Le Livre des sonnets/Quand les Géants, tordus sous la foudre qui gronde


Le Sang des Géants




Quand les Géants, tordus ſous la foudre qui gronde,
Eurent enfin payé leurs complots haſardeux,
La Terre but le ſang qui ſtagnait autour d’eux
Comme un linceul de pourpre étalé ſur le monde.

On dit que, priſe alors d’une pitié profonde,
Elle cria : « Vengeance ! » &, pour punir les dieux,
Fit du ſable fumant ſortir le cep joyeux
D’où l’orgueil indompté coule à flots, comme une onde.

De là cette colère & ces fougueux tranſports
Dès que l’homme ici-bas goûte à ce fang des morts,
Qui garde, juſqu’à nous, ſa rancune éternelle.

Ô vigne ! ton audace a gonflé nos poumons,
Et ſous ton noir ferment de haine originelle
Bout encor le déſir d’eſcalader les monts !


Louis Bouilhet.