Le Livre des petits enfants (Hauman)/L’oiseau sans ailes

Louis Hauman et compagnie Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 179-184).


L’OISEAU SANS AILES.


— Que tenez-vous là, Georges ? dit Marie à son frère qui accourait vers elle.

— Prenez-le Marie. Car c’est un pauvre oiseau presque mort de froid.

— Où l’avez-vous trouvé Georges ?

— Engourdi sur la neige, Marie.

— Pauvre oiseau ! dit-elle. Quelque méchant garçon t’aura coupé les ailes, et tu seras tombé du toit, sans pouvoir voler. Mais je te ferai un nid ; j’y mettrai de la laine chaude pour t’y coucher, et tu auras ta nourriture de ma main, jusqu’à ce que tes ailes soient repoussées. Ainsi, ne crie pas, pauvre oiseau ; cela me fait mal dans le cœur de t’entendre gémir.

Elle nourrit ainsi le jeune oiseau jusqu’à ce qu’il pût sautiller et voler. Georges le regardait avec joie, tout guéri qu’il était et si familier qu’il s’élançait de sa cage, quand on lui disait seulement : petit ! petit ! Georges fut si content qu’il embrassa Marie, en lui disant : tu es bonne !

Par un jour de soleil, et tout près du printemps, Marie regardait le ciel à travers la fenêtre et dit en elle-même : C’est pourtant là le vrai séjour des oiseaux : le nôtre à des ailes à cette heure ; quelle serait sa félicité de remonter vers ces beaux nuages d’or, et dans ce fond d’azur, sa splendide maison, sa première maison.

Petit ! petit ! cria-t-elle, courageusement. Et l’oiseau vola sur son épaule.

Adieu ! poursuivit Marie en versant une larme, qui tomba sur l’aile de l’oiseau, et en ouvrant précipitamment la fenêtre. Je t’aime mieux pour toi-même que pour moi. Je t’ai rendu des ailes, ce serait affreux de les énerver dans une cage.

L’oiseau, ébloui d’abord, et un peu chancelant au grand air, fixa bientôt hardiment cette vivifiante lumière du ciel ; il étendit trois fois ses ailes palpitantes, et disparut enfin dans l’espace inondé de soleil. Marie revint seule près de la cage vide, où elle appuya son cœur, et prenant dans ses deux petits bras cette cage triste comme la chambre d’un ami perdu, elle dit tout bas : — C’est lâche à moi de pleurer, car j’ai bien fait. Tout à coup, Georges entra en sautant.

— Bonjour Marie, où est le petit ?… petit ! petit ! cria-t-il, ne le voyant pas comme à l’ordinaire dans sa cage égayée de fleurs et de feuilles vertes qu’il venait renouveler.

— Vois qu’il fait beau : répondit Marie, en le conduisant à la fenêtre. Réjouis-toi, Georges. Notre ami est plus près que nous du ciel. Le ciel est à lui, vois-tu ? et je le lui ai rendu tout à l’heure ; et regarde mes yeux… Je ne pleure plus. Georges cacha sa tête sur la fenêtre, et demeura pétrifié de douleur.

— Ah ! Marie ! dit-il enfin, rouge de reproche et de passion, tu m’as pris mon ami. Tu ne m’aimes pas, ni l’oiseau non plus, puisque tu l’as ainsi délivré.

Délivré ! tu sens toi-même que c’est une délivrance. Tais-toi donc, mon frère ; et pense qu’il n’était, à nous que pour le guérir, le recevoir en passant, comme un pélerin blessé. Il chante peut-être nos deux noms à la porte du ciel ! tais-toi donc ! dit-elle en embrassant Georges qui l’embrassa lui-même ; car il sentait que le cœur de Marie était gros et battait comme le sien.

— Oui ! dit-il en la regardant, les yeux rouges, mais pleins de courage : Tu as bien fait !

— Vers le soir, comme ils rêvaient tous deux en regardant du coin de l’œil, la cage silencieuse : tac ! tac ! tac ! contre la vitre. — Ô joie ! c’était l’oiseau qui battait des ailes pour rentrer. On ne le fit pas attendre, et vous le devinez bien ! Georges en poussant un cri de bonheur, courut vers la fenêtre, et Marie, qui était la plus grande, l’ouvrit, en jetant vers le soleil couchant, un regard d’amour, tandis que Georges couvrait l’oiseau fidèle des chauds baisers de sa reconnaissance et de sa tendresse, et leur libre ami, tous les jours de sa douce vie d’oiseau, se partageait entre le ciel et sa cage ouverte !

L’homme s’élève de la terre au ciel à la faveur des deux aîles, qui sont la simplicité et la pureté.

(Imitation de Jésus-Christ.)