit avec de telles forces que Bruce alloit conquérir ou l’empire ou la mort.

XII.

Toutes les barques sont à flot ; elles se balancent sur le vaste Océan. Les équipages sont prêts. Déjà les vagues brisées sous l’aviron jaillissent en étincelles argentées ; la flotte s’éloigne ; l’armure des guerriers ne renvoie plus au rivage que des éclairs affaiblis ; le murmure lointain des voix se confond avec celui des bardes.

— Daigne les protéger, ô mon Dieu ! dit le prêtre en voyant les barques glisser sur les flots ; quand les glaives sont tirés du fourreau pour l’indépendance des peuples et les droits des monarques, c’est de ta propre cause qu’il s’agit : ordonne que les coups de ces fils de la liberté portent une double blessure ; renverse les étendards ennemis ; et que les nations reconnoissent que la victoire vient de Dieu seul.

Quand il eut gravi la colline, Augustin se retourna pour bénir encore une fois la flotte de Bruce. Ses yeux la suivirent long-temps jusqu’à ce qu’elle eût entièrement disparu. Alors il dirigea ses pas vers la tour de Brodick qui lui offrit un asile pour la nuit.

XIII.

Ils ont perdu de vue ces lieux enchanteurs où les îles de Cumray bordent d’une ceinture de feuillage le bassin de la Clyde ; les bois de Bute fuient au loin sur les flots ; les matelots joyeux frappent de l’aviron le sein paisible de l’Océan ; et les chevaliers, plus accoutumés à manier la lance, se mêlent aux rameurs. La lune à demi voilée jette des rayons pâles et obscurs sur les voiles blanchissantes. Les pilotes dirigent leur gouvernail vers cette lumière qu’on aperçoit au loin : des cris souvent répétés (tel étoit l’ordre du roi pour que toutes les galères abordassent à la fois) avertissent les navires de presser ou de ralentir leur course. La flotte s’avance ainsi vers les terres de l’ouest. Bientôt elle va toucher les rivages de Garrick. Elle voit les feux du signal croître rapidement. Cette lumière, qui, de loin, ressembloit à peine à une étoile solitaire, brille maintenant comme une flamme majestueuse qui jette un vif éclat. Elle embrase le ciel et s’étend sur les flots. Les rochers de la côte et les îles voisines semblent nager dans un océan de lumière. L’oiseau de mer ébloui pousse un cri d’alarme et disparaît sous la vague écumeuse. Le cerf s’enfuit dans les taillis lointains ; et le coq, croyant saluer les rayons de l’aurore, fait entendre son chant matinal. Bientôt toute la plaine paroît enflammée comme si un vaste incendie dévoroit un antique château. — Eh bien ! mon frère, que pensez-vous, dans votre sagesse, de mon rusé de page ? — Qu’on avance toujours, répliqua le roi, nous apprendrons bientôt la vérité, quelle qu’elle puisse être ; car le page et le chapelain n’auroient pu allumer seuls de semblables signaux.

XIV.

Cependant les galères s’approchoient de la côte. — Celle d’Edward s’engagea dans le sable. Alors l’impatient chevalier s’élança dans la mer ; et, ayant de l’eau jusqu’à la ceinture, il aborda le premier au rivage, quoique les soldats de chaque galère se disputassent l’honneur de sauter à terre les premiers. Soudain cette étrange lumière, qui, de loin, sembloit immobile comme l’étoile polaire, parcourt les airs, semblable au char enflammé du prophète ; les casques, les haches et les lances en réfléchissent le miraculeux éclat, et les soldats distinguent la figure de leurs camarades pâles de terreur. Mais déjà la clarté disparaît, et l’obscurité couvre tout le rivage.

Ronald implore le ciel ; l’intrépide Douglas fait le signe de la croix : — Grand saint Jacques, veille sur nous, s’écrie Lennox. Mais Edward, avec un air d’insouciance, dit à part à Kirkpatrick : — Penses-tu que ce soit l’âme irritée de Comyn qui nous soit apparue dans cette flamme ; et n’oserois-tu plus changer en certitude le doute de sa mort[2] ?… — Silence, interrompit le roi, nous saurons bientôt si ces feux sont une vaine apparition ou un stratagème de nos ennemis. La lune brille à l’horizon ; que chaque chef range ses soldats sur la plage.

XV.

La clarté douteuse de la lune n’avoit remplacé que faiblement l’éclat de cette lumière surnaturelle dans la baie silencieuse et sur les sables humides. Le roi Bruce formoit les rangs de ses soldats sous l’abri des rochers, lorsqu’on aperçut le page muet se glissant le long d’un sentier qui menoit à la mer. Il fléchit respectueusement le genou sur le sable, et remit à Bruce un rouleau de papier. — Qu’on apporte une torche, s’écria le monarque, nous allons savoir ce que nous mande Cuthbert.

Cuthbert ne donnoit que de tristes nouvelles ; l’armée de Clifford étoit nombreuse, et se tenoit sur ses gardes ; ce matin même elle avoit été renforcée d’une troupe de montagnards commandée par le baron de Lorn. Le courage et la fidélité n’habitoit plus cette terre depuis long-temps flétrie par un joug cruel. Le sombre sommeil de l’esclavage s’étoit appesanti sur les habitans de Carrick.

Cuthbert avoit vu la flamme du signal sans en deviner la cause ; dans la crainte de quelque trahison, il renvoyoit le messager muet d’Edward, pour avertir le roi du danger qu’il couroit en abordant à ce fatal rivage.

XVI.

Les chefs s’étaient rassemblés autour de la torche. Bruce lut à haute voix ces nouvelles inquiétantes. — Maintenant, nobles chevaliers, dites quel est votre avis. Nous mettrons-nous en embuscade dans les bois, attendant une chance favorable pour terminer notre entreprise, ou faut-il regagner nos navires pour fuir dans un nouvel exil ? Le farouche Edward répondit : — Advienne ce qu’il pourra, les seigneurs de Carrick doivent rester à Carrick. Je ne voudrois pas que jamais ménestrel pût dire qu’un météore ou un feu follet nous fit reculer. Si le roi entre vainqueur dans ces remparts, ce premier succès réveillera la fidélité dans tout ce qu’il y a de cœurs nobles et généreux. — Quelle honte, ajouta lord Ronald, si Torquil, venant au rendez vous, trouvoit qu’après tant de vaines forfanteries nous avons abandonné ces rivages sans frapper un seul coup ? Je ne puis croire que cette terre si féconde en cœurs généreux, la nourrice de Bruce et de Wallace, puisse long-temps transiger avec ses tyrans. — Il faut tenter la fortune, s’écrièrent en même temps Boyd, Delahaie, Lennox et tous les chefs. Bruce se rendit à leurs désirs. — Les fiers habitans du sud se sont établis dans mon château, dit-il, mais l’heure n’est pas loin où je vais, à la tête de mes braves guerriers, forcer Clifford d’acquitter sa dette. Qu’on me suive, ces bois et ces sentiers me sont connus, je vais vous conduire dans un asile assuré.

XVII.

Que vous répondrois-je maintenant, si vous me demandiez d’où venoit cette lumière merveilleuse dont la clarté trompa nos guerriers ? On n’a jamais su qui l’alluma ; mais nos ancêtres superstitieux ont cru que ce ne fut point une main mortellenote. On dit encore que tous les ans, dans la même nuit où Bruce débarqua sur la côte de Carrick, la même lumière colore d’une teinte rougeâtre les montagnes et les vallées, la plage et l’Océan. Mais que ce soit une lumière céleste qui favorisa la descente du roi, ou un feu sorti de l’enfer pour l’attirer à sa défaite et à la mort, ou peut-être encore un de ces étranges météores qui trompent parfais le voyageur égaré, c’est ce que j’ignore… et ce qu’on ignorera toujours.

XVIII.

L’armée de Bruce se dirigeoit dans un défilé hérissé de rochers ; Ronald, fidèle à sa promesse, donnoit le bras au jeune page, pour l’aider à marcher dans ce sentier difficile.

— Courage, pauvre Amadine (c’est le nom que les pirates avaient donné à leur captif) pourquoi ton cœur palpite-t-il ? N’es-tu pas appuyé sur mon bras ? N’es-tu pas réchauffé par les plis de mon manteau ? Cette triple peau de buffle ne forme-t-elle pas un bouclier suffisant pour nous deux ? L’épée du clan de Colla n’est-elle pas d’un bon acier ? Page timide, peux-tu sentir encore la crainte ? Allons, courage, que ton cœur se rassure : Ronald ne cessera jamais de veiller sur toi.

Il arrive quelquefois qu’une flèche lancée au hasard atteint le but que l’archer ne visoit pas ; souvent une parole prononcée sans dessein flatte ou déchire un cœur malheureux partagé entre le plaisir et la crainte : le page se pressoit contre Ronald. Le sentiment d’une joie délirante lui fit oublier ses terreurs, sa lassitude et ses chagrins ; l’amour absorba toutes ses pensées.

XIX.

Les soldats ont franchi les barrières de ces sombres rivages et la cime escarpée des rochers. Sur les remparts du château lointain l’on entend les sentinelles s’appeler ; leur voix retentit dans la plaine et sur la mer : elle prouve la vigilance de l’ennemi.

Bruce a atteint le vaste parc du château. N’en cherchez plus l’auguste ombrage, la hache, la charrue, ont tout détruit ; mais il existoit alors des bouquets d’arbres qui ornoient cette plaine couverte d’un tapis de verdure ; ici de belles et hautes fougères couvroient le vallon, et donnoient un asile au faon timide ; là on voyoit quelques tertres élevés, qu’ombrageoient des taillis verts et touffus. A l’entour régnoit une pelouse digne d’être foulée par des fées. Le houx aux feuilles lustrées se plaisoit dans ces lieux ; l’if y projetoit son ombre épaisse ; de vieux chênes cicatrisés par la faux du temps y dominoient avec leurs rameaux desséchés. La lune caressoit amoureusement de ses rayons cette belle plaine, ces monticules, ces clairières et ces vallons. Bruce soupira à l’aspect de ces lieux qu’il avoit tant aimés dans son enfance. Il étoit libre alors, et aujourd’hui il erre comme un proscrit sous ces ombrages silencieux.

XX.

Les guerriers hâtent leurs pas : ils connoissoient cette marche mesurée par laquelle une troupe s’avance en bataillons serrés dans une retraite ou dans une charge. Malheur à eux si l’aurore les surprenoit dans la plaine découverte. Ils traversent les taillis et les ruisseaux, foulent aux pieds tour à tour les sables et la mousse ; les gouttes d’une sueur froide ruissellent sur le front abattu du jeune page. Il traînoit avec peine ses pas languissans. — Courage, lui dit Ronald ; encore quelques efforts. Je vais t’aider à supporter la fatigue. Mes bras sont vigoureux ; il me sera facile de porter un fardeau aussi léger que toi. Eh quoi, tu me refuses ! enfant capricieux. Eh bien, je te laisse à tes propres forces… Encore cette nuit, et je veux te placer auprès d’une belle dame ; là tu accorderas ton luth pour dire combien Ronald aime Isabelle. — A ces mots, épuisé par la fatigue et la douleur, Amadine abandonne le manteau ; ses membres tremblans lui refusent leurs secours ; il tombe au milieu de la rosée du soir.

XXI.

Que faire ? Le jour va luire, l’armée de Bruce avance à pas précipités, et ce seroit pour Ronald une honte éternelle s’il ne combattoit pas au premier rang. Vois ce chêne, dit-il, le temps a creusé son tronc comme une grotte obscure ; entre dans cet asile, tu t’y reposeras enveloppé dans un manteau. Je ne serai pas loin, tu peux m’en croire ; mais il ne m’est pas possible d’abandonner l’armée. Je saurai reconnoître l’arbre qui te cache, et tu me verras bientôt de retour pour te mettre hors de danger. Allons, sèche tes larmes, pauvre enfant !… dors, en paix, et réveille-toi au bonheur. — Ronald ayant caché le page dans cette étroite retraite, continua sa route et atteignit bientôt l’armée.

XXII.

Ainsi délaissé, le jeune page pleura et sanglota long-temps ; mais la fatigue l’emportant sur la douleur, il s’endormit… Les accents d’une voix rauque interrompirent son sommeil. — Oui, c’est ici, près de ce bois que la bête a passé… — Le vieux Ryno s’est arrêté sous le chêne ! — Que vois-je ! un manteau écossois, un jeune enfant enveloppé dans ses plis ! Allons, dehors ; quel est ton nom ? que fais-tu ici ?… Comment, il ne répond pas ?… Ha, ha, je le devine ; tu es cet espion envoyé à Cuthbert et arrivé d’Arran hier matin… Camarades, retournons, notre seigneur trouvera un moyen pour rendre la parole à cet espion muet… Donne-moi la corde de ton arc pour le garrotter. Mais il pleure, je crois ; il a l’air tout effrayé ; eh bien ! nous le conduirons sans liens. N’aie point de peur… C’est un bel enfant, ma foi, pour un Écossais ! Les chasseurs conduisirent sans délai leur pauvre prisonnier.

XXIII.

Le vaillant Clifford se préparoit dans la cour de son château à la chasse du matin. Tantôt il s’entretenoit avec Lorn, tantôt il s’occupoit des chiens et des coursiers. Les palefrois et les chevaux de bataille, dans leur impatience, creusoient la terre avec leurs pieds ; les chiens de chasse aboyoient… Amadine, en entendant la voix trop connue du baron de Lorn, qui se mêloit au bruit des fanfares, crut être abusé par les visions que donne le délire de la fièvre ; ces accens le troublèrent, comme ces sons de douleur que l’imagination du solitaire croit distinguer au milieu du mugissement des vagues et du sifflement des tempêtes. — Mais les paroles des deux chefs frappèrent bientôt plus distinctement les oreilles du page.

XXIV.

— C’est donc ainsi qu’elle vous fut enlevée ? disoit Clifford. Soyez sûr que le moine s’en repentira. Mais vous l’avez interrogé, que dit-il ? — Il avoue qu’Édith déguisée entra dans son esquif ; il fut le seul à la connoître. Il ajoute qu’une barque partie de Lorn les aborda le même jour, et que les pirates firent ma sœur captive. Le moine offrit de l’or pour prix de sa rançon, et ils l’acceptèrent ; mais avant qu’on fût d’accord, le vent souffla avec violence, les vagues se soulevèrent en mugissant ; les deux navires furent séparés, et depuis lors ils ne se sont plus revus. Telle étoit la violence de la tempête, que le vaisseau, l’équipage, la jeune fugitive, tout fut abîmé sous les flots. Fasse le ciel qu’il en soit ainsi ; qu’une vague ait englouti avec Édith la honte qu’elle a imprimée à sa noble race ! Il eût mieux valu pour elle qu’elle ne fût jamais née, que d’avoir couvert de déshonneur le nom glorieux de Lorn.

XXVI.

En cet instant Clifford aperçut le captif : — Que nous amènes-tu là, Herbert ? lui cria-t-il. C’est un espion que nous avons trouvé blotti dans le creux d’un chêne. — Et que dit ce jeune homme ?… — Rien ; car il fait le muet. — Eh bien, qu’on fasse un nœud coulant à cette corde… à moins que le vaillant Lorn ne s’oppose à l’exécution de la sentence, en faveur du plaid que porte le captif. — C’est un tartan de Colla, dit Lorn dont les regards indifférens se portoient sur le vêtement plutôt que sur les traits du jeune homme ; ce sont les femmes de ce clan qui préparent ce tissu. Ni le manteau ni celui qui le porte n’ont de droit à ma protection. Si on veut m’en croire, il faut l’attacher au vieux chêne et le balancer dans les airs jusqu’à ce que l’effroi lui délie la langue ; qu’il ne meure pas sans les rites funèbres de sa tribu… Angus-Roy, assiste à l’exécution, et fais entendre le Chant de mort de Clan-Colla.

— Frère toujours cruel ! dit en lui même le captif ; mais ces mots ne passèrent pas ses lèvres ; ferme dans sa résolution, il soupira le mot d’adieu sans le prononcer.

XXVII.

Sa constance ne sera-t-elle pas ébranlée à l’aspect du trépas ? Un seul mot suffit pour lui rendre la vie et la liberté. Amadine restera-t-il sourd à cette voix de l’instinct qui nous crie de tout sacrifier à la conservation de l’existence ? Mais l’amour, aussi puissant que la mort, a fortifié son cœur, et lui donne une force surnaturelle. Il ne succombera point ; le mot qu’il prononceroit livreroit Ronald à l’épée de son ennemi.

Le chant de mort du clan de Colla retentit au loin, l’exécuteur de la sentence est auprès du page. Les voilà dans le parc. Ils arrivent sous le vieux chêne destiné au supplice. Quelles sont les pensées d’Amadine lorsque ses regards cherchent en vain dans la plaine quelque espoir de secours ? quelles sont ses pensées quand son oreille effrayée entend les prières de la mort ? Se résoudra-t-il à cette mort barbare ; ou son secret sortira-t-il de son cœur ? La terreur couvre son front d’une sueur froide ; ses lèvres sont devenues livides. Non, la dernière agonie d’un mourant n’a rien de comparable à ce moment affreux.

XXVII.

Mais non loin de là sont d’autres témoins qui rient de la peur et savent défier le trépas.

Les sons lugubres du chant de mort furent entendus des soldats de Bruce placés en embuscade. Le prince des Iles lève les yeux, il voit… — Par le ciel ! s’écrie-t-il transporté de fureur, c’est le jeune page qu’ils mènent à la mort. Ce chant funèbre est une raillerie contre Ronald. Ils la paieront cher.

Bruce le retient par le bras. — Ils n’arracheront pas un cheveu de sa tête, dit-il ; mais attendez mon ordre. Douglas, conduis cinquante soldats dans le lit de ce torrent ; fais-les coucher par terre, ils fermeront le chemin aux fuyards. Une lance élevée au-dessus du taillis vous annoncera que cette embuscade est prête. Toi, Edward, avec quarante hommes armés de lances, tu iras à travers les arbres te placer auprès de la porte du château ; et quand tu entendras le bruit du combat, tu marcheras en avant pour occuper le passage. Rends-toi maître du pont-levis, force la porte, et maintiens-toi dans la cour. Le reste de nos soldats va me suivre à pas lents le long des arbres, jusqu’à ce que Douglas soit arrivé à son poste.

XXVIII.

Semblable au cheval de bataille avide de combats et impatient du signal, Ronald frémit de rage en restant caché sous le feuillage. Il tient son épée dont l’acier bleuâtre sera bientôt teint du sang des vaincus. Cependant Bruce suit d’un œil attentif les mouvemens de ses soldats, et mesure l’espace que Douglas doit parcourir avant d’arriver au torrent désigné. Mais les chants funèbres ont cessé ; le cortége s’avance d’un pas grave et solennel vers le chêne fatal ; une prière prononcée à voix basse prépare la victime à la mort. Quel est cet éclair qui brille au milieu de l’obscurité des bois ? C’est la lance de Douglas qui donne le signal. — Noble chef, je ne te retiens plus, s’écrie Bruce ; Ronald, tu peux partir.

XXIX.

Bruce ! Bruce ! ce cri si connu est répété par l’écho des rochers et des bois qui ont vu naître le monarque. Bruce ! Bruce ! ce cri terrible est le signal de mille morts. Les Anglais étourdis cherchent de quel côté doit éclater la tempête que présage ce nom terrible : elle fond sur eux de toute part. Surpris, cernés, ils sont tous taillés en pièces. Bruce s’élance au milieu de la mêlée ; la redoutable épée du clan de Colla exerce ses ravages : tous ceux qui résistent tombent percés de coups ; malheur aussi à ceux qui prennent la fuite ; la lance de Douglas les attend. Deux cents soldats étaient sortis du château, pas un seul n’y rentra.

XXX.

L’épée de Ronald ne poursuivit point les fuyards : un plus tendre intérêt réclamoit ses soins. Il releva le page que la crainte avoit fait tomber par terre à demi mort. Deux fois dans cette matinée la surprise manqua lui ravir son secret, que l’aspect de la mort n’avoit pu lui arracher. Quand Amadine revint à la vie, le nom de Ronald alloit s’échapper de ses lèvres, et il eut peine à le remplacer par un murmure confus. Qu’il lui en coûta encore de ne point se trahir quand, le prince des Iles voulut délivrer son sein oppressé du vêtement qui protégeoit sa pudeur !… Mais soudain le cor de Bruce retentit : il faut retourner aux combats.

XXXI.

Le bouillant Edward cherchoit une victoire plus difficile ; il avoit attaqué les portes du château sans attendre le signal. Telle étoit sa bravoure et sa témérité habituelle ; et souvent cette valeur impétueuse remportoit un plein succès, et son audace réussissoit là où la prudence eût échoué. Il se précipita sur le pont, brisa les chaînes qui servoient à le lever, et d’un coup de sa hache abattit sur le seuil de la porte la sentinelle de garde, dont le cadavre s’opposa aux efforts de ceux qui essayèrent de la fermer.

Quoique surpris, les Anglais se défendirent vaillamment ; Lorn et Clifford combattirent en braves, mais Edward s’ouvrit une route à travers cent ennemis ; bientôt on entendit le cri de Bruce ! Bruce ! Il ne restoit plus d’espoir ; aux Anglais ; de nouveaux combattans se précipitoient à tout moment dans le château ; encouragés par le succès et enivrés de sang, ils chassoient devant eux l’ennemi de poste en poste. Le glaive vengeur fut impitoyable, le sang ruisseloit à grands flots ; les gémissemens de la mort se mêloient aux cris des combattans ; les coursiers s’élançoient dans la cour ; les aboiemens des chiens retentissoient dans les tourelles. Bientôt il ne resta plus d’ennemis en vie que ceux qui, étendus par terre, poussoient les derniers gémissemens.

XXXII.

Le vaillant Clifford n’est plus ; son sang a coulé sous l’épée de Ronald ; mais, plus heureux que lui, Lorn parvient à gagner le port avec une suite peu nombreuse. Son vaisseau étoit abrité sous la citadelle ; il coupa le câble qui le retenoit ; c’en étoit fait de lui si, dans ce moment de furie et de carnage, Bruce l’eût rencontré.

Les vainqueurs firent retentir leurs cris de joie sous les sombres voûtes des tours. Les habitans de Carrick virent flotter sur le donjon du château la croix de Saint-André, blasonnée en argent sur un large drapeau.

XXXIII.

Bruce a reconquis le château de ses pères. — Braves amis, vous tous, mes camarades, réjouissons-nous : que les plaisirs et l’allégresse soient avec nous ; vous êtes tous mes amis, le prince ; le lord, le capitaine, le soldat, et le page muet. Grand Dieu ! ieu ! la demeure de mes aïeux est donc redevenue la mienne ! c’est ici-que se sont traînés les premiers pas de mon enfancenote. Les voici ces arches voûtées dont l’écho répondoit aux cris de ma jeunesse, et qui retentirent si souvent du bruit de mes jeux. Dieu du ciel ! c’est à toi le premier que j’adresse mes actions de grâce, puis à vous tous, ô mes amis ! Bruce s’interrompt à ces mots, se signe,… et jette sur la table son épée encore fumante et teinte jusqu’à la garde du sang des habitans du sud.

XXXIV.

— Rapportez-moi, ajouta-t-il, les quatre coupesnote conservées par mes pères. Qu’on les fasse circuler autour de la table, et qu’elles soient le gage de la délivrance de l’Écosse. Qu’il soit tenu Écossais déloyal, celui dont les lèvres effleureront le vin, et qui, dans son cœur, ne fera pas comme Moi le serment sincère de ne tenir ni à sa vie ni à ses biens jusqu’à ce que la liberté soit conquise ; que la honte éternelle soit son partage. Asseyez-vous, mes amis ; une heure de bonheur est courte ; il faut consacrer une heure à la joie. Les rayons du soleil ont plus d’éclat encore au milieu de l’orage.

— Nous avons commencé la délivrance de la patrie ; mais il nous reste beaucoup à faire. Qu’on expédie des courriers dans toute la contrée ; rassemblons nos vieux amis ! obtenons-en de nouveaux ; que les chevaliers de Lanark revêtent leurs cottes de mailles ; que les braves fils de Teviotdale se joignent à nous ; que les archers d’Étrick aiguisent leurs flèches : leur fidélité égale leur adresse. Appelez à nous toute l’Écosse, depuis les défilés de Reedswair jusqu’aux contrées sauvages du cap Wrath. Qu’on sache partout que l’aigle du nord a déployé ses ailes.


FIN DU CHANT V.


CHANT VI.


I.

Qui pourra jamais les oublier, les émotions délicieuses de ces jours d’enthousiasme, où le matin et le soir on voyoit accourir sur la place publique des courriers hors d’haleine ? La voix tonnante du bronze, le son des cloches, nous annonçoient à chaque instant des victoires nouvelles : L’espérance, long-temps comprimée, prit enfin son sublime essor. Nos yeux ouverts dès la pointe du jour virent nos bannières triomphantes saluer les premiers rayons du soleil.

Jour de bonheur ! tu mis un terme à nos incertitudes, à nos douleurs et à nos craintes ; à vingt ans de dévastation, de carnage et de larmes. La tristesse elle-même leva ses yeux humides pour mêler, en soupirant, ses actions de grâces aux transports qui célébroient la chute du despote, la paix et la liberté.

C’est ainsi que la Renommée parcourut en triomphe toutes les montagnes de l’Écosse, quand le sort des armes eut frappé les usurpateurs, et que la bannière de Bruce flotta victorieuse sur les sommets de Lodoun, et dans les plaines d’Ury. La vallée de Douglas fut maintes fois inondée du sang des ennemis. L’intrépide Edward mit en fuite le vaillant Saint-John ; les vents du sud emportèrent sur leurs ailes les cris de guerre de Randolph ; les villes et les châteaux devinrent la conquête de Bruce ; et la gloire proclamoit chaque jour un nouvel exploit du héros.

II.

Le bruit de ces succès retentit dans le château du suzerain et dans la chaumière du laboureur. Il fit aussi réveiller dans leurs cellules solitaires les vierges de Saint-Bride. O Isabelle ! toi qui renonces au titre de princesse, et que des vœux enchaînent au cloître, la règle qui t’ordonne de porter le voile avec le scapulaire de laine, et de couper les tresses de tes noirs cheveux, cette règle sévère condamnoit-elle le noble transport qui animoit tes yeux humides, quand le ménestrel ou le pèlerin racontoit quelque nouveau triomphe de ton frère valeureux ? Mais quelle est cette jeune compagne qui partage tes espérances, tes craintes et tes prières ? Ce n’est point une vierge des cloitres. On la reconnoît aux boucles de sa chevelure, à la rougeur de son front, à ses soupirs, à ses tressaillemens involontaires, quand la gloire du valeureux Ronald se trouve mêlée aux exploits de Bruce.

III.

Quand le roi eut reconquis le château de ses pères et que sa noble entreprise fut heureusement commencée, ses premiers soins avoient été d’envoyer le page muet à l’île d’Arran ; mais un déguisement étranger ne put tromper long-temps les regards d’une sœur. Les deux amies habitèrent dans la même cellule. Le tardif consentement de Bruce permit enfin à Isabelle de prendre le voile et de prononcer les vœux. Édith est avec elle ; l’auguste fille de Lorn vit inconnue ; et, tandis que l’Écosse s’agite au milieu des combats, elle passe ses jours dans le calme de la retraite.

IV.

Plusieurs années s’étaient écoulées, quand des nouvelles d’une haute importance arrivèrent à Saint-Bride.

De toutes les conquêtes faites en Écosse par l’épée victorieuse d’Édouard Ier, son fils n’avoit plus vers le nord de la Tweed que le château de Stirling, assiégé par le roi Bruce. Un armistice avoit été conclu, et l’on convint que si les assiégés ne recevoient pas de secours du roi d’Angleterre avant la veille de la Saint-Jean, ils livreroient la place à Bruce. Toute la Bretagne fut appelée aux armes. Des courriers et des hérauts parcouroient les provinces, sommant les princes et les seigneurs de se rendre à l’appel du suzerain, et de venir à Berwick pour faire lever le siège de Stirling. La Saint-Jean approchait… Tous les soldats du sud se réunirent à la hâte, préparés au combat. On voit accourir tout ce que l’Angleterre avoit de nobles chevaliers et d’archers habiles. Les contrées qu’ils traversèrent sembloient embrasées par l’éclat que jetoient leurs boucliers et leurs bannières mais les Anglois belliqueux n’obéirent pas seuls à cet appel ; on vit aussi accourir les guerriers de la Neustrie et de la Gascogne. La Cambrienote, récemment soumise, fit marcher ses montagnards ; et Connoght vit sortir du fond de ses forêts et de ses déserts les cent tribus dociles au sceptre du sombre O’Connor.

V.

L’orage s’approche, gronde, et menace l’Écosse. C’est ainsi qu’un sombre nuage s’arrête suspendu dans les airs, et, s’abaissant peu à peu, dérobe le sommet des montagnes aux yeux du pèlerin tremblant. Mais ce ne fut point avec un regard timide que le roi Bruce vit l’orage s’avancer. Résolu à soutenir le choc, il fit proclamer que tous ceux qui le reconnoissoient pour maître eussent à prendre les armes et à venir combattre à ses côtés. Oh ! qui pourroit nommer tous les illustres chevaliers qui se rendirent à cet ordre, et qui s’armèrent pour la bonne cause, depuis les monts Cheviot jusqu’aux côtes de Ross, depuis les sables de Solway jusqu’à Marshal ! La nouvelle de ces préparatifs de guerre fut portée par un courrier du roi dans la vallée solitaire d’Arran ; mais des ordres secrets étaient destinés à sa sœur Isabelle, qui s’empressa le lendemain d’en faire part à la fille de Lorn.

VI.

— Est-il besoin de vous dire, Édith, combien la sincère union de nos cœurs est chère à votre Isabelle ? Jugez donc de ma douleur quand il faut vous dire adieu. L’ombre triste d’un cloître ne fut pas faite pour vous : allez mon amie, où un sort plus heureux vous attend ; mais ne croyez pas, ma chère Édith, que vous ayez été trahie, quoique mon frère sache que la fille de Lorn et son page muet n’étaient qu’un. Bruce connoît toute l’inconstance des hommes ; il épia l’impression que reçut Ronald en écoutant les derniers adieux d’Isabelle, qui lui prescrivoient de respecter les droits plus légitimes d’Édith, et d’être fidèle à ses sermens… Pardonnez-lui, pour l’amour de votre sœur. Si d’abord de vains regrets s’élevèrent dans l’âme de Ronald, ils sont éteints depuis long-temps. Il reconnoît maintenant quels droits vous avez sur lui, il se blâme souvent de son manque de foi, ô Édith ! pardonnez-lui pour l’amour de vous-même,

VII.

— Non jamais, reprit Édith, je n’irai implorer l’alliance de Ronald.

— Que votre impatience ne m’interrompe plus ; écoutez mon récit jusqu’à la fin.

— Le roi mon frère voudroit qu’Édith consentît à redevenir son page mystérieux. Elle pourroit alors juger par son cœur et par ses yeux du repentir de son amant. Libre, sous les auspices du roi, elle reviendroit, inconnue, habiter encore cette cellule et finir ses jours avec Isabelle, si tel étoit son dessein.

Le monarque avoit peut-être des vues politiques en faisant cette proposition. Dunstaffnage avoit été pris ; le château de Lorn reconnoissoit la puissance de Bruce. Le frère d’Édith, retiré en Angleterre, y étoit mort dans l’exil ; sa mort donnoit à sa sœur des droits sur ses vastes domaines, et ces droits ne seroient pas dangereux pour Bruce entre les mains fidèles de Ronald.

VIII.

Le trouble de ses yeux, son embarras, la rougeur de son front, trahirent l’émotion et le plaisir d’Édith. Elle feignit çependant de résister ; ne devoit-elle pas blâmer son amie d’une indiscrétion qui livroit à un tiers ses importans secrets ? Comment se résoudre à quitter Saint-Bride, cette paisible demeure ? Comment se séparer d’Isabelle et reprendre encore une fois ce vêtement étranger à son sexe, pour retourner au milieu des armées ? Qui veillera sur elle dans son voyage ? Elle désiroit au moins un délai. Isabelle sourit, et pardonna ce léger artifice d’une jeune fille qui craint de paroître céder au premier retour d’un amant infidèle.

IX.

Oh ! ne la blâmez pas : quand le zéphyr se réveille, son haleine fait tressaillir la feuille mobile ; quand le soleil dissipe les brouillards du mois d’avril, ses rayons font éclore la violette ; et l’amour, malgré tous les efforts d’un cœur offensé, doit renaître avec l’espérance. Édith opposa de tendres raisons aux murmures de sa pudeur. Ronald lui étoit destiné depuis sa plus tendre jeunesse, Ronald avoit reçu ses sermens et sa foi ;… et puis pouvoit-elle ne pas obéir aux volontés de Bruce, son souverain, dont elle et ses biens dépendoient ? Mais elle se promit de ne garder son déguisement de page que pendant un court espace de temps,… pendant un jour au plus : inconnue à tous, et surtout à Ronald, elle le verra encore une fois, elle l’entendra… (ne blâmez pas ce désir), elle l’entendra prononcer le nom d’Édith ; et, de retour dans sa retraite, elle rapportera la consolante idée qu’il s’est repenti de sa perfidie. Isabelle, qui depuis long-temps avoit observé sa pâleur et sa tristesse, et qui se reprochoit d’être la cause, innocente à la vérité, de ses malheurs, se réjouissoit d’avoir trouvé ce moyen de réparer sa faute involontaire. Elle s’écria avec un cœur sincère : — Elle sera donc récompensée de toutes ses souffrances ! L’heure du départ arriva bientôt ; Édith s’embarqua sous la garde d’une troupe de montagnards. Fitz-Louisnote, leur chef, avoit reçu l’ordre de conduire à Bruce le page muet, connu sous le nom d’Amadine, avec tous les honneurs qui sont dus au favori du prince.

X.

Le roi avoit espéré que la belle Édith arriveroit avant le jour du combat, mais une tempête et les hasards de la mer retinrent le navire loin du rivage. Ce fut le matin même du jour où la bataille devoit se livrer qu’Édith parut sur la colline de Gilles. L’horizon sembloit embrasé comme une fournaise ; aussi loin que l’œil pouvoit atteindre, on apercevoit des lances ondoyantes, semblables aux épis de l’été ; les troupes du roi Bruce, divisées en quatre corps d’armée, se déployoient dans la plaine ; un corps de réserve, placé au pied de la nontagne, était destiné à porter du secours en cas d’événements imprévus ; le reste de l’armée étoit rangé en ordre de bataille entre le ruisseau de Bannock et l’église de Saint-Ninian ; les trois ailes, quoique isolées par leur position, étoient à portée de se secourir mutuellementnote.

Plus loin on découvroit l’armée anglaise, comme une forêt de piques dont l’œil cherchoit en vain mesurer l’étendue ; là même où l’horizon semble se confondre avec les collines, on voyoit encore étinceler les armes de ces innombrables soldats.

XI.

La jeune fille descendit la montagne, effrayée de cet appareil de guerre. Elle arriva au corps de réserve ; là se trouvoient réunis les hommes de Carrick et d’Ayr, ceux de Lennox et de Lanark, et tous ceux des terres de l’Ouest. Les vaillans soldats des îles s’étaient joints à eux, rangés en ligne de bataille et couverts de leurs plaids. L’étendard glorieux de Bruce se déployoit avec orgueil dans le centre, non loin de la bannière de lord Ronald, dont les armoiries étaient un vaisseau à pleines voiles. Les cottes de mailles des guerriers de Bruce formoient un singulier contraste avec le plaid et le bonnet surmonté d’un panache des Hébridiens ; mais ce qui charma surtout les yeux de la fille de Lorn, ce fut le costume des montagnards, qu’elle n’avoit pas vu depuis trois longues années. — Il est un guerrier surtout que ses regards cherchent dans la foule ; ce guerrier est loin d’elle au milieu des rangs elle contemple avec le trouble de la tendresse les plis flottans de sa bannière, puis jette un coup d’œil sur le nombre immense des ennemis, et frémit en pensant aux chances de la guerre.

XII.

Fitz-Louis conduisit le page jusqu’au centre de l’avant-garde ; c’étoit là quon voyoit les vaillantes cohortes des Marches, les guerriers de Loudon, la troupe peu nombreuse, mais redoutée, des archers de Liddell et d’Étrick.

L’intrépide Douglas et le jeune Stuart commandoient les hommes de Nith et de la vallée d’Arrau et les courageux lanciers de Teviotdale. Près de l’église de Saint-Ninian étaient réunis, sous les ordres du valeureux Randolph, les soldats envoyés par l’Écosse depuis Tay jusqu’à Sutherland. Le reste de l’avant-garde, commandée par Edward Bruce, étoit protégé vers l’ouest par les ravins profonds de Bannock. Derrière eux étoit posté le brave Keith, le lord maréchal. Un rideau de feuillage cachoit ses hommes d’armes avec leurs lances, leurs casques et leurs panaches flottans. Telle étoit la disposition, des différens corps d’armée que Bruce avoit ordonnée. Édith et son guide se dirigèrent vers le monarque.

XIII.

Arrivés au premier poste, ils s’arrêtèrent. Le roi, placé à une portée de javelot du front de bataille, observoit l’ennemi et faisoit aligner ses soldats. Armé de pied en cap, il guidoit un léger palefroi, attendant le moment de l’attaque pour monter son cheval de bataille. Le diadème d’or brilloit sur son casque d’acier ; au haut de son cimier étoit attaché le gant d’Argentine, gage de son défi ; la hache d’armes remplaçoit dans ses mains le bâton de général.

A trois portées de javelot plus loin paroit l’armée anglaise. Les chefs, appuyés sur leurs armes, tiennent conseil, et se demandent s’il faut engager le combat dans la nuit même ou le différer jusqu’au lever de l’aurore.

XIV.

Qu’il est beau, mais qu’il est terrible, le spectacle qu’offre la première ligne de cette armée ! L’or et l’acier y étincellent de toute part. Le roi d’Angleterre y est avec tous ses pairs.

Quel est celui qui, voyant ce monarque entouré de tout son royaume armé pour défendre ses droits, eût osé prédire le triste sort qui le menaçoit ? Il fait caracoler avec grâce son noble coursier ; et l’on reconnoît dans ses yeux quelques étincelles du feu des Plantagenets. Son regard naturellement distrait se ranime à la vue des boucliers et des armes.

— Argentine, dit-il, connoissez-vous ce chevalier qui range en bataille les lignes ennemies ? — Le gage qui surmonte son casque me dit que c’est Bruce lui-même : je le reconnois. — Comment ce traître, dit Édouard, a-t-il l’audace de braver ma présence et nos drapeaux ? — Sire, répondit Argentine, que n’est-il monté sur un coursier comme le mien, pour que la partie fût égale ; j’irais rompre une lance avec lui. — Dans un jour de bataille, repartit le roi, les lois de la chevalerie sont mises de côté. Ce rebelle ose irriter mon courroux, qu’on fonde sur lui et qu’il disparaisse de mes yeux. — A cet ordre du roi, sir Henry Boune sortit des rangs.

XV.

Sir Henry étoit issu de l’illustre sang des Héreford, si renommés dans la chevalerie ; brûlant de se signaler devant le roi par quelque exploit digne de sa race, il pressa son coursier, mit la lance en arrêt, et s’élança sur Bruce. Immobile comme le rocher qui brave le choc de la vague irritée, Bruce resta ferme sur ses arçons. Tous les crieurs palpitèrent, tous les yeux se fixèrent sur les deux combattants. Plus rapide que la pensée, le regard et l’éclairs, sir Henry fondit sur le roi. Le foible palefroi de Bruce auroit-il pu soutenir un tel choc ? La perdrix résisteroit plutôt au faucon. Évitant la rencontre du chevalier au moment même où il étoit prêt à frapper, Bruce se détourne avec adresse : sir Henry va poursuivre sa carrière… mais sa course ne fut pas longue. Bruce, affermi sur ses étriers, lança avec force sa hache d’armes, qui alla frapper si violemment sur le chevalier anglois, que son casque en fut écrasé comme le fruit du noyer, et que la hache d’armes se brisa jusqu’à la garde. Le cheval tressaillit et abandonna sur le sable le corps inanimé de son maître. Ah ! combien fut soudaine et rapide la mort de Boune, première victime de cette fatale journée !

XVI.

Bruce jeta un regard de pitié sur le cadavre de son ennemi ; puis, avant tourné la bride de son coursier, il regagna tranquillement les rangs de l’armée écossaise. Les chefs s’approchèrent de lui et le blâmèrent à haute voix d’exposer ainsi à l’épée d’un aventurier une vie si précieuse et si chère. Bruce, remarquant alors sa hache, répondit d’un air indifférent : — Je paie cher mon imprudence, ma fidèle hache d’armes s’est brisée dans mes mains.

Dans ce moment, Fitz-Louis aborda respectueusement le roi et s’acquitta de la commission d’Isabelle. Édith déguisée se tenoit à quelques pas de distance, et cachoit sa rougeur en se couvrant le visage de ses mains. En l’apercevant, le monarque jeta loin de lui sa hache ensanglantée, et s’avança vers le prétendu page, cherchant à donner plus de douceur à son regard. Il prit la main d’Amadine avec la grâce d’un chevalier, et son sourire bienveillant promettoit au page timide l’amitié d’un frère chéri.

XVII.

— Ne crains rien, lui dit-il, jeune Amadine ; et il ajouta tout bas : — Que ce nom soit encore le tien ; la fortune capricieuse règle nos destinées ; elle t’envoie près de nous dans un moment de crise qui, je l’espère, va nous mettre pour toujours hors de sa puissance ; car, vainqueur ou vaincu, je reste sur ce champ de bataille. Pour toi, monte sur cette colline, asile de ceux qui suivent l’armée et qui ne peuvent porter les armes. (Fitz-Louis, veillez sur lui.) Nous nous rejoindrons si la fortune nous seconde ; s’il en est autrement, retourne dans la demeure sacrée d’Arran ; vis avec Isabelle, car le brave Ronald a fait vœu de ne jamais revoir la belle fille de Lorn, objet de ses plus tendres vœux, s’il désertoit le champ de bataille ou la cause de Bruce et de l’Ecosse… Silence… les sons de ces trompettes m’appellent !… excuse ce prompt départ ; adieu, adieu. Et il ajouta d’une voix plus basse : — Adieu donc, aimable Édith ; adieu.

XVIII.

— D’où vient ce nuage de poussière qui s’élève du côté de l’aile gauche ? cria le monarque au comte de Moray, qui se tenoit à cheval près de lui. Eh quoi, déjà les ennemis ont cerné votre poste ? Ah ! Randolph ! vous avez perdu une fleur de votre couronne ! Alors le comte baisse sa visière. Elle va refleurir, dit-il, ou ma vie se flétrira avec elle. A moi, vassaux de Randolph ! Et ils se précipitèrent, prompts comme la foudre, sur les ennemis. — Sire, dit alors le noble Douglas, le comte Randolph peut à peine opposer un de ses hommes contre dix Anglais. Laissez-moi lui porter du secours. — Restez à votre poste ; le comte réparera la faute qu’il a commise. Il ne faut point affaiblir notre corps de bataille.

Alors on entendit s’élever le cri de la mêlée. Le cœur du généreux Douglas bondit : — Sire, écouterai-je avec patience ces clameurs, qui peut-être m’annoncent le chant de mort de Moray ? — Eh bien ! va donc, mais hâte-toi de revenir.

Douglas s’élança suivi de son clan. Arrivé au sommet de la montagne, il arrêta sa troupe. — Reconnoissez-vous les Anglais taillés en pièces et mis en déroute ! Le comte a su vaincre ; voyez son étendard flotter au milieu du désordre de la mêlée. Amis, retournons à nos postes, notre présence diminueroit sa gloire : nous sommes arrivés trop tard. — Douglas rejoignit l’armée ; dans tous les rangs on apprit l’heureuse nouvelle que Dayncourt avoit péri de la main de Randolph, et que ses soldats avaient été mis en fuite. Cette escarmouche termina la journée. Les deux armées gardèrent leur ordre de bataille et passèrent la nuit sous les armes.

XIX.

C’étoit une nuit du riant mois de juin ; la lune poursuivant sa carrière dans un ciel sans nuage, laissoit tomber ses molles clartés sur Demayet et sur les antiques tours de Stirling : les flots de la rivière se succédoient comme les anneaux d’une chaîne argentée. Astre paisible, tu dois éclairer bientôt un autre spectacle… des étendards en lambeaux, des armes brisées, des monceaux de cadavres ; et les morts et les blessés confondus dans les flots ensanglantés du Forth.

Tu entends maintenant les cris de la débauche au milieu des troupes anglaises, tandis que les légions de l’Écosse implorent le ciel, et préparent le saint sacrifice. Ici le nombre a fait naître la présomption ; là c’est dans le Dieu des armées que les soldats de Bruce mettent leur force.

XX.

La belle Édith se tenoit sur la colline de Saint-Gilles, dont le sommet dominoit le champ de bataille. Avec elle sont les serfs et les pages, trop jeunes encore pour porter les armes. Avec quelle agitation pénible elle voit l’aurore colorer l’horizon ! Déjà le soleil brille sur les hauteurs d’Ochil, et dissipe les ténèbres du sombre Demayet. Est-ce le chant de l’alouette ou le cri sourd du héron qui frappe son oreille ? Non ; ce sont les accens confus, mais de plus en plus sonores, des trompettes qui se mêlent aux roulemens du tambour. L’armée d’Écosse répond par le son des cornemuses et des corsnote. Chaque soldat fait le signe de la croix et saisit ses armes. Le spectacle de la guerre se montre dans tout son appareil.

XXI.

Les forces de l’Angleterre se déploient dans unes immense étendue, comme les flots de l’Océan, quand l’impétueux vent d’ouest annonce par ses sourds mugissemens l’approche de la tempête. Aux premières lignes marchent les braves archers ; derrière eux s’avancent les hommes d’armes ; et c’est au milieu de ce corps qu’on reconnoît le roi entouré de chevaliers, les uns aguerris aux combats, les autres ayant nouvellement reçu les éperons et brûlant de les mériter. Argentine est à ses côtés avec le vaillant de Valence, l’orgueil des Pembroke, choisis l’un et l’autre pour tenir les rênes de son coursier. Au moment où le roi porta ses yeux sur l’armée écossaise, il vit avec étonnement que l’on abaissoit les bannières, les lances et les boucliers ; la pointe de tous les glaives est tournée vers la terre ; chaque guerrier fléchit le genou. — Les rebelles se repentent, dit-il à Argentine ; les voilà qui s’agenouillent pour implorer leur grâce. — Oui ; mais leurs genoux fléchissent devant une autre puissance ; ils implorent un autre pardon que le nôtre. Voyez-vous ce prêtrenote, les pieds nus, qui les bénit en élevant les mains ? Ils trouveront ici la victoire ou la mort. — Eh bien, risquons la bataille. Ordonnez au comte de Glocester de commencer l’attaque.

XXII.

Au moment où les troupes écossaises se relevèrent, le comte Gilbert agita son bâton de commandement. A ce signal, les archers anglois font un pas en avant, élèvent la main gauche et approchent leurs arcs de l’oreille droite ; le frémissement de dix mille cordes se fait entendre, et dix mille flèches frappent l’ennemi comme la grêle de décembre. Ni le bouclier doublé d’une épaisse peau de buffle, qui couvre le soldat des montagnes, ni la cotte de mailles que portent ceux des plaines, ne les sauvent de cette tempête. Malheur, malheur à la superbe Écosse ! Les cavaliers de Bruce ont mis pied à terre et se tiennent auprès de leurs chevaux. Le bouillant Edward, le pied sur l’étrier et la main sur la crinière de son cheval, pouvoit à peine contenir son impatient courroux ; enfin, les archers anglais s’avancent dans la plaine. — A cheval, braves guerriers ! s’écria-t-il, et au même instant les cavaliers se trouvèrent en selle. Leurs brillantes aigrettes s’agitèrent comme les feux follets qui s’élèvent de la terre. La poitrine défendue par leur bouclier, ils tiennent la lance en arrêt. Edward s’écrie : — En avant, tombons sur ces misérables, brisons les cordes de leurs arcs !

XXIII.

L’éperon s’enfonce dans les flancs des chevaux ; ils se précipitent au milieu du corps des archers. Sans retranchemens pour se mettre à l’abri, sans armes pour les arrêter, les archers ne peuvent résister avec leur armure légère au choc de ces lourdes massues et aux fers de ces longues piques. Leur courtes épées sont inutiles contre des chevaux bardés de fer et des guerriers couverts de cottes de mailles ; ils ont perdu leurs rangs ; le glaive plane sur leurs têtes : on entend les cris de victoire et les plaintes des mourants. Les archers soutiennent quelque temps le combat avec une valeur opiniâtre ; mais enfin, rompus de toute part, ils sont forcés de chercher leur salut dans la fuite.

Cerfs de Sherwood et de Dallom-Lee, bondissez de joie, les arcs brisés à Bannock-Born ne dirigeront plus de flèches contre vous. Que les jeunes filles ornent de feuillage le joyeux mai de Wakefield, et tournent leurs regards inquiets vers le nord ; leur attente sera trompée, elles ne reverront plus ceux qui les animoient à la danse. Dispersés, taillés en pièces, criblés de mille coups, foulés par le pied des chevaux, les archers couvrent de leurs cadavres la plaine ensanglantée de Bannock.

XXIV.

Le roi d’Angleterre s’indigne de leur fuite. — Les voilà, disoit-il, ces valeureux archers ! il n’est pas un de ces grossiers paysans qui ne se vantât de porter dans son carquois la vie de douze ennemisnote. Les lâches ! ils sont plus propres à dévaster nos forêts qu’à se mesurer contre un ennemi courageux. Allons, gentilshommes et chevaliers, en avant ! montrez votre vaillance ; il vous appartient de rétablir le combat.

A la droite du champ de bataille se trouvoit un chemin facile et uni, mais le prévoyant Bruce l’avoit fait couper par des fossés, qui, recouverts de broussailles et de gazon, cachoient un piège inévitable. Douze mille cavaliers se précipitèrent dans ce chemin, la lance en arrêt, le cœur brûlant de vengeance et défiant de loin l’ennemi avec des cris terribles mêlés au bruit des clairons. Hommes et chevaux s’élancent en aveugles sur le champ de bataille ; les premiers sont déjà tombés dans l’abîme ouvert sous leurs pas ; ceux qui les suivent s’y précipitent après eux ; les casques, les boucliers, la cotte de mailles, la lance et l’épée, la force, la bravoure, rien ne préserve de cette mort. Des clameurs confuses s’élèvent du milieu de ces précipices ; ce sont les cris des mourans et les hennissemens de mort des chevauxnote. Ils accouroient, semblables au torrent descendu des montagnes, qui roule à travers les rochers ; ils se sont engloutis comme ses vagues écumeuses dans une caverne obscure : le torrent bouillonne encore ; et chaque flot disparaît en mugissant.

XXV.

Mais l’Angleterre ne cède pas sitôt le champ de bataille ; ses plus nobles preux combattent pour elle ; il lui reste maint chevalier à qui la crainte ne fut jamais connue. Le courageux comte de Norfolk, de Brotherton, l’illustre De Vere d’Oxford, Glocester, Berkley, Grey, Bottetourt, Sanzavere, Ross, Montague, Mauley, le superbe Courtenay, Percy, vivent encore. Leurs noms, connus avec honneur dans les guerres d’Écosse, à Falkirk et à Dunbar, s’illustrèrent plus encore dans la suite par les combats de Crécy et de Poitiers. Argentinenote et Pembroke font avancer l’arrière-garde ; ils foulent avec précaution cette terre couverte de cadavres, et que le sang a rendue glissante. Arrivés à l’ennemi, les hallebardes, les haches et les lances se croisèrent avec une égale furie. C’est alors que Douglas put déployer sa force, et Randolph sa généreuse valeur. Stuart se montra digne d’être un jour le chef d’une race royale. Anglois, Écossois, combattent avec le même courage. Que de nobles cimiers jonchèrent la terre ! que de chevaliers illustres reçurent le trépas ! Le carnage moissonne tous les rangs.

XXVI.

Chaque soldat combattoit corps à corps ; les coups succédoient aux coups ; le cliquetis des armes et les cris de guerre étouffoient les soupirs des mourants. Dans les deux partis, que de motifs différens inspiroient tous ces héros de l’Angleterre et de l’Écosse ! Le chevalier mouroit pour la gloire, le citoyen pour son pays, le jeune homme pour faire preuve de son courage ou pour mériter l’amour de sa dame ; quelques-uns venoient assouvir une horrible soif de sang ; l’habitude et une bravoure naturelle conduisoient les autres mais, quel que soit leur but, soldat loyal, serf ou noble, tous suivirent la même route… celle du tombeau.

XXVII.

Quoique l’ardeur des combattans commence à s’éteindre, la victoire est incertaine. Le soleil est arrivé au milieu de sa course. La poussière s’élève en nuages plus épais. Les coups sont devenus plus faibles. Douglas s’appuie sur son épée ; Randolph essuie son front couvert de sang. Les troupes anglaises ne sont pas moins fatiguées d’un combat qui dure depuis la pointe du jour. Le vaillant Egremont s’arrête pour reprendre haleine ; Beauchamp relève la visière de son casque. La lance s’échappe des mains de lord Montague. Et toi aussi, brave De Vere, tu laissas tomber ton épée. Les coups que portoit le robuste Berkley se ralentirent. Le cor de l’intrépide Pembroke perdit ses accens guerriers. Ton bras s’abaisse, Argentine ; et je n’entends plus la voix de Perey qui crioit : — Camarades, avançons,

XXVIII.

Bruce, dont l’œil vigilant comme celui du pilote s’aperçoit de la lassitude des combattans, s’est écrié : — Encore un effort, et l’Écosse sera libre. Lord des Iles, ma confiance en toi est ferme comme le rocher d’Ailsa ; fonds sur l’ennemi avec les montagnards, moi je vais charger à la tête de mes lanciers de Carrick. Allons, courons au combat. — Aussitôt le pibroc se fait entendre ; Bruce ordonne la charge. — En avant, lanciers de Garrick ! l’ennemi lâche pied ; marchons, nobles fils d’Innisgail : vous combattez pour vos femmes, vos enfans, pour votre patrie, votre liberté, pour votre vie ; le succès ne sera pas long-temps douteux.

XXIX.

Ce nouveau choc fit reculer les Anglois, qui laissèrent leurs meilleurs soldats baignés dans leur sang. Argentine seul élève son bouclier orné d’une croix rouge : il rallie les débris de l’armée, et dispose un nouvel ordre de bataille. Ses efforts rétablirent le combat, mais cette nouvelle lutte ne dura pas long-temps.

La belle Édith avoit entendu les cris de joie des soldats anglais, elle les vit se retourner tout-à-coup au milieu de leur déroute. Le son des clairons est à la fois un son de douleur et de triomphe. Édith croit voir les soldats de Ronald enveloppés par l’ennemi : — O ciel ! le combat recommence, point de secours ! Et vous, témoins impassibles de la ruine de votre patrie, portez-vous donc des cœurs de rocher ? —

XXX.

Ceux qui de loin observoient les deux armées, n’avaient pu voir sans émotion Bruce combattre pour les droits de l’Écosse. L’amour de la patrie embrasoit tous les cœurs. L’adolescent, le vieillard, le prêtre, le laïque, les femmes mêmes tendoient les mains à la vue d’une hache ou d’une épée ; mais quand Amadine recouvra la parole pour leur adresser ces reproches, l’enthousiasme s’empara de cette multitude. — Des prodiges accusent notre lâcheté ; c’est un muet qui nous rappelle nos devoirs ; celui qui rend la voix au muet peut donner la force aux faibles ; l’Écosse est notre patrie comme celle de Bruce ; elle est notre terre promise à tous, c’est à nous comme à lui de venger les outrages de notre nation. Comme lui, nos cœurs doivent choisir entre la mort et la liberté. Aux armes ! aux armes ! — Alors tout devient lance, épée ou massue : des drapeaux sont faits à la hâte, et cette armée nouvelle fond sur les Anglais fatigués.

XXXI.

Déjà les escadrons du sud, dispersés dans la plaine, n’écoutant plus ni les reproches, ni les prières, ni les ordres, fuyoient ou ne faisoient qu’une résistance douteuse ; mais quand ils crurent voir des troupes, encore fraîches marcher sur eux, les plus courageux rompirent les rangs. Rendons justice à leur malheureux prince : vainement il se jeta au milieu de la mêlée ; ses menaces, ses pleurs, son désespoir, tout fut inutile. Enfin, Pembroke, détournant la bride de son coursier, le força de s’éloigner du champ de bataille. Argentine le suivit jusqu’au sommet de la colline ; mais là il s’arrêta. — J’ai laissé un gage sur le champ de bataille, dit-il ; l’honneur, plus cher que la vie, m’ordonne de retourner au combat. Hâtez-vous de vous éloigner, sire, le cruel Douglas suit vos traces ; je reconnois sa bannière qui s’avance. Que le Seigneur envoie à mon maître joie et prospérité ; que ses armes soient désormois plus heureuses. Adieu, sire, adieu. —

XXXII.

Il retourne sur le champ de bataille, et voit les Anglais en fuite, prisonniers ou sans vie. — Maintenant, dit-il en mettant sa lance en arrêt, me voilà au terme de ma carrière ; encore un effort, ce dernier exploit va mettre fin à ma race. — Alors, se levant sur ses étriers, il porte à haute voix ce défi : — Saint-Jacques pour Argentine ! — Quatre de ceux qui poursuivoient les fuyards furent désarçonnés ; mais le brave chevalier reçut un coup de lance qui le frappa au défaut de la cuirasse, et un coup de hache brisa son cimier. Malgré sa blessure, il court sur le vaillant lord de Colonsay, et enfonce dans son sein le fer de sa lance. Le montagnard se débat contre le fer meurtrier qui le fixe à la terre ; il brandit encore son épée, et frappe son ennemi ; le sang d’Argentine ruisselle ; il chancelle sur ses étriers, et le farouche Colonsay sourit au milieu des angoisses de l’agonie, en voyant sa fidèle épée venger si bien son trépas.

XXXIII.

Bruce s’occupoit de recueillir les fruits d’une victoire si glorieuse. Il ordonnoit à sa cavalerie de poursuivre l’arrière-garde des Anglois, et d’empêcher leurs corps dispersés de se réunir, lorsque le cri de guerre qu’Argentine prononçoit vint frapper de loin son oreille. Aussitôt il s’écrie : — Épargnez ce noble et brave chevalier. Les escadrons ouvrent au roi un libre passage. Il s’approche du blessé ; hélas ! il n’élevoit plus son bouclier orné d’une croix rouge ; son casque, son armure étaient couverts de son sang. Quand il vit Bruce s’avancer, il recueillit ses forces pour mettre sa lance en arrêt ; vain effort ! son éperon ne peut exciter son coursier. Le chevalier, épuisé de fatigue et de blessures, tombe sur l’arène ; le généreux Bruce accourt, s’empresse de le relever et de délier les courroies de son casque.

— Seigneur comte, lui dit Argentine, la journée est à toi. Les ordres du roi mon maître et le sort ennemi nous ont fait rencontrer trop tard ; mais Argentine mourant peut encore demander une grâce qu’il attend d’un ancien frère d’armes, une messe comme chrétien, et un tombeau comme chevalier.

XXXIV.

Bruce pressa sa main mourante, qui voulut lui rendre cette étreinte amicale, mais elle se raidit et devint froide entre les mains de Bruce. — Adieu ! s’écria le vainqueur. O toi, la fleur et l’orgueil de la chevalerie, on vantera à jamais ton bras valeureux, ta courtoisie, ta haute race, ta foi sans tache et la noblesse de tes traits. Que les torches s’allument dans l’église de Saint-Ninian ; qu’on prépare le service funèbre d’Argentine : jamais torches ne brûlèrent, jamais prières ne furent prononcées sur le cercueil d’un plus vaillant chevalier !

XXXV.

Ce ne fut point pour d’Argentine seul que les prières de la mort se firent entendre dans l’église de Saint-Ninian, et que les torches s’allumèrent ; leur clarté lugubre éclaira aussi mainte armure brisée et sanglante, et les débris de maints cimiers, dépouilles des barons, des comtes et des baronnets. Les plus illustres fils de l’Angleterre eurent aussi leur part de la pompe funèbre.

Ne pleure point, patrie de la gloire, quoique, depuis l’invasion de Guillaume-le-Conquérant, jamais les léopards n’eussent été mis en fuite dans un combat aussi funeste ; tes annales peuvent aussi se vanter de plus d’une bataille gagnée sur les Écossais. Ne leur envie point leur victoire : ils combattoient pour les droits de leur indépendance. Ces droits, si chers à tous les cœurs amis de la liberté, ne sont-ils pas plus chers encore à la terre d’Albion ?

XXXVI.

Revenons à Bruce, curieux d’apprendre de Fitz-Louis le miracle qui vient de s’opérer. Mille voix répètent autour de lui. : — Le page a recouvré la parole ! — Le page ! interrompt Fitz-Louis ; dites plutôt un ange descendu des célestes régions pour briser le joug des Anglais. J’ai vu tomber sa toque ornée de plumes, quand nous descendions la montagne ; son front, rempli de douceur, ses longs cheveux, qui se dérouloient avec grâce, ont donné un nouvel éclat à ses yeux ; son pied léger effleuroit à peine le gazon, comme s’il eût été soutenu par des ailes inaperçues. — Que disoit-il en ce moment ? —Une seule parole est sortie de sa bouche, quand il a vu le Lord des Iles retourner au combat. — Et quelle réponse ce seigneur lui a-t-il adressée ? — Il est, tombé à genoux ; ses yeux se baissoient vers la terre ; il murmuroit à voix basse des mots sans suite, respectueux dans sa joie, comme s’il eût parlé à l’habitant d’une sphère supérieure.

XXXVII.

Le roi Robert, oubliant un moment les hautes pensées qui l’occupent, ne peut s’empêcher de sourire.

— Quoi donc, dit-il, le page avoit une grâce angélique, un front noble, des cheveux ondoyans ; et Ronald s’est prosterné devant lui ! Dans ce cas, nous aurons besoin de l’Église. Que mon chapelain soit averti avant que ces étranges nouvelles se répandent plus loin ; qu’il aille à Cambuskenneth, et dispose l’autel pour célébrer une messe solennelle. Mon peuple remerciera le ciel de son heureuse délivrance ; mais qu’une autre cérémonie se prépare pour célébrer l’hymen d’un prince. Nous avons, aux jours de nos disgrâces, interrompu la fête nuptiale ; je veux, avant le retour de l’aurore, assister à l’hymen de la fille de Lorn.

CONCLUSION.

Allez, mes vers, allez au hasard ; ne blâmez pas le ménestrel de n’avoir point choisi pour ses humbles chants un protecteur dont le nom et l’amitié partiale auroient pu vous aplanir le chemin de la gloire. Il étoit… ah ! que de douloureux regrets dans ces deux mots ! il étoit une amie généreuse, qui, si le sort l’eût permis, vous auroit, ô mes vers, donné le droit de marcher fièrement à côté des plus nobles productions des Muses.

Aujourd’hui elle est devenue l’égale des anges… Il lui manquoit si peu de chose pour l’être déjà dans son pèlerinage dans ce bas monde ! A quoi bon rappeler cette patience qui lui faisoit cacher ses douleurs pour adoucir celles des autres ? A quoi bon dire comment la flamme pure de la vertu avoit encore plus d’éclat en elle ? A quoi bon apprendre au monde que la modeste guirlande destinée à orner son front est suspendue sur son cercueil pour s’y flétrir loin de tous les yeux ?


FIN DU LORD DES ÎLES.


NOTES
DU LORD DES ILES.



CHANT I.

Note 1. — Paragraphe II.

Les veaux marins ont pour la musique un goût décidé, tel qu’on n’oseroit l’attendre de leurs habitudes et de leurs mœurs. Ils suivront long-temps un bateau où résonnera un instrument quelconque ; le son même le plus simple suffit pour les attirer.

Note 2. Paragraphe VII.

Le détroit de Mull, qui divise cette île du continent de l’Écosse, offre un des plus curieux spectacles des Hébrides.

Note 3. — Paragraphe VIII.

Le nombre des îles occidentales de l’Écosse monte au-delà de deux cents. (Voyez Martin, Description des Hébrides.)

Note 4. Paragraphe VIII.

Somerled étoit taniste d’Argyle et lord des Iles vers le milieu du douzième siècle. Son descendant, le héros de ce poème, portoit le nom d’Augus Og. Nous avons substitué à ce nom celui de Ronald, euphoniœ gratia.

Note 5. Paragraphe XI.

La maison de Lorn étoit descendue, comme celle du lord des Iles, d’un fils de Somerled.

Note 6. — Paragraphe XXI.

Ce phénomène, appelé feu-de-mer par les matelots, est un des plus beaux et des plus intéressans qu’on admire dans les Hébrides. Parfois l’Océan paroît entièrement illuminé autour du vaisseau, et une longue trace de lumière le suit dans l’obscurité. Ces clartés phosphoriques, dont l’origine n’est pas encore bien éclaircie par les naturalistes, nous semblent être causées par le rapide mouvement du vaisseau, lorsque les vagues sont saturées de frai on d’autres substances animales. Ce passage rappelle la description bizarre des serpens marins par Coleridge (l’auteur de Cristabel), dans sa ballade éminemment poétique du vieux marin :

Beyond the shadow of the ship
I watched the water-snakes, etc.

CHANT II.

Note 1. — Paragraphe III.

Égidius ou Gilles d’Argentine fut le chevalier le plus accompli de ce siècle, après Henri de Luxembourg et Robert Bruce. Il avoit fait la guerre en Palestine, et il mourut en héros après avoir assuré la retraite d’Edward. Son éloge est contenu dans ces deux vers léonins d’un poème de Barton, ménestrel qu’Edward avoit amené pour célébrer son triomphe, et que les vainqueurs forcèrent de célébrer le leur :

Nobilis Argenten, pugit inalyte, dulcis Egidi,
Vix scieram mentem cum te succombere vidi.

Note 2. — Paragraphe IV.

On a long-temps conservé dans le château de Dunvegan, manoir romantique de Macleod, le chef du clan de ce nom, une coupe antique et d’un travail curieux ; c’étoit l’usage de faire faire la ronde à la coupe parmi les chefs des îles, qui se faisoient un point d’honneur de ne jamais laisser sortir un tonneau vide de la salle du festin.

Note 3. — Paragraphe VI.

L’écuyer tranchant (à qui appartenoit, plutôt qu’au sénéchal, l’office d’assigner les rangs aux convives) étoit un officier d’importance dans la famille d’un chef des Hébrides.

Note 4. — Paragraphe IX.

On doit s’apercevoir que l’histoire d’Écosse est ici nécessaire à connoître pour l’intelligence de ce poème.

Note 5. — Paragraphe XII.

L’histoire et la tradition ont également célébré le combat particulier où Bruce n’échappa aux vainqueurs qu’en abandonnant son manteau, dont l’agrafe fut longtemps conservée dans la famille des Mac-Dougal.

Bruce étoit d’une force de corps extraordinaire.

La fibula on agrafe d’un plaid étoit un bijou de prix, quand celui qui en étoit revêtu étoit un chef distingué. Martin parle d’une agrafe d’argent de la valeur de cent marcs.

Note 6. — Paragraphe XIII.

Sir James, appelé le bon lord Douglas, fut blessé à la bataille de Daley. Sir Nigel ou Niel Campbell, beau-frère de Bruce, y fut tué.

Note 7. — Paragraphe XIII.

En sortant de l’église où, après une vive altercation, il venoit de poignarder Comyn, Bruce rencontre James de Lindsay et Kirkpatrik : — Quelles nouvelles ? lui demandent-ils. — Mauvaises, répond Bruce. J’ai peut-être tué Comyn. — Peut-être ? reprit Kirkpatrick, ce sera bientôt sûr ; et il courut l’achever.

Note 8. — Paragraphe XIV.

Il paroit que le caractère des bardes d’Écosse, si grand dans les temps reculés, dégénéra bientôt. Les Irlandois disent que des lois furent nécessaires pour réprimer l’avarice des leurs. Dans les montagnes l’Écosse, ils tombèrent bientôt dans le mépris ainsi que les orateurs, emploi qu’un même individu exerçoit quelquefois avec celui de poète.

Note 9. — Paragraphe XXV.

C’étoit une coutume des montagnes d’amener la fiancée à la demeure de l’époux. Elle y restoit quelquefois en expectative pendant des mois entiers, et le fiancé avoit encore le droit de la répudier. De là grandes querelles, etc., etc.

Note 10. — Paragraphe XXVI.

Voyez les chroniques de Stowe sur l’exécution du célèbre Wallace, qui fut livré aux Anglois par trahison.

Note 11. — Paragraphe XXVI.

Voici le distique léonien de Mathew de Westminster sur Edward :

Scotos, Edwardus, dum vixit, suppeditavit,
Tenuit, vicit, depressit, dilaniavit.

Note 12. — Paragraphe XXVII.

Les Macleod, et presque toutes les familles de distinction dans les Hébrides, étaient d’extraction scandinave, et encore imparfaitement convertis au christianisme.

Note 13. — Paragraphe XXIX.

Ce fut en expiation de ce sang répandu dans l’église, que Bruce, à ses derniers momens, fit porter son cœur à Jérusalem par lord James Douglas.

Note 14. — Paragraphe XXXII.

Il n’y a point ici de métaphore ; les échos de l’Écosse retentirent en effet des aboiemens des chiens qui poursuivoient le monarque fugitif.

Un des limiers de Lorn avoit appartenu à Bruce lui-même, et devoit, par conséquent, perdre la piste avec moins de facilité. Ce ne fut pas sans peine que le roi d’Écosse parvint à s’échapper.


CHANT III.

Note 1. — Paragraphe IV.

Plus d’un chef des Iles exerça le métier de pirate jusqu’à ce que la civilisation eût introduit dans les Hébrides quelque idée du droit des gens.

Note 2. — Paragraphe VIII.

J’ai suivi la tradition vulgaire sur la bataille de Talkirk ; mais il est inexact que Bruce y ait combattu contre Wallace. Voyez sa justification dans les Annales de l’Écosse par lord Halles.

Note 3. — Paragraphe XII.

Le paysage extraordinaire que j’ai essayé ici de décrire, est unique dans l’Écosse. L’épisode des pirates que Bruce rencontre est emprunté de Barbour, avec les changemens qu’exigeoit le sujet.

Note 4. — Paragraphe XXVIII.

L’imagination ne peut rien concevoir de plus beau que la grotte découverte, il y a quelque temps, dans le domaine d’Alexandre Mac-Allister de Strathaire. La description en a été publiée par le docteur Marc Leay d’Oban.


CHANT IV.

Note 1. — Paragraphe III.

Arrêté par la mort dans ses projets de vengeance, Edward Ier ordonna à son fils de l’ensevelir en vue de l’Écosse, et d’en poursuivre la conquête ; mais son fils, se souciant peu de continuer la guerre, transporta le corps de son père à Londres, et le déposa dans un tombeau de Westminster Abbey avec cette inscription :

Edwardus primus, Scotorum maleus, hic est, Pactum serva.
Note 2. — Paragraphe VIII.

Tradition romantique de l’île de Canna on Cannay.

Note 3. — Paragraphe IX.

Vengeance attestée par les ossemens des victimes. En 1745, pendant les persécutions dont le catholicisme étoit l’objet, le prêtre d’Eigg disoit la messe dans cette caverne sur une saillie de rocher. Ce prêtre et les montagnards, assemblés dans ce souterrain, formoient un tableau digne de Salvator.

Note 4. — Paragraphe X.

La caverne de Staffa ou le palais de Neptune ne peut guère être décrit. Elle paroît plus vaste et plus étonnante chaque fois qu’on la revoit.

Rien de pittoresque comme le groupe d’îles, dont Staffa est la plus remarquable.

Note 5. — Paragraphe XII.

La péninsule de Cantire est réunie au Knepdale par un isthme très étroit. Pour éviter les dangers d’une navigation peu connue, autour du promontoire de Cantire, il n’y a pas long-temps encore, dit Pennent, que des navires de neuf ou dix tonneaux étaient tirés par des chevaux pour passer du lac de l’ouest dans celui de l’est.

Note 6. — Paragraphe XVI.

Le contraste du caractère des deux frères est bien peint par Barbour, dans son histoire de Bruce.

Note 7. — Paragraphe XVII.

Cet incident mit dans tout son jour la générosité chevaleresque de Bruce. C’est un de ces traits que Barbour raconte avec une naïveté charmante ? (Vide Barbour’s Bruce, book XVI.)


CHANT V.

Note 1. — Paragraphe VI.

L’intérieur de l’île d’Arran offre plusieurs vues de montagnes très remarquables. Les collines qui sont couvertes de rochers et de précipices forment plusieurs cataractes d’une hauteur prodigieuse, quoique de peu d’étendue.

Note 2. — Paragraphe VI.

L’île d’Arran, comme celles de Man et d’Anglesey, offre encore de nombreux vestiges des su- perstitions païennes, et probablement de la religion des druides.

Note 3. — Paragraphe VII.

Barbour raconte avec la plus grande simplicité une anecdote qui prouveroit assez que l’habitude des juremens profanes, devenue par la suite si générale en Écosse, n’existoit à cette époque que dans les armées. Douglas, après le retour de Bruce en Écosse, traversoit le pays montagneux de la Tweddale, près du lac Line, quand par hasard il entendit parler quelques personnes dans une ferme, et prononcer le mot de diable ; concluant de cette expression hardie que cette maison étoit habitée par des militaires, il l’attaqua aussitôt, et eut le bonheur de faire prisonnier Thomas Randolph, qui fut dans la suite le comte de Murray, et Alexandre Stuart lord Bonkle : tous les deux se battoient alors pour la cause de l’Angleterre, et étaient venus en Écosse dans l’intention d’en chasser Douglas : ils se rangèrent dans la suite parmi les plus zélés partisans de Bruce.

Note 4. — Paragraphe XVII.

On raconte généralement, et plusieurs y ajoutent une foi religieuse, que ce feu étoit réellement l’ouvrage d’une puissance supérieure, et qu’il n’étoit entretenu par la main d’aucun être mortel. L’on ajoute que, pendant plusieurs siècles, la même flamme apparaissoit tous les ans, dans la nuit et à la même heure à laquelle le roi la vit pour la première fois de la tour du château de Brodick. Plusieurs vont même jusqu’à dire que si ce moment étoit connu d’une manière précise, on la verroit encore.

Note 5. — Paragraphe XXXIII.

J’ai suivi la tradition qui rapporte que Bruce, après sa descente sur la côte d’Ayrshire, s’empara immédiatement du château de sa mère.

Note 6. — Paragraphe XXXIV.

Ces coupes s’appeloient mazers. Il en est fait mention dans un inventaire fort curieux des trésors et bijoux de Jacques III.


CHANT VI.

Note 1. — Paragraphe IV.

Edward Ier, selon la politique ordinaire des conquérans, employa les Gallois qu’il avoit soumis, dans les guerres d’Écosse, pour lesquelles leurs habitudes, comme montagnards, les rendoient singulièrement propres.

Note 2. — Paragraphe IX.

Les Fitz-Louis ou Mac-Louis, autrement appelés Fullarton, sont une ancienne famille de l’île d’Arran. On dit qu’ils sont d’origine française, comme l’indique leur nom. Ils s’attachèrent à Bruce lors de sa première descente à Arrau.

Note 3. — Paragraphe X.

L’ordre de bataille qu’adopta le roi Robert à la bataille décisive de Bannock-Burn nous a été transmis très exactement par Barbour ; c’est une leçon utile aux tacticiens. Cependant, jusqu’à ce qu’il ait été commenté par lord Halles, cet important trait d’histoire a été, en général, étrangement défiguré par les historiens.

Note 4. — Paragraphe XX.

C’est une vieille tradition, que ce refrain écossois si connu hey tulli tailli étoit la marche de Bruce à la bataille de Bannock-Burn.

Note 5. — paragraphe XXI.

Maurice, abbé de Inchoffray, se plaçant sur une éminence, célébra la messe à la vue de l’armée écossaise.

Note 6. — Paragraphe XXIV.

Roger Ascham rapporte un proverbe écossois qui dit : « Que chaque archer anglois porte à sa ceinture vingt-quatre Écossais. » Le bon lord Douglas redoutoit si fort les archers anglois, qu’il donnoit à ceux qu’il faisoit prisonniers le choix de perdre le pouce ou l’œil droit.

Note 7. — Paragraphe XXIV.

Il m’a été dit que ce vers demandoit une note explicative ; et, dans le fait, ceux qui ont été témoins de la patience muette avec laquelle les chevaux se soumettent aux plus cruels traitemens, pourroient douter de leurs plainte dans le moment d’une douleur soudaine et insupportable. Lord Erskine, dans un discours prononcé à la chambre des lords sur un bill tendant à prescrire l’humanité envers les chevaux, fit connaître un fait remarquable, que je craindrois d’affaiblir en essayant de le répéter. « Le hasard me fit entendre, à moi-même, un cheval au moment de son agonie, poussant un cri perçant que je regarde encore comme le son le plus mélancolique que j’aie jamais entendu. »

Note 8. — Paragraphe XXV.

Outre d’Argentine, il périt plusieurs chevaliers des plus nobles familles d’Angleterre. Barbour dit qu’on trouva deux cents paires d’éperons dorés sur le champ de bataille ; et l’auteur pourroit ajouter que tous ne furent pas recueillis, car il possède un éperon antique fort curieux, trouvé depuis peu de temps.

Les résultats de la bataille de Bannock-Burn furent d’établir complètement l’indépendance nationale de l’Écosse.


FIN DES NOTE DU LORD DES ÎLES.
  1. Le nombre de ces croix s'élève à plus de trois cents.
  2. Voyez la note 7 du chant II.