Le Livre des mille nuits et une nuit/Tome 13/Les Deux vies du sultan Mahmoud

Anonyme
Traduction par Joseph-Charles Mardrus.
Librairie Charpentier et Fasquelle (Tome 13p. 41-53).


LES DEUX VIES DU SULTAN MAHMOUD


Elle dit :

Il m’est revenu, ô Roi fortuné, que le sultan Mahmoud, qui fut un des plus sages et des plus glorieux d’entre les sultans d’Égypte, s’asseyait souvent seul dans son palais, en proie à des accès de tristesse sans cause, durant lesquels le monde entier noircissait devant son visage. Et, à ces moments-là, la vie lui semblait pleine de fadeur et dénuée de toute signification. Et, pourtant, rien ne lui manquait des choses qui eussent fait le bonheur des créatures ; car Allah lui avait, sans compter, octroyé la santé, la jeunesse, la puissance et la gloire, et lui avait donné, comme capitale de son empire, la ville la plus délicieuse de l’univers, où il avait, pour se réjouir l’âme et les sens, l’aspect de la beauté de la terre, de la beauté du ciel et de la beauté des femmes dorées comme les eaux du Nil. Mais tout cela s’effaçait à ses yeux durant ses royales tristesses ; et il enviait alors le sort des fellahs courbés sur les sillons de la terre, et celui des nomades perdus dans les déserts sans eau.

Or, un jour que, les yeux noyés dans le noir des songes, il était dans un abattement plus accentué qu’à l’ordinaire, refusant de manger, de boire et de s’occuper des affaires du règne et ne souhaitant que de mourir, le grand-vizir entra dans la chambre où il était étendu, la tête dans les mains, et, après les hommages rendus, il lui dit : « Ô mon maître souverain, voici qu’à la porte, sollicitant une audience, se trouve un très vieux cheikh venu des pays de l’extrême Occident, du fond du Maghreb lointain. Et, si je dois en juger par ma conversation avec lui et par les quelques paroles que j’ai entendues de sa bouche, il est, sans aucun doute, le savant le plus prodigieux, le médecin le plus extraordinaire et le magicien le plus étonnant qui ait vécu parmi les hommes. Et c’est parce que je sais mon souverain en proie à la tristesse et l’abattement, que je voudrais que ce cheikh obtînt la permission d’entrer, dans l’espoir que son approche contribuera à chasser les pensées qui pèsent sur les visions de notre roi ! » Et le sultan Mahmoud fit de la tête un signe d’assentiment, et aussitôt le grand-vizir introduisit dans la salle du trône le cheikh étranger…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA HUIT CENT VINGTIÈME NUIT

Elle dit :

… et aussitôt le grand-vizir introduisit dans la salle du trône le cheikh étranger.

Et certes ! l’homme qui entra était plutôt l’ombre d’un homme qu’une créature vivante d’entre les créatures. Et, si un âge pouvait lui être donné, il eût fallu calculer par centaines d’années. Pour tout vêtement, une barbe prodigieuse flottait sur sa grave nudité, tandis qu’une large ceinture en cuir souple mettait une barre unie autour des vieux reins parcheminés. Et on l’eût pris pour quelque très ancien corps semblable à ceux que retiraient parfois des sépultures granitiques les laboureurs d’Égypte, si, dans la face, au-dessous des sourcils terribles, n’eussent brûlé deux yeux où vivait l’intelligence.

Et le pur vieillard, sans s’incliner devant le sultan, dit d’une voix sourde qui n’avait rien des voix de la terre : « La paix sur toi, sultan Mahmoud ! Je suis envoyé vers toi par mes frères, les santons de l’extrême Occident. Je viens te rendre conscient des bienfaits du Rétributeur sur ta tête ! »

Et, sans un geste, il s’avança vers le roi d’un pas solennel et, le prenant par la main, il l’obligea à se lever et à l’accompagner jusqu’à l’une des fenêtres de la salle du trône.

Or, cette salle du trône avait quatre fenêtres, et chacune de ces fenêtres était sur la ligne d’un point astronomique. » Et le vieux cheikh dit au sultan : « Ouvre la fenêtre ! » Et le sultan obéit comme un enfant, et ouvrit la première fenêtre. Et le vieux cheikh lui dit simplement : « Regarde ! »

Et sultan Mahmoud mit la tête à la fenêtre et vit une immense armée de cavaliers qui, l’épée nue, se précipitaient, à toute bride, des hauteurs de la citadelle du mont Makattam. Et les premières colonnes de cette armée, arrivées déjà au pied même du palais, avaient mis pied à terre et commençaient à en escalader les murailles, en poussant des clameurs de guerre et de mort. Et le sultan, à cette vue, comprit que ses troupes s’étaient mutinées et venaient le détrôner. Et, devenu bien changé de teint, il s’écria : « Il n’y a de dieu qu’Allah ! Voici l’heure de ma destinée ! »

Aussitôt le cheikh referma la fenêtre, mais pour la rouvrir lui-même l’instant d’après. Et toute l’armée avait disparu. Et seule la citadelle s’élevait pacifiquement dans le loin, trouant de ses minarets le ciel de midi.

Alors le cheikh, sans donner le temps au roi de revenir de sa profonde émotion, le conduisit à la seconde fenêtre qui plongeait sur la ville immense, et lui dit : « Ouvre-la, et regarde ! » Et sultan Mahmoud ouvrit la fenêtre, et le spectacle qui s’offrit à sa vue le fit reculer d’horreur. Les quatre cents minarets qui dominaient les mosquées, les coupoles des mosquées, les dômes des palais, et les terrasses qui s’étageaient par milliers jusqu’aux confins de l’horizon n’étaient plus qu’un brasier fumant et flamboyant, d’où, avec les hurlements de l’épouvante, déferlaient vers la moyenne région de l’air des nuages noirs qui aveuglaient l’œil du soleil. Et un vent sauvage poussait les flammes et les cendres vers le palais même, qui bientôt se trouva enveloppé d’une mer de feu, dont il n’était plus séparé que par la nappe fraîche de ses jardins. Et le sultan, à la limite de la douleur de voir sa belle ville anéantie, laissa retomber ses bras, et s’écria : « Allah seul est grand ! Les choses ont leur destinée comme toutes les créatures ! Demain le désert rejoindra le désert à travers les plaines sans nom d’une terre qui fut illustre entre toutes ! Gloire au seul Vivant ! » Et il pleura sur sa ville et sur lui-même. Mais le cheikh referma aussitôt la fenêtre, et la rouvrit au bout d’un instant. Et toute trace d’incendie avait disparu. Et la ville du Caire s’étendait dans sa gloire intacte, au milieu de ses vergers et de ses palmes, tandis que les quatre cents voix des muezzins annonçaient l’heure de la prière aux Croyants et se confondaient dans une même élévation vers le Seigneur de l’univers.

Et le cheikh, emmenant aussitôt le roi, le conduisit vers la troisième fenêtre, qui donnait sur le Nil, et la lui fit ouvrir. Et sultan Mahmoud vit le fleuve qui débordait de son lit et dont les vagues, envahissant la ville et dépassant bientôt les terrasses les plus élevées, venaient battre avec furie contre les murailles du palais. Et une vague, plus forte que les précédentes, fit d’un coup s’écrouler tous les obstacles sur son passage et vint s’engouffrer dans l’étage inférieur du palais. Et l’édifice, fondant comme un morceau de sucre dans l’eau, s’affaissa d’un côté, et il était déjà presque effondré quand le cheikh referma soudain la fenêtre et la rouvrit. Et tout débordement fut comme s’il n’avait pas été. Et le beau fleuve continua, comme par le passé, à se promener avec majesté entre les champs infinis de luzernes, en dormant dans son lit.

Et le cheikh fit ouvrir par le roi la quatrième fenêtre, sans lui donner le temps de se remettre de sa surprise. Or, cette quatrième fenêtre avait vue sur l’admirable plaine verdoyante qui s’étend aux portes de la ville à perte de vue, pleine d’eaux courantes et de troupeaux heureux, celle qu’ont chantée tous les poètes depuis Omar, où des étendues de roses, de basilics, de narcisses et de jasmins alternent avec des bosquets d’orangers, où les arbres sont habités par des tourterelles et des rossignols tombés en pâmoison à force de plaintes amoureuses, où la terre est aussi riche et parée que dans les antiques jardins d’Iram-aux-Colonnes, et aussi embaumée que les pelouses d’Éden. Et, au lieu des prairies et des bois d’arbres fruitiers, sultan Mahmoud ne vit plus qu’un affreux désert rouge et blanc, brûlé par un soleil inexorable, un désert pierreux et sablonneux, qui servait de refuge aux hyènes et aux chacals et de champ de course aux serpents et aux bêtes malfaisantes. Et cette sinistre vision ne tarda pas, comme les précédentes, à s’effacer, quand le cheikh eut, de sa propre main, fermé et rouvert la fenêtre. Et, de nouveau, la plaine se fit magnifique, et sourit au ciel de toutes les fleurs de ses jardins.

Tout cela, et sultan Mahmoud ne savait s’il dormait, s’il veillait ou s’il n’était point sous la puissance de quelque sortilège ou hallucination.

Mais le cheikh, sans le laisser se calmer de toutes les violentes sensations qu’il venait d’éprouver, le prit de nouveau par la main, sans qu’il eût même l’idée d’opposer la moindre résistance, et le conduisit auprès d’un petit bassin qui rafraîchissait la salle de son murmure d’eau. Et il lui dit : « Penche-toi sur le bassin et regarde ! » Et sultan Mahmoud se pencha sur le bassin, pour regarder, quand, d’un mouvement brusque, le cheikh lui plongea la tête tout entière dans l’eau.

Et sultan Mahmoud se vit naufragé au pied d’une montagne qui dominait la mer. Et il était encore, comme au temps de sa splendeur, revêtu de ses attributs royaux avec sa couronne sur la tête. Et, non loin de là, des fellahs le regardaient comme un objet nouveau, et se faisaient mutuellement des signes à son sujet, en riant beaucoup. Et sultan Mahmoud, à cette vue, entra dans une fureur sans bornes, plus encore contre le cheikh que contre les fellahs, et s’écria : « Ah ! maudit magicien, cause de mon naufrage, puisse Allah me ramener dans mon royaume pour que je te châtie selon ton crime ! Pourquoi m’avoir trahi si lâchement ? Et que vais-je devenir dans ce pays étranger ? » Puis, se ravisant, il s’approcha des fellahs, et leur dit d’un ton solennel : « Je suis le sultan Mahmoud ! Allez-vous-en ! » Mais ils continuèrent à rire, en ouvrant des bouches jusqu’aux oreilles. Ah ! quelles bouches ! des grottes ! des grottes ! Et, pour éviter d’y être englouti vivant, il voulut lui-même s’enfuir, quand celui qui paraissait être le chef des fellahs s’approcha de lui, lui enleva sa couronne et ses attributs, qu’il jeta dans la mer en disant : « O pauvre ! pourquoi toute cette ferraille ! Il fait bien chaud pour se couvrir ainsi ! Tiens, ô pauvre ! voici des vêtements semblables aux nôtres ! » Et l’ayant mis nu, il le revêtit d’une robe en cotonnade bleue, lui passa aux pieds une paire de vieilles babouches jaunes à semelles en cuir d’hippopotame, et le coiffa d’un tout petit bonnet en feutre couleur d’étourneau. Et il lui dit : « Allons, ô pauvre, viens travailler avec nous, si tu ne veux pas mourir de faim ici, où tout le monde travaille ! » Mais sultan Mahmoud dit : « Je ne sais pas travailler ! » Et le fellah lui dit : « En ce cas, tu nous serviras de portefaix et d’âne, tout à la fois…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vil apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA HUIT CENT VINGT ET UNIÈME NUIT

Elle dit :

« … tu nous serviras de portefaix et d’âne, tout à la fois ! » Et, comme ils avaient déjà fini leur journée de travail, ils furent bien aises de charger un autre dos que le leur du poids de leurs instruments de labour. Et sultan Mahmoud, ployant sous le faix des bêches, des herses, des pioches et des râteaux, et pouvant à peine se traîner, fut bien obligé de suivre les fellahs. Et il arriva avec eux, fourbu et pouvant à peine respirer, dans le village, où il fut en butte aux poursuites des petits enfants qui couraient tout nus derrière lui, en lui faisant subir mille avanies. Et, pour lui faire passer la nuit, on le poussa dans une étable abandonnée, où on lui jeta, pour son repas, un pain moisi et un oignon. Et, le lendemain, il était devenu âne pour de bon, âne avec une queue, des sabots et des oreilles. Et on lui passa une corde au cou, et on lui mit un bât sur le dos, et on l’emmena aux champs traîner la charrue. Mais comme il se rebiffait, on alla le confier au meunier du village qui eut bientôt fait de le mettre à la raison, en lui faisant tourner la roue du moulin, après lui avoir bandé les yeux. Et cinq années il tourna la roue du moulin, ne se reposant que juste le temps de manger sa ration de fèves et de boire un seau. Et cinq années de coups de bâton, de piqûres d’aiguillon, d’injures humiliantes et de privations. Et il ne lui restait, pour toute consolation et pour tout soulagement, que les séries de pets qu’il lâchait du matin au soir, comme réponse aux injures, en tournant le moulin. Et voici que tout à coup le moulin s’écroula, et il se vit de nouveau sous sa forme première d’homme, et non plus âne. Et il se promenait dans les souks d’une ville qu’il ne connaissait pas ; et il ne savait pas trop où aller. Et comme il était déjà las de marcher, il cherchait de l’œil un endroit pour se reposer, quand un vieux marchand, qui jugeait à son air qu’il était étranger, l’invita poliment à entrer dans sa boutique. Et, voyant qu’il était fatigué, il le fit asseoir sur un banc, et lui dit : « Ô étranger, tu es jeune et tu ne seras pas malheureux dans notre ville, où les jeunes gens sont fort cotés et très recherchés, surtout quand ils sont, comme toi, de solides gaillards. Dis-moi donc si tu es disposé à habiter notre ville, dont les coutumes sont très favorables aux étrangers qui veulent s’y établir. » Et sultan Mahmoud répondit : « Par Allah, je ne demande pas mieux que de demeurer ici, pourvu que je puisse trouver à y manger autre chose que les fèves dont on m’a nourri pendant cinq ans ! » Et le vieux marchand lui dit : « Que parles-tu de fèves, ô pauvre ! Ici tu seras nourri de choses exquises et fortifiantes, pour la besogne qu’il te faut accomplir ! Écoute-moi donc avec attention, et suis le conseil que je vais te donner ! » Et il ajouta : « Hâte-toi d’aller de ce pas te poster à la porte du hammam de la ville, qui est là, au tournant de la rue. Et à chaque femme qui sortira tu demanderas, en l’abordant, si elle a un mari. Et celle qui te dira qu’elle n’en a pas, sera ton épouse sur l’heure, selon la coutume du pays ! Et surtout prends garde d’omettre de poser la question à toutes les femmes sans exception que tu verras sortir du hammam, sinon tu cours grand risque d’être chassé de notre ville ! » Et sultan Mahmoud alla se poster à la porte du hammam, et il n’était pas là depuis longtemps quand il vit sortir une splendide jouvencelle de treize ans. Et il pensa, en la voyant : « Par Allah, avec celle-ci je me consolerais bien de tous mes malheurs ! » Et il l’arrêta et lui dit : « Ô ma maîtresse, es-tu mariée ou célibataire ? » Et elle répondit : « Je suis mariée de l’année dernière. » Et elle continua son chemin. Et voici sortir du hammam une vieille d’une laideur effroyable. Et sultan Mahmoud frémit d’horreur à sa vue, et pensa : « Certes ! j’aime mieux mourir de faim et redevenir âne ou portefaix que d’épouser cette vieille antiquité ! Mais puisque le vieux marchand m’a dit de poser la question à toutes les femmes, il faut bien que je me décide à interroger la calamiteuse ! » Et il l’aborda et lui dit, en détournant la tête : « Es-tu mariée ou célibataire ? » Et l’effrayante vieille répondit, en bavant : « Je suis mariée, ô mon cœur ! » Ah ! quel soulagement ! Et il dit : « J’en suis bien aise, ô ma tante ! » Et il pensa : « Qu’Allah ait en Sa miséricorde le malheureux étranger qui m’a précédé ! » Et la vieille continua son chemin, et voici sortir du hammam une antiquité bien plus dégoûtante que la précédente et bien plus horrible. Et sultan Mahmoud s’approcha d’elle en tremblant, et lui demanda : « Es-tu mariée ou célibataire ? » Et elle répondit, en se mouchant dans ses doigts : « Je suis célibataire, ô mon œil ! » Et sultan Mahmoud s’écria : « Hé, là ! hé, là ! je suis un âne, ô ma tante, je suis un âne ! Regarde mes oreilles, et ma queue, et mon zebb ! Ce sont les oreilles et la queue et le zebb d’un âne. On ne se marie pas avec les ânes ! » Mais l’horrible vieille s’approcha de lui, et voulut l’embrasser. Et sultan Mahmoud, à la limite du dégoût et de la terreur, se mit à crier : « Hé, là ! hé, là ! je suis un âne, ya setti, je suis un âne ! De grâce, ne m’épouse pas ! Je suis un pauvre âne de moulin, hé, là ! hé, là ! » Et, faisant sur lui-même un effort surhumain, il sortit sa tête du bassin.

Et sultan Mahmoud se vit au milieu de la salle du trône de son palais, ayant à sa droite son grand-vizir et à sa gauche le cheikh étranger. Et devant lui une de ses favorites lui présentait, sur un plateau d’or, une coupe de sorbet qu’il avait demandée quelques instants avant l’entrée du cheikh. Hé, là ! hé, là ! il est donc le sultan ! il est donc le sultan ! Et toute cette funeste aventure n’avait duré que le temps de plonger sa tête dans le bassin et de la retirer ! Et il ne pouvait arriver à croire à un pareil prodige ! Et il se mit à regarder autour de lui, en se tâtant et en se frottant les yeux. Hé, là ! hé, là ! Il était bel et bien le sultan, le sultan Mahmoud lui-même, et non point le pauvre naufragé, ni le portefaix, ni l’âne du moulin, ni l’époux de la redoutable antiquité ! Hé, par Allah ! qu’il était bon de se retrouver sultan après ces tribulations ! Et, comme il ouvrait la bouche pour demander l’explication d’un si étrange phénomène, la voix sourde du pur vieillard s’éleva, qui lui disait :

« Sultan Mahmoud, je suis venu vers toi, envoyé par mes frères les santons de l’extrême Occident, pour te rendre conscient des bienfaits du Rétributeur sur ta tête ! »

Et, ayant ainsi parlé, le cheikh maghrébin disparut, sans que l’on sût s’il était sorti par la porte ou s’il s’était envolé par les fenêtres.

Et sultan Mahmoud, quand son émotion fut calmée, comprit la leçon de son Seigneur. Et il comprit que sa vie était belle, et qu’il aurait pu être le plus malheureux des hommes. Et il comprit que tous les malheurs qu’il avait entrevus, sous le regard dominateur du vieillard, auraient pu, si l’avait voulu la destinée, être les malheurs réels de sa vie. Et il tomba à genoux en fondant en larmes. Et depuis lors il chassa toute tristesse de son cœur. Et, vivant dans le bonheur, il répandit le bonheur autour de lui. Et telle est la vie réelle du sultan Mahmoud, et telle fut la vie qu’il aurait pu mener à un simple détour de la destinée. Car Allah est le maître Tout-Puissant !


— Et Schahrazade, ayant ainsi raconté cette histoire, se tut. Et le roi Schahriar s’écria : « Quel enseignement pour moi, ô Schahrazade ! » Et la fille du vizir sourit et dit : « Mais cet enseignement, ô Roi, n’est rien en comparaison de celui du Trésor sans fond ! » Et Schahriar dit : « Je ne connais pas ce trésor, Schahrazade ! »