Le Livre des oraisons/Au lecteur

Alphonse Picard et Fils (p. v-viii).
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AU LECTEUR




La Bibliothèque nationale possède deux manuscrits du livre des oraisons de Gaston-Phébus. On les trouve à la suite des traités de chasse[1] du même Prince, classés sous les numéros 616 et 1292. Notre copie, tout entière de notre main, a été prise sur le texte du M. S. 616. Ce dernier ouvrage, véritable œuvre d’art, pour la beauté scripturaire, pour la perfection et la vivacité du coloris dans les enluminures nombreuses qui illustrent ses pages, a son histoire.

Gaston-Phébus le fit composer pour Philippe, duc de Bourgogne, comte de Flandre, à qui il est dédié. Au sortir de cette famille princière, ce M. S. devint la propriété de Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV. Le grand roi l’obtint à son tour, puis s’en désaisit en faveur du comte de Toulouse. Comment de ces dernières mains arriva-t-il au rayon où chacun le peut admirer aujourd’hui, à sa vraie place ? Il importe assez peu. Le royal manuscrit est définitivement bien national.

Vers 1840, Rivarès et Émile Vignancour, deux noms bien connus et vénérés en Béarn, éditèrent le Traité de Chasse, mais le Livre des Oraisons, où le trouver ? Hatoulet lui-même[2], ce bibliophile passionné qui avait perdu ses yeux à déchiffrer les documents des Archives si riches des Basses-Pyrénées, ne l’avait point découvert. Qu’on juge de notre joie, lorsque le titre de l’opuscule désiré s’offrir à notre curiosité, à la page 122 du précieux M. S. 616.

Cette joie sera partagée, nous l’espérons, par ce public spécial à qui s’adressent ces pages : les amis fervents de la patrie béarnaise, les amateurs des vieilles lettres et des documents historiques.

Les premiers sont nombreux. Tout Béarnais aime son Béarn, même alors que n’ayant jamais quitté le sol natal, il ignore qu’il coule ses jours dans le plus beau pays du monde. Mais celui que les hasards de la vie ont exilé loin du ciel de Pau, ressent bien plus vivement l’amour de la patrie béarnaise. Tout ce qui se rapporte à elle l’intéresse très particulièrement.

Les philologues, moins nombreux, aimeront à voir comment après Joinville, au temps de Froissart, un étranger, prince montagnard, écrit la langue française. L’idiome béarnais était la langue naturelle de Gaston-Phébus. Celui-ci nous révèle pourquoi de préférence il use de la langue de France : « Ma langue, écrit-il, n’est pas si bien dite et parle français comme mon propre langage »[3].

Nous mettons enfin aux mains des historiens un document qui, sans doute, ne saurait réformer l’histoire de Gaston-Phébus, telle que nous l’ont faite Froissart, les pièces de la collection Doat[4], les vieux écrivains, Mgr de Marca et les travaux savants de Paul Raymond[5], mais qui, néanmoins, jette sur les dernières années du célèbre comte de Foix, un jour bien nouveau.

Les deux premiers chapitres, écrits en latin, rappellent les Confessions de St-Augustin, par l’expression parfois, toujours par les sentiments de contrition qui les caractérisent. Les autres chapitres sont autant de psaumes dans lesquels le nouveau David ne cesse de faire appel à la pitié divine, à cause de la miséricorde infinie par laquelle tout a été créé.

Le copiste nous apprend que son travail a été commencé le 1er  jour de mai 1387. Né en 1319 et mort en 1391, Gaston-Phébus nous a donc dépeint dans son Livre des Oraisons, l’état de son âme avant sa 66e année. À cet âge, le Prince était encore vert[6].

Sur la fin du xive siècle, avons-nous lu, ou en 1500, ce Livre reçut les honneurs de l’impression. À cette époque, on le sait, on m’imprimait que les livres de première importance.

Plus de cinq cents ans se sont écoulés depuis le jour où Gaston-Phébus reconnut les services de son « Trésorier » par le fief du Basacle qu’il créa. En publiant ce document, tout à l’honneur de la mémoire de ce Prince, il ne nous déplait point de penser que nous payons peut-être au bienfaiteur un tribut personnel de reconnaissance, au nom des générations qui se sont succédé à Morlàas ; de celles, moins éloignées, qui dorment là-bas, sur le plateau du village natal, en face de la belle chaine des Pyrénées, à l’ombre du grand châtaignier.


Paris, le 16 juillet 1892.


M. M.

  1. La Bibliothèque nationale possède 14 manuscrits du Traité de Chasse de G.-P. Ils sont classés sous les numéros suivants : 616, 617, 618, 619, 620, 1289, 1290, 1291, 1292, 1293, 12397, 12398, 24271, 24272.
  2. Ce spirituel bibliothécaire de la ville de Pau, à qui la langue béarnaise doit son plus joli sonnet, avait réuni les éléments d’un Dictionnaire béarnais. Après sa mort, sa famille aujourd’hui totalement éteinte, les avait remis à M. Lespy qui les compléta si heureusement.
  3. M. S. p. 109.
  4. Elle contient 258 volumes de copies faites sous la direction de Jean de Doat, de 1665 à 1670. Plusieurs intéressent le pays de Béarn. Arrivée à Paris en 1732, cette collection se trouve à la salle des M. S. de la B. N.
  5. Archiviste des B.-Pyrénées, il a illustré son nom en éclairant, cataloguant les M. S. confiés à son savoir et à son zèle.
  6. Pour simple mémoire, mentionnons du même auteur, dans ce même M. S, un Traité sur les Faucons et autres chasses, qui n’offre aucun intérêt.